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Méridienne d'un soir

Femme switch. 38 ans. est célibataire.
La rubrique "Articles" regroupe vos histoires BDSM, vos confessions érotiques, vos partages d'expériences SM. Vos publications sur cette sortie de blog collectif peuvent aborder autant les sujets de la soumission, de la domination, du sado-masochisme, de fétichisme, de manière très générale ou en se contentrant très précisément sur certaines des pratiques quu vous connaissez en tant que dominatrice/dominateur ou soumise/soumis. Partager vos récits BDSM, vécus ou fantames est un moyen de partager vos pratiques et envies et à ce titre peut être un excellent moyen de trouver sur le site des partenaires dans vos lecteurs/lectrices. Nous vous rappelons que les histoires et confessions doivent être des écrits personnels. Il est interdit de copier/coller des articles sur d'autres sites pour se les approprier.
Par : le 07/09/20
Combien de fois, Sarah, la pointe de mes seins s'était-elle dressée à l'approche de tes mains ? Combien de fois à la sortie de la douche ? Le bus arrive déjà, la belle monte et s'assied juste derrière le chauffeur. Le siège de derrière est occupé. Pascal s'installe sur la banquette opposée. Il observe le profil racé, les traits de la jeune femme sont crispés, le froncement du sourcil trahit l'inquiètude et il s'en réjouit. Il la dévisage longuement, admire le galbe de ses seins semblable aux contours d'un joli pamplemousse et rêve de se désaltérer au fruit défendu. La jeune femme lui paraît de plus en plus nerveuse. Ils descendent à la même station devant le musée des automates. Elle prend un ticket et dépasse le portillon. Pascal est frustré, il ne peut payer l'entrée. Tant pis, il attendra dehors, il fait beau et il doit se calmer mais elle se retourne. Je posais le livre sur la couverture. La ligne du 43, c'est celle que nous empruntions le dimanche pour aller promener le chien. Même le chien, tu l'avais oublié. "- Vous ne me suivez plus ! Vous n'aimez pas les automates, peut-être ?" Quelle prétention dans la voix. Pascal va la faire plier cette pimpêche, elle ne perd rien pour attendre. Il la suivra jusqu'au moment propice où il pourra se l'approprier, même si cela doit lui prendre des jours et des nuits. Il achète un ticket pour le musée. Pascal a soudain peur. Jamais il n'a connu ce sentiment. Il suit la croupe légère qui s'enfonce dans la salle des automates. L'obscurité est quasi complète, seuls des spots blafards éclairent les drôles de pantins qui répètent dans un mouvement saccadé des gestes identiques. Une voix suave conte l'histoire des curieux personnages. Le jeune homme n'a jamais vu un tel spectacle et s'approche du cordon qui barre l'accès aux créatures magiques. La fraîcheur de la pièce contraste avec la chaleur du dehors. La jeune femme vient se coller à lui, ses cheveux effleurent la joue rasée. Elle le prend par la main. Une main chaude et douce, rassurante. " - Venez plutôt par là, c'est mon préféré!." Pascal ne s'intéresse plus au jouet de fer mais à cette main qui pour la première fois s'est tendue à lui. Ils sont seuls dans la pièce. La main le guide habilement d'un personnage à l'autre, les doigts graciles pressent les siens. Elle les arrête devant un duo. Il regarde. Une petite tête de fer avance et recule la bouche ouverte sur un pénis rouillé, la nuque du propriétaire balance de droite à gauche dans un imperceptible grincement. L'image de ce pénis rouillé, Sarah ... Quel souvenir ! Je reprenais hâtivement ma lecture. "- Il manque d'huile, vous ne trouvez pas ?" Mais elle le provoque ! Le jeune homme sent monter en lui une sève brûlante, son gland le tiraille, sa violence originelle le tenaille, il ne peut plus se retenir et tant pis s'il fait mal à cette main tendue. Il se dégage et soulève la jupe. Il s'attend à un cri. La jeune femme ne dit rien, elle accélère seulement soudain le rythme de sa respiration. Pascal ne comprend rien. Il s'en moque. Pressé par son désir, il fourre sa main sous le tissu et plonge ses doigts à l'intérieur du sexe humide de sa proie. Nul besoin de dégraffer son jean, une main habile vient à sa rencontre qui se faufile et aggripe sa verge. Elle le masturbe frénétiquement. La jeune femme se plie en deux, enfonce le gland gonflé au fond de sa gorge et mime avec application la scène des deux pantins. La béance boulimique l'avale littéralement, tentant d'atteindre la luette. Prêt à décharger, possédé par l'étrange créature, il la relève. Ses bras costauds soulèvent ses cuisses légères, seule la pointe des pieds résiste à cette élévation. Il l'empale sur son jonc tendu. Malgré les ongles qui éclatent la peau, la jeune femme se laisse glisser avec volupté sur cette gaillarde virile. Le rythme fort de leur respiration s'accorde, laissant à la traîne le grincement de l'automate. L'instant d'après, l'extase les submerge, vertigineuse et folle. Jamais personne ne s'est offert à lui avec tant de générosité. La jeune femme desserre l'étreinte, elle agite le pied gauche, son bénard en soie bordé de dentelle coulisse le long de sa cheville. Dans un geste rapide, sa main froisse l'étoffe soyeuse et la fourre dans son sac à main. La déculottée trémousse son arrière-train, rajuste la jupe et quitte les lieux, assouvie d'un plaisir charnel. Le jeune homme la regarde s'éloigner, déjà elle ne le connaît plus. Pourtant, elle se retourne, pédante: - Il vous reste beaucoup de choses à apprendre. Et toi, Sarah, que te restait-il à apprendre ? Tu croyais tout savoir en matière d'amour. J'aurais tant aimé, à cet instant de la lecture, que tu sois près de moi. J'aurais pu alors t'embarquer pour de nouveaux voyages. Pourquoi m'as-tu quittée, espèce de garce. Je soupirais et je reprenais, j'étais là pour te haïr, pas pour te regretter. Quel beau roman. Pascal n'a plus qu'une obsession, retrouver cette offrande, ce don divin balancé de la voûte céleste. Lui qui n'est pas croyant se surprend même à prier, à supplier, mais le ciel n'est jamais clément à son égard. Les jours, les mois défilent. Le miracle ne daigne pas s'opérer. Chaque jour, le jeune homme emprunte le même chemin, celui qui l'a mené à ce sexe offert. Fébrile, il l'attend. Errant dans les bouches de métro, les gares, les cafés, tous ces lieux où se croisent les âmes non aimées, il cherche les jambes de gazelle qui lui ont échappé. Un après-midi d'hiver, alors que les flocons de neige mêlés au vent du Nord flagellent les visages, Il remarque deux chevilles montées sur des talons aiguilles qui abandonnent les marches du 43. Le bus et le blizzard l'empêchent de distinguer la silhouette. Emmitouflée dans un long manteau de fourrure, la créature est là en personne. Elle lui passe devant sans un regard et d'un pas lourd et rosse enfonce son talon pointu dans l'extrémité du godillot. La douleur aiguë qui le transperce, soudain se transforme en une érection subite. - Encore vous ! Suivez-moi ! Le ton péremptoire ne supporte aucune discussion. Rien n'a changé dans la salle obscure, si ce n'est la chaleur, contraste des saisons. Tant d'attente ! Pascal brûle d'impatience. Il peut encore et il pourrait des milliards de fois s'il le fallait. Un regard rapide atteste de leur heureuse solitude. Le jeune homme se jette sur la fourrure, il va lui montrer ce que c'est que de faire trop patienter un tronc assoiffé. Saisissant la chevelure, il fait plier le genou gracile et guide la tête vers son sexe. Il veut l'humilier. Brusquement, un mouvement de recul et les perles de porcelaine incisent cruellement son derme. - Pas tout de suite, suivez-moi d'abord. Pascal, blessé, obéit. Les talons pressés dépassent le couple d'automates où l'huile fait toujours défaut, mais n'y prêtent aucune attention. - Fermez les yeux ! Le jeune homme se laisse conduire par cette main qui, une fois encore, se tend à lui. - Ouvrez maintenant. Là, regardez. N'est-ce pas extraordinaire ce travail de précision ? Pascal découvre deux automates. L'un tient un manche à balai qu'il introduit chirurgicalement dans le trou du derrière de l'autre figurine. Face à ce mécanisme parfait, l'homme sent poindre les foudres du désir, résiste tant qu'il peut à la lave incandescente. La belle se met à quatre pattes sur le sol glacial, relève la pelisse. Le balancement de sa croupe se met à l'unisson de celui de la pantomime. La chute des reins de fer aspire le bois rugueux. La bande sonore, très généreuse en détails impudiques, crache de façon nasillarde, l'histoire de Sodome et Gomorrhe. Le jeune homme n'en a cure. Seuls les mots suggèrent à son membre contrarié, nourri d'une sève prospère, le chemin à suivre pour atteindre la voie promise. À genoux derrière elle, il presse son pouce tout contre l'ovale brûlant, la fente muqueuse. Le nid douillet gazouillant semble suinter de tous ses becs. Et d'un geste puriste, la jeune femme désigne le bout de bois. Pinocchio ravale son désir et se met à fouiller partout en quête d'un balai. Essouflé, le dard raide, il revient du pont d'Arcole, victorieux. À la pointe de son bras jubile l'objet du caprice. L'aide de camp Muiron dormira ce soir sur ses deux oreilles. Enfin, le jeune homme va pouvoir se mettre à l'attaque, la tenir au bout de cette étrange queue. S'enfoncer loin dans le noir, l'entendre le supplier de ne pas s'arrêter. Mais lui, Pascal, n'est pas un automate que l'on remonte à l'aide d'une clef. Fait de chair et de sang, comme les grognards de l'Empereur, ses sens aiguisés, le cerveau vomira tous ses fantasmes, peut-être même juqu'à la dernière charge. Ce sera son Austerlitz à lui. Le jeune homme prend son élan, ferme les yeux et plante sa baïonnette. Le manche à balai lui revient en pleine figure, lui arrachant la moitié du menton. Le bois a cogné le carrelage et a ripé. Hurlant de douleur, il se penche, une main appuyée sur sa mâchoire endolorie, l'autre prête à saisr son arme. La belle a disparue. Stupéfait, notre hussard bleu tourne en tout sens, agité comme un pantin désarticulé. Plus de pelisse, plus de petit cul offert, plus rien. Seule une voix impertinente: - Décidemment, Pascal, vous n'êtes pas un artiste, jamais vous ne comprendrez le mécanisme automatique. À cet instant précis du récit, je jubilais. Je te voyais toi, Sarah, et je répétais à voix haute, la phrase machiavélique qui te réduisait en cendres. J'étais si contente de te voir humiliée de la sorte que je n'ai rien entendu. Soudain, le livre m'échappa des mains, un corps gracile s'était abattu sur moi, entraînant dans sa chute la lampe de chevet. Mon cœur s'arrêta net de battre dans le noir. Je laissai des mains inconnues cambrioler mon corps paralysé de terreur, voguant sur mes seins, mes reins, à l'intérieur de mes cuisses, comme une carte du Tendre. Les méandres de mes courbes, ces doigts agiles les connaissaient par cœur. C'est alors que je te reconnus. Moi qui désirais tant te détester, je ne pus résister au supplice de tes caresses. Innondée de plaisirs, je m'offris à toi, assoiffée, je t'avais dans la peau, et bien sûr, tu le savais, tu étais une artiste, Sarah, à l'encre de ma rage. Je te remercie d'exister. Hommage à Roger Nimier. Bonne lecture à toutes et à tous. Méridienne d'un soir.
