M'ayant entraînée au fond de la cave, là où la pénombre était la plus dense, Juliette fit pivoter mon corps
contre la paroi humide. Je sentis le salpêtre se dissoudre sous mes doigts qui s'accrochaient. Pour me
racheter, j'aurais voulu être attachée, là, dans cette position, le ventre nu contre ce mur poisseux, le dos,
les reins, offerts aux hommes qui auraient eu la libre disposition de moi, sans conditions. Sentir mes mains
prises dans la pierre pour ne plus pouvoir bouger et tout endurer, pour prouver que je pouvais devenir un
jour une parfaite esclave.
Juliette commença par me caresser. Elle savait qu'en faisant cela, elle me donnait une chance de me faire
oublier ma faute. Elle s'empara d'un martinet et commença à me travailler le corps en l'échauffant lentement,
alternant les caresses des lanières avec des coups cruels et violents. Plus elle frappait fort et plus je m'offrais.
Je n'éprouvais qu'un pincement aigu au moment où mes seins furent brutalement saisis par des pinces, puis je
sentis les pointes broyées par l'étau de métal qui les tirait vers le sol en s'y suspendant. Chacun des mouvements
que je faisais alors amplifiait le balancement des pinces, provoquant une sensation effrayante d'arrachement.
Je me souviens de ce moment précis où je fus mise à quatre pattes sur le sol au milieu de la cave. Juliette dont
j'étais désormais l'esclave d'un soir fixa d'autres pinces sur les lèvres de mon sexe, en dessous de mon clitoris.
Tout mon corps se balançait de façon obscène, tenaillé entre deux douleurs, partagée entre le désir de faire cesser
mes souffrances et celui d'en augmenter l'intensité par mes balancements, pour satisfaire Juliette et mériter son
pardon. J'observais avec orgueil la rotation des poids suspendus aux pinces attachées à mes seins, de droite à
gauche et de gauche à droite. La douleur devenait intolérable, mais je devenais la spectatrice de cette douleur.
Je souffrais, mais je dominais cette souffrance: le plaisir qui naissait en moi la dépassait, la stigmatisait.
Pour marquer sa satisfaction, Juliette me désigna la croix de saint André où je fus attachée dans une position
d'extrême écartèlement. Un inconnu s'approcha de moi, comme si je devenais digne de son intérêt. Ils saisirent
chacun un long fouet et commencèrent à me flageller avec une vigueur et un rythme qui me firent écarquiller les
yeux. Pour étouffer mes hurlements, je mordis violemment mes lèvres, jusqu'à ce que le goût de mon propre sang
m'eût empli la bouche. Je me livrai au châtiment avec une joie quasi mystique, avec la foi de l'être consacré.
Juliette me dit soudainement:
- J'aimerais te fouetter jusqu'au sang.
Je lui répondis que je lui appartenais. Dans la cave déserte, où les effluves d'humidité évoquaient celles d'une tombe,
l'inconnu me contemplait silencieusement et je m'aperçus qu'il tenait à la main deux longues et fines aiguilles.
Il s'empara d'un sein qu'il se mit à pétrir, à caresser, puis à pincer pour en faire jaillir la pointe granuleuse. Lorsque la
pointe fut excitée, il y planta la première aiguille, puis presque aussitôt après, la seconde dans le mamelon du sein qui
n'avait pas été caressé. D'autres aiguilles furent plantées tout autour des aréoles, quelques gouttes de sang vinrent ternir
le métal que la lueur d'une ampoule faisait jusque-là scintiller. Mon martyre devint délicieux.
Ainsi, j'étais devenue l'objet de plaisir de cette femme et de cet homme. Juliette parut subitement échauffée:
elle s'approcha de moi et de me libéra de la croix de saint André. Avant même que je puisse savourer ce répit, on me
porta sur une table où je fus allongée et solidement attachée. Je fus alors fouillée, saccagée, malmenée, sodomisée
comme une chose muette et ouverte. L'inconnu qui violentait mes reins se retira brusquement. Juliette effleura de
ses lèvres la dure pointe de mes seins, et de sa main le creux de mon ventre.
Dans un éclair, je me sentis délivrée, anéantie mais comblée.
Hommage à Charlotte.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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"Vos ordres sont charmants ; votre façon de les donner est plus aimable encore ; vous feriez chérir le despotisme.
Ce n'est pas la première fois, comme vous savez, que je regrette de ne plus être votre esclave; et tout monstre
que vous dites que je suis, je ne me rappelle jamais sans plaisir le temps où vous m'honoriez de noms plus doux."
Valmont à Madame de Merteuil. (Lettre IV) Les liaisons dangereuses. Choderlos de Laclos.
Dans toute relation humaine, la séduction est une constante, mais c’est dans la relation amoureuse qu’elle se déploie
avec le plus de ruse et d’ingéniosité. Il suffit de parcourir la littérature pour constater que le séducteur et la séductrice
sont devenus des archétypes qui transcendent le temps et l’espace.
Il est difficile de cerner la séduction, probablement parce qu’elle garde toujours une aura de mystère d’autant plus
insondable qu’elle semble être une condition indispensable pour qu’elle se maintienne.
Les écrivains, les poètes, de même que certains compositeurs d’opéra de toutes les époques ont largement traité de la
séduction et ont cherché, chacun dans leur domaine, à l’illustrer par des personnages de fiction dans le but avéré ou
inconscient de répondre aux nombreuses questions que chacun se pose à son propos; pourquoi femmes et hommes
cherchent-ils à se séduire ?
Y a-t-il un secret à la réussite d’une entreprise de séduction et des causes à son échec ? Quelles qualités requiert
l’art de séduire ? Y a-t-il une différence entre séduction masculine et séduction féminine ? Les moyens qu’utilisent
hommes et femmes pour séduire un partenaire convoité sont-ils les mêmes ? Sinon en quoi diffèrent-ils ?
Autant de questions, dont les réponses sont dans l’observation des amants heureux ou des transis déçus, mais aussi
dans les descriptions littéraires que les écrivains ont brossé des séducteurs et des séductrices; les personnages qu'ils
ont créés permettent de dresser une galerie de portraits de tous les types de séducteurs et de séductrices possibles,
de même que d’explorer en profondeur les motivations qui les animent.
Les écrivains, tout au moins ceux dont le génie a traversé les siècles, sont de fins observateurs de l’âme humaine,
et ils ont surtout le don inimitable de traduire, à travers les personnages sortis de leur imagination, ce qu'ils ont souvent
vécu eux-mêmes ou observé autour d’eux avec une acuité d’artiste. La littérature apparaît donc comme une voie capable
de percer les secrets et les artifices des séducteurs et des séductrices.
la séduction opère de deux façons différentes, voire opposées; de façon active, quand une personne cherche à s’imposer
à une autre par des moyens qui vont de la manipulation violente à la persuasion douce; de façon passive; La manière active
est qualifiée de virile, la seconde de féminine. Séducteur d’un côté, séductrice de l’autre; on pourrait penser que les deux
positions sont également représentées, mais, lorsqu’on cherche des exemples de séduction dans les œuvres littéraires,
on trouve essentiellement des séducteurs masculins.
Don Juan, Casanova, Valmont, Julien Sorel, viennent tout de suite à l’esprit, alors qu’il est plus difficile de dresser une
liste comparable de séductrices ayant laissé des noms aussi connus; l'exception peut-être serait Carmen, mais Carmen
n'est pas un prototype de séduction féminine; elle diffère des autres femmes en ce qu’elle entend mener sa vie amoureuse
comme un homme; "Si tu ne m’aimes pas, je t’aime et si je t’aime, prends garde à toi", est une protestation virile, un hymne
au libre choix amoureux, sinon sexuel.
Dans la littérature, la femme est presque toujours décrite comme séduite et abandonnée; Ariane se lamentant à Naxos
de l’infidélité de Thésée, Didon mourant sur son bûcher après le départ d’Enée, Médée tuant ses enfants parce que Jason
l’a trahie; la femme séduite est aussi une femme à jamais fidèle; Pénélope résistant à la horde des prétendants, Lucrèce
se suicidant pour rester fidèle à son mari.
Ces légendes dessinent les contours de la séduction féminine; discrète, dissimulée, la femme n’avance que masquée; c'est
elle qui maîtrise l’art du maquillage et de la magie; l’homme, ayant de la peine à comprendre son attirance pour la femme,
préfère attribuer les tensions de son désir à la magie féminine plutôt qu’au mystère de sa sexualité.
Rôle pour rôle, les écrivains ont été plus tentés par le rôle actif du séducteur que par le rôle passif de la séduite, même si,
paradoxalement, c’est lui le plus important; quand on évoque la séduction masculine, on pense immédiatement à Don Juan.
Un séducteur incorrigible est un Don Juan; la recherche inlassable de la relation amoureuse est qualifiée de "donjuanisme".
Pour lui, les préliminaires sont réduits à de grossiers mensonges qui n’ont même pas l’apparence de la vraisemblance.
Dans l’opéra de Mozart, il séduit Zerline, une jeune beauté paysanne, le jour de ses noces, en menaçant le futur mari et en
lui promettant le mariage, il l’entraîne, chantant d’une voix envoûtante, à la limite de l’hypnose: "La cidarem la mano."
Comme les héros de Sade, il s’inscrit dans une contestation de toutes les formes de règles sociales ou morales, dans
l’inversion de toutes les valeurs, dans l’affirmation irréductible des droits de l’individu et la primauté absolue de son désir.
Au bout de sa contestation, il voudra enfreindre la dernière des lois, celle de la mort; c’est elle qui l'emportera.
Tout autre est la séduction de Casanova; Don Juan était un mythe littéraire, Casanova fut un personnage réel qui nous a
laissé des mémoires d’un grand intérêt littéraire; il aime la vie, entend en jouir et prétend en faire jouir les femmes qu’il
rencontre; il séduit des femmes réelles, ancrées dans leur siècle et leur culture, qui répondent avec leurs propres armes,
acceptant ou refusant d’être séduites et sont des partenaires à part entière, non des victimes vaincues d’avance.
Casanova se heurte à la réalité, à ses obstacles. Le but de sa séduction, c’est de contourner les obstacles ou de les utiliser
comme tremplins pour accroître les mérites de ses victoires; il vit ses fantasmes mais les échecs ne l’abattent pas et il est
de ses succès; Casanova ne sépare pas la séduction de l’amour; pour lui, l’amour est une fatalité, une maladie incurable
mais sans elle, la vie ne vaudrait pas la peine d’être vécue.
Lorsque Casanova entreprend de séduire une femme, il ne lui ment pas; il éprouve réellement ses sentiments, au moins
au moment où il les exprime; il en est dupe et sa force est de les dire avec conviction et talent; Casanova est un excellent
conteur; c’est son arme; ses interlocuteurs l’écoutent, ils sont séduits. Casanova est un orfèvre de la parole, les femmes
tombent sous le charme, incapables de lui résister.
Une société raffinée avait fait de la séduction amoureuse le centre des relations hommes-femmes; des poètes ont défini les
règles de la conquête amoureuse en s’inspirant de l’amour courtois des troubadours; la femme y était un être parfait, éthéré,
idéalisé, dont la beauté attestait les perfections morales; à peu près inaccessible, elle avait malgré tout des soupirants qui
désiraient tenter l’aventure; ils devaient pour cela parcourir un chemin long et périlleux dont les étapes avaient été fixées sur
une carte de géographie assez étrange: "la Carte du Tendre."
La séduction amoureuse était inscrite en termes de géographie et, dans ce jeu de société, le séducteur devait pour accéder
aux faveurs de la Dame, parcourir un itinéraire symbolique compliqué allant du village de "Tendre sur estime" à celui de
"Tendre sur passion" en passant par la "Sincérité", et la "Générosité", évitant le "Lac d’indifférence" et de la "Mer de l’oubli".
À chaque étape de cet itinéraire symbolique correspondait une récompense attribuée par la Dame: anneau, baiser, nudité;
quant au don final, il était repoussé dans un lointain brumeux.
Pour franchir ces étapes, l’apprenti-séducteur utilisait toutes les ressources de l’éloquence et de la préciosité: l’hyperbole
amoureuse, les effets de paradoxe, les métaphores alambiquées, les antithèses hardies; préciosité et maniérisme dont
Molière se moqua dans "Les précieuses ridicules."
Choderlos de Laclos, officier versé dans la science des forteresses, imagina une stratégie de la séduction destinée à
emporter la forteresse autre que militaire: celle des femmes vertueuses; Valmont écrit à la marquise de Merteuil:
"Jusque-là, ma belle amie, vous me trouverez une pureté de méthode qui vous fera plaisir; et vous verrez que je ne
me suis écarté en rien des vrais principes de cette guerre, que nous avons souvent remarqué être si semblable à l’autre."
Le roman de Laclos s’inscrit dans la tradition de l’idéologie courtoise, mais pour la subvertir. Les temps ont changé.
Le contrat n’est plus le même; ce n’est plus la dame à séduire qui fixe les règles, mais une dame d’un tout autre genre,
une perverse libertine, la marquise de Merteuil; elle se sert de Valmont, son ancien amant, pour satisfaire ses tendances
perverses; elle l’instrumentalise, et le duo élabore des stratégies destinées à faire tomber une citadelle métaphorique:
la vertu de la présidente de Tourvel, femme admirable, fidèle, prude et dévote, au-dessus de tout soupçon.
Qualité romanesque remarquable, chaque lettre nous renseigne sur celui qui raconte autant que sur ce qui est raconté.
Selon le principe qui sera plus tard porté par Proust à son sommet, chaque personnage apparaît comme langage:
précision, ironie de la Marquise de Merteuil; vivacité et clarté intellectuelle de Valmont, peu à peu dégradées par la
passion, exaltation sentimentale niaise de Danceny; naïveté brouillonne et spontanée de Cécile.
Lucidité amusée, sagesse bienveillante, politesse un peu désuète, chez Madame de Rosemonde; bien-pensance
et modestie extrême chez la Présidente de Tourvel, puis émoi, égarement, jusqu’à sa fin tragique. Mais au delà,
la véritable innovation littéraire de Laclos, consiste de faire de ces lettres, des forces agissantes; interceptions,
copies, pressions, indiscrétions, restitutions, détournements, changements de destinataire: il n’est pratiquement
pas un tournant de l’intrigue dont le jeu épistolaire ne soit l’agent.
Les personnages ne cessent donc de se croiser, de se séduire, de se débattre, peu-à-peu pris au piège par l'auteur.
Le flamboyant Vicomte de Valmont joue à séduire, sans aucune vergogne mais tout bascule lorsque les sentiments
mêlés de larmes prennent le dessus; le libertin devient amoureux et se noie dans les méandres de l'amour, il chutera.
La Marquise de Merteuil, femme raffinée à la beauté diabolique, complice de Valmont, perdra tout.
Les jeunes gens, d'une naïveté confondante, pris aux pièges des maîtres du jeu, ne s'en remettront pas non plus.
Les règles semblent simples dans ce jeu amoureux, deux cartes maîtresses: la vanité et le désir sexuel.
