Bien des années avant de coiffer la couronne de Suède et de Norvège, Désirée Clary fut près de devenir la
femme de Napoléon Bonaparte et de se faire couronner Impératrice des Français à la place de Joséphine de
Beauharnais. Pourtant rien dans ses origines familiales, ou sa personne, ne laissait présager son incroyable
destin. Désirée Clary, benjamine d'une famille de neuf enfants, est née le 8 novembre 1777, à Marseille. Son
père, François Clary, est issu d’une famille de négociants renommés dans toute la Provence. Les Clary sont
très réputés pour leurs tissus, principalement des soieries. Ce commerce florissant leur assure une fortune
considérable. Ils possèdent une vaste demeure rue des Phocéens à Marseille. Quand elle s'éteint, quatre-
vingt-trois ans plus tard, à Stockholm, elle est reine douairière. Mère et grand-mère de rois, fondatrice d'une
dynastie qui règne encore sur la Suède. Comme la reine Victoria, elle est également devenue l'une de ces
aïeules dont les descendants occupent les trônes de Norvège, de Danemark, de Belgique et de Luxembourg.
Marseille, c’est justement la ville où s’est établie la famille Bonaparte après avoir fui la Corse dès 1793. Letizia,
veuve de Charles Bonaparte, s’occupe seule de ses enfants, les trois filles, Elisa, Pauline et Caroline, et le dernier,
Jérôme. Ses trois fils aînés, Joseph, Napoléon et Lucien, désormais autonomes, l’aident financièrement comme
ils le peuvent. Letizia et ses filles lavent du linge et font un peu de couture pour amasser un maigre pécule. Il faut
bien travailler. Rapidement, la famille Clary fait appel à leurs services. Très vite, les relations entre les Clary et
les Bonaparte se transforment en amitié. Pour la première fois qu’elle a touché le sol français, Letizia accepte de
se lier avec des inconnus. Non seulement les Clary sont riches, mais ils sont aussi de sentiments royalistes. Ils
figurent donc en bonne place sur la liste des notables suspects plus ou moins promis à la guillotine. C’est dans
ces circonstances de cette époque révolutionnaire que Désirée va se lier à Joseph Bonaparte. L’événement peut
être situé au cours de l’année 1793, ou au début de l’année 1794, peu de temps avant la mort de François Clary,
miné par les épreuves. Bientôt, Joseph propose de l’épouser. L’affaire semble conclue, et les familles ravies.
Mais voilà. Napoléon, qui fréquente aussi de bonne grâce la maison des Clary, trouve Désirée fort à son goût.
Brune, piquante, pleine de charme, elle a tout pour faire tourner la tête d’un jeune général dont la gloire est déjà
montée jusqu’à Paris et qui a de l’ambition à revendre. Désirée ne sait bientôt plus où donner de la tête. Entre
ce tendre soupirant, bon enfant et si touchant qu’est Joseph, et ce brun impétueux, à la vive intelligence et au
regard impénétrable qu’est Napoléon, son cœur balance. Les deux frères sont si différents ! Mais Napoléon l’attire
davantage, par son charisme incontestable et son audace de jeune conquérant. Aura-t-elle le courage de rompre
ses fiançailles avec Joseph, qui ne songe qu’à lui plaire ? Napoléon va lui faciliter la tâche. Il arrange, pour ainsi
dire, à sa manière et de façon fort cavalière, les amours des jeunes gens. S’étant certainement rendu compte de
l’attachement indéniable que porte Julie, la sœur aînée de Désirée, à Joseph, il voit là une combinaison parfaite.
Curieux arrangement à la vérité mais personne ne proteste. C’est que Joseph n’est pas contre. Finalement, cette
Julie, elle lui plait bien. Il n’aura d’ailleurs pas à se plaindre de cette union, et une profonde tendresse s’installera.
Désirée quant à elle, est plus amoureuse que jamais de son général si entreprenant. Cependant, très peu de temps
après, Napoléon est promu commandant de l’artillerie de l’armée d’Italie. Il déménage à Antibes et emmène toute
sa famille avec lui. Letizia maugrée un peu car elle se sent bien à Marseille entourée de la famille Clary, mais s’en
console très vite, car le château Salé où elle réside est un véritable petit paradis perdu au milieu d’une oliveraie.
Si les fiançailles de Joseph et Julie sont officiellement célébrées, on attend que Napoléon rentre d’Italie pour le
fiancer à Désirée, qui ne cache pas son impatience. Lorsque Joseph épouse enfin Julie le premier août 1794, les
fiançailles entre Napoléon et Désirée n’ont toujours pas eu lieu. Après la chute de Robespierre, le 9 Thermidor,
Napoléon profite de ces instants de relative insouciance pour faire une cour pressante à Désirée qui est venue
voir sa sœur à Antibes et avec qui il se fiance enfin pour de bon. Son idylle semble le préoccuper tout entier.
Après une tentative de reconquête de la Corse qui échoue, Napoléon est sans véritable affectation. Il a l’opportunité
de visiter souvent Désirée à Marseille. Napoléon est tellement amoureux qu’il refuse le commandement en Vendée
qu’on lui affecte le 7 mai 1795. Il ne compte pas abandonner Désirée pour un poste qui ne lui rapportera aucune
gloire. Il doit pourtant bien se résoudre à gagner Paris, et alterne alors les emplois subalternes, en attendant mieux.
Désirée est affligée de ce départ. Au mois de juin, Désirée accompagne Joseph et Julie en Italie. Ils s’installent à
Gênes, chez leur frère, qui y fait du négoce, gérant habilement la fortune de sa famille. La correspondance devient
plus difficile. Napoléon, qui n’est pas au courant, se désespère de ne recevoir plus aucune nouvelle de sa fiancée.