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Par : le 06/09/20
Tristan Tzara était un poète d'avant-garde, un essayiste et un artiste talentueux. Également actif en tant que journaliste, dramaturge, critique d'art littéraire, compositeur et réalisateur, il fut surtout connu comme l'un des fondateurs et des personnages centraux du mouvement Dada. Ses écrits dépassent la simple forme littéraire. La culture académique respectait les distinctions de genre et la séparation des domaines artistiques. Accueilli chaleureusement à Paris par les jeunes surréalistes, il s’éloigna de l’esprit de sérieux affiché par ces écrivains. En 1921, il ne souhaita pas collaborer au procès de Barrès et refusa cette parodie qui reprenait la forme de la Justice. Surtout, l'auteur semblait exprimer la destruction de la culture académique tandis que les surréalistes s’attachaient surtout à édifier de nouvelles constructions intellectuelles. Et Tristan Tzara fut reconnu pour avoir inspiré de nombreux jeunes auteurs modernistes, en particulier Louis Aragon, André Breton, Paul Eluard, Georges Ribemont-Dessaignes et Philippe Soupault. La création dadaïste se porte souvent sur le langage, étrillé et désarticulé, considéré comme le fondement de la société bourgeoise. Dada propose des poèmes polyglottes qui jouent avec les associations sonores. Le public est laissé libre d’interpréter la signification de mots inventés. Plus révolté que révolutionnaire, étudiant doué, influencé par le symbolisme français, il fait ses premières armes de poète et crée avec un de ses camarades sa première revue, "Simbolul", dès 1912. C’est trois ans plus tard qu’il adoptera définitivement le nom de Tristan Tzara en référence à l’opéra de Wagner, "Tristan et Isolde" et parce que Tzara signifie "la terre", "le pays" en roumain. La citoyenneté roumaine lui est interdite parce qu’il est de confession juive. Étudiant en mathématiques et philosophie à Bucarest (1914), il souhaite quitter la Roumanie. Il part pour la Suisse, espérant y trouver d’autres jeunes Européens refusant la guerre, mais il s’ennuie dans ce pays trop policé pour son goût. Il repart, pour Zurich cette fois où il rejoint son ami, le peintre Marcel Janco. Il s’inscrit en faculté de philosophie. 1916 est le début d’une vie très dense pour Tzara. Il fait la connaissance d’une jeune danseuse, Maya Chrusecz, qui partagera sa vie jusqu’à 1922. Par l’intermédiaire d’un marchand de tableaux, il rencontre Apollinaire, Max Jacob et Pierre Reverdy et des poètes italiens qui publient ses textes. Tzara, c’est la démesure mais c’est aussi l’élégance autant de la tenue vestimentaire que de la pensée. Au début de l’année 1917, au cours d’une exposition Dada, Tzara prononce trois conférences sur l’art ancien, l’art moderne, le cubisme. Il présente de nouveaux artistes. En 1918, on publie ses poèmes à Paris. Une correspondance importante est échangée avec des artistes allemands ainsi qu’avec Picabia et Eluard. Fin juillet, au cours de la soirée qui lui est consacrée, Tzara lira son célèbre Manifeste Dada. Ses conférences sur l’art continuent, ses échanges avec d’autres artistes également. C’est au début de 1919 qu’il rencontre Picabia et qu’il correspond avec Breton, Aragon et Soupault, qui animent la revue littéraire "Littérature." Les trois instigateurs de ce qui deviendra le surréalisme ne cachent pas leur enthousiasme pour les activités dadaïstes, auxquelles ils participent jusqu’en 1923. À partir de la décision de Breton de créer le surréalisme, les deux mouvements se séparent. Philippe Soupault sera exclu trois ans plus tard du surréalisme, en même temps qu’Antonin Artaud. Beaucoup plus tard, Soupault se rapprochera de nouveau de Breton mais en gardant son indépendance, sa liberté de pensée et d'action. En réalité, dès son arrivée à Paris, en 1920, Tzara compte dans le milieu artistique d’avant-garde. Par correspondance avec Eluard, il avait réalisé des papillons dada destinés à être répandus dans les lieux publics. Peu après, Picabia lui offre l’hospitalité de son domicile parisien et lui fait rencontrer aussitôt Breton, Soupault et Eluard. Il participe à leurs activités. Arrivé depuis quelques jours, fin janvier, Tzara, pour le premier Vendredi de littérature, lit le dernier discours à la Chambre de Léon Daudet. Les lectures et les activités se poursuivent à Paris, et en février, à l’université populaire du faubourg Saint-Antoine, il expliquera ce qui anime les dadaïstes. Il est désormais reconnu comme le chef de file du mouvement Dada. Tout l’été de cette même année, il voyage dans les Balkans, en Grèce et en Turquie en passant par l’Italie puis revient à Paris reprendre ses activités. En janvier 1921, son manifeste "Dada soulève tout" est signé par vingt-sept personnes. Dans cette effervescence intellectuelle, la concurrence est rude. En effet, dans ce jeu de rôle, on voit poindre les différentes positions subjectives qui opposeront surréalisme et dadaïsme, Breton et Tzara en particulier. On voit le militant politique chez le premier, le provocateur, l’électron libre chez le second. L’un et l’autre veulent changer le monde, l’un par la politique, l’autre par l’art, la connaissance et la liberté individuelle. La scission des deux groupes est inévitable. C’est ce qu’a dû ressentir Philippe Soupault, tout en nuances, face aux positions politiques d’Aragon et de Breton. Plus tard, une des plus belles et grandes figures du surréalisme, Paul Eluard, cet amoureux de l’amour et de la liberté, aura lui aussi des réticences. Il rompra avec ses compagnons et définitivement avec Breton en 1938. On veut oublier qu’il s’est égaré dans le stalinisme, pour ne retenir que le grand poète de la Résistance et son génie poétique. Pour Eluard, la poésie c’est la beauté, une issue qui permet l’évasion, le merveilleux du désir. Tzara a longtemps tenté de réconcilier surréalisme et communisme. Le mouvement Dada représente le doute absolu exprimé par la dérision. N’ayant pas de statuts ni de règlements préconçus, il laisse ainsi une porte ouverte à tous les possibles. Tzara, entre violences verbales, ressassements, scandales, fureurs et enthousiasme, fait peu à peu l’expérience d’une œuvre créatrice et vitale qui préconise la spontanéité. Sa visée était de changer l’homme, mais elle restera une aventure personnelle. Toutefois, par son innovation, elle a créé des ponts entre les différentes cultures du monde, contribué à arracher en partie l’art à la sacralisation sociale et au conservatisme, mais elle n’est pas arrivée à le détacher des marchés et des marchands. Tzara, toujours très élégant, en compagnie de Radiguet et de Cocteau, passe ses nuits au Bœuf sur le toit. Sa pièce "Mouchoir de nuages" est représentée dans le cadre des "Soirées de Paris". Il fait la connaissance d’une artiste peintre suédoise, Gréta Knutson, qu’il épousera en 1925. S’il s’éloigne de cette aventure collective, c’est pour poursuivre son propre chemin, pour préserver l’esprit dada et ses objectifs. Son obsession, sa hantise a toujours été la pensée unique. La révolution pour Tzara si elle doit être permanente ne peut être qu’individuelle. Les reproches qu’il adresse aux dadaïstes sont les mêmes que ceux aux surréalistes. Le compagnonnage de Tzara avec les surréalistes se poursuivra jusqu’en 1935. C’est par une lettre aux "Cahiers du Sud" qu’il annoncera sa rupture avec le groupe. En 1939, le recueil "Midis gagnés", illustré par Matisse, rassemble les poèmes de Tzara, contre tous les fascismes. On peut dire que l'ouvrage symbolise l’œuvre de Tzara, son état d’esprit, sa volonté inébranlable de justice, de paix et de liberté. Il n’a jamais renié Dada. Ce mouvement qu’il a créé, ses outrances restent chers à son cœur. Dada, c’est le questionnement de Tzara sur le langage, et les semblants de la vie sociale, sur l’art, sur les contradictions des idées ou des opinions politiques. En créant une forme nouvelle du langage, il fait surgir un étonnement, une nouveauté, la poésie ici fait événement. La nouveauté restera un leurre puisque le désir est un manque. La subversion de Tzara est bien de l’ordre du désir et n’en déplaise à Breton le déroulement des événements ne dépend pas que de l’énonciation. Mais cette parole poétique, puisqu’elle est sans cesse à renouveler, vivifie l’existence. La poésie ainsi que l’œuvre créatrice de Tzara peuvent être considérées comme une éthique. Elles répondent à trois commandements indissociables: l’impératif de jouissance, le précepte selon lequel il ne faut pas céder sur son désir, enfin la nécessité que les non-dupes errent. Les non-dupes se croient libres mais ils errent parce qu’ils sont tributaires de l’objet. Tzara est excentrique, touche-à-tout insatiable mais lucide, il est farouchement du côté de la vie, une vie de lutte où l’espoir est toujours au bout du chemin. C’est aussi un homme d’action, un esprit curieux jusqu’à la fin de sa vie et un homme engagé, promoteur d’une poésie vecteur de liberté. On peut qualifier la poésie de Tzara, comme celle d’ailleurs de ses compagnons surréalistes, de contemporaine. Elle est issue des événements dramatiques où les nations sont plongées, depuis son enfance. Le poète est intéressé par les dialogues interculturels. Il est passionné par la poésie de François Villon, c’est encore un de ses paradoxes. En 1949, il préface ses poésies. Il y retrouve une forme d’analogie avec la poésie contemporaine, reflet de l’actualité. Il entreprend un important travail de recherche sur les anagrammes de Villon et de Rabelais, recherche qu’il poursuivra pratiquement jusqu’à la fin de sa vie. Son adaptation et son maniement, sa maîtrise des langues sont remarquables, au point qu’on oublie que sa langue maternelle est le roumain. Sa recherche a toujours porté sur le langage, sur le travail des signifiants, non sur les langues en tant que telles. Révolutionnaire et surréaliste, le mouvement Dada s’est différencié du surréalisme parce que sa visée était celle d’une intelligence collective qui devait permettre et favoriser les aspirations personnelles. Tel n’était pas le but du surréalisme, qui prônait l’effacement total des individualités au profit du groupe. Dada, c’était tout détruire mais pour réinventer, c’était en un mot réenchanter un monde en déliquescence et permettre l’épanouissement de chacun. Dans la poésie de Tzara, il y a harmonie et la symphonie se déploie à plusieurs niveaux. Chaque vers est l’unisson de l’image portée, chaque poème est l’accord des visions multiples consonnantes dans l’unité du sens, et chaque recueil, enfin, paraît comme la phrase vaste et vertigineuse qu’un orchestrateur de génie reconduit toujours à sa note fondamentale. De là ces vers innumérables qui paraissent ne rien vouloir dire, dès lors qu’on entend analyser tel ou tel poème, c'est-à- dire tenter d’en résoudre la totalité en chacune de ses parties. Distraits du poème, les vers de Tzara n’ont aucun sens. De même qu’un thème mahlérien n’accomplit sa signification qu’au lieu de la Symphonie où il est installé, le moindre vers de "L’Homme approximatif", ne révèle son sens qu’en étant situé, comme dirait Max Jacob, en étant lu là où il est, dans la grande architectonique du texte tout entier. En écrivant un langage neuf, un style inouï avant lui, en faisant entendre un chant dont les inflexions sont immédiatement signées de son universelle singularité, l’auteur d’"Où boivent les loups" ne cédait à nulle gratuité. Toute l’œuvre de Tzara peut se résumer dans l’un des premiers vers de cette ultime épopée versifiée de l’histoire qu’est "L’Homme approximatif": "quel est ce langage qui nous fouette, nous sursautons dans la lumière." L’homme contemporain est celui pour qui le langage est une surprise, un abîme de perplexité, dans la mesure où cet homme a perdu l’habitude du verbe, laquelle par exemple permettait à Claudel d’accueillir le don de la parole. " Aucun mot n’est assez pur dans la lumière pour couper le diamant de leur beauté autour de nous." Il faut rendre aux mots leurs yeux, et les faire à nouveau dignes du sens, si bellement décrit comme cette "lueur prédestinée de ce qu’ils disent", qu’il convient de raviver et qui n’est autre que leur visée fixée de toute éternité, où, seule, ils se peuvent accomplir en donnant à entendre, par l’homme, le nom exact de chaque chose, ce nom unique dont elle est grosse et qui n’attend que la parole humaine pour atteindre à l’expression manifeste. À cette fin, Tzara forge sa langue si singulière où la syntaxe classique, faite de virgules, de points, de périodes et de propositions, explose, ou cède plutôt la place à une autre syntaxe. Pas de phrases, mais une "flotille de paroles" selon l'auteur. Expression subtile de l’insurmontable distance qu’il y eut toujours, pour Tzara, entre la forme et le contenu de sa conscience, entre ce qu’il savait être la vérité et celle qu’il croyait devoir être sa place, contemplée toujours du dehors, en un isolement qu’il ignora toute sa vie, construit de toutes pièces par ceux-là même dont il déplorait, dans son œuvre, l’inappétence pour l’essentiel langage. Tout autre sans doute eût sombré dans le désespoir, dans l’ontologique cynisme. L’auteur de "L’Homme approximatif", aristocrate dans l’impasse où il s’impose, persiste à hauteur de sublime et chante ses espérances ténues mais intarissables, à l’épreuve de toutes les agonies et de toutes les angoisses. "L’eau de la rivière a tant lavé son lit que même la lumière glisse sur l’onde lisse et tombe au fond avec le lourd éclat des pierres le souffle obscur de la nuit s’épaissit et le long des veines chantent les flûtes marines ... " Œuvres et recueils poétiques: - Vingt-cinq poèmes (1918) - Le Cœur à gaz (1921) - Le Cœur à barbe (1922) - De nos oiseaux (1923) - Mouchoir de nuages (1924) - L’Arbre des voyageurs (1930) - L’Homme approximatif (1931) - Où boivent les loups (1932) - Ramures (1936) - Midis gagnés (1939) - Entre-temps (1946) - Le Surréalisme et l’Après-guerre (1947) - La Face intérieure (1953) - Le Fruit permis (1956) Bonne lecture à toutes et à tous. Méridienne d'un soir.