Capitaine d'artillerie, Choderlos de Laclos révèle alors toute la froideur de la stratégie militaire, dans cette élégante
comédie échiquéenne de l'égotisme et de la sensualité, où "conquérir" pour "prendre poste", nécessite toujours
"attaques" , "manœuvres, "déclaration de guerre" pour "prendre poste", "jusqu'à la capitulation."
Le duel par lettres échangées entre la Marquise de Merteuil et Valmont brille à chaque page.
"J'ajoute que le moindre obstacle mis de votre part sera pris de la mienne pour une véritable déclaration
de guerre : vous voyez que la réponse que je vous demande n'exige ni longues ni belles phrases. Deux
mots suffisent." Réponse de la Marquise de Merteuil écrite au bas de la même lettre: "Hé bien ! La guerre"
La polyphonie permet dans un premier temps à Laclos une démonstration de force, celle de la maîtrise de
toutes les nuances les plus fines dans la psychologie et la caractérisation; c’est aussi une plongée dans les
eaux troubles de la rhétorique libertine: le lecteur se voit confronté à une langue brillante mais manipulatrice,
ciselée comme le diamant; la mécanique épistolaire étant consubstantielle au libertinage en tant que tel.
Feindre, tromper, détourner les soupçons, flatter, toutes ces manœuvres de séduction sont des
opérations de langage écrit; l’écriture est pour les libertins, une action, le verbe précédant la chair.
Valmont entend faire plier celle qu’il veut séduire aux lois qu’il édicte; il annonce, sur un mode mineur,
les dépravations paroxystiques des grands libertins du marquis de Sade.
L'immersion dans le récit plonge le lecteur attentif, dans un système d’une telle ampleur qu’il en devient
libertin lui-même: on jubile de toute cette intelligence déployée au service de l’immoralité.
Mais le génie de Laclos est de, progressivement et insidieusement, gripper la machine: puisque le lecteur est
devenu expert dans l’analyse des victimes, pourquoi ne pas faire le bourreau ? La relation entre Madame de Merteuil
et Valmont, l’amour pris dans les rets de l’orgueil et de la réputation mènent la fin du roman vers des sommets;
le brillant libertin agonise en amoureux inconsolable, la marquise perd son honneur et sa beauté.
Conformant ainsi le roman, au romantisme du XIX éme siècle, qui n'hésita pourtant pas, à le condamner
pour outrage aux bonnes mœurs, et qu'une bonne part du cinéma du siècle suivant, contrairement au théâtre,
préféra le tirer vers le drame sentimental. Sensuel et brillant, le roman est à l’image des libertins.
Il sait nous séduire par ses éclats pour nous éduquer à notre insu, et nous faire prendre le parti inverse de ceux
qu’on avait idolâtrés, soudain bouleversés par une émotion authentique, sincère et sans calcul.
Peut-on trouver meilleur moyen pour véhiculer une morale que l’excitant discours de l’immoralité ?
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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"L’enchaînement et la confusion des étreintes et des coïts étaient tels que, si je distinguais les corps, ou plutôt
leurs attributs, je ne distinguais pas toujours les personnes; certains contacts étaient très éphémères et, si je
pouvais les yeux fermés reconnaître une femme à la douceur de ses lèvres, je ne la reconnaissais pas forcément
à des attouchements qui pouvaient être violents, il m’est arrivé de ne réaliser qu’après-coup que j’avais échangé
des caresses avec plusieurs femmes en même temps; j’étais livrée à une hydre."
Catherine Millet. "La vie sexuelle."
L’exploration du domaine du sexuel est revendiquée par des auteurs féminins comme un instrument d’émancipation
majeur avec, souvent, une visée sociale, voire même des effets purificateurs d’autothérapie; pour plusieurs de ces
femmes écrivains, le thème de la sexualité, constituant la matière des récits, touche l’essence même de la littérature dans
son ambition de cerner la vérité d’un réel au-delà des apparences; il s’agit d’écrire un texte destiné à établir une vérité,
la vérité d’un être singulier bien sûr.
Cette érotique féminine s’exprime évidemment dans des tonalités très singulières: intellectuelle et distancée avec Catherine
Millet; cérébrale avec Anne F. Garréta; passionnelle, mais résolument sans lyrisme avec Annie Ernaux; hyperlibérée avec
Catherine Cusset; sensuelle avec Alina Reyes; dépressive avec Catherine Breillat ; exaltée avec Christine Angot.
Qu’ont en commun, ces textes qui définissent un érotisme nouveau ? Foncièrement d’exposer, sans états d’âme et sans
fioritures, ce qui relève du plus intime de l’univers sexuel: un vif antiromantisme, un antisentimentalisme s’imposent comme
traits dominants; si, pour Bataille, l’interdit et la transgression sont la condition même de l’érotisme, la recherche du plaisir
s’affiche ici dans un univers mental et social où les limites tendent à être abolies.
Une sexualité affranchie des tabous, c’est le moins à quoi on puisse s’attendre venant d’une littérature érotique; il n’est pas
surprenant que toute la panoplie des pratiques inventées depuis la nuit des temps et soutenues par des fantasmes éternels
se trouve convoquée; avec, certes, des configurations dominantes et exposées au grand jour, compte tenu de l’évolution
structurale que connaît notre univers plus pervers que névrotique.
Mais, encore une fois, ce qui sollicite le questionnement est d’abord le traitement collectif de ces discours; la médiatisation
de l’éros, phénomène jusqu’ici jamais rencontré, s’accompagne d’une certaine désaffectivation, comme si le même sillon
que creusaient tous ces écrits consistait à faire une littérature démystifiant le sexe, en le banalisant, en le désacralisant,
en le naturalisant ou en le simplifiant.
D'autant plus que l’érotisme apparaît désormais comme un terme marchand et consumériste; la sexualité se réduit à une
simple gymnastique, alors que le cerveau demeure le principal organe érotique et orgasmique; cette évolution le prive
de sa force originelle, de son histoire culturelle, de sa capacité à rendre compte de la richesse imaginative de l’être humain,
enfin de son inventivité concernant ses désirs, ses plaisirs, son rapport au corps.
L’obsession du nombre pour Catherine Millet est en soi un indicateur de la logique propre à la société de consommation:
multiplicité des partenaires et enchaînement des étreintes; la rationalité appliquée à l’éros conduit à mettre sur le même
plan, plaisir et travail bien fait; tandis qu’A. Garréta, qui s’impose d’écrire ses souvenirs comme un exercice, par ordre
alphabétique, se définit elle-même comme un fonctionnaire du désir conceptualisé en douze "nuits."
Dans le contexte d’une relation où l’on est "palpée et retournée comme une marchandise de choix", la dénonciation
féministe de l’éternelle aliénation des femmes à être objet paraît bien déplacée, car cet érotisme neutre et rationnel ne fait
que dégager la pure logique de l’objet pulsionnel indépendante de la différence des sexes; on peut voir en filigrane dans
les variantes de l’usage mercantile du sexe et du plaisir qu’il produit.
L’intérêt de ces écrits n’est pas tant en effet de montrer comment l’érotisme triomphe de la répression sociale que
de suggérer une illustration du fonctionnement de l’être-objet pour chacun des partenaires, ce qui suppose une véritable
subversion de la conception de l’objet; Catherine Millet décrit là, l’expérience intérieure de l’érotisme selon Bataille, où la
dimension d’abjection de la jouissance est saisie sans récupération romantique, sans la moindre idéalisation.
C’est un fond déshumanisé, opaque et angoissant, où s’articulent le non-sens et le sexuel dans certains écrits féminins
contemporains dans la filiation de Sade et de Bataille; leur vérité cynique permet de dépasser tout moralisme, y compris
un certain préjugé humaniste qui voudrait maintenir une réserve de subjectivité en ce point ultime où le sexe n’est plus
qu'une matière aveuglante; c'est là le cœur de la dénonciation de la pornographie.
L’érotisme doit se distinguer de la pornographie qui recherche davantage l’excitation immédiate; l’érotisme comporte une
dimension poétique, artistique, mais aussi affective et psychologique; l’érotisme littéraire féminin devrait s’attacher à relier
le plaisir et les sentiments amoureux avec leur pouvoir aphrodisiaque.
La jouissance et l’imaginaire érotique des femmes semblent occultés; l’évocation de la sexualité féminine provoque
le scandale. "Le Deuxième sexe" de Simone de Beauvoir ouvrit une brèche, suivie par Pauline Réage; Histoire d’O narre
le parcours d’une femme consentant à la soumission et au masochisme avec torture, esclavage; O devint un modèle
repoussoir qui incarna la servitude volontaire à travers la soumission amoureuse.
Catherine Robe-Grillet, femme du célèbre écrivain, écrit également sous pseudonymes le récit de passions mortifères.
Elle valorise le sado-masochisme et l’esclavage amoureux volontaire; la dimension sentimentale semble moins mise
en avant; une littérature érotique brise également l’image angélique de la féminité, supposée douce et gentille; des récits
mettent en scène des femmes sadiques, dominatrices et cruelles.
Cet érotisme noir insiste sur la soumission amoureuse; la littérature érotique plus classique valorise également la femme
à la sexualité passive qui se contente d’attendre les initiatives de son amant; cette littérature s’oppose à l’émancipation des
femmes. Beauvoir désire au contraire l'avènement d'une femme indépendante s’émancipant de la tutelle masculine,
maîtrisant sa sexualité et ses désirs pour sa plus grande jouissance.
L’érotisme féminin s’attaque au mythe de l’amour passionnel, à celui de la femme objet; l’amour doit être délivré de
sa pesanteur tragique et de sa valeur sacré; le mythe de Grisélidis symbolise la soumission féminine au sein du mariage.
l’épanouissement érotique devient un enjeu central; c’est sous les draps que les femmes doivent s’émanciper, conquérir
leur dignité de sujet, acquérir une maîtrise de leurs désirs; un rapport de réciprocité doit s’instaurer dans la sensualité.
La littérature érotique présente progressivement des femmes qui assument leurs désirs en dehors de tout attachement
amoureux; le langage des auteures se libère contre les précautions chastes et leurs illusions; on est loin de Casanova
pour qui "le seul homme est susceptible du vrai plaisir, car doué de la faculté de raisonner, il le prévoit, il le cherche, il le
compose, et il raisonne dessus après en avoir joui."
L'érotisme se focalise maintenant vers des modalités de satisfaction prévalentes comme la sodomisation ou la fellation.
La pure pulsionnalité se trouve absolutisée dans le sens des pratiques qui visent une satisfaction de comblement sur le
mode compulsif de la drogue; elles répondraient à un érotisme rudimentaire, marqué par une dégradation de la sensualité.
On ne parle même plus de pulsion, mais d’instinct sexuel, négligeant tout ce qu’implique la sexualité de vie représentative,
imaginative, fantasmatique, ou relationnelle; Catherine Millet parvient à choquer; sa description semble froide et clinique,
sans la moindre sensualité; la réalité prime sur l’obscénité; en revanche, elle valorise la sexualité multiple et ouverte à tous
les possibles, avec le plus grand nombre de partenaires; le faire l’emporte sur le dire, le descriptif sur le narratif; le sexe
constitue le ressort de l’action, son principe et sa finalité; le récit se rapproche alors de la pornographie.
L’appel à la jouissance n’attaque pas toujours l’ordre existant; un hédonisme consumériste incite surtout à acheter
de nouvelles marchandises pour satisfaire des désirs qui ne font que renforcer la logique capitaliste; dans les magazines,
la jouissance devient même une injonction; pourtant, notre époque se caractérise surtout par une grande misère sexuelle
et affective; la pornographie réduit la sexualité à une froide mécanique sans inventivité, répétitive et bestiale.
La volupté, les caresses, la sensualité permettent de réinventer le plaisir sexuel en dehors des normes sexistes,
pornographiques dominantes, une littérature érotique féminine insiste sur l’imagination et le désir pour créer un climat
sensuel, contre le plaisir immédiate; cette conception de la sexualité semble aussi plus réaliste que les scénarios
érotiques qui occultent les relations humaines, avec leurs frustrations et leurs contrariétés; dans la pornographie
traditionnelle, les individus se livrent au plaisir sexuel sans même se rencontrer et se connaître.
Que l’amour soit un chef-d’œuvre, que l’éros soit poésie, nul n’en disconviendra; non pas au prix toutefois du rejet de
la négativité, ce noyau de réel au cœur de l’expérience érotique; pourtant, cette part maudite, tous ces auteurs l’affirment
diversement est inséparable du travail littéraire dont elle est la source.
Ce n’est plus la digue de la pudeur qui est abattue, mais celle de la répulsion, voire de l’insoutenable; il semble bien loin
le temps des risques de poursuite pour "outrage aux bonnes mœurs"; daté le temps des obscurités fascinantes de l’univers
libertin clandestin aux relents de soufre, avec ses mises en scène sophistiquées marquant la proximité du plaisir, du secret
et du danger dans les orgies où corps souillés et orgasmes mystiques exigeaient pseudonymes et autres masques.
L’emploi du terme érotisme n’est-il pas inadapté, face à un tel contexte socioculturel à bien des égards inédit ? L’érotisme
a une histoire spécifique dans notre culture et dans notre littérature; des choses ont bougé dans le paysage de l’érotisme
classique, que ce soit sous l’angle du libertinage du XVIIIe siècle, ou sous celui de la créativité dans ses expressions
picturales et littéraires les plus accomplies, par exemple dans le surréalisme, et jusqu’à Histoire d’O.
La pornographie a dépouillé l’érotisme de contenu artistique, en privilégiant l’organique sur le mental, comme si le désir
et le plaisir avaient pour protagonistes des phallus et des vulves et que ces appendices n’étaient que de purs serviteurs
des fantasmes qui gouvernaient notre âme, séparant l’amour physique des autres expériences humaines.
Un voile de pudeur, sa transgression, une aura de secret, un frisson de beauté, est à la frange du dénudement sentimental,
liant amour et sexe pour accéder à l’érotisme. Eros, fils de Mars et Vénus, ou de Poros et Pénia paraît être définitivement
castré par son frère, l’obscène Priape. S’agit-il d’éros, s’il ne reste qu’une viande proche du trash ou du gore ?
Sans que nous nous en rendions compte, la fin du XX° siècle coïncide avec de grands changements dans les mentalités:
peut-on parler de la fin de l'érotisme ? Á force d'être obligatoires dans tous les récits, les écritures érotiques ont perdu leur
grâce littéraire, pour n'être plus que des répétitions anatomiques vulgaires; l'écriture féminine saura-t-elle relever le défi ?
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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Aux dernières heures de la nuit, quand elle est encore noire; avant l'aube, Juliette reparut.
Rares étaient les soirées où elle n'éprouvait pas l'irrésistible plaisir de maltraiter ou d'user
de sa jeune soumise. Elle alluma la lumière de la salle de bains, en laissant la porte ouverte,
faisant un halo de lumière sur le milieu du lit, à l'endroit où le corps de Charlotte, nu et attaché,
déformait les draps de soie, recroquevillé et contrainte; comme elle était couchée sur la droite,
le visage vers la fenêtre, les genoux un peu remontés, elle offrait à son regard sa croupe pâle
sur la soie rose.