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Par : le 06/09/20
Difficile de retrouver la trace de Samuel Rosenstock, né le 16 avril 1896 à Moinesti dans la province de Bacau en Roumanie. Entretenant un certain mystère sur ses années de jeunesse, le futur Tristan Tzara a voulu se construire une autre vie très loin de ces premiers contreforts des Carpates. "À quel moment commence ma jeunesse, s'interroge-t-il bien plus tard, je ne le sus jamais. Quoique j'eusse des données exactes sur le sentiment que ce changement d'âges mineurs déterminera en moi et que je fusse si accessible à son style coulant et délicieux. Des lueurs myopes seulement, par instants, se creusent dans le passé déjà lointain, avec des mélodies rudimentaires de vers et de reptiles insignifiants embrouillés, elles continuent à nager dans le sommeil des veines." La mémoire est défaillante et le passé très embrumé. Tzara a déjà fait le tri pour nous. Il reste pourtant quelques photos jaunies retrouvées dans la bibliothèque familiale. ?Le jeune Samuel y est toujours très sérieux et bien habillé, comme un gamin de cette bourgeoisie fin de siècle qui raffole des portraits sépia. Ses parents Philippe et Emilie font partie de ces quelques privilégiés qui ont réussi dans l'exploitation pétrolière et le commerce du bois. ?Ils ont su habilement profiter de la timide modernisation d'un pays encore très archaïque. Faute de capitaux, l'industrialisation ne fait guère de progrès. L'aventure pétrolière a commencé en 1870 avec des moyens dérisoires. Très vite, ce sont les Allemands qui ont pris les choses en main. Ils ont l'argent, le savoir-faire et ne dédaignent pas utiliser la main-d'œuvre locale. Son père est devenu au fil des années cadre, puis directeur d'une société pétrolière. Mais la fièvre de l'or noir ne doit pas faire illusion. Le reste du pays n'a pas suivi le mouvement. Les classes dirigeantes ultraconservatrices maintiennent la population hors du jeu politique. Le roi Carol a bien du mal à cacher le désastre d'une économie arriérée. Il tente d'imposer son pays dans le concert des nations, au milieu d'une Europe orientale en proie au vertige nationaliste. C'est d'ailleurs grâce à la guerre russo-turque de 1876 que la Roumanie a définitivement acquis son indépendance. Encouragés par les autorités les mouvements nationalistes se développent. Les Rosenstock font partie de cette communauté juive forte de huit cent mille personnes qui devient une cible toute trouvée. Ils sont fréquemment montrés du doigt comme les pires représentants du capitalisme sauvage. Ils se font donc discrets. D'ailleurs les origines juives du jeune Samuel n'ont pas directement influencé sa formation. Cette filiation n'en a pas moins pesé sur son attitude face à l'antisémitisme et au nationalisme roumains. Samuel sait, par exemple, que son grand-père qui gère une exploitation forestière ne pourra jamais devenir propriétaire. Les juifs n'ont aucun droit sur les terres roumaines. Pendant les vacances scolaires, il aime retrouver la maison familiale perdue au fond des bois. Il regarde ce grand-père entouré de son armée de bûcherons. La vie n'est pas toujours facile pour ces hommes, mais Samuel, lui, ne manque de rien. Il évolue dans un monde de sentiers, de ruisseaux et de soleil, une enfance champêtre et bucolique. Les vacances finies, il retourne à Moinesti, un autre monde. Sur la place ou aux terrasses des guinguettes on rêve de modernisme. Dans ce petit bourg de province bien tranquille, le pétrole a entraîné une petite révolution. Dans le pavillon familial un peu austère, où la vie semble un rituel immuable, Samuel découvre les premiers tourments de l'enfance, l'ennui des journées trop longues, les bonheurs de la tendresse d'une mère qu'il adore mais surtout la peur d'un père qu'il juge trop distant et trop intransigeant. Après l'école primaire de Moinesti, il a droit aux rigueurs de la capitale Bucarest. ?Un univers qu'il voit de loin. Comme toutes les familles bourgeoises, ses parents l'ont placé en internat à l'institut privé Schemitz-Tierin, une grande caserne où la seule ouverture sur le monde est sans doute ce cours sur la culture française. Quand il rentre au lycée Saint-Sava, Samuel est déjà un bon élève. C'est là, au milieu de ces couloirs interminables et dans ces salles de classe tristes à mourir qu'il se passionne pour la littérature. Il commence à éprouver ses talents d’entraîneur en créant une revue de poésie avec l’appui financier de son ami Marcel Janco, et l’aval des représentants de la nouvelle poésie roumaine. Les premiers textes qui y sont publiés sont dans la veine romantique et seront très vite reniés par leur auteur. Mais il est encore loin d'avoir choisi sa voie. Quand il s'inscrit au certificat de fin d'études au lycée Milhaiu-Viteazul, on le retrouve en section scientifique. Dans son dossier scolaire, ses enseignants notent son ouverture d'esprit et sa curiosité infatigable. Quand il a une autorisation de sortie, Samuel en profite pour découvrir tous les plaisirs de la capitale. ??Sur ses années de formation, le futur Tzara se fera le plus discret possible. Lorsque Samuel va commencer à écrire, la littérature roumaine est sous l'emprise du symbolisme, mouvement importé de France par l'écrivain Alexandre Macedonski. Dès 1892, ce dernier a violemment attaqué la tradition romantique et a présenté, dans la revue Literatorul, les principaux écrivains français et belges du moment, de Baudelaire à Joseph Péladan, de Mallarmé à Maeterlinck. Emporté par la fièvre symboliste, il a créé son propre cénacle fin de siècle pour cultiver un certain dandysme avec quelques disciples triés sur le volet. Avec ses copains de lycée, Samuel se rêve en ange noir du symbolisme triomphant. Cultivant son "snobisme de la mélancolie", il se réfugie dans cet univers de légendes, de donjons moyenâgeux ou de palais orientaux. Tout de noir vêtu, il marque sa différence en organisant son petit groupe à l'intérieur même du lycée. Mais Samuel, comme le futur Tzara, a l'esprit pratique. Pas question de s'en tenir à des réunions de chambrée qui ne débouchent sur rien. Il faut créer une revue. Avec son ami Marcel Janco, qui a la chance d'avoir des parents plutôt aisés, il imagine "Simbolul". Pour cela, il prend contact avec tous les représentants de la nouvelle poésie roumaine. Même Macedonski donne son accord, et dès 1912 le numéro 1 de la revue paraît. Dès 1913, Samuel prend un virage radical sous le pseudonyme de Tristan Tzara et commence à écrire des textes plus personnels qui préfigurent ceux qui seront publiés plus tard par les dadaïstes. Le prénom Tristan, non usité en roumain, a du prestige auprès des symbolistes, à cause de l'opéra de Wagner. Le nom de Tzara correspond au mot roumain terre (ou pays) mais écrit en orthographe occidentalisée. ?En fait, le jeune Tzara, dès 1913, semble s'affirmer en écrivant des textes audacieux, voire plus insolents. C'en est fini de la sagesse et de l'imitation. En 1914, son certificat de fin d’études en poche, il s’inscrit à l’université de Bucarest, commence à trouver ennuyeuse cette vie provinciale sans fantaisie, et se décide à couper les ponts avec sa famille pour rejoindre son ami Janco qui a déjà tenté sa chance à Zurich. C'est alors un jeune homme, sérieux et appliqué se passionnant pour Rimbaud portant costume croisé, cravate, manchette et lorgnon. À cette époque de début de conflit mondial, Zurich est devenu le refuge de jeunes proscrits, aventuriers de tous acabits, objecteurs de conscience et bolcheviques russes. Parmi eux, Hugo Ball, allemand déserteur, et agitateur professionnel. Il fonde un cabaret littéraire, qui se fera connaître sous le nom de cabaret Voltaire. Très vite, le succès est là, avec des soirées débridées, où se succèdent chansons, poésies, danses endiablées. Et comme le note Hugo Ball: "Une ivresse indéfinissable s’est emparée de tout le monde. Le petit cabaret risque d’éclater de devenir le terrain de jeu d’émotions folles. Nous sommes tellement pris de vitesse par les attentes du public que toutes nos forces créatives et intellectuelles sont mobilisées." L'aventure Dada a commencé par une fête, avec une formidable envie de danser, de hurler, et de ne plus dormir . Les jeunes gens finissent épuisés, mais grisés sur la scène du Cabaret. Et comme un tel tapage ne peut jamais s’arrêter, ils terminent souvent en petit comité dans la chambre de l’un d’entre eux. Et au milieu de ce joyeux charivari se dessine un mouvement littéraire radical qui va au fil du temps essaimer un peu partout, en Europe et même aux États-Unis et dont Tzara sera le promoteur. En 1916, sous l’impulsion de Tzara, une revue intitulée Dada 1 sort des presses. On y trouve des articles littéraires et poétiques. Cependant, dès son troisième numéro, Tzara y donne libre cours à ses convictions anarchistes en publiant son manifeste Dada 1918, qui prône le nettoyage par le vide, la destruction complète des valeurs officielles politiques et artistiques et leurs remplacement par un art nouveau, ouvert à la véritable utopie. Avec ce manifeste, qui a un énorme retentissement, Tazra a réussi ce qu’il souhaitait: devenir le maître d’œuvre du mouvement Dada. Zurich est une fête permanente et la police helvétique surveille attentivement ce peuple de déserteurs et de comploteurs. Comme beaucoup d'autres, Tzara est ainsi arrêté en septembre 1919, à la terrasse du café Splendid. Emmené au commissariat, il doit s'expliquer sur les raisons exactes de son séjour et sur ses fréquentations. Le jeune auteur est un nihiliste sans calcul qui a largué les amarres vers des rivages dont il ne sait rien encore. L'ensemble paraît bien sage et s'inspire fortement de l'esthétique cubiste ou expressionniste. En 1920, la paix revenue, Tzara débarque à Paris, trouve refuge chez Picabia et commence à montrer toute l’étendue de son savoir-faire en matière d’organisation. Ses liens avec le surréalisme et Breton vont n’être, le temps passant, qu’une suite de scènes d’amour et de ruptures, entre ces deux personnalités antagonistes, l’une autoritaire et dictatoriale, et la seconde, jalouse de son individualisme et se voulant toujours au premier rang. Et finalement, c’est Tzara, le temporisateur, qui va prendre la tête du surréalisme après la fin du mouvement Dada et il continuera d’être un rouage essentiel du parisianisme de l’époque. C'est un tout jeune homme de petite taille, très myope, arborant monocle fréquentant le "Bœuf sur le Toit" et Montparnasse en compagnie d’allemandes androgynes et d’étrangères excentriques comme Nancy Cunard. La poésie restera toute sa vie sa passion première, dans les années 1930, il continuera de prôner en matière de poésie pratiquement les mêmes règles qu’au temps du Cabaret Voltaire: "La poésie ne pourra devenir uniquement une activité de l’esprit qu’en se dégageant du langage et de sa forme." Il a d’autres passions, comme la mythologie et surtout les arts primitifs africains, océaniens et amérindiens. Collectionneur, il se constitue un riche ensemble de statuettes et de masques. Pendant la seconde guerre mondiale, il est poursuivi par le régime de Vichy et la Gestapo, et doit être maintenu dans la clandestinité pendant deux années, où il collabore avec la résistance. En 1947, il obtient la nationalité française. En 1960, il signe la déclaration sur le droit à l'insoumission lors de la guerre d'Algérie. Et il restera fidèle jusqu’à la fin de son existence à ses convictions politiques, toutes proches du parti communiste, malgré les soubresauts doctrinaux imposés, un temps par les soviétiques à l’encontre du surréalisme. Tristan Tzara épousa l'artiste et poète suédoise Greta Knutson. Il s’éteignit le 24 décembre 1963 dans son appartement parisien, rue de Lille et repose au cimetière du Montparnasse. "De tes yeux aux miens le soleil s’effeuille sur le seuil du rêve sous chaque feuille il y a un pendu, de tes rêves aux miens la parole est brève, le long de tes plis printemps l’arbre pleure sa résine, et dans la paume de la feuille je lis les lignes de sa vie" Bibliographie et références: - René Lacôte, "Tristan Tzara" - Cristian Anatole, "Le dadaïsme et Tzara" - Marc Dachy, "Tzara, dompteur des acrobates" - Henri Béhar, "Dada est tatou" - François Buot, "Tristan Tzara" - Christian Nicaise, "Tristan Tzara" - Laurent Lebon, "Dada" - Núria López Lupiáñez, "La pensée de Tristan Tzara" - Petre R?ileanu, "Les avant-gardes en Roumanie" Bonne lecture à toutes et à tous. Méridienne d'un soir.
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Par : le 02/09/20
Comme dans un rêve, on entendait le feulement de Patricia monter peu à peu vers l'aigu et un parfum déjà familier s'exhala de sa chair sur laquelle les lèvres de Sarah étaient posées. La source qui filtrait de son ventre devenait fleuve au moment qui précède le plaisir et quand elle reprit la perle qui se cachait entre les nymphes roses qu'elle lui donnait. Elle se cambra de tous ses muscles. Sa main droite balaya inconsciemment la table de travail sur laquelle elle était allongée nue et plusieurs objets volèrent sur la moquette. Un instant, ses cuisses se resserrèrent autour de sa tête puis s'écartèrent de nouveau dans un mouvement d'abandon très doux. Elle était délicieusement impudique, ainsi couchée devant Sarah, les seins dressés vers le plafond, les jambes ouvertes et repliées dans une position d'offrande totale qui lui livrait les moindres replis de son intimité la plus secrète. Quand elle commençait à trembler de tout son être, elle viola d'un doigt précis l'entrée de ses reins et l'orgasme s'abattit sur elle avec une violence inouïe. Pendant tout le temps que le feu coula dans ses veines, Sarah but les sucs délicieux que son plaisir libérait et quand la source en fut tarie, elle se releva lentement. Patricia était inerte, les yeux clos, les bras en croix. Venant d'un autre monde, sa maîtresse entendit sa voix lui dire qu'elle était heureuse et qu'elle voulait que cela ne finisse jamais. Elle s'agenouilla entre ses jambes et Sarah voyait ses cheveux clairs onduler régulièrement au-dessous d'elle. Sa vulve était prisonnière du plus doux et du plus chaud des fourreaux qui lui prodiguait la plus divine des caresses. Un court instant, elle s'interrompit pour lui dire qu'elle n'aurait jamais cru que c'était aussi bon de se soumettre puis brusquement, adorablement savante, sa main vint se joindre à ses lèvres et à sa langue pour la combler. Mille flèches délicieuses s'enfoncèrent dans la chair de Sarah. Elle sentit qu'elle allait exploser dans sa bouche. Elle voulut l'arrêter mais bientôt ses dents se reserrèrent sur la crête rosée. Un plaisir violent et doux s'abattit sur les deux amantes et le silence envahit la pièce. Le plafond était haut, les moulures riches, toutes dorées à la feuille. Sarah invita Patricia à pénétrer dans la salle de bains où elle fit immédiatement couler l'eau dans une baignoire digne d'être présentée dans un musée, un bassin en marbre gris à veinures rouges, remontant à l'avant en volute, à la façon d'une barque. Un nuage de vapeur emplissait le monument. Elle se glissa dans l'eau, avant même que la baignoire ne fut pleine. La chaleur est une étreinte délicieuse. Une impression d'aisance l'emplit. Voluptueuse, Patricia s'abandonna à ce bien-être nouveau sans bouger. Le fond de la baignoire était modelé de façon à offrir un confort maximum, les bords comportaient des accoudoirs sculptés dans le marbre. Comment ne pas éprouver un plaisir sensuel ? L'eau montait sur ses flancs, recouvrait son ventre pour atteindre ses seins en une onde caressante. Sarah ferma les robinets, releva les manches de son tailleur et commença à lui masser les épaules avec vigueur, presque rudesse. Ses mains furent soudain moins douces sur son dos. Puis à nouveau, elle la massa avec force, bousculant son torse, ramollissant ses muscles. Ses doigts plongèrent jusqu'à la naissance de ses fesses, effleurant la pointe de ses seins. Patricia ferma les yeux pour jouir du plaisir qui montait en elle. Animé par ces mains fines et caressantes qui jouaient à émouvoir sa sensibilité. Une émotion la parcourut. L'eau était tiède à présent. Sarah ouvrit le robinet d'eau chaude et posa ensuite sa main droite sur les doigts humides de Patricia, l'obligeant à explorer les reliefs de son intimité en la poussant à des aventures plus audacieuses. Ses phalanges pénétèrent son ventre. Sarah perdit l'équilibre et bascula sur le bord de la baignoire. Son tailleur trempé devint une invitation à la découverte, et la soie blanche de son corsage fit un voile transparent révélant l'éclat de ses sous-vêtements. Elle dégrafa sa jupe et se débarassa de son corsage. Dessous, elle portait un charmant caraco et une culotte de soie, un porte-jarretelle assorti soutenant des bas fins qui, mouillés, lui faisaient une peau légèrement hâlée. Ses petits seins en forme de poire pointaient sous le caraco en soie. Elle le retira délicatement exposant ses formes divines. Bientôt, les mains de Patricia se posèrent langoureusement sur ses épaules et glissèrent aussitôt sous les bras pour rencontrer les courbes fermes de de la poitrine. Son ventre palpita contre les fesses de son amante. Elle aimait cette sensation. Peu à peu, ses doigts fins s'écartèrent du buste pour couler jusqu'à la ceinture élastique de la culotte. La caresse se prolongea sous le tissu. Sarah pencha la tête en arrière et s'abandonna au plaisir simple qui l'envahit. Alors, rien n'exista plus pour elle que ce bien-être animé par le voyage rituel de ces doigts dans le velours de sa féminité. L'attouchement fut audacieux. Combien de temps restèrent-elles ainsi, à se caresser et à frissonner, ne fut-ce pas un songe, l'ombre d'un fantasme ? Elles n'oseraient sans doute jamais l'évoquer. Mais Sarah se rhabilla et abandonna Patricia sans même la regarder. Bonne lecture à toutes et à tous. Méridienne d'un soir.