Il lui parut naturel de la préparer ainsi dans sa condition d'esclave marquée et fouettée afin qu'elle fut prête.
Juliette eut soin à plusieurs reprises de lui renverser les jambes en les lui maintenant en pleine lumière pour
qu'elle pût la voir en détail; sur son ventre lisse, le tatouage portait en toutes lettres qu'elle était sa propriété.
Charlotte gémit plus d'une heure sous les caresses de sa maîtresse; enfin les seins dressés, elle commença
à crier lorsque Juliette se mit à mordre lentement la crête de chair où se rejoignaient, entre les cuisses, les
fines et souples petites lèvres.
Elle la sentait brûlante et raidie sous ses dents, et la fit crier sans relâche, jusqu'à ce qu'elle se détendît d'un seul
coup, moite de plaisir; Juliette était aussi attirante et hautaine dans le plaisir qu'elle recevait, qu'inlassable dans ses
exigences. Ni le plaisir qu'elle avait pu prendre la nuit ni le choix qu'elle avait fait la veille n'influaient sur la décision.
Charlotte serait offerte, dans les pires conditions auxquelles elle serait confrontée.
Qu'à être offerte elle dût gagner en dignité l'étonnait; c'est pourtant de dignité qu'il s'agissait; sa bouche refermée sur
des sexes anonymes, les pointes de ses seins que des doigts constamment maltraitaient, et entre ses reins écartés
le chemin le plus étroit, sentier commun labouré à plaisir, elle en était éclairée comme par le dedans; se soumettre,
désobéir, endurer, alternances délicates auxquelles elle ne voulait plus se dérober; l'abnégation d'elle même qu'elle
conservait constamment présente.
Le lendemain, elle fut mise à l'abattage. On lui banda les yeux avant de la lier à une table, jambes et bras écartés.
Juliette expliqua seulement aux hôtes invisibles que sa bouche, ses seins et particulièrement les orifices de son corps
pouvaient être fouillés à leur gré; des hommes s'approchèrent d'elle; brusquement des dizaines de doigts commencèrent
à s'insinuer en elle, à la palper, à la dilater. Juliette interrompit la séance qui lui parut trop douce.
Elle fut détachée pour être placée sur un chevalet; dans cette position infammante, elle attendit quelques minutes avant
que des sexes inconnus ne commencèrent à la pénétrer.
Elle fut fouillée, saccagée, malmenée, sodomisée. Elle était devenue une chose muette et ouverte. Puis elle fut ramenée
dans le salon où les hommes attendaient déjà son retour. Les yeux de nouveau bandés, nue droite et fière, Juliette la
guida vers le cercle d'hommes excités et ce fut elle qui s'agenouilla pour prendre leur verge dans sa bouche, l'une après
l'autre, jusqu'à ce qu'ils soient tous parvenus à la jouissance et se soient déversés sur son visage ou sa poitrine offerte.
Souillée de sperme et de sueur, on l'envoya se laver; la salle de bain était vaste et claire. Juliette la rejoignit pour assister
à sa toilette intime; elle était accompagnée de deux hommes; avant qu'elle ait eu le temps de se doucher, ils urinèrent sur
elle en l'éclaboussant chacun d'un jet dru et tiède; elle tourna sur elle-même afin que chaque parcelle de son corps reçoive
leur ondée.
Après un minutieux nettoyage, sa maîtresse lui ordonna de s'habiller pour aller dîner; nous allâmes dans un club échangiste
pour achever la soirée; outre son harnais et une ceinture de chasteté, Charlotte portait un bustier en cuir, des bas noirs et
une veste en soie de la même couleur laissant entrevoir son intimité; un collier de chien ciselé de métal argent serti d'un
petit anneau destiné au mousqueton de la laisse donnait à sa tenue un bel effet; Juliette l'amena en laisse jusqu'au bar.
Elle la fit monter sur une table haute où lui fût administrée une violente fessée qui empourpra ses reins; un esclave mâle fut
requis pour lécher et apaiser sa croupe; on glissa sur sa tête une cagoule emprisonnant la nuque et aveuglant ses yeux, ne
laissant passer l'air que par une ouverture pratiquée au niveau de la bouche de façon à ce qu'elle soit offerte; un homme lui
baisa la bouche, sa gorge lui servant d'écrin; excité par le spectacle de la fellation, un autre décida brusquement d'utiliser
ses reins; il s'enfonça en elle sans préliminaire pour faire mal. Comment éprouver la satisfaction insane d'offrir son corps ?
Le souhait de Charlotte est d'aller toujours jusqu'au bout de ses fantasmes, au-delà des désirs de Juliette.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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La voix du maître des lieux soudain retentit: "Je vous présente Charlotte, la soumise de Juliette. Elle est ici pour
se faire dresser et devenir une esclave obéissante." On me banda les yeux de façon que je ne puisse voir les
invités qui descendaient dans la cave. Quelqu'un me demanda de me tourner et de monter mon cul, ce que je
fis avec complaisance. On m'ordonna de m'approcher d'un invité qui voulait me toucher et, en aveugle, je fis
quelque pas dans la direction qu'on m'avait indiquée. Des mains glacées se posèrent sur ma peau et me firent
tressaillir. Ce premier contact m'avait surprise mais je m'offris avec docilité aux caresses qui devinrent tès vite
agréables. On me fit savoir que plusieurs personnes étaient venues assister à mon dressage.
Chacune d'entre elles allait me donner dix coups de fouet. Je me préparai à cette épreuve en me concentrant
sur la volonté dont j'allais devoir témoigner, l'entraînement à la douleur n'est après tout qu'un entraînement
sportif comme un autre: on parvient aisément à reculer les limites et à endurer à chaque expérience un peu plus
longtemps la sensation de souffrance à laquelle on finit par s'habituer, d'autant plus lorsque comme moi, on en
tire une vive excitation et un plaisir incomparable.
Je reconnus immédiatement les coups de fouet appliqués par ma Maîtresse: elle a une méthode particulière, à la
fois cruelle et raffinée, qui se traduit par une sorte de caresse de la cravache ou du martinet avant le claquement
sec, toujours imprévisible et judicieusement dosé. Juliette sait mieux que quiconque me dresser. Après le dernier
coup, elle caressa furtivement mes fesses enflammées et cette simple marque de tendresse me donna le désir
d'endurer encore davantage pour la satisfaire.
On m'ordonna de me mettre à quatre pattes, dans la position sans doute la plus humiliante pour l'esclave, mais
aussi la plus excitante pour l'exhibitionniste que ma Maîtresse m'a appris à être, en toutes circonstances et en tous
lieux. Je reconnus à leur douceur des mains de femme qui commencèrent à palper mon corps. Avec un certain
doigté, elles ouvrirent mon sexe. Peu après, mon ventre fut investi par un objet rond et froid que Béatrice mania
longtemps et avec lubricité. Les Maîtres décidèrent alors que je devais être reconduite au premier étage.
On me débanda les yeux et je pus connaître le visage des autres invités de cette soirée mémorable. Je découvris
ainsi que Béatrice était une superbe jeune femme brune aux yeux clairs, avec un visage d'une étonnante douceur
dégageant une impression rassurante de jovialité. Je me fis la réflexion qu'elle était physiquement l'inverse d'une
dominatrice telle que je l'imaginais; je fus mise à nouveau dans le trou aménagé dans le mur, où j'avais été contrainte
la veille. Pendant que l'on usait de mes orifices ouverts, Vincent exhibait sous mes yeux son sexe congestionné que
je tentai de frôler avec mes lèvres puis avec la pointe de ma langue dardée au maximum.
Mais Vincent, avec un raffinement de cruauté qui acheva de m'exciter, se dérobait à chaque fois que j'allais atteindre
sa verge, m'obligeant à tendre le cou, la langue comme une véritable chienne. J'entendis quelques commentaires
humiliants sur mon entêtement à vouloir lécher la verge de l'inconnu; ces injures, ajoutées aux coups qui ébranlaient
mon ventre et aux doigts qui s'insinuaient partout en moi, me firent atteindre un orgasme dont la soudaineté me sidéra.
J'avais joui, comme fauchée par une rafale de plaisir que rien n'aurait pu retarder.
Ayant été prise d'un besoin pressant et ayant demandé avec humilité à ma Maîtresse l'autorisation de me rendre aux
toilettes, je me vis opposer un refus bref et sévère. Confuse, je vis qu'on apportait au milieu du salon une cuvette et
je reçus de Juliette l'ordre de satisfaire mon besoin devant les invités rassemblés. Une panique irrépressible me
submergea. Autant j'étais prête à exhiber mon corps et à l'offrir au bon plaisir de Juliette ou à apprivoiser la douleur
pour être digne d'elle, autant la perspective de me livrer à un besoin aussi intime me parut inacceptable.
La véritable humiliation était là: me montrer dans cette position dégradante, alors qu'exhibée ou fouettée, prise ou
sodomisée, ma vanité pouvait se satisfaire de susciter le désir. En urinant devant les invités rassemblés, je ne
suscitais le désir de personne. C'est à cette occasion que je pris conscience de l'orgueil réel de l'esclave, qui motive,
et par conséquent explique et excuse tout. En fait, les rites du sadomasochisme reposent sur l'orgueil: l'orgueil de la
Maîtresse de posséder une belle et docile esclave, mais aussi orgueil sans limite de l'esclave, convaincue d'éveiller
les désirs les moins avouables, et donc les plus rares à éprouver, chez ces êtres supérieures que sont les maîtres.
La légère impatience que je lus dans le regard attentif de Juliette parut agir sur ma vessie qui se libéra instinctivement.
Je réussissais à faire abstraction de tous les témoins dont les yeux étaient fixés à la jointure de mes cuisses. Lorsque
j'eus finis d'uriner, ma Maîtresse m'ordonna de renifler mon urine, puis de la boire. Bouleversée par cette nouvelle
épreuve, je me sentis au bord des larmes, mais n'osant pas me rebeller, je me mis à laper sans l'avaler le liquide encore
tiède et à ma vive surprise, j'éprouvai une indéniable délectation à ce jeu inattendu.
Après avoir subi les regards des invités, je fus amenée devant Béatrice dont je dus lécher les bottes vernies du bout de
ma langue. La jeune femme séduisante me récompensa par une caresse très douce, qui ressemblait au geste que l'on
fait pour flatter le col d'un animal soumis. Le dîner fut annoncé à mon grand soulagement.
Juliette sut gré à Vincent d'avoir trouvé Charlotte à la hauteur de ses espérances.
Hommage à Charlotte.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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Le marquis de Sade, né le 2 juin 1740, meurt le 2 décembre 1814 à l’asile de Charenton où il vivait reclus depuis
depuis le 6 mars 1801. Les profondes mutations du XVIII ème siècle, par où s’accomplit l’homme moderne, offrent
une scène grandiose au désordre de son existence et au tumulte provoqué par son écriture. Errance de l’homme
à la recherche de sa vérité, accusé d’avoir exploré les voies obscènes de la souffrance et banni de la société dont
il refusait les lois.
Toutes les opinions soutenues jusqu’à aujourd’hui sur Sade, soient-elles d’admirateurs, de détracteurs ou studieux
analystes, ont été incapables de donner une explication cohérente de la vie et de l’œuvre de Sade sans omettre des
données historiques importantes, vraies et certaines, sans inclure des hypothèses basées sur la réalité, tout en
avançant même parfois des contre-vérités comme des faits admis. Admirateurs, détracteurs et universitaires zélés
partagent tous le même ensemble de préjugés: "Sade jouissait sexuellement de la torture et il écrivit la pornographie
d’horreur pour justifier la torture et le meurtre." Et cette unanimité d’opinions apparemment contraires a été prise pour
la vérité.
Comme si l’action des autres personnages ou simple ornement, comme si le reste des écrits de Sade hors des romans
érotiques n’exprimait pas sa pensée. L’œuvre d’un écrivain est un ensemble où il faut trouver ce que chaque ouvrage
concret, et chaque partie concrète du même expriment des idées et sentiments de l’auteur. Mais, avec Sade, on a préjugé
un type de personnalité, basé non pas sur des données historiques mais sur des fantaisies, et on a déduit de ce type
présupposé tout acte, parole et idée de Sade, identifiant l’écrivain aux personnages les plus pervers de ses romans.
Il n’y a pas aucun doute que l’oeuvre de Sade prouve qu’il était capable de portraiturer littérairement la cruauté, même
l’infinitude de la cruauté. Mais cette capacité, toute seule, ne dit rien sur la vie réelle de Sade. Personne ne pense jamais
à interpréter, par exemple, la vie de Sade d’après des personnages comme Justine, la vertu torturée ou Zamé, le roi plein
de bonté de Tamoë, qui sont tous deux aussi de Sade que la méchante Juliette ou que les bourreaux de "Les cent vingt
journées de Sodome". Bien sûr qu’identifier Sade aux personnages bons serait une erreur, mais l’identifier aux méchants
est aussi erroné, car dans les deux cas on mêle la réalité avec la fiction.
La supposition que le caractère et les faits de quelqu’un peuvent être jugés d’après ses écrits rencontre, au moins dans ce
cas, une grave contradiction; Sade savait aussi décrire, avec la même perfection que la méchanceté et l’obscénité, les plus
hauts dégrés de l’amour, la bonté et la vertu. Ce fait est presque inconnu parce qu’il ne s’accorde pas à l’image la plus
répandue de Sade; les oeuvres de Sade qui le démontrent plus clairement sont difficiles à trouver et inconnues, faute de le
vouloir car on ne cherche chez Sade que des écrits de pornographie et de violence.
On interprète, non pas les écrits de Sade partant des faits de sa vie, mais sa vie partant de ses oeuvres littéraires, sans
marquer les limites entre la fantaisie et la réalité. Lorsqu’il s’agit de Sade, on se permet d’omettre ou dénaturer des faits
prouvés, poser des données imaginaires ou des simples conjectures comme des réalités constatées, et de tomber dans
la caricature la plus grossière.
Ce que l'on pense être les idées de Sade a très peu de relation avec les pensées de l’homme qui a écrit toute l’oeuvre
de l'écrivain maudit. Mais on ignore aussi que la plûpart des actes qu’on attribue à Sade n’ont aucune correspondance
avec la réalité. Sade n’était pas un meurtrier, et ses écrits ne pouvaient pas être la justification d’actes qu’il ne commit pas.
L'examen de toute l’oeuvre de Sade, avec tous ses personnages, donne un résultat très différent de celui de la recherche
simple du psychopathe, soit pour l’adorer, pour l’abhorrer ou pour en déclarer l’indifférence. Mais on se nie à accepter ce
résultat parce qu’il contredit les préjugés sur Sade et ce qu’on croit toujours sur lui.
Malgré la prolixité de ses descriptions littéraires d’assassinats, Sade est un homme qui jamais n’a tué personne.
Ce n’est pas seulement qu’on n’ait pas pu prouver sa culpabilité d’un crime concret: c’est que Sade ne fut pas même
suspect d’assassinat dans aucun cas, sauf par la plainte de la prostituée intoxiquée par cantharide qui l’accusa de
tentative d’empoisonnement, et par les ossements qu’une actrice nommée "Du Plan", amie de Sade, avait utilisé pour
un décor macabre, et que le marquis fit enterrer après au jardin. D’autre part, nous savons que Sade combattit la peine
de mort pendant la Révolution et qu’il risqua sa vie pour sauver des innocents.
Un psychopathe intelligent, calculateur, sait très souvent comment obtenir l’impunité des pires horreurs. Un psychopathe
vulgaire, impulsif, de basse intelligence, ne pense pas aux conséquences de ce qu’il fait: il suit ses impulsions sans frein
jusqu’à l’assassinat. Nul de ces actes ne se trouve chez Sade, qui a été vu par quelques auteurs comme trop imbécile
pour l’impunité, à la fois que trop couard pour suivre ses impulsions jusqu’à la fin, des traits que les preuves historiques
démentent, et qu’on attribue à Sade pour forcer les données à s’ajuster à la thèse de la psychopathie, faute d’inspiration.
Les faux admirateurs de Sade l’admirent comme le génie de la liberté absolue, n’ayant comme base que la manque de
bornes au vice et au crime que montrent les personnages scélérats de quelques romans de Sade. Mais ils oublient que,
dans ces textes, se trouve aussi l’affirmation que la liberté n’existe pas, que tous nos désirs, pensées, sentiments et
volontés sont déterminés par les lois physiques qui gouvernent nos corps, nos cerveaux et l’univers entier. Si les grands
criminels ne font que suivre la nature, on ne peut pas prétendre qu’ils soient libres, et moins encore de façon absolue.
C’est la même sottise que l’affirmation contraire. Un acte de bonté qui soit physiquement possible ne peut offenser la
nature plus qu’un crime, lui étant tous les deux indifférents. Supposer une autre chose, c’est prêter à la nature les absurdes
traits personnels des dieux; croire que le bien ou le mal peut lui importer, c’est lui attribuer une volonté, ce qui est un retour
à la religion qu’on prétend combattre en suivant "les desseins de la nature." Malgré son absurdité, l’attitude de justifier les
crimes les plus horribles sous prétexte d’obéir aux lois de la nature est très répandue.
Tout ce qui est physiquement possible est naturel; mais les pires horreurs sont naturelles aussi. La torture et le meurtre sont
physiquement possibles; la nature jamais n’empêche ces actes s’ils se bornent aux lois physiques, et on peut en obtenir de
la jouissance sexuelle; la nature donne ce plaisir à ceux qui en jouissent. Sade a certes écrit tout cela, mais il ne croyait pas
que la nature fût bonne. Ceux qui prennent Sade pour le héros de la liberté sexuelle absolue,"sans limites", ignorent qu'il fut
victime de l’attitude qu’ils trouvent désirable.
Faute de connaissance des données historiques, le vide peut se remplir avec l’imagination: toute lacune dans les données
historiques de Sade peut être remplie avec des fragments de ses romans pour offrir des exemples de sa conduite dans sa
vie réelle. La majorité de ceux qui frémissent d’horreur en entendant ou lisant le nom de Sade imaginent sa conduite, et
parce qu’ils l’imaginent, ils croient la connaître, ignorant qu’ils en ont reçu une image fausse, née de personnages fictifs et
non pas de la réalité. Cette image fausse, d’une simplicité qui la rend très facile à répandre, l’adaptant à tout niveau de
compréhension, est très populaire, mais elle peut risquer de devenir majoritaire, pour prendre dès lors une apparence
faussement intellectuelle.
La plûpart des contradictions qui évaluent la conduite de Sade, ont leur origine au fait d’interpréter chaque action, parole,
et idée de Sade comme le résultat d’un égoïsme infini, qu’on lui attribue comme point de départ préalable à l’examen des
faits. On préjuge, on considère comme bien établi que la réalité ne peut pas être différente des préjugés. C’est vrai que le
contenu de quelques écrits de Sade crée cette apparence, mais c’est vrai aussi que l’égoïsme absolu comme explication
de la vie de Sade ne donne qu’une ribambelle d’absurdités, même si on se borne à la plus stricte exactitude historique.
On a voulu expliquer l’anomalie de Sade comme de la psychopathie, c’est-à-dire, un égoïsme absolu, marqué de la moindre
capacité d’empathie, qui expliquerait une extrême méchanceté sans qu’il y ait une maladie d’aliénation ni un déficit cognitif.
Il est vrai que ces traits se trouvent chez plusieurs personnages de quelques romans de Sade, mais l’analyse des données
de sa vie réelle, sans des donnés imaginaires ou des hypothèses non constatées, ne permet pas de dire que Sade fut un
psychopathe, même si cette idée est la plus répandue parmi les psychiatres les plus prestigieux, qui l’adoptèrent sans doute
pour ne pas en adopter de plus simplistes.
Il y a chez Sade toutes les qualités necéssaires pour la plus haute excellence éthique, et il est prouvé qu’il en fit usage;
mais on ne peut nier son libertinage, ni son masochisme sexuel, intronisé par le nom d'algolagnie par Schrenck-Notzing,
ni les descriptions de perversions et de crimes dans ses écrits, alllant même jusqu’à portraiturer la cruauté humaine
portée aux dernières conséquences, qui arrivent au désir du mal pour le mal, même au déla du plaisir. Cela est vrai
quoique l'écrivain ait décrit aussi tout le contraire dans d’autres écrits ou dans les mêmes. Supposant que Sade fut
moralement tout le contraire des personnages littéraires qui l’ont rendu tristement célèbre, il reste encore la raison
pour laquelle il se livrait à des pratiques sexuelles violentes, contre des femmes et contre lui-même. Un homme sain
peut-il être "sadique" ? Peut-il commettre des actes d’algolagnie ou de masochisme sexuel ?
La raison d’une grande partie de la confusion c’est que la question du masochisme sexuel n’a pas été étudiée avec la
profondeur nécessaire. La théorie héritée d’Havelock-Ellis, expliquant l’algolagnie comme le résultat d’une sensibilité
inférieure à la normale, permet d’expliquer la plupart des cas d’algolagnie, et, par conséquent, ne peut pas être rejetée.
Mais on a demontré qu’il existe des cas où l’algolagnie ne peut pas être expliquée par une sensibilité plus basse que la
normale. La théorie de la perte de la sensibilité comme explication de l’algolagnie n’est pas erronée, mais incomplète.
L’erreur consiste à la prendre pour l’explication universelle, de tous les cas de masochisme sexuel. Il ne faut pas pour
autant la supprimer mais l’inclure dans une théorie plus vaste expliquant les cas qui restent hors de sa portée.
Pourquoi, donc, chez Sade, l’algolagnie et la pornographie d’horreur ? On ne se demande presque jamais si l’horreur
décrite par Sade jusqu’à la satiété était ce qui lui plaisait le plus, ou ce qui le tourmentait, et si ce tourment n’était pas
aussi la cause de son masochisme. Mais une nouvelle analyse de la biographie de Sade revèle, au commencement
de ses scandales sexuels, des profanations de symboles religieux devant une prostituée, avec laquelle il passa toute
une nuit en lisant un livre sur l’athéïsme, sans aucun acte sexuel ni de torture commis sur la femme.
L' obsession de la description du libertinage et de la cruauté des prêtres dans l’oeuvre de Sade, ajoutée à cet épisode
réel, peut montrer l’explication du paradoxe de Sade; des abus sexuels et des tortures soufferts par l’enfant Sade par des
prêtres lors de sa scolarité. Cette blessure psychologique peut expliquer la recherche de masochisme sexuel chez Sade,
exprimée dans les personnages de ses romans, et leur comportement psychopathiques, sans être un psychopathe.
On croit que la conduite de Sade était celle de ses personnages scélérats parce qu’on y trouve, monstrueusement
augmentée par la fantaisie, l’algolagnie. Mais si cette algolagnie n’est pas le fruit du plaisir et de la liberté de Sade, mais
celui de son emprisonnement et de sa douleur, toute interprétation de sa pensée doit changer. On ne peut plus admirer
l'écrivain comme le génie de la liberté absolue, ni l’abhorrer comme une incarnation de Satan. Et, si sa conduite était tout
simplement le contraire de l’égoïsme et de la psychopathie, juste le fruit d'une pensée philosophique.
Combien y a-t-il de Sade dans chacun de ses personnages ? La thèse que l'écrivain, agresseur en toute occasion, fut
surtout, une victime, donne une réponse qui permet d’intégrer les extrêmes de la bonté et de la méchanceté dans la pensée
de Sade sans contradiction. Se borner aux personnages scélérats pour juger l'ensemble de ses écrits revient à légitimer la
logique que la vertu naît des sentiments, et que la raison sans les sentiments n’a d’autres passions que celles de l’égoïsme,
menant au vice et même aux crimes les plus affreux. Sade voulait démontrer que la vertu est malheureuse parce qu’elle va
contre le courant majoritaire de l’égoïsme, ce qui fait triompher le vice.
Une fois connue la cruelle réalité de la nature et rejeté l’absurde d’un être surnaturel, l’éthique exige de solides fondations.
Celles-ci ne doivent pas se baser sur la superstition, ni suivre la tendance générale de la nature qui entraine la destruction.
L’algolagnie ne fut pas pour Sade une fête mais un drame dont l’obscénité et la souffrance physique étaient l’expression
d’une douleur psychique immense et de la rébellion contre cette douleur. Mais c’est une révolte impuissante, désespérée
qui se plonge dans la peine comme voulant en jouir. Le “plaisir” que la torture provoque à Sade peut se comparer au rire
de celui qui devient fou à cause d’une catastrophe absurde: il ne s’agit pas de vrai plaisir, mais d’une comédie.
Sade eût des traits dignes de la plus haute admiration qui sont niés ou méprisés, non seulement par ses détracteurs,
mais aussi par ses faux admirateurs et par des studieux impartiaux; ce qu’on admire de lui n’est que le produit fatal de
son énorme souffrance, non pas de son plaisir, comme veulent le faire croire ceux qui détournent son œuvre.
Sade aura donc subi une enfance chaotique et carencée, une adolescence violente, fréquenté les geôles de tous
les régimes, connu la mort sociale et l’anonymat, le rejet de son milieu d’origine, la méfiance des révolutionnaires,
la solitude, la ruine, l’assassinat crapuleux de son fils aîné. Cette accumulation dévoile une incontestable tendance
personnelle et familiale à provoquer la punition par l’ultime représentant parental qu’est le destin.
Écrivain libertin talentueux, ou fieffé scélérat débauché, Sade brille, dans sa tentative désespérée, de mettre à bas,
en tant qu'esprit libre et vagabond, un ordre social et religieux, en déclin à la fin du XVIII ème siècle. Son œuvre,
inspirée d'une conscience matérialiste de l'infini, déshumanisant les corps, explore les abîmes sombres de l'âme.
Il demeure un grand auteur, capable de nouveauté et d’audace, plaçant la littérature à la hauteur de son exigence.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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" Il est très doux de scandaliser: il existe là un petit triomphe pour l'orgueil qui n'est nullement à dédaigner;
car tout est bon quand il est excessif." La Philosophie dans le boudoir (1795)
Apollinaire le considérait comme "l’esprit le plus libre qui ait encore existé" ; Bataille voyait en lui "un homme
en un mot monstrueux", qu'une passion de liberté impossible possédait. Deux siècles après sa mort, le marquis
de Sade continue d’exercer une véritable fascination, une attirance mêlée d’effroi. Longtemps censuré puis au
XX ème siècle réhabilité, il est aujourd’hui considéré comme un écrivain essentiel de notre histoire littéraire.
Sade est sans nul doute un auteur reconnu, mais il n’en reste pas moins méconnu. De fait, subsiste aujourd’hui
une vision par trop simpliste et tronquée du libertinage, du sadisme et de la portée philosophique de son œuvre.
En dehors de sa réputation sulfureuse, que sait-on du Marquis de Sade ?
Qu'il est né à Paris, le 2 Juin 1740, en l'hôtel de Condé, dans une vieille famille aristocratique de souche provençale,
de grande noblesse. Qu'il fut écrivain, philosophe, et homme politique, longtemps voué à l'anathème, en raison de la part
accordée dans ses écrits, à l'érotisme, associé à des actes de violence et de cruauté, qu'il passa pour cela, près d'une
trentaine d'années en prison avant de s'éteindre le 2 Décembre 1814, dans l'asile d'aliénés de Charenton.
Errance d'un homme à la recherche de sa vérité, accusé d’avoir exploré les voies obscènes de la souffrance et banni
d'une société dont il refusait les lois. Tragédie immémoriale de la quête des origines qui noue le savoir au fouet de la
souffrance pour filer le destin malheureux du génie créateur. Saisi par la mélancolie quelques années avant sa mort,
le marquis de Sade rédigea ses dernières volontés:
"La fosse une fois recouverte, il sera semé dessus des glands, afin que par la suite le terrain de ladite fosse se trouvant
regarni, et le taillis se retrouvant fourré comme il l’était auparavant, les traces de ma tombe disparaissent de dessus la
surface de la terre, comme je me flatte que ma mémoire s’effacera de l’esprit des hommes."
Son ultime résolution ne sera pas respectée. Ni par ses exécuteurs testamentaires, ni par la postérité. La pulsion de vie
l’emportera sur la pulsion de mort. Formidable énergie d’Eros contre le désir mortifère de n’être plus rien, qui fait du marquis
un auteur toujours vivant et contesté au-delà de sa mort et de son siècle.
Donatien de Sade vécut une enfance atypique. Ses parents, Jean-Baptiste et Marie-Eléonore, étaient des familiers des
Condé, vivant dans leur hôtel situé à l’époque à la place actuelle du théâtre de l’Odéon. Son père, amant d’une princesse
de Condé, avait épousé la fille de sa dame d’honneur. Il était libertin, avait des maîtresses, était bisexuel et cherchait des
des aventures homosexuelles au jardin des Tuileries. La mère se replia bientôt dans un couvent, aigrie et acariâtre.
Mais le petit garçon semblait agité, il se disputa rapidement avec Louis-Joseph de Condé, de quelques années son aîné.
Quand il eut quatre ans, on l’expédia auprès de son oncle, au château de Saumane, près de Fontaine-de-Vaucluse.
Cet oncle, abbé, érudit, poète, en correspondance avec madame du Châtelet, libertin, plutôt jovial, vivait avec deux
maîtresses, la mère et la fille. On imagine une ambiance à la fois débonnaire et libérée, et des soirées érotiques.
Néanmoins, l'enfant se fit là quelques amis, sa cousine Pauline de Villeneuve et Gaspard Gaufridy, le fils d’un notaire,
auxquels il demeura fidèle toute sa vie. Il aima Saumane, le château, le village, la lumière, les paysages. De retour à
Paris, il fut un élève appliqué du collège Louis-le-Grand, et c’est là qu'il subit, de la part des maîtres jésuites, agressions
et provocations de nature sexuelle.