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Par : le 31/08/20
Je me demande quel lien l'unit à l'amour ? Sommes-nous dans les cris que nous poussons ou que nous suscitons dans l'alcôve ? Quelle part de nous-mêmes participe à ces coups de reins, à la furie des corps embrassés à bouche-que-veux ? De ces feux éteints, que me reste-t-il ? Rien n'est volatile comme le souvenir de la volupté. Mais quelle denrée périssable que le plaisir. Le passé n'est pas le temps du désir. Celui-ci s'enflamme et s'enfuit ailleurs aussi vite qu'il était venu, comme une amante oublieuse et volage. Au présent, c'est le sexe qui nous tient, nous insuffle ses ardeurs; au passé, il faut faire un effort de mémoire pour rallumer nos anciennes fièvres. Car ce sont rarement les moments parfaits où tout concourait à l'harmonie de l'amour et des siens, les instants de la plénitude où la vie rendait justice. Ces heures-là, douces comme de paisibles siestes, basculent dans l'oubli comme tant de moments du bonheur passé. Nous ne conservons en souvenirs que les nuits d'excès et les scènes de perversité. La mauvaise humeur passa. Pas la blessure, qui demeura intacte. Cet échec ne fut pas inutile. Il me donna matière à réfléchir. Je ne cessais de penser à Charlotte, non plus dans l'espoir d'un retour d'affection. J'étais trop meurtrie pour remettre en route cette machine à souffrir, mais pour tenter d'élucider l'énigme de sa conduite. D'autant qu'elle ne fit rien pour se justifier. Je ne reçus pas de nouvelles d'elle, ni lettre ni message d'aucune sorte. Elle s'était évanouie dans le silence. Cela fut l'occasion d'un examen de conscience. Avais-je des torts envers elle ? J'avais beau me livrer à la plus sévère critique de mes faits et gestes depuis notre rencontre, je ne trouvais rien à me reprocher. Pourtant j'étais experte en autodénigrement; mais en la circonstance, quel que fût mon désir de me flageller et de me condamner, force était d'admettre que pour une fois, peut-être la seule dans une vie amoureuse déjà longue et parsemée de petites vilénies, mon comportement se signalait par son honnêteté. Mais un doute affreux me traversait. N'était-ce pas justement dans cette honnêteté un peu niaise que résidait mon erreur ? Pourquoi s'imaginer que les jeunes filles veulent être traitées comme des saintes ou des chaisières ? Peut-être ce respect n'était-il pas de mise avec elle ? Ne m'eût-elle pas mieux considérée si je l'avais bousculée au lieu d'accumuler ces stupides désuets préliminaires ? L'amoureuse et la tacticienne, qui dans le succès amoureux ne font qu'une, s'affrontaient dans l'échec. Elles se donnaient réciproquement tort. Seule Charlotte détenait la clé qui me manquait. Et encore, je n'en étais pas certaine. Savait-elle vraiment ce qui l'avait d'abord poussée à accepter cette invitation puis à s'y soustraire ? J'imaginais son débat intérieur. À quel instant précis avait-elle changé d'avis ? Quelle image s'était présentée à son esprit qui soudain avait déterminé sa funeste décision ? Pourquoi s'était-elle engagée aussi loin pour se rétracter aussi subitement ? Parfois, je l'imaginais, sa valise prête, ce fameux jour, soudain assaillie par le doute. Hésitante, songeant à ce séjour à Belle-Île-en mer, à la nuit passée à l'hôtel du Phare à Sauzon, au bonheur escompté, mais retenue par un scrupule, un scrupule qui s'alourdissait de seconde en seconde. Puis la résolution fulgurante qui la retenait de s'abandonner au plaisir. Et cet instant encore instable où la décision prise, elle balançait encore jusqu'à l'heure du départ qui l'avait enfermée dans ce choix. Le soir, avait-elle regretté sa défection, cette occasion manquée, cet amour tué dans ses prémices ? Ou bien était-elle allée danser pour se distraire ? Danser, fleureter, et finir la nuit avec une femme qu'elle ne connaissait pas, qu'elle n'aimait pas. Songeait-elle encore à moi ? Souffrait-elle comme moi de cette incertitude qui encore aujourd'hui m'habite ? Quel eût été l'avenir de cet amour consacré dans l'iode breton ? Eût-il duré ? M'aurait-elle infligé d'autres souffrances pires que celle-là ? Mille chemins étaient ouverts, tous aussi arides, mais que j'empruntais tour après tour. S'il est vrai que tout amour est plus imaginaire que réel, celui-ci se signalait par le contraste entre la minceur de ses épisodes concrets et l'abondance des songeries qu'il avaient suscitées en moi. Charnel, il devint instinctif mais intellectuel et purement mental. À la même époque, le hasard me mit entre les mains un livre de Meta Carpenter, qui fut le grand amour de Faulkner. Ce récit plein de pudeur, de crudité, de feu et de désespoir raviva ma blessure. Meta Carpenter travaillait comme assistante d'Howard Hawks à Hollywood lorsqu'elle vit débarquer Faulkner avec son visage d'oiseau de proie; à court d'argent, il venait se renflouer en proposant d'écrire des scénarii. Il venait du Sud, élégant comme un gandin, cérémonieux. Meta avait vingt-cinq ans. Originaire du Mississipi elle aussi, c'était une jolie blonde très à cheval sur les principes, qui vivait dans un foyer tenu par des religieuses. Tout de suite, l'écrivain l'invita à dîner. Elle refusa. Il battit en retraite d'une démarche titubante. Elle comprit qu'il était ivre. Faulkner revint très souvent. Chaque fois qu'il voyait Meta, il renouvelait sa proposition, chaque fois il essuyait un refus. Cela devint même un jeu entre eux qui dura plusieurs mois. Un jour, Meta accepta. À la suite de quelle alchimie mentale, de quel combat avec ses principes dont le principal était qu'une jeune fille ne sort pas avec un homme marié ? Elle-même l'ignorait. Elle céda à un mouvement irraisonné. À l'issue de ses rencontres, elle finit par accepter de l'accompagner à son hôtel. Là dans sa chambre, ils firent l'amour. Ainsi commença une longue liaison sensuelle, passionnée et douloureuse. Comprenant que Faulkner ne l'épouserait jamais, Meta se rapprocha d'un soupirant musicien, Rebner qui la demanda en mariage. Elle finit par accepter. L'écrivain tenta de la dissuader sans vouloir pour autant quitter sa femme. Il écrivit "Tandis que j'agonise" sous le coup du chagrin de la rupture. Mais au bout de deux ans, le mariage de Meta commença à chavirer. Elle ne pouvait oublier l'homme de lettres. Ils se revirent, vécurent ensemble à Hollywood, puis Meta revint avec Rebner qu'elle quitta à nouveau pour retrouver Faulkner. C'était à l'époque où il recevait le prix Nobel. Leur amour devenait une fatalité. En Californie, sur le tournage d'un film, un télégramme mit fin pour toujours à ses espoirs. Faulkner était mort. Cette pathétique histoire d'un amour en marge ne me consola pas. Bill et Meta, eux au moins, avaient vécu. Ils s'étaient aimés, s'étaient fait souffrir. Mais que subsisterait-il de cette passion pour Charlotte restée dans les limbes ? Un vague à l'âme dédié à ce qui aurait pu être, une buée amoureuse qui s'efface. Dans toutes les déceptions qu'apporte l'amour, il reste au moins, même après l'expérience la plus cruelle, le sentiment d'avoir vécu. Alors que cet amour sans consistance me laissa un sentiment plus violent que la frustration. J'étais furieuse. Au lieu de cette irritation due à une passion esquissée, j'eusse préféré lui devoir un lourd chagrin. Bonne lecture à toutes et à tous. Méridienne d'un soir.
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Par : le 26/08/20
C'était une île sous l'archipel des étoiles. Le matelas posé à même le sol sur la terrasse chaulée semblait dériver dans la nuit obscure de Pátmos. La douce brise de mer tiède comme une haleine étreignait un figuier dans un bruit de papier froissé, diffusant une odeur sucrée. Le ronflement du propriétaire s'accordait aux stridulations des grillons. Dans le lointain, par vagues, parvenait le crincrin d'un bouzouki. Le corps hâlé de Charlotte semblait aussi un îlot; majestueux, longiligne et hiératique comme un kouros de Náxos, il paraissait tombé d'une autre planète sur ce matelas mité. Aucun luxe ne pouvait rivaliser avec la splendeur qu'offrait ce dénuement. Quel lit de duvet, quelle suite royale des palaces de la place Syndagma, de l'hôtel d'Angleterre ou du King George, pouvait dispenser de la magnificence d'un plafond aussi somptueux que cette voûte étoilée ? Que de péripéties, d'efforts, de fatigues, devenus subitement lointains, nous avaient jetées dans cet asile sans murs, sans fenêtres et sans toit. C'était le charme de ces voyages d'île en île où les bateaux se délestent de leurs lots de passagers abandonnés sur le port; à eux de se dénicher un gîte au hasard de la chance. Plus de chambre à l'hôtel, ni chez l'habitant, alors on trouve refuge n'importe où, sur le parvis d'une église, sur les marches d'un escalier. Cette fois, faute de mieux, on m'avait proposé ce toit en terrasse où le propriétaire devait venir chercher un peu de fraîcheur par les nuits de canicule. Ni la couverture râpeuse qui sent le bouc, ni le matelas en crin, ni les oreillers confectionnés avec des sacs de voyage enveloppés dans des foulards ne font obstacle à la féerie de la nuit grecque. Charlotte acceptait sans rechigner ces vicissitudes du voyage. À la palpitation des étoiles éclairant le temps immobile des sphères répondait le frémissement des corps. J'étreignais Charlotte, j'embrassai son ventre avec le sentiment de saisir cet instant, de le fixer, de l'immortaliser. Ce que je détenais entre mes bras, ce n'était plus seulement elle, son monde de refus obstiné, son orgueil aristocratique, mais la nuit intense et lumineuse, cette paix de l'éternité des planètes. Le plaisir me rejeta dans un bonheur profond. Je ne m'éveillai que sous la lumière stridente du jour qui, dès l'aube, lançait ses feux. Une violence aussi brutale que doit l'être la naissance qui nous projette sans ménagement dans la vie. Je maudissais ce soleil assassin, tentant vainement d'enfouir mes yeux sous la couverture à l'odeur de bouc. Le paysage des maisons cubiques d'un blanc étincelant qui s'étageaient au-dessus de la mer me fit oublier la mauvaise humeur d'une nuit écourtée. Des autocars vétustes et brinquebalants transbahutaient les touristes dans des nuages de poussière. Une eau claire, translucide, réparait les dégâts de la nuit. Nous étions jeunes et amoureuses. Au retour de la plage, j'échangeai notre toit contre une soupente aux portes et aux solives peintes dans un vert cru. Nous dînerions dans une taverne enfumée, parfumée par l'odeur des souvlakis, d'une salade de tomates, de feta, de brochettes, en buvant du demestica, un vin blanc un peu râpeux. Et demain ? Demain, un autre bateau nous emporterait ailleurs. Notre sac sur l'épaule, nous subirions le supplice de ces périples sur des navires à bout de souffle. Tantôt étouffant de chaleur dans des cabines sans aération, tantôt allongées contre des bouées de sauvetage dans les courants d'air des coursives humides d'embruns. Où irions-nous ? À Lesbos, à Skiatos, à Skyros, dans l'île des chevaux sauvages, d'Achille et de Rupert Brooke ? Je me souviens à Skyros d'une chambre haute et sonore des bruits de la ruelle maculée de ce crottin des petits chevaux qu'on laissait sur le sol blanchi comme s'ils provenaient des entrailles sacrées de Pégase. Des ânes faisaient racler leurs sabots d'un air humble et triste, écrasés sous le faix, chargés non pas de la légende mais des contingences du monde. La chambre meublée de chaises noires caractéristiques de l'île était couverte de plats en faïence. La propriétaire, méfiante, s'en revenait de traire ses chèvres et d'ausculter ses fromages, parfumée de leurs fragrances sauvages, regardait nos allées et venues avec un œil aiguisé de suspicion comme si l'une et l'autre, nous allions lui dérober ses trésors. Que de soleils roulèrent ainsi. Chaque jour l'astre éclairait une île nouvelle, semblable à la précédente. Les jours de la Grèce semblaient s'égrener comme les perles des chapelets que les popes barbus triturent de manière compulsive. Charlotte aimait ses paysages pelés, arides. La poussière des chemin ne lui faisait pas peur. Elle ne manifestait aucun regret devant la perte de son confort. Cette forme de macération qui la coupait de ses habitudes et de ses privilèges, lui montrait le saphisme comme un nouveau continent. Un continent intense tout en lumières et en ombres, éclairé par la volupté et nullement assombri par la culpabilité. L'amour n'avait pas de frontières. Nous protégions ainsi notre amour hors des sentiers battus, dans des lieux magiques qui nous apportaient leur dépaysement et leurs sortilèges. En marge de la société, condamné à l'errance, ce fruit défendu loin de nous chasser du paradis semblait le susciter chaque fois sous nos pas. Mais la passion saphique qui fuit la routine où s'enlise et se renforce l'amour pot-au-feu n'a qu'un ennemi, le temps. Ce temps, il est comme la vie, on a l'impression quand on la possède qu'on la gardera toujours. Ce n'est qu'au bord de la perdre qu'on s'aperçoit combien elle était précieuse. Mais il est trop tard. Nous étions deux jeunes femmes, innocentes et amoureuses. Bonne lecture à toutes et à tous. Méridienne d'un soir.