Âgé de quatorze ans, et doté d'un titre de noblesse, il entra à l'école préparatoire de cavalerie, en vue d’intégrer le
prestigieux régiment des "chevau-légers de la garde." Il participa courageusement à la guerre de sept ans, avec le
grade de capitaine, tout en commençant à fréquenter à Paris des femmes légères et des actrices. En vue d'un
mariage flatteur, en réalité pour effacer de lourdes dettes, sa famille le força à épouser en 1763, une demoiselle
de petite noblesse, mais dont la famille avait de puissantes relations à la cour de Louis XV. Elle s'appelait , Renée
Pélagie de Montreuil. Son père était Président de la Cour des Aides. Marié, le jeune marquis continua néanmoins,
à s'adonner aux plaisirs du libertinage.
Louis XV pardonnait la débauche mais non pas les atteintes à la religion.
Surveillé dès 1764 pour sa présence régulière dans les maisons de débauche, le marquis accumule dettes, délits,
outrages aux bonnes mœurs, faux repentirs et promesses sans lendemain. L’inspecteur Marais prévient dans une note
écrite du 16 octobre 1767: "On ne tardera pas à entendre parler encore des horreurs du comte de Sade."
Son goût pour la transgression et ses dérèglements répétés lui gagneront la réputation définitive d’un libertin érotomane
à qui ses écarts et ses ouvrages vaudront un long emprisonnement, vingt-huit ans au total et deux condamnations à mort.
À Arcueil en 1768, il approche une veuve de trente six ans réduite à la mendicité, lui promet un emploi de gouvernante,
la séquestre, la menace et la fouette jusqu’au sang, obtient l’orgasme par le seul fait des coups redoublés puis la confesse.
Il sera emprisonné sept mois.
À Marseille en 1772, le scénario se déroule en cinq actes d’une même journée. Chacun comporte trois personnages:
une prostituée, le marquis, qui se fait appeler Lafleur et son valet Latour nommé pour la circonstance Monsieur le Marquis.
Une prostituée est chargée de regarder une séquence sur les cinq et la dernière séquence voit le valet congédié. Les actes
se répètent. Le marquis fouette, se fait fouetter et compte méticuleusement les coups reçus. Il sodomise une prostituée, en
viole une autre, masturbe son valet, se fait sodomiser par lui, en proposant des dragées de cantharide à trois filles.
Les prostituées présentent des signes d’intoxication et portent plainte. Le marquis de Sade, en fuite avec la sœur de son
épouse, qui promet de lui appartenir à tout jamais, est condamné à la peine de mort pour empoisonnement et sodomie.
Finalement, incarcéré en 1772, il s’évade en 1773.
En 1775, toujours recherché, il revient en Provence au château de La Coste dont il est le seigneur. En présence de sa
femme, il recrute six adolescents, dont un jeune secrétaire et des adolescentes d’une quinzaine d’années, à qui se
rajoute un personnel jeune et disposé à satisfaire les caprices sexuels du maître. Ceux-ci sont interrompus par une
plainte des parents pour enlèvement de mineurs à leur insu et par séduction. Les jeunes filles portent la trace des coups
de verges reçues et des incisions pratiquées sur leurs bras et leur corps. Le secrétaire est infecté par la vérole. Nouvelle
fuite en Italie pour tenter d'échapper à la saisie de corps et nouveau retour au château de La Coste.
Le marquis qui n’a pas encore trente sept ans vit avec l’été 1776 ses derniers moments de liberté avant longtemps.
L’épilogue de la première partie de sa vie est connu. Fuyard, il quitte le château de La Coste et choisit contre toute
raison de se réfugier à Paris. Prémonition probablement dictée par une forte culpabilité inconsciente car il y apprend,
trois semaines après son arrivée, la mort de sa mère et se fait arrêter le 13 février 1777 pour être incarcéré au donjon
de Vincennes.
La disparition de sa mère et la rigueur de l’enfermement contribuèrent sans aucun doute à la naissance de l’écrivain.
Après "L’inconstant", une petite comédie rédigée en 1781, l’œuvre s’annonce par la déclaration d’un athéisme militant
reproduisant les arguments du matérialisme en vogue au XVIII ème siècle. L’auteur encore débutant produit un travail
intense. Il débute la rédaction des " Cent vingt journées de Sodome", dont il recopie le manuscrit en 1785 à La Bastille,
met en chantier "Aline et Valcour" en 1786 et l’achève en 1788 de même qu’"Eugénie de Franval". " Les Infortunes de
la vertu" sont rédigées en seize jours de l’année 1787.
Il ne sera rendu à la liberté que le 2 avril 1790 avec l’abolition des lettres de cachet. Mais, après la disparition de l’ancien
régime, sa lutte pour la déchristianisation est cataloguée de séditieuse par Robespierre et au terme d’une incarcération de
quelques mois entre 1793 et 1794, Fouquier-Tinville le condamne à mort pour intelligences et correspondances avec les
ennemis de la République. Il en réchappe avec la chute de Robespierre mais les publications de "Justine ou Les Malheurs
de la vertu" en 1791, de "La Philosophie dans le boudoir" en 1795, de "La Nouvelle Justine" ou "Les Malheurs de la vertu"
suivie de L’Histoire de Juliette seront interdites.
En 1801, Sade est de nouveau enfermé à la prison de Sainte-Pélagie puis transféré à Bicêtre, la "Bastille de la canaille."
Il en sort en 1803 pour rejoindre l’asile de Charenton. Le manuscrit des "Journées de Florbelle ou la Nature dévoilée",
rédigé en 1804 fait l’objet d’une saisie par la police en 1807. Le marquis est une fois de plus surveillé, fouillé, privé de
son écritoire et de ses plumes. Le préfet Dubois note: "Cet homme est dans un état perpétuel de démence libertine."
Lors de cette dernière détention, le marquis de Sade, toujours présent à l’appel des idées nouvelles, signale une fois
encore sa perspicacité avec le "théâtre aux aliénés". Sa vocation pour l’art théâtral et son ambition d’y réussir remontent
au début de son mariage en 1763. Il écrit déjà des pièces, les monte, les joue et les fait jouer par ses amis au château
de La Coste où il a édifié une scène. L’œuvre théâtrale travaillée sans relâche atteint son apogée avec la période
révolutionnaire en même temps qu’elle devient un moyen de subsistance pour le marquis ruiné.
Sa rencontre avec Monsieur de Coulmier s’avèra décisive. Le directeur de l’asile de Charenton, convaincu des vertus
thérapeutiques offertes par la scène, fit construire un amphithéâtre avec des gradins réservés aux malades. Les pièces
furent montées et jouées par des aliénés en même temps que des comédiens professionnels, ou par Sade lui même.
La réputation fâcheuse de son écriture de combat, cherchant à soumettre l’adversaire, à démontrer l’inutilité de Dieu,
l’aberration de la morale et de la loi, ne se démentira pas. La pensée profonde de l’écrivain, singulière, ramifiée dans
un système inachevé et peu cohérent, restera détournée par des interprétations, qui en dénaturent le contenu en
s’attachant à tel point particulier pris pour l’ensemble.
Le nom de Sade entre dans le language commun avec le néologisme "sadisme" ne résumant ni l'écrivain, ni son œuvre.
Le vocable apparaît dès 1834 dans le Dictionnaire universel de Boiste comme une "aberration épouvantable de la
débauche: système monstrueux et antisocial qui révolte la nature." La confusion entre la vie de Sade et de son œuvre
alimentera le malentendu à travers le temps. En 1957 encore, Jean-Jacques Pauvert, éditeur, sera condamné à la
destruction des ouvrages saisis.
Le statut scientifique du concept émerge quant à lui à la fin du XIX ème siècle avec Krafft-Ebing, qui érige le sadisme
et son antonyme le masochisme en symptômes combinés d’une perversion sexuelle dont la satisfaction est obtenue par
la douleur et l’humiliation infligées à autrui ou reçues par lui.
Mais, la science ne resta pas propriétaire du phénomène.Le poète Apollinaire, partisan d’une analyse psychologique
plus objective de l'écrivain et prophète d'un XX ème siècle dominé par le savoir, le courage et l’indomptable liberté du
marquis de Sade, entraîna les surréalistes à sa suite. Breton, Desnos et Eluard cherchèrent à réhabiliter l’œuvre et
l’acteur de la révolution française pour en faire un enjeu esthétique, politique et social. Ils insistèrent sur la place du
marquis dans la découverte d’une psychologie, faisant de la sexualité un fondement de la vie sensible et intellectuelle.
De "Sade est un sadique", on est passé à "Sade est un sadique parmi d’autres" et enfin à "l’œuvre de Sade met en
scène certaines expériences sadiques"; à partir de là, le domaine littéraire a pris le relais du domaine médical. On a
pu redonner à Sade sa singularité en mettant en avant la complexité de son entreprise, la richesse de son œuvre,
et son irréductibilité justement à toute catégorie générique comme le sadisme. Ce n’est qu’une fois le sadisme est
devenu véritablement un nom commun, une fois que Sade en fut véritablement "libéré", que l’on a pu alors aborder
l’œuvre de Sade pour elle-même.
C’est donc sous le mode du refus, de l’exclusion qu’il est entré, presque de force, dans nos mémoires: estimant l’homme
dangereux, on l’a enfermé de son vivant; ne l’estimant toujours pas inoffensif une fois mort, on a interdit et censuré ses
écrits, favorisant leur diffusion sous le mode de la glorification souterraine. Sade, figure de l'excès est devenu le modèle
littéraire de tous ceux qui cherchaient à exalter une création novatrice dont l'œuvre ne saurait être réduite au sadisme.
Si la présence du marquis de Sade au sein des lettres françaises n'est plus contestée, assurément, son œuvre
demeure une énigme, irrévérente mais novatrice, offrant à la lecture, le champ infini des expériences possibles.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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" C'est une chose très différente que d'aimer ou que de jouir; la preuve en est qu'on aime tous les jours
sans jouir et qu'on jouit encore plus souvent sans aimer, la luxure étant une suite de ces penchants,
il s’agit bien moins d’éteindre cette passion dans nous que de régler les moyens d’y satisfaire en paix."
Marquis de Sade (La Philosophie dans le Boudoir)
En prison, agonise un homme, naît un écrivain. Il s'agit du marquis de Sade, à qui nous devons l'empreinte
du sadisme dans nos dictionnaires et celui du trouble psychiatrique décrit par Freud dans ses "Trois essais sur
la théorie sexuelle", lequel a établi définitivement le terme de "sadisme" dans sa conception de la pulsion. Car
si de son patronyme, fut issu au XIX ème siècle le néologisme, considéré en psychiatrie, comme une perversion,
gardons en mémoire toutefois que l'homme de lettres libertin en ignorait l'existence même.
Il n’a jamais connu ce mot, mais a théorisé avec talent, sur les passions, les goûts cruels, les plaisirs de la torture,
se contentant d'employer, dans ses récits, le mot "pervers".
C'est le psychiatre allemand, Richard von Krafft-Ebing qui, dans une approche clinicienne, l'inventa, conduisant à
entretenir, depuis des controverses passionnelles interminables, incarnant un Sade nouveau, véhiculant tous les
fantasmes et légendes, et bien souvent engendrant, un personnage, totalement différent de l'original.
Le sadisme suggère initialement la cruauté, qui consiste en la souffrance d’une victime. Il y ajoute surtout
le plaisir de voir ou de faire souffrir, souvent avec une connotation sexuelle. Sur une victime non consentante,
le sadisme est en soi la circonstance aggravante d’un crime : il pénalise le "sadique" en lui ôtant une part
d’humanité, et de fait l’indulgence des tierces personnes.
Mais le mot "victime" est ici à interpréter au sens large: dans le domaine sexuel, un sadique va généralement de
pair avec un masochiste qui consent à l’impuissance physique, comme le fait d’être attaché, et à la souffrance.
Justine, personnage principal, de "La Nouvelle Justine" ou les "Malheurs de la vertu", est une victime dans tous les
sens du terme, bernée, abusée, manipulée, humiliée, etc. Tout le contraire de Juliette, libertine à qui tout réussi.
Le Marquis de Sade, fort des récits du domaine sexuel, met en scène des victimes devant subir des souffrances
parfois extrêmes, pouvant conduire à la mort, dans des situations les condamnant à une impuissance totale.
À tel point que, dans "La Nouvelle Justine", l’idée même de fuite n’est jamais envisagée par une victime autre que
l’héroïne. Car, chez Sade en particulier, la peur ne fait pas fuir, elle paralyse.
Le sadisme "sadien" , celui que mettent en scène ses ouvrages libertins, est plus profond que le sadisme théorisé
par les psychiatres et psychanalystes, qu’il soit mis en parallèle avec le masochisme ou avec l’innocence: c'est un
jeu complexe entre les personnages, mais surtout entre Sade et le lecteur par le biais de la mise en scène de ses
personnages. Nous pouvons parler de mise en scène, car les textes de Sade sont relativement théâtraux dans une
emphase entre discours et actes sexuels. Sade établit un réseau de personnages dans un monde d’un matérialisme
radical, allant jusqu’à réinventer une mécanique sexuelle dans laquelle les femmes "bandent" comme les hommes.
Sade s’amuse à mettre en scène et à explorer une alternative répulsive et intégralement pervertie de notre monde.
Car ce monde, s’il est réel, est peuplé d’allégories et de concepts qui dépassent notre appréhension des choses:
le mal est partout, et les honnêtes gens sont aveugles et en constituent les seules victimes. Pour Sade, la meilleure
façon de prouver matériellement la toute-puissance du mal est de prouver l’absence du bien, qui n'est qu'une erreur
et une faiblesse humaines dues à la société. La toute-puissance du mal existe mais le mal n'existe pas car le bien
n’existe pas, donc la toute-puissance du mal est une toute-puissance tout court; tel est le discours de Sade.
Il ne s’agit donc pas de valoriser le mal, mais de le légitimer dans un monde compatible avec un tel raisonnement
pour en faire la seule règle de vie possible. Ce monde ne connaît pas les limites du discours, et sert l’idéologie
"sadienne" prônant l’absence de limites dans les actes. Tout le discours de Sade est une mise en scène construite,
physiquement et moralement, autour du sadisme, avec des récits parfois enchâssés dans d'autres pour une
perpétuelle mise en abyme entre les récits et le monde réel.
L’opposition entre Justine et entre Juliette, sa sœur et antithèse, est l’allégorie du destin conçu par Sade.
La liberté absolue dont il se revendique en opposition totale à toute morale est le socle du mode de vie
rendant le libertin supérieur aux autres: c'est le libertinage propre à la seconde moitié du XVIII ème siècle.
Entrevoyant la société comme n’étant qu’une assemblée de conventions et d’attentes, régie par des règles
précises qu’ils maîtrisent parfaitement, ces libertins la manipulent pour leur propre plaisir, par goût, par défi;
le roman clé de cette littérature est "Les Liaisons dangereuses" de Laclos, où un libertin entreprend de
séduire une jeune fille ingénue pour le défi de l’intrigue.
Cyniques et amoraux, ces libertins ont une relation évidente avec les protagonistes de Sade. Mais l’extrémisme de
celui-ci établit une différence avec les libertins cérébraux qui peuplent la littérature risquée du XVIIIème siècle.