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Par : le 21/08/20
Il avait fait moins chaud que de coutume. Béatrice, qui avait nagé une partie de la matinée, dormait sur le divan d'une chambre fraîche au rez-de-chaussée. Sarah, piquée de voir qu'elle préférait dormir, avait rejoint Patricia dans son alcôve. La mer et le soleil l'avaient déjà dorée davantage. Ses cheveux et ses sourcils semblaient poudrés d'argent, et comme elle n'était pas du tout maquillée, sa bouche était du même rose que la chair rose au creux de son ventre. Les volets étaient tirés, la pièce presque obscure, malgré des rais de clarté à travers les bois mal jointés. Patricia gémit plus d'une heure sous les bontés de Sarah. À la moindre caresse, sa peau frémit. Elle ferma les yeux. Sarah contemplait impunément le pur ovale du visage de Patricia. Des épaules fines et le cou gracieux. Sur la peau mate des joues et du front, sur les paupières bistrées passaient, comme des risées sur la mer, de brefs frissons qui gagnaient le ventre, les bras et les doigts entremêlés. Une émotion inconnue s'empara d'elle. Serrer une femme dans ses bras, c'est se priver de la voir, se condamner à n'en connaître que des fragments qu'ensuite la mémoire rassemble à la manière d'un puzzle pour reconstituer un être entièrement fabriqué de souvenirs épars. Les seins, la bouche, la chute des reins, la tiédeur des aisselles, la paume dans laquelle on a imprimé ses lèvres. Or, parce qu'elle se présentait allongée, pétrifiée comme une gisante dans son linceul de drap blanc, Sarah découvrait Patricia comme elle ne croyait jamais l'avoir vue. Des cheveux courts d'une blondeur de blé, les jambes brunies par le soleil. Elle ne reconnaissait pas la fragile silhouette vacillante sous le fouet. Bouleversée, elle regarda un moment le corps mince où d'épaisses balafres faisaient comme des cordes en travers du dos, des épaules, du ventre et des seins, parfois en s'entrecroisant. Patricia, étendue sans défense, était infiniment désirable. Comme le suaire que les sculpteurs jettent sur une statue d'argile ocreuse encore fraîche, le drap mollement tendu épousait les formes secrètes de la jeune femme; le ventre lisse et bombé, le creux des cuisses, les seins aux larges aréoles et aux pointes au repos. L'onde tiède surprit son ventre. La blondeur accepta l'étreinte. Le ballet érotique devint un chef-d'œuvre de sensualité, un miracle de volupté. Sarah fut la corde sous l'archet, le clavier sous les doigts du du pianiste, le fouet sur la chair, l'astre solaire dans les mains d'une déesse. Ne plus s'appartenir est déjà l'extase. Les traces encore fraîches témoignaient de l'ardeur de leur duel passionnel, des courbes s'inclinant sous la force du fouet comme les arbres sous la bourrasque. La muraille d'air, de chair et de silence qui les abritait où Patricia était soumise, le plaisir que Sarah prenait à la voir haleter sous ses caresses de cuir, les yeux fermés, les pointes des seins dressées, le ventre fouillé. Ce désir était aigu car il lui rendait constamment présent sans trêve. Les êtres sont doubles. Le tempérament de feu qui façonnait Patricia la conduisait à l'abnégation, de supplices en délices. Elle avait gardé les yeux fermés. Elle croyait qu'elle s'était endormie tandis qu'elle contemplait son corps inerte, ses poignets croisés juste à la cambrure de ses reins, avec le nœud épais de la ceinture du peignoir tout autour. Tout à l'heure, à son arrivée, elle n'avait pas dit un mot. Elle l'avait précédé jusqu'à la chambre. Sur le lit, il y avait la ceinture d'éponge de son peignoir. À son regard surpris, elle n'avait répondu qu'en se croisant les mains dans le dos. Elle lui avait entravé les poignets sans trop serrer mais elle lui avait dit plus fort et Sarah avait noué des liens plus étroits. Elle voulait la rendre rapidement à merci pour leur plaisir. D'elle-même alors elle s'était laissée tombée sur le lit. Ça l'avait beaucoup excitée de la sentir aussi vulnérable en dessous d'elle. Elle s'était dévêtue rapidement. Elle lui avait relevé son shorty d'un geste sec. Elle l'avait écarté pour dégager les reins et l'avait fouettée sans échauffement. Elle reçut sans se débattre des coups de cravache qui cinglèrent ses fesses de longues estafilades violettes. À chaque coup, Patricia remercia Sarah. Elle devint son sang. La vague accéléra son mouvement. L'ivresse les emporta et les corps ne surent plus dire non. Ils vibrèrent, se plaignirent, s'immobilisèrent bientôt. Sarah la coucha sur le dos, écarta ses jambes juste au-dessus de son visage et exigea d'elle avec humeur qu'elle la lèche aussitôt comme une chienne. Elle lapa son intimité avec une docilité absolue. Elle était douce et ce contact nacré la chavira. Les cuisses musclées de Sarah s'écartèrent sous la pression de la langue et des dents. Elle s'ouvrit bientôt davantage et se libéra violemment dans sa bouche. Surprise par ce torrent fougueux, Patricia connut un nouvel orgasme qui la tétanisa, lorsqu'elle prit conscience qu'elle jouissait sans l'autorisation de sa Maîtresse, avec la nonchalance que procure le plaisir poussé à son paroxysme. Elle l'en punirait certainement sauvagement pour son plus grand bonheur. Après une toilette minutieuse, comme pour retrouver son état de femme libre, Sarah qui regrettait de ne pouvoir la fouetter davantage, l'embrassa tendrement. Il était temps de sceller le lien qui les unissait. Le jour tant attendu arriva. Elle la fit allonger sur un fauteuil recouvert d'un tissu damassé rouge. La couleur donnait une évidente solennité au rituel qui allait être célébré. Elle ne put éviter de penser au sang qui coulerait sans doute bientôt des lèvres de son sexe. Et puis tout alla très vite. On lui écarta les cuisses, poignets et chevilles fermement liés au fauteuil gynécologique. Elle résista mais on transperça le coté gauche de sa lèvre. Sarah lui caressa le visage tendrement, et dans un geste délicat, elle passa l'anneau d'or dans la nymphe percée. Il lui fallut écarter la chair blessée afin d'élargir le minuscule trou. L'anneau coulissa facilement et la douleur s'estompa. Mais presque aussitôt, elle ressentit une nouvelle brûlure. L'aiguille déchira la seconde lèvre pour recevoir l'autre anneau. Tout se passa bien. Patricia se sentit libérée malgré son marquage. Elle ferma les yeux pour vivre plus intensément ce moment de complicité. Ses yeux s'embuèrent de larmes. Sarah lui prit la main dans la sienne et l'embrassa. Ces anneaux qui meurtrissaient sa chair intime trahiraient désormais son appartenance à sa Maîtresse. La condition d'esclave ne l'autorisait pas à extérioriser sa jalousie ou son agressivité envers une jeune femme dont pouvait se servir trop souvent Sarah. Car les jeunes filles qu'elle convoitait n'étaient là que pour assouvir ses fantasmes; elle les utilisait comme telles. Elles ne pouvaient imaginer qu'elles servaient de test à satisfaire sa passion avant tout. Le prétexte de sa soumission semblait lui donner tous les droits, même celui de la faire souffrir dans son orgueil de femme amoureuse. Sarah a le droit de prêter Patricia. Elle puise son plaisir dans celui qu'elle prend d'elle et qu'elle lui vole. Elle lui donna alors son amour. Pour elle, il n'y avait pas de plus grande passion que dans l'abnégation. Patricia était particulièrement en beauté, ce soir-là. Elle portait des bas noirs à couture et une veste en soie de la même couleur dont l'amplitude laissait entrevoir son intimité. Un collier de chien ciselé de métal argent et serti d'un petit anneau destiné au mousqueton de la laisse conférait à sa tenue le plus bel effet. Sarah lui fit prendre des poses provocantes. Elle en rajouta jusqu'à devenir franchement obscène. Le harnais de cuir et le bustier emprisonnaient son sexe et ses seins. On lui banda les yeux avant de la lier à une table, jambes et bras écartés. Sa Maîtresse expliqua calmement aux invitées qu'elle était à leur disposition. Elle avait décidé de l'offrir à des femmes. Bientôt des inconnues s'approchèrent d'elle. Elle sentit des dizaines de doigts la palper, s'insinuer en elle, la fouiller, la dilater. Cela lui parut grisant. Elle éprouva un plaisir enivrant à être ainsi exhibée devant des inconnues. Elle devint une prostituée docile. Sarah interrompit brutalement la séance qui lui parut trop douce et génératrice d'un plaisir auquel elle n'avait pas droit. Elle fut détachée pour être placée sur un chevalet. Elle attendit dans la position infamante de la putain offerte avant que des mains inconnues ne commencent à la pénétrer. Elle fut alors malmenée, fouettée et saccagée telle une chose muette et ouverte. Ce que sa Maîtresse lui demandait, elle le voulait aussitôt, uniquement parce qu'elle lui demandait. Alors, elle s'abandonna totalement. Ayant deviné les pulsions contradictoires qui l'ébranlaient, Sarah mit fin à la scène, l'entraîna hors de la pièce et la calma par des caresses. Lorsqu'elle eut retrouvé la maîtrise de ses nerfs, ce fut Patricia qui lui demanda de la ramener dans le salon où les invitées attendaient son retour. Elle fit son apparition, les yeux de nouveau bandés, nue, droite et fière, guidée par Sarah qui la dirigea vers le cercle des inconnues. Ce fut elle seule qui décida de s'agenouiller pour leur offrir du plaisir, sans réserve. Jamais, elle ne fut autant heureuse que cette nuit-là. Bonne lecture à toutes et à tous. Méridienne d'un soir.
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Par : le 19/08/20
Des romanciers français du XIX ème siècle, Huysmans est de nos jours, celui qui a le moins de lecteurs, contrairement à Zola, Stendhal et Flaubert, que chaque génération redécouvre. Pourtant, l'un de ses romans, "À rebours", paru en 1884, est un livre culte. On le considère comme le premier des anti-romans du vingtième siècle. Son personnage de Des Esseintes passe pour être l'aîné du Bardamu de Céline (1932) et du Roquentin de Sartre (1938). Connaissant ses premiers succès dès le milieu des années 1870, l'auteur s’établit rapidement parmi un groupe d’auteurs commençant à faire parler d’eux. Il s’agit de l’école qu’on appelait "naturaliste", dont Zola était le chef de file. Dans son premier roman, "Marthe, l’histoire d’une fille" (1876), il fait d’une prostituée le personnage principal, ouvrant en cela la voie à toute une génération d’écrivains. Au cours des années qui suivent, Huysmans a produit des ouvrages dont certains sont considérés comme les plus représentatifs de l’esthétique naturaliste. "Les Soeurs Vatard" (1879), une représentation sévère de deux femmes travaillant dans un atelier de brochage. "En Ménage" (1881), un plaidoyer amèrement ironique contre l’établissement bourgeois du mariage. "À vau-l'eau" (1882), la description aigrement comique d’un gouvernement fonctionnaire pour qui rien n’arrive jamais, excepté le plus mauvais. Se sentant à l’étroit dans l'école naturaliste, qu’il trouvait parfois réductrice, Huysmans a progressivement repoussé les frontières littéraires qui constituaient le sujet d’un travail de la fiction. "À rebours" (1884), comme "Bouvard et Pécuchet", roman inachevé de Flaubert (1881), est un livre sans intrigue, une encyclopédie de sensations qui a reflété l’esthétique contemporaine de la notion de décadence. Dans "En Rade" (1887), l’originalité de l’auteur et sa mise à distance d’avec l’école naturaliste apparaissent, l'ouvrage étant divisé de façon inégale entre des sections de réalisme pur peignant la brutalité sinistre de la vie rurale, et des passages oniriques et fantasmagoriques laissant libre cours à l’érotisme et au merveilleux. Dans un court roman, "Sac au dos" (1880), Huysmans décrit son enrôlement dans la brigade mobile de la Seine au moment de la guerre franco-prussienne de 1870. Là aussi, c’est hallucinant de vérité et de brutalité. Comme le fera Céline dans la guerre 14-18 avec son "Casse-pipe", l'écrivain décrit la désorganisation de l’armée française, l’absence de discipline, l’injustice des gradés, les tentes pleines de fumier et de poux. La charge est forte et sans nuance, la plume acérée, tranchante, crue et drue. Avec "Là-bas" (1891), un roman qui reflétait l’esthétique de la renaissance du spiritualisme et l’intérêt contemporain pour l’occulte, Huysmans fut le premier à mettre en forme une théorie esthétique recherchant la synthèse de l’empirisme et du spirituel: le "naturalisme spirituel". Cette nouvelle approche l’amena à réaliser sans fard, à travers les ouvrages suivants, son "autobiographie spirituelle". "En Route" (1895) fut le premier travail en apparence pro-catholique. Dans "La Cathédrale" (1898), l'écrivain proclame haut et fort ses convictions, se plongeant dans l’esthétique du symbolisme catholique. Dans ses dernières oeuvres, et notamment dans "Sainte Lydwine de Schiedam" (1901) et "Les Foules de Lourdes" (1906), Huysmans a laissé de côté la forme fictionnelle pour se lancer dans une exploration des stades mystiques de conscience. Dans la première "Sainte Lydwine", il réalise une hagiographie des temps modernes, retraçant la vie de la mystique du quatorzième siècle. Dans la deuxième version, Huysmans explore le champ des visions mystiques de Sainte Bernadette Soubirous. Cette foi, il va la trouver. C’est l’abbé Mugnier, célèbre confesseur du Paris des lettres, qui va, à sa demande, lui "laver l'âme au chlore". Ses romans postérieurs seront d’une autre eau, une eau bénite, moins signifiante. Après avoir lu "À rebours", Barbey d’Aurevilly écrivit: "Après un tel livre, il ne reste plus à l’auteur qu’à choisir entre la bouche d’un pistolet ou les pieds de la croix". De la crasse du ventre de Paris à la croix, du désespoir à la foi, Huysmans a choisi sa voie. "La vie de l'homme oscille comme un pendule entre la douleur et l'ennui", dit des Esseintes dans "À rebours", livre sur une quête d'idéal qui échoue et dont Oscar Wilde s'inspirera, quelques années plus tard pour écrire "Le Portrait de Dorian Gray". Dégoûté de la réalité, des Esseintes, antihéros "houellebecquien" avant l'heure, cherche désespérément, en recourant sans cesse à l'artifice, des sensations rares et des plaisirs toujours nouveaux, jusqu'à l'hallucination, presque jusqu'à la folie. "À rebours", roman énigmatique de l'auteur, n’a rien perdu de son mystère. Tantôt admiré, tantôt désavoué par les critiques, les universitaires ou les écrivains depuis sa parution en 1884, le roman pose de nombreux problèmes d’interprétation. Ces difficultés n’ont toutefois pas empêché ce texte de figurer en première place parmi les exemples historiques d’écrit classé "décadent", toujours au moins évoqué par les spécialistes lorsqu’il est question de littérature décadente. C’est Émile Zola qui formule, peu de temps après la parution du roman, ce qui est devenu depuis la principale critique. Le maître de Médan relève ce qu’il appelle la "confusion" de "À rebours". Ce mot a résonné d’un commentaire à l’autre parmi ceux qui se sont prononcés sur le caractère défectueux du roman, un écho qui a perduré jusqu’à ces dernières années, reprochant l'absence totale d'intrigue. Le plus étonnant, au vu du consensus autour de la "confusion" censée régner dans "À rebours", même si ce consensus n’est pas entièrement monolithique, c’est le nombre et la qualité des admirateurs de Huysmans. Figurent parmi ceux-là: Oscar Wilde, Paul Valéry, Stéphane Mallarmé, sans compter William Yeats et George Moore. L'engouement de Valéry est sans doute la plus étonnante. On pourrait multiplier les témoignages d’admiration. Il semble toutefois plus utile de se demander si Valéry, ou encore Mallarmé, Wilde, Yeats, ou Moore, n’ont pas perçu quelque chose que d’autres lecteurs moins enthousiastes n’auraient pas su saisir. Pour la plupart des critiques, le problème est l’absence d’intrigue du roman. Si fascinant que soit un personnage qui refuse les conventions sociales tout au long de ce qui apparaît comme un kaléidoscope de chapitres, le lecteur n’en trouve pas moins déconcertante l’impossibilité de dégager la moindre ligne narrative de l’enchevêtrement luxuriant des descriptions. L’histoire se déploie à l’aide de symboles employés par l’auteur et délibérément concentrés en pulsations textuelles conduisant à chaque fois l’expérience de des Esseintes de l’exaltation à l’épuisement, suivi d’un bref moment de retrait du personnage, qui n’entame en rien le mouvement général, la progression qui l’amène inexorablement à l’effondrement, presque jusqu’à son dernier souffle. S’il y a peu d’action au sens où on l’entend généralement pour une narration, il y a toutefois une progression indéniable sur un plan analogique. Autant l’écrivain a approfondi le naturalisme, autant il s’en détourne en créant le personnage de Des Esseintes, un duc, dernier descendant d’une famille illustre, de sang appauvri et de nerf ultrasensible, un esthète qui, après une vie d’amour perverse, s’enferme chez lui, se coupe du monde pour vivre avec ses écrivains préférés, ceux de la décadence latine, Pétrone et Apulée. Les critiques psychologiques n’ont pas manqué de souligner l’importance de la notice de "À rebours", dans laquelle les ancêtres des Esseintes sont présentés au lecteur comme des brutes dont la vigueur initiale aurait été progressivement épuisée à force d’incestes répétés. Il regrette son père toujours absent, sa mère pâle et silencieuse, morte d’épuisement. À la mort de son père, dont la maladie n’est pas nommée, des Esseintes a dix-sept ans. À sa majorité, il quitte les Jésuites et se consacre à la vie sans but du jeune parisien fortuné. Tout était possible pour lui, homme riche, après une série d’expériences sexuelles de plus en plus déviantes, il devient impuissant. Son indifférence pour sa famille et son peu d’intérêt pour ses amis ou même pour la débauche, font de lui un misanthrope. Il commence à rêver d’une retraite, d’une Thébaïde, un havre de solitude à l’abri du flot incessant de la bêtise humaine. Si le lecteur ne peut manquer de remarquer l’insistance de "À rebours" sur la retraite hors du monde de des Esseintes, d’autres thèmes sont plus subtils. C’est peut-être seulement après une première lecture, qu’ayant remarqué que le héros abuse du goût, de la vue, de l’odorat et de l’ouïe, on peut se demander d’où vient la pauvreté des références au toucher. La situation est inversée dans "À rebours", car les sens sont mis les uns après les autres à l’épreuve, jusqu’à ce qu’ils cèdent à la souffrance ou à l’épuisement. Le déménagement à Fontenay-aux-Roses marque le début de son retrait hors du monde et de la réalité. Il supprime alors le mouvement. Tandis que le personnage se repaît de la nouveauté des idées et des mots, des constructions inhabituelles, des verbes inconnus, des adjectifs contournés, rares, des mots abstraits, il jouit de la déliquescence progressive du langage jusqu’à sa putréfaction totale. La décomposition du langage est bien entendu directement liée à la décadence sociale. La progressive détérioration de son corps et de son esprit continue, implacable. Les cauchemars reviennent inlassablement, au point qu’il redoute de s’endormir. La névrose s'accentue. Après avoir détruit par ses excès son esprit et les sensations du goût, de la vue et de l’odorat à un degré tel que son corps est au bord de l’effondrement et son cerveau plein d’hallucinations lancinantes, il consacre un court temps de répit à inventorier ses préférences. C’est alors que commence le dernier stade du voyage de des Esseintes. Il se tourne en particulier vers Baudelaire, son mentor, qui l’entraîne jusque dans les profondeurs de son inconscient, derrière la surface de l’âme et les péchés répertoriés par l’Église. Il savoure l’éloquence de Bossuet et de Bourdalou, se délecte du style austère et vigoureux de Nicole et jouit de cette contrition pascalienne si éloignée de celle de Rousseau. Transporté par Villiers de l’Isle-Adam, il renvoie ses serviteurs et s’installe avec Mallarmé et une sélection de poèmes en prose. Bien plus vite que le latin, la langue française est arrivée à son agonie, se dit-il complaisamment. La fin du roman, marquée par le renversement récent de l’ingestion orale à l’ingestion anale, souligne à nouveau que le roman dans son ensemble doit être lu à rebours en interprétant les faits et les images comme des indications de la réalité mentale, physique et spirituelle du personnage principal. En eux-mêmes, les objets et les couleurs n’ont aucune importance. Les événements ont simplement lieu au niveau des connotations ou des analogies. On comprend pourquoi Valéry a tellement aimé "À rebours". Le roman s’approche de la poésie, ainsi qu’il l’a comprise. En se servant de maints procédés poétiques, Huysmans contraint son héros à se rendre. Là où la conscience du Cimetière marin tourne vers la vie comme une fleur vers le soleil, des Esseintes n’a pas de choix. Il est arraché à sa Thébaïde et tourné de force vers la vie. La révolte de Huysmans contre le roman du dix-neuvième siècle a commencé dès "À vau-l’eau" (1882), une longue nouvelle aux descriptions compliquées organisées autour d’une intrigue si triviale qu’il est difficile d’y attacher quelque attention que ce soit, et qui est par conséquent facilement mise de côté. M. Folantin erre d’un restaurant à l’autre dans une tentative dérisoire et vaine de trouver quelque chose de décent à boire et à manger. Quoique la connaissance qu’avait Huysmans du symbolisme traditionnel était plus sophistiquée à l’époque de "En rade", "À rebours" utilise les principaux éléments de connotations symboliques, communs à la poésie de l’époque, partie intégrante du bagage intellectuel de toute personne cultivée et des esthètes du temps. Même pour ceux qui trouvent "À rebours" déconcertant, peu seraient enclins à prendre l’absence d’intention littéraire revendiquée par Huysmans au sérieux. Le pouvoir de ce texte ne peut être nié. Quelque déconnecté que les chapitres peuvent sembler à certains, chacun montre un maître de l’écriture. Un examen plus détaillé à travers la lentille de symboles bien connus à l’époque, les complexités d’une progression délibérée qui traverse les aventures du héros dément les remarques de Huysmans dans sa préface tardive et renforce le constat de Zola. Huysmans avait bien rompu avec le camp naturaliste. De fait, puisque beaucoup voient en Mallarmé le principal innovateur poétique de la fin de siècle, peut-être est-il temps de saluer en Huysmans le Mallarmé, sinon le Valéry du roman. Écartelée par ses pulsions, tendre ou cruelle, érudite ou érotique, l'œuvre est le reflet de sa vie. Principales œuvres: - Le Drageoir aux épices (1874) - Marthe, histoire d’une fille (1876) - Les Sœurs Vatard (1879) - Sac au dos (1880) - En ménage (1881) - À vau-l’eau (1882) - À rebours (1884) - En rade (1887) - Un dilemme (1887) - Là-bas (1891) - En route (1895) - La Cathédrale (1898) - L'Oblat (1903) Bonne lecture à toutes et à tous. Méridienne d'un soir.
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Par : le 19/08/20
Joris-Karl Huysmans, de son vrai nom, Georges Charles Marie Huysman est né à Paris dans le quartier latin, le 5 février 1848. Singulier personnage, il se disait hollandais à la suite d'un voyage au pays de Rembrandt. Son père, disparu lorsqu'il avait huit ans, était typographe et se prétendait issu d'une lignée d'artistes et de peintres flamands. Son enfance est assombrie par le remariage de sa mère, maîtresse d'école. Élève terne au lycée Saint-Louis, il suit pendant quelque temps des cours de droit, puis devient, en 1868, fonctionnaire au ministère de l'Intérieur. Incorporé en 1870 dans les mobiles de la Seine, réformé, puis réintégré dans son ministère, il fait après la guerre un voyage en Hollande, à la suite duquel il prend les prénoms de Joris-Karl. Écrivain et critique d’art, il a commencé sa carrière comme naturaliste et disciple d’Émile Zola avant de s’en éloigner, une rupture qu’il marque par la rédaction d’"À rebours". Il s’est battu pour l’avant-garde artistique toute sa vie. Méprisant la vie sociale et politique, misogyne, agnostique anxieux, Huysmans était un auteur et penseur tourmenté. Seul l’art l’intéressait, ainsi que la question religieuse. Celle-ci imprégna ses œuvres et constitua le thème du dernier tiers d’entre elles ; il la résolut peu à peu, après être passé par l’occultisme et le mysticisme, en se convertissant au catholicisme, renouant ainsi avec la tradition de la littérature mystique. Il fut l'ami de l'abbé Mugnier. Critique d’art, il contribua à promouvoir en France la peinture impressionniste ainsi que le mouvement symboliste, et permit au public de redécouvrir l’œuvre des artistes primitifs. Grand érudit, Il mourut à son domicile parisien le 12 mai 1907, et fut inhumé à Paris au cimetière du Montparnasse. En 1874, il publie à compte d'auteur, "Le Drageoir aux épices", recueil de poèmes en prose, suivi d'un premier roman, "Marthe", l'histoire d'une jeune fille se livrant à la prostitution pour survivre. Ces débuts le font remarquer d'Émile Zola et, en compagnie de Henry Céard, Guy de Maupassant, Paul Alexis et Léon Hennique, Huysmans, avec sa nouvelle "Sac au dos", collabore aux Soirées de Médan, recueil-manifeste de la jeune école naturaliste. En 1879, c'est à Zola qu'il dédie "Les Soeurs Vatard". Dès cette époque, cependant, son originalité s'affirme en marge du groupe: son style d'abord, de visuel, de peintre, avec une précision d'enluminure, le distingue des autres naturalistes. Le naturalisme, d'autre part, débordant d'une santé robuste, manifeste une confiance mystique dans les forces élémentaires de la vie, tandis que Huysmans est un petit bourgeois hépatique et pessimiste, exhalant son écoeurement devant le monde moderne qu'il considère composé en majorité "de sacripants et d'imbéciles." Dans "En ménage" (1881), "À vau-l'eau" (1882), c'est lui-même qu'il met en scène dans des personnages de petits célibataires lamentables aux prises avec des filles ou, comme M. Folantin, avec la mauvaise cuisine des restaurants à bon marché. Ces misères dérisoires prennent chez Huysmans une importance démesurée, obsédante, car elles symbolisent l'absurdité d'existences ternes et sans issue. Avec une sorte de parti pris et un impitoyable soin du détail, le romancier s'établit dans ce désespoir d'autant plus accablant qu'il ne tient pas à des circonstances exceptionnelles mais à l'essence même de la vie quotidienne. Tout en publiant ses livres, J.