Les libertins de Sade rendent la place d’honneur au plaisir physique; ils abandonnent donc la séduction. Le viol est
parfaitement acceptable pour eux, alors que pour les libertins conventionnels, l’utilisation de la force gâterait le plaisir
de faire céder par le charme et la corruption de mœurs.
Les libertins "sadiens" ont certainement intérêt à corrompre, et s’y emploient à grand renfort de discours philosophiques;
mais à défaut d’être convaincants, ils ne se privent pas simplement de prendre. Leur désir physique existe. Le plaisir
n'est pas un jeu pour Sade; la copulation n’est pas simplement le point final d’un jeu de masques. Même s'ils théorisent
tout avec de remarquables longueurs, ces libertins n’ont pas l’hypocrisie de prétendre que le coté physique de l'affaire
est en soi sans intérêt pour eux. Il prend en fait la prime place. Sade reconnaît aussi que jouer le même jeu jour après
jour peut mener à l’ennui.
C’est ainsi que, devant toujours rajouter du piquant à leurs plaisirs, les libertins de Sade en viennent au crime.
S’affranchissant entièrement de la morale commune, ils cèdent à tous leurs caprice et à toute nouveauté, s’adonnant à la
sodomie, au viol, à la flagellation, la torture, le meurtre ; les extrêmes dont est capable l’imagination de Sade, à tel point
qu'il ce peut qu’il se soit dégoûté lui-même, se retrouvent dans "Justine ou les Malheurs de la vertu."
Dès l'origine, le libertinage philosophique est résolument matérialiste, même athée, reposant sur le rejet des dogmes,
alors que le libertinage romanesque met en vedette des libres-penseurs dépravés. Sade poursuit ce chemin, arrivant à
un matérialisme absolutiste justifiant ses propres goûts physiques. Il franchit un dernier palier que n’atteignaient pas les
libertins le précédant. L’amoralisme de ceux-ci devient chez Sade plutôt un antimoralisme, où loin de ne pas se soucier
de la morale commune on s’évertue à l’invertir. Le libertin de Sade rejette tant les dogmes qu’il agit systématiquement
de manière contraire. Sade est dogmatique dans sa libre-pensée.
Justine, personnage fictif, a accompagné Sade tout au long de sa vie d’écrivain. Elle est d’abord l’héroïne d’un conte
écrit à la prison de la Bastille pendant l’été 1787, puis héroïne d’un roman, " Justine ou les Malheurs de la vertu" publié
en 1791. Elle réapparait en 1797 dans un second roman entièrement réécrit et considérablement augmenté,
"La Nouvelle Justine".
Justine, élevée dans une abbaye de Paris, en est chassée à la mort de son père, faute de pouvoir honorer la pension.
Tandis que sa sœur, Juliette, choisit de se faire courtisane pour mener grand train, Justine, farouchement vertueuse et
indéniablement ingénue, subit les revers de la fortune de plein fouet. Elle les raconte par le menu à Madame de Lorsange,
qui se révèlera être sa sœur: servante, souillon, emprisonnée, violée à seize ans, marquée au fer rouge, captive de moines
lubriques, exploitée par une bande de faux-monnayeurs, Justine ne perd jamais foi en la vertu et poursuit inlassablement
sa route. À travers le récit de ses malheurs et sévices, Sade met en scène la lutte acharnée entre le Vice et la Vertu.
Là où Justine prétend subir comme un supplice la violence libidinale des libertins qui s’emparent d’elle, Juliette vole aux
devants de toutes les corruptions qu’elle rencontre, consciente que la valeur de son corps sur le marché du désir augmente
suivant la courbe de dégradation morale des mœurs auxquelles elle souscrit. Entrée dans la vie sociale par la porte de la
prostitution, elle cherche sans cesse à imaginer de nouvelles voies d’excès.
Aux scènes d’orgies, où les corps morcelés et encastrés saturent l’espace, succèdent des discussions vives, opposant
Justine à des libertins. Elles reflètent les préoccupations de la société de la seconde moitié du XVIIIe siècle, la question
du matérialisme et de l’athéisme, celles de la primauté des intérêts particuliers, de la relativité du crime selon le milieu
d’appartenance. Au plaisir se mêle la réflexion philosophique, obligeant le lecteur à un effort des sens et de l’intellect.
Une curieuse ambiguïté persiste pourtant, engageant moins l’existence avérée d’un libertinage "sadien" que la frontière
entre masculin et féminin qui s’y dessine: alors qu’aucun protagoniste n’échappe à sa pratique ni à la fascination qu’il
exerce, les héroïnes se caractérisent au contraire par la diversité de leurs conduites et de leurs rôles. Victimes,
spectatrices, esclaves ou maquerelles, l’éventail actanciel féminin contraste avec la trajectoire uniforme des hommes.
Car si l’homme, chez Sade, est libertin, la femme ne naît pas libertine, elle le devient. Elle choisit, plus précisément,
ce qui constitue moins pour elle une essence qu’un possible.
Cette spécificité détermine à la fois une structure romanesque, le célèbre diptyque qui fictionnalise, au miroir des deux
sœurs, la cœxistence des "infortunes de la vertu" et des "prospérités du vice", ouvrant ainsi une double carrière aux
jeunes filles, et une identité qui associe singulièrement, sous la plume de Sade, le féminin à la liberté. Affranchi de toute
détermination, il incarnerait la promesse d’une existence plurielle, qui permette au sujet de se construire sans que
l'autorité des sens ni celle de la machine aliènent sa volonté.
Une telle interrogation engage, par-delà le caractère contrasté des héroïnes, la relation entre féminité et libertinage.
Dès lors qu'il ne constitue plus un destin mais un devenir, voire une option que les héroïnes peuvent refuser, la précarité
de leurs trajectoires, où rien ne fige l’association du féminin et du libertin, ne dénonce plus une fatalité ni une faiblesse.
Aucune incompatibilité de nature, fût-elle d’organes ou d’imagination, n’exclut a priori l’héroïne d’un système de pensée
et de jouissance dont elle décide seule d’épouser ou de transgresser la loi.
L’itinérance de Justine, dans cette perspective, traduit moins le labyrinthe infini de l’âme incapable d’apprentissage que
la puissance d’abdication de celle qui résiste jusqu’au bout au discours du mal. L'inaccessibilité physique de l’héroïne,
à la fois invulnérable et impossible à posséder, problématise la nature du libertinage dont son récit se veut la fresque
pathétique: connaît-elle la sexualité ? loin de l’ingénuité passive qui en fait la victime désignée des libertins, Sade lui
offre une situation paradoxale, entre présence et absence à l’événement, qui la met en position d’analyser les ressorts
du libertinage.
Fragmentaire, condamnée à se multiplier sans éprouver dans sa propre chair les tourments qu’elle inflige et dont elle
théorise pourtant la supériorité, la jouissance libertine a besoin d’une victime qui lui donne sens et lui ouvre les vertiges
de la réversibilité. Absente à la jouissance, Justine en assourdit donc les assauts pour convertir l’énergie érotique en
faculté de savoir. Elle a de l’esprit; les libertins le remarquent et, s’ils ne s’en agacent pas, ils perçoivent en elle un
certain potentiel:
"Écoute, Justine, écoute-moi avec un peu d'attention; tu as de esprit, je voudrais enfin te convaincre."
Mais ils ne peuvent lui enlever son libre arbitre, sa résistance à la liberté, du fait d’une oppression consentie.
La force morale de Justine peut la conduire à une force intellectuelle supérieure à celle des libertins, tentant
de l’influencer sans réellement la comprendre.
Ce génie de la sublimation interroge moins les fantasmes sexuels du prisonnier qu’elle n’identifie l’illégitime
détention de l'écrivain qui n’avait d’autre alternative, dans la solitude, que de troquer la toute-puissance pour
l’étrangeté à soi-même; au miroir du féminin, le libertinage de Sade révèle son grand talent de traverser le réel.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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"Nous autres libertins, nous prenons des femmes pour être nos esclaves; leurs qualités d'épouse les rend
plus soumises que les maîtresses, et vous savez de quel prix est le despotisme dans les plaisirs que nous
goûtons; heureuses et respectables créatures, que l'opinion flétrit, mais que la volupté couronne, et qui,
bien plus nécessaires à la société que les prudes, ont le courage de sacrifier, pour la servir, la considération
que cette société ose leur enlever injustement. Vive celles que ce titre honore à leurs yeux; voilà les femmes
vraiment aimables, les seules véritablement philosophes."
La philosophie dans le boudoir (1795)
Depuis longtemps, Sade a une réputation sulfureuse; cette réputation a précédé l’écriture de l’œuvre. Qui n’a pas
entendu parler du jeune marquis fouettant des prostituées à Marseille, distribuant des bonbons à la cantharide ou
blasphémant, découpant des boutonnières dans la chair de Rose Keller à Paris ? Qui n’a pas entendu parler de
Sade enfermé treize ans à Vincennes puis à la Bastille par lettre de cachet délivrée à la demande de sa belle-mère
et libéré en 1790 quand la Révolution a supprimé les lettres de cachet ? Bourreau ? Victime ? Cette réputation
enflamme l’imagination. On accuse Sade, on défend Sade mais qui lit Sade ? En réalité, peu de monde.
S’il est un dénominateur commun à tous les esprits libres n’ayant eu pour seule exigence que celle de dire la vérité,
quitte à heurter conventions, mœurs et opinions dominantes, c’est sans doute celui d’avoir subi les épreuves
de l’ostracisme, de l’anathème, voire de la peine capitale. Le cas de Socrate, condamné à boire le poison mortel
de la ciguë, aussi bien que ceux de Galilée, Diderot, Voltaire, ou plus récemment encore, Antonio Gramsci, tous ayant
souffert du supplice de séjourner derrière les barreaux, viennent témoigner de la constance historique de cette règle.
Inscrire le marquis de Sade qui a passé vingt-sept ans de sa vie entre prison et asile d’aliénés dans cette lignée d’auteurs
prestigieux risque d’offusquer bien des esprits. Sade: il est vrai que rien que le nom suffit à évoquer un imaginaire sulfureux:
viol, fouettement, esclavage sexuel, inceste, etc. D’où une certaine aversion diffuse à son égard, qu’on retrouve peut-être
davantage dans la population féminine très exposée dans ses récits.
Le dossier Sade fut instruit durant deux siècles et enflamma les esprits. Est-il clos ? Durant tout le 19ème siècle et la
majeure partie du vingtième, le nom de Sade fut associé à la cruauté et à la perversion avec la création du mot "sadisme"
et ses ouvrages furent interdits. Depuis Apollinaire, sa pensée irrigue la vie intellectuelle et universitaire, jusqu’à sa
reconnaissance littéraire et la canonisation par la publication de ses œuvres complètes dans la collection "La Pléiade".
Alors que les manuscrits de Sade étaient encore interdits de réédition, Guillaume Apollinaire, dès 1912, fut le premier
à renverser le mythe misogyne autour de Sade: "Ce n’est pas au hasard que le marquis a choisi des héroïnes et non
pas des héros. Justine, c’est l’ancienne femme, asservie, misérable et moins qu’humaine; Juliette, au contraire,
représente la femme nouvelle qu’il entrevoyait, un être dont on n’a pas encore l’idée, qui se dégage de l’humanité,
qui aura des ailes et qui renouvellera l’univers", défendait le poète.
Quelques décennies plus tard, c’est Simone de Beauvoir, qu’on ne peut soupçonner d'être idolâtre, dans son célèbre
texte "Faut-il brûler Sade?", qui admet que "le souvenir de Sade a été défiguré par des légendes imbéciles." Pourquoi le
XX ème siècle a-t-il pris Sade au sérieux ? le divin marquis fut au carrefour des réflexions féministes de l’après-guerre
dont l'auteure de "L'invitée" et des "Mandarins" reste l’une des figures précurseuses. Sade aimait-il les femmes ?
Car voilà une œuvre qui donne à voir, sur des milliers de pages, des femmes humiliées, violées, battues, torturées, tuées
dans d’atroces souffrances, et leurs bourreaux expliquer doctement qu’elles sont faites pour être leurs proies et qu’ils ne
savent jouir que par leurs cris de douleur et d’épouvante. Est-il nécessaire d’aller chercher plus loin ? Sade fut-il un militant
fanatique, paroxysmique de la misogynie, des violences faites aux femmes et donc, puisque telle est la question traitée,
est-il un auteur à rejeter ?
Ces dernières années, cette opinion a été soutenue, de manière particulièrement tranchée, par Michel Onfray, qui a
consacré à Sade un chapitre de sa "Contre-histoire de la philosophie", une partie de son ouvrage sur "l’érotisme solaire"
puis un essai développant son propos. Pour lui, Sade prôna une "misogynie radicale" et une "perpétuelle haine de la
femme"; il fut tout à la fois un "philosophe féodal, monarchiste, misogyne, phallocrate, délinquant sexuel multirécidiviste."
Le réquisitoire est implacable et Michel Onfray le prononce en tapant à coups de masse sur tout ce qui, dans les multiples
monographies consacrées à Sade, pourrait le nuancer. De fait, la galerie de portraits de ceux qui se seraient déshonorés
parce qu’ils ont tenu Sade pour un grand écrivain est impressionnante: Apollinaire, Breton, Aragon, Char, Desnos, Bataille,
Barthes, Lacan, Foucault, Sollers, tous frappés par le "déshonneur des penseurs."
Certes, l’œuvre de Sade regorge d’horreurs ciblant particulièrement des femmes. Le nier serait une contre-vérité.
Mais l'auteur de "La philosophie dans le boudoir" nourrissait-il une haine des femmes ? Sade était-il misogyne ?
La question est posée avec tant de force et de constance par ses procureurs, que l'on se trouve pour ainsi dire
contraint de s’y arrêter.
Sade n’aimait pas sa mère, qui ne l’éleva pas, et détestait sa belle-mère, qui le lui rendait bien. Il en tira une exécration
de la maternité toujours renouvelée dans son œuvre. Comme la plupart des aristocrates libertins de l’Ancien Régime,
il était bisexuel; comme certains d’entre eux, amateur de pratiques mêlant plaisir et douleur, infligée ou éprouvée,
rarement consentie.
Avec sa femme, qu’il épousa contraint et forcé, il fut un mari tyrannique, infidèle, jaloux et goujat, mais, malgré tout,
éprouva pour elle, à sa manière, une réelle affection liée à leur bonne entente sexuelle. Sa vie de "débauché outré",
selon les termes motivant sa toute première arrestation, s’interrompit brusquement à l’âge de trente-huit ans par une
lettre de cachet qui le condamna à une incarcération pour une durée indéterminée. Il passa douze années emprisonné
à Vincennes et à La Bastille. Il fut libre durant douze ans et eut alors pour compagne, jusqu’à sa mort, une actrice
qu’il surnomma Sensible qui partagea sa vie. Elle fut sa muse, constatant lui-même qu'il avait changé:
"Tout cela me dégoute à présent, autant que cela m'embrasait autrefois. Dieu merci, penser à autre chose et je m'en
trouve quatre fois plus heureux."