-K. Huysmans poursuit sa carrière de fonctionnaire, suivant la filière administrative, voyageant peu, sans autres aventures que celles de son imagination. "À rebours " (1884) marque une rupture déjà plus nette avec l'esthétique naturaliste. Des Esseintes, le personnage du roman, est le type du "décadent" maniaque, impuissant à renouveler sa sensation sinon par un détraquement systématique du système nerveux et par une recherche effrénée d'imaginations bizarres et d'excentricités morbides. C'est l'époque où Maurice Barrès s'écrie: "Réfugions-nous dans l'artificiel" et "À rebours" illustre le changement profond que va connaître la littérature avec le symbolisme. Des Esseintes reste pourtant de la même veine spirituelle que M. Folantin: si leurs moyens d'évasion sont différents, c'est bien un même dégoût du siècle qui les anime. Huysmans arrive à un nihilisme qui justifie le dilemme où l'accule Barbey d'Aurevilly: "La bouche d'un pistolet ou les pieds de la Croix". Brutale est cette proposition littéraire, parce que l’homme qui écrit est un pessimiste. Le cynisme est le refuge de son personnage comme il transparaît dans l'écriture elle-même. Habitée de questions, de suppliques, elle se transforme finalement en prière mais se formule d’abord sous le signe de l’angoisse. Le monde ne convient pas aux personnages de Huysmans. Il les étouffe, il les navre, il les hérisse. En tant qu'écrivain, il semble se présenter toujours devant une impasse, faire de son œuvre le constat de cette impasse. Des romans qui prennent de plus en plus une texture étrange, complice et brutale à la fois, exigeante quoique parfaitement bienveillante. Avant de se convertir, il passe toutefois par l'étape satanique avec "Là-bas" (1891), où s'exprime son intense curiosité des phénomènes surnaturels, suscitée par ses relations avec des occultistes, des magnétiseurs, et surtout avec le prêtre défroqué Joseph-Antoine Boullan. Huysmans vit alors pendant quelque temps entouré de pressentiments, de menaces mystérieuses. Il se croit victime des vengeances diaboliques des Rose-Croix, mais Boullan meurt en 1893 et le romancier se trouve désormais sous la seule influence de l'abbé Mugnier, qu'il a rencontré en 1891. C'est sur le conseil de celui-ci que, l'année suivante, il fait à la Trappe d'Igny une retraite suivie, de 1894 à 1896, par plusieurs séjours à Solesmes et à Saint-Wandrille. À Igny, Huysmans se confesse et communie: conversion soudaine, racontée dans "En route", qui suscite une vive agitation dans les milieux littéraires parisiens. Centré sur le personnage de Durtal, le roman de sa conversion se poursuit par les publications successives de "La Cathédrale' (1898) et "L'Oblat" (1903). En 1898, il avait en effet décidé de prendre sa retraite et d'aller mener la vie des oblats à côté de l'abbaye de Ligugé. C'est là qu'il écrit sa biographie de Lydwine de Schiedam. Les moines ayant été expulsés par la loi sur les congrégations, Huysmans se retire chez les bénédictines de la rue Monsieur, fait paraître en 1906 "Les Foules de Lourdes", réplique au livre d'Émile Zola. Il meurt à Paris 12 mai 1907, après de terribles souffrances supportées avec une foi ardente. Le christianisme de Huysmans est absolument sincère même si l'écrivain n'a rien renié de son esthétique passée. Converti, il renouvelle avec un réalisme imagé et savoureux la littérature catholique. Il a le droit de rester fidèle à l'art, puisque c'est l'art d'abord qui l'a attiré vers l'Église et attaché à elle. Le même critique qui exaltait dans L'Art moderne des méconnus comme Paul Cézanne, Edgar Degas, Georges Seurat, Camille Pissarro ou encore Odilon Redon. Auteur poursuivi par son image d’esthète décadent, perclus de doute et de désespoir, Huysmans se maintient dans l’histoire littéraire du dix-neuvième siècle comme l’instigateur d’un style, d’une rigueur et d’une finesse d’écriture dont rêvaient secrètement les dernières années de gloire du naturalisme zolien. Détenteur d’une formule nouvelle, d’un regard nouveau pour la littérature à venir, et maître d’armes à cet égard de Céline ou de Mauriac. Toutefois, son œuvre se résume en une dizaine de romans, quelques nouvelles, des textes sur l’art, sur Paris, sur la vie politique et culturelle de son temps. Rien au fond, dans ce que nous laisse Huysmans, n’en fait un auteur considérable, comme d’autres dans son siècle ont voulu l’être. Mais ce parisien lettré, raffiné et bohème sut décrire avec talent les paysages lépreux et les promiscuités troubles du ventre de Paris. Il a ouvert une brèche féconde dans le pacte de lecture proposé par le roman. Les personnages désormais traversent son histoire comme s’ils devaient la mériter, la vouloir et lui trouver un sens. Bibliographie et références: - Émile Zola, "Joris-Karl Huysmans." - Jules Lemaitre, "Joris-Karl Huysmans." - Remy de Gourmont, "Joris-Karl Huysmans." - Jules Barbey d'Aurevilly, "Joris-Karl Huysmans." - Joanny Bricaud, "Huysmans et le satanisme." - Léon Bloy, "Sur la tombe de Huysmans." - Rudy Steinmetz, " le pessimisme d’À rebours." - Gaël Prigent, "Huysmans et la Bible." - Jérôme Solal, "Huysmans avec Dieu." - Michel Houellebecq, "L'œuvre de Huysmans." - Pierre Jourde, "Huysmans en Pléiade." Bonne lecture à toutes et à tous. Méridienne d'un soir.
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Par : le 18/08/20
Béatrice disparut de ma vie. Ne recevant aucune réponse aux lettres que je lui adressais, je cessai de lui écrire. Elle ne ne demeurait pas moins présente. Je m'éveillais le matin avec un sentiment d'abandon. Je ne pouvais concevoir qu'un amour aussi intense ait pu achopper sur ce qui m'apparaissait plus comme une indélicatesse que comme une trahison. Je croyais naïvement qu'elle reviendrait. Je demeurai trois mois ainsi dans l'incertitude. Je sursautais en entendant la sonnerie du téléphone, j'attendais le courrier avec angoisse. J'imaginais son existence à Rome. Je vivais comme un automate. J'accomplissais le rituel de la vie quotidienne, je voyais des amis, je faisais l'amour, mais ces gestes restaient extérieurs à moi-même. Mécaniquement, je ne m'y impliquais pas. Une maladie intérieure me minait. Personne autour de moi ne se doutait du drame que je vivais. À qui aurais-je pu en faire la confidence ? Personne ne connaissait l'existence de Béatrice. Il ne me resterait aucune trace de cet amour. Cette idée m'effrayait parfois. Qu'un être ait pu remplir à ce point ma vie et s'effacer sans laisser aucun signe. La première fois que je la rencontrai au vernissage d'une exposition Giacometti au Musée Rodin, je fis tout pour attirer son attention. Sarah ne m'adressa pas un regard. Son intérêt la portait là, où précisément, je n'étais pas. Est-ce cette froideur qui m'intrigua ? Quand je lui adressai la parole, elle ne m'écouta qu'autant que la politesse l'exigeait. Elle arborait l'air résigné que les victimes de la mondanité réservent aux fâcheux, aux raseurs. Elle était aussi insensible à l'enthousiasme que je lui manifestais que peut l'être une statue en marbre du sculpteur. Quand je lui demandai son numéro de téléphone, elle me toisa avec une expression offensée. Eût-elle exprimé un peu plus d'urbanité qu'elle aurait moins piqué ma curiosité. La froideur de cette inconnue m'aguichait. Une indifférence courtoisie m'eût découragée avec plus d'efficacité. Qu'avais-je fait pour la mériter ? Je n'eus pas le loisir de lui en demander l'explication car elle disparut en me tournant le dos. Le lendemain, je lui fis porter un bouquet de tulipes à son hôtel, accompagné d'une carte amicale. je ne reçus aucune réponse. Je n'en fus pas étonnée. Espérant la rencontrer, j'allai me poster à la porte du Bristol, son hôtel. Je l'attendis sur le trottoir de la rue du Faubourg-Saint-Honoré. Enfin, je la vis apparaître. Dans les reflets de la porte à tambour, elle me parut plus grande, plus élancée, plus altière que jamais. Un soleil printanier éclairait mon espoir. Plutôt réservée, je n'avais pas pour habitude d'accoster une inconnue. Mais sa beauté exacerbait mon attirance saphique, fut-elle sans fière assurance. Elle sembla hésiter sur sa direction. Cette incertitude l'humanisa à mes yeux. Sans hésiter, je m'approchai d'elle. Quand elle m'aperçut, elle eut un soudain mouvement de recul. Je lus dans son regard noir cette lueur de blâme que l'on réserve aux extravagances d'une folle. - Encore vous, soupira-t-elle. Notre conversation fut aussi cordiale qu'un échange de coups de pistolet, le matin, à l'aube, entre deux duellistes. Malgré mon sourire avenant, et ma fausse innocence, la partie semblait perdue. - Pourquoi ne me laissez-vous pas le temps de m'expliquer ? N'aimez-vous pas les tulipes ? - Je n'ai aucune envie d'entendre vos explications. - Pourquoi ne pas accepter le dialogue amical ? Avez-vous peur de votre propre faiblesse ? Je vis passer une flamme assassine dans ses yeux. Je l'avais piquée au vif. Une femme ne pouvait-elle pas offrir à l'une de ses congénères un bouquet de fleurs ? - Vous n'êtes pas de nature à m'en inspirer. - Pourquoi cette brutalité ? Pourquoi toujours imaginer le pire ? Que faites-vous de l'amitié ? - Me croyez-vous à ce point naïve ? Avec vous, je sais très bien à quel type de femme j'ai affaire. - C'est mal me connaître et me faire un procès d'intention. Je ne suis pas une amazone. - Prenez-le comme vous voudrez. Mais laissez-moi, vous perdez votre temps, je suis pressée. - Puis-je vous déposer quelque part ? - Non, c'est inutile, je reste dans ce quartier. - Avez-vous l'intention de déjeuner ? - Oui, mais pas avec vous. - Je vous propose un pacte amical. Nous déjeunons ensemble et je vous promets de ne plus tenter de vous revoir. Parole de femme, honneur de femme. Elle me regarda d'un air dubitatif. Balle au centre. - Puis-je accorder le moindre crédit à quelqu'un qui se comporte comme vous ? - Je vous répète, je vous donne ma parole d'honneur. Je la sentis vaciller. La situation semblait tourner à mon avantage. La victoire semblait proche. - Votre parole d'honneur, répéta-t-elle en haussant les épaules, je ne me fais aucune illusion sur vous. Mais je suis lasse de votre insistance et de votre folie. Je vous accorde vingt minutes. Un restaurant nous tendait les bras à l'angle de la rue du Cirque. Je l'y conduisis. Pendant le déjeuner, elle resta fidèle à elle-même: sur la défensive, hautaine, éludant toute question personnelle, et ne m'offrant que l'armure d'une personnalité bouclée dans les conventions et le dédain. La glace contre le feu. Pourtant quelque effort qu'elle fît pour être désagréable, elle ne parvenait pas à me déplaire. Je sentais en elle, derrière la Ligne Maginot qu'elle m'opposait, un tumulte de contradictions qui n'était pas sans charme. Au moins, elle ne ressemblait à personne. En vérité, il faut bien reconnaître que moi aussi. Le café bu, elle se leva et, sans se départir de son air farouche, elle prit congé. - Maintenant que j'ai eu la faiblesse d'accepter votre déjeuner, j'espère que vous allez tenir votre promesse. Merci pour les tulipes. Adieu. Elle disparut laissant derrière elle un sillage glacé comme un blizzard. Je tins parole. Pendant dix jours. Puis je l'appelai dans sa propriété non loin de Bordeaux. - Et votre promesse, s'exclama-t-elle. En plus, vous êtes parjure. Le ton de sa voix n'exprimait qu'un courroux de facade purement formel. Ce qui était un progrès. Et puis n'avais-je pas évité le pire, elle n'avait pas raccroché. - J'ai promis de ne plus vous voir, pas de ne pas vous téléphoner. - Vous êtes bien française, dit-elle en ciselant ce qualificatif pour marquer un insondable mépris. Maintenant que l'habitude de ses amabilités était prise, je prenais un certain plaisir à la voir décocher ses flèches. - Quand venez-vous à Paris ? - Que vous importe puisque vous m'avez juré de ne pas chercher à me revoir. - Je sais par l'une de mes amies, que vous serez après-demain à un dîner chez les Moras. - Vous ne me donnez pas envie de m'y rendre. Quand elle raccrocha, je conservai un instant le combiné muet à la main. Pourquoi insister ? Oui, pourquoi ? Par jeu ? Il y a des rencontres qui, comme celle-ci, ne commencent pas précisément par de forts encouragements. Si elle avait ressenti un coup de foudre pour moi, elle le dissimulait bien. Peut-être n'aimait-elle pas partager son lit avec une femme ? Tout simplement. Mais alors, pourquoi ne pas me l'avouer ? Il y a des vérités qui ne méritent aucune contestation. Mais alors, pourquoi n'avoir en tête que cet horrible mot de réciprocité La réciprocité en amour est un calcul bourgeois. Pas d'investissement du capital sans un rendement substantiel. Cette femme, sans doute mariée, avait beau me rabrouer, elle me plaisait. Hétérosexuelle convertie, bisexuelle non pratiquante. Elle m'attirait pour une raison que je ne cherchais pas à m'expliquer. Mais après-tout exige-t-on de Dieu qu'il vous donne des preuves de réciprocité. Et puis parfois, en amour, on a l'impression sans savoir pourquoi, qu'en dépit des obstacles, le destin a déjà gravé notre avenir. Et cette histoire aussi était probablement déjà écrite dans un mystérieux livre qu'hélas je n'avais pas lu. Comme se serait simple de pouvoir consulter le livre des destinées avant d'offrir un bouquet de tulipes à une femme. On éviterait tant d'impairs, de temps perdu, de malentendus, mais on passerait aussi à côté de la vie et de ses surprises. Elle vint à Paris. Je me trouvai au même dîner qu'elle. Elle m'accueillit avec son habituelle mansuétude. Après le dîner, elle tenta de s'éclipser mais je la rejoignis dans l'escalier, en abandonnant mon amie Charlotte. L'immeuble donnait sur le jardin du Luxembourg. Il y avait dans l'air je ne sais quel parfum de printemps. Nous fîmes quelques pas en silence. Un silence doux et reposant comme une paix. Elle avait une voiture anglaise, comme elle. Elle était née à Londres mais elle vivait à Bordeaux. Je lui demandai de me raccompagner. Elle accepta en poussant un soupir. Elle gara sa voiture en bas de chez moi. Elle semblait avoir épuisé ses ressources d'agressivité. Je tentai alors de l'embrasser en posant une main audacieuse sur sa cuisse nue. Elle ne me repoussa pas. Au contraire, elle répondit à mon désir avec tant de fougue que j'en fus presque déconcertée. Une grande bataille est celle que l'on remporte avec une résistance farouche. Dès lors, elle bascula, comme une statue bascule de son socle. Nous nous retrouvâmes chez moi. Et ce fut comme si, de toutes ses forces, elle tenait à démentir l'indifférence qu'elle m'avait manifestée. Nous nous aimâmes dans une douce ambiance de paix conclue, sur un lit d'armes abandonnées et de sensualité débridée. Déshabillée de son agressivité et de sa pudeur, elle demeurait menaçante comme une tempête apaisée. Ses refus donnaient un prix mystérieux à son abandon. Je l'admirais comme une belle énigme. Avais-je véritablement une femme devant moi qui avait cédé à une pulsion saphique ou l'incarnation d'un phénomène météorologique. Son corps magnifique était celui d'une femme aimante, mais les ressorts de son âme paraissaient aussi inaccessibles que les déchaînements imprévisibles d'une tornade. Loin de me sentir maîtresse de la situation, il me semblait que je n'avais été que l'exécutante d'un jeu qui me dépassait. Sarah entra ainsi dans ma vie au même moment où Béatrice en sortit. Une nouvelle vie, un nouvel amour. Bonne lecture à toutes et à tous. Méridienne d'un soir.
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Par : le 15/08/20
Patricia déverouilla avec peine les cadenas qui la retenaient encore prisonnière des chaînes, dénoua rageusement le bâillon et se coucha en chien de fusil, la tête enfouie sous les draps. Elle tremblait toujours, mais de froid cette fois. Tous ses muscles, raidis par la tension des menottes métalliques, lui faisaient mal. Elle aurait voulu remuer, se lever, s'habiller. Tout effort lui semblait insurmontable. Malgré elle, des ondes de plaisir la parcouraient encore, comme un orage qui ne s'éloigne que peu à peu, abandonnant ça et là d'ultimes grondements. Libérée de ses chaînes, elle se sentait plus impuissante que lorsqu'elles l'entravaient. Les larmes lui montèrent aux yeux comme un torrent. Elle se mit à pleurer fénétiquement, sans bruit mais les épaules secouées de spasmes, et cela dura assez longtemps. Elle dut dormir un peu. Lorsqu'elle s'éveilla, le silence dans la chambre était total. Ne pas ouvrir les yeux. Ne pas s'éveiller tout à fait encore. Profiter du demi-sommeil pour continuer à croire que tout cela n'était qu'un rêve, un fantasme trop fort, trop présent, qui raisonnait encore en bas de son ventre. Pourquoi m'avait-elle contrainte à une telle séance ? Avait-elle voulu me faire souffrir ? Rien dans son attitude n'avait pourtant trahi un quelconque plaisir à m'imposer un tel jeu. Cela ressemblait plutôt à un passage obligé, une sorte de rituel auquel elle-même n'aurait pu échapper. Elle tendit l'oreille, à l'affût d'un signe de Sarah. Patricia secoua la tête. Elle était folle de remuer de telles pensées. Elle ne devait pas avoir peur. Et si sa Maîtresse avait encore eu l'envie de l'offrir à une amie ? Patricia avait beau tenter de rejeter de toutes ses forces cette idée, celle-ci la taraudait et ne la lâchait plus. Sarah voulait l'offrir à une amie. Elle lui a donné l'adresse. Elle lui avait dit qu'elle trouverait là une jeune femme qui n'atteint le plaisir qu'en donnant vie à ses fantasmes. Elle mime la résistance mais c'est pour mieux en profiter. N'a-t-elle pas elle-même avoué qu'elle affectionnait particulièrement les fantasmes de viol ? Des pas dans le couloir. Les voilà qui approchent. Elle cessa de respirer. Elle les entendit s'arrêter devant la porte de la chambre. Une clé tourna dans la serrure. Bientôt la porte s'entrouvit. Patricia distingua dans l'embrasure une silhouette. La lumière l'aveugla. C'était Sarah mais elle n'était pas seule. Celle qui l'accompagnait la considérait d'un œil narquois. Elle se coucha en travers du lit, les mains derrière la nuque. Tout en elle dégageait une étrange impression de sauvage énergie mais mêlée d'une extrême élégance. Patricia la vit poser les mains bien tendues de part et d'autre de sa vulve avec une douceur inattendue. Elle sollicita les grandes lèvres pour les écarter peu à peu, du bout des doigts. Leur contact, même s'il demeurait ferme, n'avait plus du tout la violence d'auparavant. Elle ouvrit son sexe comme on ouvre une orange, avec soin, en faisant attention à ne pas en perdre le nectar. Patricia ferma les yeux. Elle cherchait à se concentrer sur le plaisir que la fille exigeait d'elle. Il devait venir. Elle devait réussir à jouir pour la satisfaire et pour qu'elle lui fiche la paix. Peut-être que, comme avec sa Maîtresse, si elle parvenait à se mettre en situation de spectatrice, parviendrait-elle à exciter ses sens. L'inconnue passa plusieurs fois sa langue sur le sexe de Patricia, de l'entrée du vagin jusqu'au clitoris, aspirant la chair tendre des petites lèvres, les frôlant parfois des dents, puis les abandonnant pour recommencer ailleurs, un peu plus haut, un peu plus bas. À l'instant même où l'inconnue mordilla son clitoris, Patricia se convulsa longuement dans ses chaînes et tremblait encore lorsque la jeune femme, s'étant tout à fait rhabillée, lui détacha les mains et lui donna des consignes pour leur prochaine rencontre. Ce soir-là, le sommeil ne vint pas. Bien sûr, elle avait eu peur, bien sûr elle avait eu honte. Elle m'attendait sur un canapé. Un bras étendu sur l'accoudoir en velours grenat. Jambes croisées, pieds nus, ongles lissés d'un vernis rouge. En dessous noirs. Autour de vingt heures, Patricia, en retard sonna à la porte. Trop facile, pas de punition, l'inconnue ne fut pas dupe. Anxieuse, elle poussa la porte entrouverte. À double tour, la referma. Accueillie dans la pénombre fraîche du salon par une jeune fille nue, complice des jeux. En fond sonore, les " Trois Gymnopédies" de Satie. Doucement le piano pour entendre le bruit de ses pas quand sur le parquet point de hongrie, elle se déshabilla lentement, une épaule après l'autre, sa robe glissa sur le sol doucement pour écouter le clapotis du sexe entre ses doigts. L'inconnue décroisa ses jambes, les paumes claquant sur ses cuisses, la pria d'avancer. La flamme des bougies lançant des lueurs dansantes sur leurs visages, semblait réveiller des ombres dans le haut plafond. Elle eut les caresses et la bouche de l'inconnue. Cette bouche alla jusqu'au secret de son corps, au plus secret de son être émotif dans la chaleur humide que le désir enfiévrait. Tout d'un coup, elles ressentirent, cette étrange douceur, cette paix heureuse des amantes. Mes yeux se retournent vers ton sourire. Le silence, nous l'avions décidé ainsi. Tu devras t'efforcer de ne pas hurler quand quand je te flagellerai jusqu'au sang. Tu n'as pas le choix. Si tu désobéis, ce sera l'arrêt irréversible de la séance. Patricia ne sait plus ce qu'elle veut, le fouet, oui mais pas pour son plaisir. De l'amour des femmes, elle ne connaissait rien d'autres que quelques privautés, quelques complaisances accordées avec des camarades de classe, à la limite du jeu mais bientôt par dessus la nuque passe le harnais en cuir; son corps supplie; toujours nue, de dos sur mes genoux; bientôt mes doigts, à gauche, et à droite, ont glissé, les lanières de cuir sur tes épaules et dans la fente de tes lèvres. Alors, les omoplates ont frissonné. Les reins soudain cambrés par un flux de désir. Le grain de ta peau sur ma langue; les lèvres de ton sexe sur la pulpe de mes doigts; ta joue sur mon épaule, mes mains à l'envers ont fermé les crochets; mon souffle effleurant le profil de tes seins dressés avec cette envie de toi qui tangue, cette envie de tout arrêter, cette envie de suspendre les gestes; je t'attrape par la nuque, te renverse sur le canapé, je te dévore; tu te débats, tu me supplies. Patricia n'a pas de honte à exposer son corps asséché de solitude; tout est évident. Tu es allongée, au-dessus de toi, la caresse est légère presque rêvée, précisant l'ondoiement sur l'entrecuisse à peine ouverte. Le désir est prégnant, ton sexe est brûlant, l'émergence de sa pointe, la moiteur de ses plis, les battements de sa matrice. Elle lui apprit et lui révéla son corps, par des caresses d'une insidieuse lenteur, par des baisers qui n'en finissaient plus d'éveiller en elle des ondes de plaisir presque intolérable. De la bouche venait alors calmer la fièvre qu'elle avait fait naître, s'abreuvant à la source même d'où jaillirait la jouissance. Tu te tais. Quand bien même le voudrais-tu que tu ne pourrais parler. Tes soupirs, les plaintes d'extase, les gémissements de volupté ont pris toute la place dans ta poitrine et dans ta gorge. Tu deviens muette d'un incomparable bonheur charnel. Nos cris meurent en un baiser brutal, comme la secousse qui bascule. La fleur sanguine laisse sourdre son suc aux mille parfums dans un mouvement de bacchanale déchaînée, sanglot de l'extériorisation extrême de ta sensualité fouaillée. Tu es ouverte, béante, les lèvres palpitantes, la vulve agitée de pulsions enflammées et suintante de son miel blanc et blond. Nous basculons, enroulées l'une à l'autre dans un enlacement tortueux qui nous emplit de joie enfantine. Cessant de lutter, désespérée, retrouvant la joie de vivre, honteuse et fière, tu t'abandonnes alors aux bras qui te meutrissaient hier. Aucune nuit pareille à nulle autre, jamais Patricia ne l'accueillit avec autant de joie. Elle avait joui sans être battue. Elle semblait appartenir à un autre monde. Quelque chose d'indissoluble et de fatal, une puissance invisible les liait bien plus que dans le bonheur et l'euphorie, errant dans le pur illogisme de la réalité, ne rendant de comptes à personne, forme suprême de la liberté dont elles usaient dans le bien comme dans le mal. Leur idéal avait changé d'objet. Leur frénésie était un peu glacée. Se laisser toucher, se laisser fouetter, être docile et nue. Pour l'amour qui fait battre le cœur, on ne forçait personne. Patricia fut éblouissante de félicité. Tel l'envol gracieux d'un oiseau nocturne dans un jardin endormi, elle s'abandonna sans pâlir, corps et âme, à la bouleversante incantation sacrée du rite célébré du plaisir des chairs. Elle entendrait, encore une fois bientôt Sarah, étendue à coté d'elle, respirer dans la nuit. Bonne lecture à toutes et à tous. Méridienne d'un soir.
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Par : le 09/08/20
Patricia n'avait pas très mal; chaque cinglement amenait seulement un sursaut, une contraction de ses muscles fessiers, mais peu à peu, une douce chaleur irradia sa croupe, se propageant à son vagin. Une torsion des cuisses et de ses hanches donnait au corps un balancement lascif. De la bouche de la suppliciée sortirent de longs soupirs, entrecoupés de sanglots. Sarah, excitée, commença à frapper plus fort par le travers et les gémissements furent plus profonds. En même temps qu'elle entendait un sifflement, elle sentit une atroce brûlure sur les cuisses et hurla. Elle la flagella à toute volée sans attendre qu'elle se tût, et recommença cinq fois, en prenant soin de cingler chaque fois, ou plus haut ou plus bas que la fois précédente, pour que les traces fussent quadrillées. Patricia crispa ses poignets dans les liens qui lui déchiraient la chair, le sang monta à sa tête. Alors Sarah s'accroupit près des épaules de Patricia et lui caressa le visage, penchée sur elle, lui donnant de longs baisers qui grisèrent la soumise éplorée. Mais elle recommença, frappant plus fort, les fines lanières s'écrasèrent dans un bruit mat sur la pointe des seins. Patricia laissa couler quelques larmes. Alors Sarah arrêta de la flageller. Elle ne la détacha pas de ses liens, mais la laissa ainsi exposée, le reste de la soirée, deux longues heures, cuisses ouvertes et relevées sur le lit. Elle ne cessa de souhaiter refermer ses jambes. Penchée sur le ventre offert de sa soumise, Sarah posa ses lèvres frémissantes sur le sexe humide et ardent, la faisant sombrer dans une indicible félicité, tandis que de sa bouche s'échappait la plainte d'amour, des gémissements étouffés de la chair humide et palpitante, elle céda à la jouissance. Sarah dut maintenir ses hanches à deux mains, tant les sursauts du spasme furent violents et ininterrompus. Elle se consuma; sans doute, ce ne fut pas là seulement la sensation du plaisir mais la réalité même. Penchée au-dessus d'elle, Sarah tenait à la main une bougie. D'un geste lent, le bougeoir doré s'inclina sur sa peau, la cire brûlante perla ses seins en cloques blanchâtres et incandescentes. Son martyre devint délicieux. Le fantasme d'être brûler vive augmenta son excitation. Elle perdit la notion du temps et de la douleur. Elle aimait l'idée du supplice, lorsqu'elle le subissait elle aurait trahi le lien qui l'unissait à Sarah pour y échapper, quand il était terminé elle était heureuse de l'avoir subi d'autant plus épanouie qu'il avait été plus long et plus cruel. Sa Maîtresse ne s'était pas trompée à l'acquiescement ni à sa révolte, et savait parfaitement que son merci n'était pas dérisoire. Patricia ne se lassait de sentir le satin de ses caresses, de haut en bas et de bas en haut. C'était toujours comme pour la première fois qu'elle éprouvait le bonheur dans la forme la plus belle de la soumission, celle de l'abnégation. De la souffrance qu'elle aimait subir, elle n'en éprouvait aucune honte. Se laisser fouetter, s'offrir à des inconnues, être toujours accessible, aimable et nue. Elle ne se plaignait jamais. Pour l'amour qui faisait battre son cœur, on ne la forçait jamais. On était fâché contre elle parce qu'on ne lui connaissait pas de rébellion. C'était de la discrétion. Bonne lecture à toutes et à tous. Méridienne d'un soir.
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