Sade se comporta donc mal, voire très mal, avec certaines femmes, notamment dans la première partie de sa vie avec
ses partenaires d’orgies, au demeurant parfois des hommes, considérées par lui comme des "accessoires", des
"objets luxurieux des deux sexes" comme il l’écrivit dans "Les Cent Vingt Journées." Lorsque son existence prit un tour
plus ordinaire, il se coula dans l’ordre des choses, n’imagina pas que le rôle des femmes qu’il fréquentait, mères, épouses,
domestiques, maîtresses, prostituées pût changer et ne s’en trouva pas mal. De là, à dénoncer sa "haine des femmes."
Sade adopta le genre le plus répandu à son époque, celui du roman ou du conte philosophique; beaucoup d’écrivains
reconnus y allèrent de leur roman libertin, soit "gazés" comme "Les Bijoux indiscrets" de Diderot, Le "Sopha" de Crébillon,
"Les Liaisons dangereuses" de Laclos, "Le Palais-Royal" de Restif de La Bretonne, soit crus comme "Le Rideau levé", ou
"L’Éducation de Laure" de Mirabeau. La misogynie de l’œuvre de Sade, si elle avérée, doit donc être débusquée dans ce
cadre où art et philosophie sont intriqués.
Pour ce qui est de l’art, on s’épargnera de longs développements pour affirmer qu’aucune frontière ne doit couper le chemin
qu’il choisit d’emprunter, quand bien même celui-ci serait escarpé ou scabreux. Sauf à prôner un ordre moral d'un autre âge.
Féminisme ne rime pas avec ligue de la vertu, inutile d’argumenter sur ce point. L’œuvre d’art peut enchanter, elle peut
aussi choquer, perturber, indigner, révolter, elle est faite pour ça. Exploratrice de l’âme, elle peut errer dans ses recoins,
fouailler dans la cruauté, l’abjection, la perversion, explorer le vaste continent du Mal et ses "fleurs maladives".
En matière philosophique, Sade forgea ses convictions au travers du libertinage, qui mêlait licence des mœurs et
libre-pensée, la seconde légitimant la première. Critiques des dogmes et des normes et par conséquent de la religion,
principal verrou bloquant la liberté de conscience, les libertins annoncent et accompagnent les Lumières. Il s’agit de
la grande question du mal et de la Providence: comment entendre que sur terre les méchants réussissent, quand les
hommes vertueux sont accablés par le malheur ? Sade s’accorda avec Rousseau sur le fait que l’homme à l’état de
nature se suffit à lui-même.
Mais Rousseau préconise dans le Contrat social la "religion naturelle" et la limitation de la liberté individuelle au nom de
la loi issue de la volonté générale. Il affirme qu’au sortir de la nature, tout est bien; il définit la vertu comme un effort pour
respecter cet ordre naturel, pour soi et pour les autres. Le plaisir concorde ainsi avec la morale; la tempérance est plus
satisfaisante que l’abandon de soi dans la volupté. Sade s’attacha méthodiquement à réfuter ces idées, et cela en partant
comme Rousseau de la question première: la relation de l’homme à la nature, qu’il traita en adoptant la philosophie
matérialiste et biologique nourrie des découvertes scientifiques de l’époque.
"Usons des droits puissants qu’elle exerce sur nous, en nous livrant sans cesse aux plus monstrueux goûts."
On peut ici, réellement, parler de pensée scandaleuse puisqu’il s’agit d’affirmer que le désir de détruire, de faire souffrir,
de tuer n’est pas l’exception, n’est pas propre à quelques monstres dont la perversité dépasse notre entendement,
mais est au contraire la chose au monde la mieux partagée. Sade nous conduit ainsi "au-delà de notre inhumanité,
de l’inhumanité que nous recelons au fond de nous-mêmes et dont la découverte nous pétrifie."
En fait, Sade ne trouvait qu’avantage à respecter le modèle patriarcal dans sa vie d’époux, d’amant et de père, ne pouvait
en tant qu’auteur que défendre les idées sur les femmes de l’école philosophique à laquelle il s’était rattaché. Ainsi, il ne
soutint jamais, contrairement aux préjugés de son époque, que les femmes n'étaient pas faites pour les choses de l’esprit.
Surtout, dans son domaine de prédilection, celui de la passion, il balaya la conception de la femme passive dans l’acte
sexuel, qu’il ne représenta ainsi que dans le cadre du mariage, institution abhorrée. Pour Sade, la femme est active et
désireuse. Lors des orgies décrites dans ses romans se déversent des flots de "foutre", masculin et féminin mêlés;
les femmes ont des orgasmes à répétition. Les femmes, affirme Sade, ont davantage de désir sexuel que les hommes;
elles sont donc fondées à revendiquer, contre les hommes s’il le faut, le droit au plaisir.
" De quel droit les hommes exigent-ils de vous tant de retenue ? Ne voyez-vous pas bien que ce sont eux qui ont fait
les lois et que leur orgueil ou leur intempérance présidaient à la rédaction ? Ô mes compagnes, foutez, vous êtes nées
pour foutre ! Laissez crier les sots et les hypocrites."
Tout cela n’est pas vraiment misogyne. Pour comprendre les relations complexes entre l'homme de lettres et les femmes,
il est nécessaire de "dépathologiser Sade et sa pensée pour substituer à la légende du monstre phallique l’image, bien plus
troublante, du penseur, voire du démystificateur de la toute-puissance phallique" selon Stéphanie Genand, biographe.
De là, à considérer Sade comme un auteur féministe, la réponse est nuancée, mais l’hypothèse pas sans intérêt.
Le marquis de Sade avait sur la femme des idées particulières et la voulait aussi libre que l’homme. Ces idées, que l’on
dégagera un jour, ont donné naissance à un double roman : Justine et Juliette. Ce n’est pas au hasard que le marquis
a choisi des héroïnes et non pas des héros. Justine, c’est l’ancienne femme, asservie, misérable et moins qu’humaine.
Juliette, au contraire, représente la femme nouvelle.
De fait, Justine et Juliette, les deux sœurs d’une égale beauté aux destins opposés, sont devenues des archétypes:
la première de la vertu, la seconde du vice; ou, plus justement, pour reprendre les sous-titres des deux ouvrages,
des malheurs qu’entraîne la vertu et de la prospérité attachée au vice.
La froide Juliette, jeune et voluptueuse, a supprimé le mot amour de son vocabulaire et nage dans les eaux glacés
du calcul égoïste. Incontestablement, elle tranche avec l’image misogyne traditionnelle de la femme: faible, effarouchée,
ravissante idiote sentimentale. Juliette est forte, elle est dure, elle maîtrise son corps et sait en jouir, elle a l’esprit vif
et précis que permet l’usage de la froide raison débarrassée des élans du cœur.
Sade théorise en effet la soumission dont les femmes sont l’objet. Concrètement, cette position d’analyste de
l’asservissement féminin se traduit, chez lui, par le choix original de donner la parole à des personnages féminins:
Justine, Juliette, Léonore dans Aline et Valcour, Adélaïde de Senanges ou Isabelle de Bavière dans ses romans
historiques tardifs, sont toutes des femmes.
Cette omniprésence des héroïnes leur confère une tribune et une voix neutres, capables de s’affranchir de leurs
malheurs: raconter son histoire, si malheureuse ou funeste soit-elle, c’est toujours y retrouver une dignité ou en
reprendre le contrôle. L’énonciation féminine suffirait, en soi, à contredire le mythe d’un Sade misogyne.
L'homme de lettres a constamment appelé à une émancipation des femmes, notamment par le dépassement
des dogmes religieux. Les dialogues des personnages de La philosophie dans le boudoir foisonnent d’appels à la
révolte contre la soumission aux préceptes religieux inculqués aux femmes dès le plus jeune âge:
" Eh non, Eugénie, non, ce n’est point pour cette fin que nous sommes nées; ces lois absurdes sont l’ouvrage des
hommes, et nous ne devons pas nous y soumettre." On retrouve également des appels à la libre disposition de son
corps, comme dans ce passage où Sade met dans la bouche d’un des personnages les conseils suivants:
"Mon cher ange, ton corps est à toi, à toi seule, il n’y a que toi seule au monde qui aies le droit d’en jouir et d’en faire
jouir qui bon te semble."
Tout en lui reconnaissant une certaine considération des femmes, n'oublions pas que l’univers de Sade, enraciné dans
l’Ancien Régime, est foncièrement inégalitaire; la société française est alors structurée par la domination, aussi bien
sur le plan politique que sur le plan social: des élites minoritaires concentrent les richesses et le pouvoir, si bien qu’il est
naturel d’y exploiter l’autre et de le nier dans ses prérogatives.
Les femmes constituaient, à ce titre, une population singulièrement misérable: mineures juridiques, puisqu’elles ne
bénéficiaient d’aucun droit, elles étaient aussi sexuellement exploitées puisqu’elles n’avaient le plus souvent d’autre
ressource que le commerce de leurs corps, ne bénéficiant d’aucune éducation, hormis quelques privilégiées.
Une fois qu’on a souligné tous ces aspects, il faut avoir l’honnêteté d’avouer que les romans de Sade regorgent
de scènes bestiales où les femmes subissent les humiliations, sexuelles ou autres, les plus atroces de la part
de leurs partenaires masculins.
Faut-il en déduire pour autant que Sade incite à imiter ces comportements ? Érige-t-il les personnages qui en sont les
auteurs en modèle à suivre ? À bien des égards, la réponse semble être évidemment négative.
C’est Sade lui-même qui nous alerte contre ces interprétations erronées quand il estime que le romancier doit peindre
"toutes les espèces de vices imaginables pour les faire détester aux hommes."
D’où l’importance d’avoir connaissance de l’hygiène romanesque qu’était celle de Sade:
"À quoi servent les romans ? À quoi ils servent, hommes hypocrites et pervers ? Car vous seuls faites cette ridicule
question; ils servent à vous peindre tels que vous êtes, orgueilleux individus qui voulez vous soustraire au pinceau
parce que vous en redoutez les effets", écrivait-t-il dans son essai intitulé Idée sur les romans.
C’est donc l'être humain, dégarni des conventions sociales et dévoré par ses désirs, que Sade s’est proposé
de dépeindre sans concession.
"Ce qui fait la suprême valeur du témoignage de Sade, c’est qu’il nous inquiète. Il nous oblige à remettre en question
le problème essentiel qui hante ce temps : le problème de l’homme à l’homme." Simone de Beauvoir
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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"Livrez-vous, Eugénie; abandonnez tous vos sens au plaisir; qu'il soit le seul dieu de votre existence;
c'est à lui seul qu'une jeune fille doit tout sacrifier, et rien à ses yeux ne doit être aussi sacré que le plaisir."
La philosophie dans le boudoir. (1795)
Entre érotisme et perversion, les récits du Marquis de Sade font toujours l'objet de polémiques, tant pour leur violence
que pour leur outrance. Mais alors, que peut nous apporter la lecture de ses écrits aujourd'hui ?
La vie et les œuvres de Sade ont fait l'objet de mille appropriations, par des écrivains aussi divers que Georges Bataille,
les surréalistes, Roland Barthes, Maurice Blanchot, Jean-Jacques Pauvert, Annie Le Brun et bien d'autres.
Dans une nouvelle série d'articles, après ceux publiés en Octobre dernier, il nous est apparu intéressant, en dehors de
tout jugement moral, de jeter un regard littéraire sur son univers, afin de mesurer la richesse et la portée de son œuvre.
Divin Marquis ou affreux pornographe ? L'insupportable et l'intérêt de son écriture résident précisément en ceci que les
deux sont indissociables. Sade est irréductible à quelque case que ce soit. Être dans l'enfer, c'est être livré aux gémonies,
à l'excès, et à l'irrationalité. Étudier l'écrivain n'est pas le canoniser ni l'institutionnaliser mais interdit d'écrire, à tout le moins,
n'importe quoi à son sujet. Il est à la fois un maître de la liberté et son texte est insupportable, si on le tient pour un texte
réaliste. On a l'impression au contraire de quelqu'un qui établit un rapport critique à la langue, aux stéréotypes moraux.
En réalité, aborder Sade exige une double lecture, tout en séparant l'homme de sa création littéraire.
Quand on voit l'attention avec laquelle il se corrige, quand on regarde le glissement du point de vue dans les différentes
versions de "Justine"; dans "les Infortunes de la vertu", elle parle à la première personne, ensuite on parle pour elle,
elle est aliénée, on ne peut s'empêcher de penser que Sade est un grand écrivain; ce sont des choses très simples,
comme le choix de ses titres: "l'infortune" entraîne des malheurs indus; les "malheurs", eux, peuvent être mérités.
Il serait injuste de le considérer comme un malade couchant ses fantasmes sur du papier. Il semble qu'il ait écrit avant la
prison mais c'est la prison qui transforme le libertin en un homme qui n'a plus que la lecture et l'écriture dans sa vie.
Son écriture présente un côté obsessionnel de la reprise incessante des mêmes thèmes qui investissent toute son oeuvre.
Sade tient en parallèle une écriture pour le public, tant il rêve d'être reconnu comme un homme de lettres; mais il va
jusqu'au bout de ses obsessions dans des oeuvres impubliables. Son style est à la fois décalé et ironique.
Il possède le talent de raconter des histoires de vertu malheureuse dans la langue policée du XVIII ème siècle, tout en
mêlant des termes bruts et crus; c'est pourquoi, Il faut dépasser des réticences ou des dégoûts, ce déplaisir subtil que
peuvent aussi provoquer ses œuvres, pour prendre toute la place qui leur échoit dans la fiction elle?même. Les tonalités
aussi se mélangent, le rire, l'ironie coupante succédant à des exposés philosophiques ou politiques.
Il a besoin d'écrire comme Rousseau, qu'on lui interdit de lire à la Bastille quand on lui autorise Voltaire, pour écrire comme
personne. Il est aussi un homme de son époque qui pratique l'écriture sensible. Lui-même joue à ce type de littérature.
Son style le plus violent se joue comme une parodie. Après tout, la littérature sensible prétend faire couler des larmes,
la littérature érotique, du "foutre". C'est également une littérature pathétique, cherchant un effet. Sade était également un
homme de théatre.
Son écriture est aussi un rapport à la vérité. Il semble être un homme de pensée ancienne dans la manière qu'il a de
blasphémer, qui paraît l'installer dans un monde manichéen. Et son écriture est moderne, en ce qu'elle témoigne de la
conscience qu'elle est le deuil du savoir, de la vérité. On a l'impression d'un homme qui ne croit à la Révolution que par
comparaison à celle des astres, comme un cycle perpétuel de progrès et de décadence.
Proust fut aussi un homme qui traversa toute sa vie en écriture. Sade fut confronté à une série de situations limites:
un libertinage de son temps mais aux limites de la légalité et la prison où il passa plus de la moitié de sa vie. Enfermé,
il est livré à lui-même; une partie de sa création littéraire, dont "les Cent Vingt Journées de Sodome", ne put être publiée.
C'est une limite évidente à l'expression de son talent.
Son obsession est celle de l'écrivain qui rabâche. Elle s'oppose à l'ouverture de son écriture. En se répétant, il montre
que le travail d'écriture est essentiel même si, en apparence, c'est la même histoire. Quand il est arrêté en 1801, il prépare
encore une nouvelle "Nouvelle Justine". En découvrant les trois premières versions, on pense qu'il ne peut aller plus loin.
Au contraire, l'écrivain provoque le fantasme du lecteur qui imagine une écriture capable de repousser toujours plus loin.
On n'est pas obligé d'être complice mais on s'engage dans une surenchère fantasmatique. Or c'est justement dans ces
litanies d'horreurs, de tortures et de sévices, dans cet étourdissant effet d'énumérations, que réside une grande part de la
modernité de la langue de Sade.
Sade n'invente pas le thème de la vertu malheureuse. Rappelons que Diderot a déjà écrit les "Épreuves de la vertu."
Il y a toute une littérature complaisante dans la représentation de la vertu malheureuse. Sade reprend ce thème de la pure
jeune fille mais avec le goût sacrilège de bafouer cette vertu et encore s'agit-il d'une vertu qui résiste et d'une jeune fille
cicatrisant très vite; il a besoin d'inventer des "doubles" de Justine qui meurent pour qu'à chaque fois Justine résiste
sauf à la foudre fatale.
Plus il avance, plus la figure centrale est le couple Justine-Juliette, couple de personnages concret, conflictuel,
contradictoire, qui correspond à la manière dont il se présente comme une victime de l'Ancien Régime.
Justine est sans cesse enfermée; celle dont il se revendique en libertin athée, qui va faire bien pire, sur le papier,
que dans la réalité, c'est le versant Juliette.
Son œuvre apparait à première lecture scandaleuse, mais porte en elle, en réalité un discours philosophique.
La transgression n’est pas principalement l’écart de conduite, bien que, Sade en ait commis beaucoup, ni non
plus seulement la déviance à l’égard des pratiques sexuelles "licites." Il est d’abord ce qui prend ses distances
avec le respect, la vénération accordés à ce qui ne mérite que railleries. Sade fut insolent avec constance, et
cette irrévérence lui coûta. Son œuvre est truffée de caricatures, de raisonnements spécieux, d’exagérations;
l’outrance conduit au grotesque et les énormités qui parsèment les descriptions d’horreurs de ses ouvrages
constituent autant de moments de respiration permettant au lecteur de sortir du gouffre où le récit le plonge.
La figure de Justine est formellement, littérairement idéale: elle est le prétexte à une addition sans fin d'épisodes.
Une jeune fille qui pratique les vertus, déclenchant une série de catastrophes: la trame offre une perspective ouverte,
car elle semble ne rien vouloir comprendre. Juliette est cruelle dès le départ mais son histoire est celle d'un devenir.
L'une est dans le temps immobile, l'autre dans l'espace. Juliette est un tourbillon d'air sulfureux.
Lire Sade est un excellent exercice de critique de toute dialectique moralisante. Les pires libertins chez Sade tiennent en
effet un double discours. Ce n'est pas là un simple plaisir anticlérical mais dénoncer ce qu'il y a de plus pervers dans les
institutions prétendant à la vérité et imposer un mode de vie aux individus. L'homme de lettres parvient dans son oeuvre
à brasser tous les discours théoriques de son siècle et chacun de ces discours va renvoyer peu à peu à la même pratique
de domination. Il y a dans cette fiction une dérision générale du discours théorique.
Écrivain libertin talentueux, ou fieffé scélérat débauché, Sade brille, dans sa tentative désespérée, de mettre à bas,
en tant qu'esprit libre et vagabond, un ordre social et religieux, en déclin à la fin du XVIII ème siècle. Son œuvre,
inspirée d'une conscience matérialiste de l'infini, déshumanisant les corps, explore les abîmes sombres de l'âme.
Il demeure un grand auteur, capable de nouveauté et d’audace, plaçant la littérature à la hauteur de son exigence.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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Comment le châtiment de la flagellation a pris sa place dans l'alchimie érotique de la partition des plaisirs ?
De la naissance de la littérature "flagellante", à la multiplicité des études réalisées, en s'intéressant à la
psychiatrie des perversions, le goût du fouet s'est imposé comme objet spécifique, autonome de la sexualité
dans l'univers du sadomasochisme. La ritualisation attachée à ce châtiment, célébrant la pureté des sensations
extrêmes, la recherche de la cruauté et de la douleur, fait de lui, lors d'une séance S/M, dans cet art subtil et
cérébral,une étape incontournable vers la jouissance sublimée.
Défini comme un acte consistant à cingler le corps humain avec un fouet,des lanières, ou une tige souple,
le terme revêt une multiplicité de significations, religieuse, érotique,et disciplinaire, s'inscrivant dans un champ
sémantique, où sa compréhension sexuelle est pourvue de symboles,dans l'évocation imaginaire, de la verge
au flagelle.
Elle fut tout d'abord dans la religion une incarnation, utilisée comme un moyen de faire pénitence,
telle une expiation de ses propres péchés, parfois même ceux des autres, et se pratique encore, aujourd'hui
couramment dans certains ordres religieux ultra-catholiques.
Dans l'histoire,la flagellation précédant la crucifixion était un préliminaire à la condamnation.
Le nombre de coups portés très élevé pouvait alors conduire ni plus,ni moins, à la mort du supplicié.
Elle fut utilisée par nombre de civilisations,encore employée aujourd'hui dans certains pays, comme ceux
appliquant entre autres,la loi islamique, la charia.
Les Romains l'employaient comme châtiment corporel; la fustigation était une peine appliquée aux citoyens
ou aux affranchis jugée moins infamante,que la la flagellation appliquée avec un fouet,le flagellum, réservée aux
esclaves, dépourvus de citoyenneté, ayant commis des actes criminels,précédant dans la majorité des cas, la
la peine de mort. Dans l'Antiquité, elle était également le prélude à des jeux sexuels. L’histoire ancienne et les
mythologies abondent en illustrations.
Lors d'orgies, le premier des devoirs était de se martyriser en honneur de la Déesse.
Jetés dans une sorte d’extase par le recours à des danses frénétiques et autres stimulants,
les fidèles s’emparaient de son glaive pour s'automutiler, au plus fort de leur délire.
Les mêmes coutumes se retrouvent aux fêtes d’Isis, dont Hérode nous a laissé une peinture frappante.
À Rome, les fêtes des Lupercales semblables aux Bacchanales et aux Saturnales étaient l’occasion
d'épouvantables orgies. Les prêtres, brandissant leurs fouets, hurlant et criant de joie, parcouraient les
rues de la ville. Les femmes se précipitaient nues à leur rencontre, présentant leurs reins, les invitant
par leurs cris, à les flageller jusqu'au sang.
Aux XVIIIe et XIXe siècles, la bastonnade réalisée avec une corde goudronnée, était une punition fréquemment pratiquée
dans les bagnes avant l'abolition de l'esclavage. En France, la flagellation dans le système pénal fut prohibée en 1830,
lors de l'avènement du Roi Louis Philippe. La dernière flagellation publique, fut administrée, sous Louis XVI, en 1786
à l'encontre de la Comtesse de La Motte, pour sa participation, dans l'affaire du collier de la Reine Marie-Antoinette.
De nos jours,la flagellation demeure une sanction pénale encore appliquée en Arabie Saoudite et en Iran.
En Littérature,l'œuvre du Marquis de Sade, dans "Justine ou les Malheurs de la vertu" (1791) décrit,
comme nous l'avons évoqué, au cours d'un précédent article, de nombreuses scènes de flagellation.
"Thérèse philosophe", ouvrage moins réputé, attribué à Jean-Baptiste Boyer d'Argens (1748) y fait largement écho.
Sous l'Empire, l'actrice Émilie Contat, très courtisée à l'époque, vendait ses charmes en fouettant ses amants
masochistes. Le sombre et intrigant,Ministre de la Police de Napoléon,Joseph Fouché, fut le plus célèbre de ses
clients, en fréquentant assidûment son boudoir.
Dans la littérature érotique, ce sont les œuvres de Von Sacher-Masoch, et les études de Von Krafft-Ebing,
fondateurs respectivement des concepts du "sadisme" et du "sadomasochisme" qui marquèrent les esprits.
"La Vénus à la fourrure" de Leopold von Sacher-Masoch, parue en 1870 fait figure de roman novateur.
les personnages Wanda et Séverin puisant dans la flagellation, leur source quotidienne de leurs jeux sexuels.
La flagellation chez Pierre Mac Orlan (1882-1970), auteur prolixe d'ouvrages érotiques, est largement présente.
Dans "La Comtesse au fouet, belle et terrible", "Les Aventures amoureuses de Mademoiselle de Sommerange",
ou "Mademoiselle de Mustelle et ses amies.",enfin dans "Roman pervers d'une fillette élégante et vicieuse",
récit de l'apprentissage cruel dans l'asservissement sexuel d'une très jeune fille.
De même, on retrouve des scènes de flagellation, chez Apollinaire dans "Les Onzes Mille Verges" (1907)
chez Pierre Louys en 1926, dans "Trois filles de leurs mère."
Le roman "Histoire d'O" (1954), étudié précédemment, comporte de nombreuses scènes de flagellation.
Plus proche de nous, la romancière, Eva Delambre, dans "Devenir Sienne" (2013), fait du fouet l'instrument de
prédilection de Maître Hantz. Il en est de même dans "Turbulences" (2019), son dernier ouvrage.
Diversifiée dans sa ritualisation, sa gestuelle et son symbolisme, très présente dans l'univers du BDSM,
la flagellation se définit aujourd'hui, comme une pratique autonome, de la recherche de la jouissance.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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Histoire d'O de Pauline Réage est certainement l'un des romans les plus controversés du XX ème siècle.
L'ouvrage porte en effet, tel un stigmate, l'étiquette, dans son cas assez problématique, d'érotique, voire
même de pornographique, ce qui a eu, et ce qui a hélas encore pour conséquence d'attirer un certain lectorat
amateur de sensations émoustillantes souvent déçu par "l'inconcevable décence" du texte, et de repousser un
autre lectorat, académique qui se permet alors d'en critiquer la moralité en négligeant injustement la forme.
Toutefois, dans des zones médiates, un autre lectorat pourrait produire une nouvelle lecture peut-être moins teintée
de mépris ou d'excitation, et certains articles écrits sur "Histoire d'O" sont en ce sens tout à fait remarquables et
académiquement très riches, comme par exemple ceux de Léo Bersani ou de Brigitte Purkhardt, et en particulier
celui de Gaétan Brulotte qui met au jour les stratégies étonnantes d'une œuvre qui "apparaît comme un texte rusé,
détourné."
De la ruse à l'intelligence, il n'y a qu'un pas que franchira le lecteur averti dans une prospection poussée de la narration
subtile, réfléchie, maîtrisée et incontestablement, intelligente que nous a offerte Pauline Réage.
Mais qui sera le lecteur averti ? Il, ou elle, devra être capable de dépasser l'attirance ou la répulsion, ou simplement
la curiosité, provoquées par l'étiquette sulfureuse préalablement plaquée sur l'œuvre. Le lecteur averti ne pourrait,
par exemple, se permettre d'aborder et surtout d'analyser ce texte à travers certains filtres de subjectivité, de préjugé,
et d'opinion personnelle sur le faux problème de la moralité, douteuse dit-on, d'une histoire qui a dérangé et qui dérange
encore.
C'est d'une écriture de la plus haute qualité qu'il s'agit dans Histoire d'O, un récit qui nous montre finalement qu'il y a un
esclavage du texte et s'applique à en dévoiler les secrets, à en mettre au jour les limites, à en sonder les possibilités
transgressives.
En étudiant la structure narrative de ce récit, il est admirable de découvrir que la forme même de la narration prouve
qu'Histoire d'O possède une chair littéraire plus délicate que ne le perçoit en général l'opinion publique ou académique
Le roman a été écrit pour plaire et non pour provoquer ou repousser. Le récit utilise ainsi un nombre de ruses rhétoriques
qu'un texte pornographique courant ne le fait. Il est triste de constater une telle hostilité, pour ne pas dire une véritable
haine, envers une œuvre qui, au contraire, marque un tournant important de la littérature féminine, de sa libération.
Histoire d'O n'est pas un livre qui énonce des arguments faciles, mais au contraire qui pose des questions
complexes sur les relations entre hommes et femmes, d'une part, et sur l'écriture, en particulier féminine, d'autre part;
leurs réponses ne sauraient se limiter à un simple rapport de sadomasochisme. C'est peut-être l'un des plus beaux
romans écrits par une femme.
Sir Stephen est bien un meilleur maître que René qui n'apparaît jamais, et on le voit clairement quand on relit le livre,
comme un maître cruel, pas même comme un maître tout court. Il est au contraire assez insignifiant, à la limite de la
sensiblerie adolescente. Il refuse de fouetter O.
Le pouvoir qu'O gagne en devenant l'esclave de Sir Stephen, c'est celui de provoquer le désir, et même de se faire aimer,
d'un homme puissant en apparence qui valide en quelque sorte sa "désirabilité", en d'autres termes, qui la valorise.
Ce serait une erreur de penser qu'O est un être faible allant inexorablement vers la destruction, vers l'annihilation, car
au contraire d'aller vers le néant, le rien, elle va vers le tout.
Sa servitude apporte à O une force tranquille, un équilibre qui, au contraire de l'aliéner, la rend à elle-même, au respect
d'elle-même. Elle se sert donc de ces hommes, ceux de Roissy, René, Sir Stephen, pour s'élever, et sans aucun doute
s'élever au-dessus d'eux. Il faut être sensible au fait que ce sont les hommes, et les hommes seuls, qui n'ont pas droit à
la parole dans le roman, ce qui semble avoir été souvent manqué par la critique.
Si l'on accepte la domination d'O dans la narration, on ne peut plus la considérer comme le néant que représente son nom.
Elle ne peut être ce zéro, ou plutôt elle ne peut être uniquement cela. Beaucoup ont fait l'onomastique d'Histoire d'O et
certains ont trouvé des choses intéressantes. Pour certains auteurs, O est Ouverte, Obéissante, Objet, et Orifice.
O, c'est aussi le cercle, l'anneau trop petit que porte O à son annulaire, les anneaux des colliers et des bracelets,
eux-mêmes anneaux de cuir, puis de fer, mais aussi et surtout "l'anneau de chair", "l'anneau des reins", c'est-à-dire l'anneau
anal. Le cercle génère ainsi de multiples signifiants pour rejoindre irrémédiablement l'encerclement de la narration par le
narrateur qui commence et termine le récit en laissant la parole à O au milieu. O, à l'instar de la chouette dont elle porte le
masque à la fin du roman, est tout autant proie et prédatrice avec Jacqueline, et il serait faux de la réduire à un archétype
triste et sordide du sado-masochisme, qui n'est pas un terme satisfaisant pour exprimer l'œuvre de Pauline Réage.
O, objet, ou orifice, appartient à un autre monde, un monde mêlant inspiration ésotérique et talent littéraire.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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