Loin des yeux, loin du cœur, les sentiments refroidissent. Des aigreurs se font jour. Ils ne se comprennent plus.
Lorsqu’enfin Napoléon, mis au courant, reçoit une lettre de "sa petite fiancée marseillaise", il en est courroucé et se
sent abandonné. Étrangement, malgré les déclarations d’amour que Désirée réitère dans chacune de ses lettres,
Napoléon n’y croit plus. Il est persuadé qu’elle en aime un autre. Pourquoi ce pessimisme ? L’éloignement comme
il le dit ? Sans doute. Peut-être aussi est-il préoccupé par sa carrière militaire qui stagne depuis plusieurs mois, le
poussant à broyer du noir. Il ne veut plus croire en rien. Toujours est-il que Désirée souffre de la neurasthénie de
son promis, elle qui s’ouvre avec sincérité à celui qu’elle aime. D’autant que Napoléon, à présent affecté au bureau
topographique du Comité de Salut public, s’offre une nouvelle vie mondaine et fréquente les salons parisiens,
peuplés de très jolies jeunes femmes. Pressentant les inquiétudes de Désirée, il continue de la rassurer pourtant.
C’est dans le salon de Madame Tallien, à l’été 1795, que Napoléon rencontre pour la première fois Joséphine de
Beauharnais. Toujours occupé par ses amours avec Désirée, il s’en préoccupe peu. Mais sa passion pour la
marseillaise se relâche. Ayant réprimé avec intelligence et promptitude une insurrection royaliste, il est désormais
recherché dans la capitale, et ses pensées se tournent de moins en moins vers Désirée, si loin là-bas, en Italie.
Joséphine elle, est bien présente, et avant la fin de l’année, il en tombe fou amoureux. Les grâces de la charmante
créole lui font oublier définitivement celles de l’absente. En mars 1796, Napoléon épouse sa chère Joséphine,
qu’il aime à la folie. Désirée est brisée par cette annonce. Si Napoléon se console bien vite dans les bras de
Joséphine, il va falloir davantage de temps à Désirée pour oublier. Le futur vainqueur de la campagne d’Italie
lui aura préféré la douce et brillante Joséphine, mais pour la jeune marseillaise, la vie ne s’arrête pas là.
Si le destin de Bonaparte est en marche, pour Désirée aussi, la fin de cet amour éphémère avec Bonaparte n’est
que le début d’une longue aventure. Même si elle est délaissée, elle ne tardera pas à avoir un nouveau soupirant
en 1797 en la personne du général Léonard Duphot mais qui est assassiné à Rome en décembre de cette même
année. Désirée épousera finalement le général Bernadotte le dix-sept août, à Sceaux, et lui donne l'année suivante
le 4 juillet 1799 un fils, Oscar, qui sera leur unique enfant. Surnommé le "sergent Belle-Jambe", ce fringant soldat
à la musculature sèche et à la crinière de lion, est originaire de Pau. Et surtout, il est le rival militaire et politique
de Bonaparte, qui le déteste. Si Bonaparte, devenu Napoléon Ier, en 1804, se méfie toujours de son trop brillant
compétiteur et contradicteur, il admire le soldat. Bernadotte reçoit son bâton de maréchal de l'Empire. Et en 1806,
sans doute, par égard pour Désirée, il est fait "prince souverain de Pontecorvo", un petit état italien de la région
de Naples. En dépit de ses succès militaires, le maréchal Bernadotte peine à se réaliser dans l'ombre de l'Aigle.
Et en 1810, quand la Diète suédoise, en quête d'un "homme fort et proche de l'Empereur" pour succéder au vieux
roi Charles XIII, lui propose l'adoption, il s'empresse d'accepter. Désirée, désormais princesse royale de Suède,
doit rejoindre son époux à Stockholm. Après avoir longtemps tergiversé, elle finit par quitter Paris avec leur fils
et débarque dans son nouveau pays, le vingt-deux décembre 1810, où la température avoisine -20°C. Le choc
thermique et culturel est insurmontable pour la petite Marseillaise. Le froid glacial, l'interminable nuit d'hiver, la
nourriture. Rien ne trouve grâce à ses yeux. Elle bouscule l'étiquette empesée de la vieille cour, et choque "sa
chère maman", la reine Hedwige, et ses dames, qui ne cachent pas un profond mépris pour cette "parvenue".
À l'une d'elles, qui lui présente deux jeunes dames en insistant lourdement sur leur qualité de "filles d'un comte
du Saint-Empire", elle rétorque: "Et moi celle d'un commerçant de Marseille!" Après cinq mois passés dans les
palais glacés, Désirée s'ennuie et déprime. Elle retourne à Paris pour se refaire une santé, elle y restera dix ans.
En France, où sa soeur Julie est désormais la reine consort d'Espagne, Désirée joue les espionnes pour son mari.
Elle sert aussi à Napoléon de "diplomate privilégié" pour ses rapports avec la cour de Suède. À la chute de l'Empire,
en 1814, Louis XVIII retrouve le trône de ses ancêtres. Les Bonaparte doivent quitter la France, mais Désirée est
protégée par son statut de princesse royale de Suède. C'est encore à Paris, le 5 février 1818, qu'elle devient
"Sa Majesté Desideria", reine consort de Suède et de Norvège. Et aussi qu'elle s'enflamme pour le principal
ministre de Louis XVIII, Armand-Emmanuel, duc de Richelieu, qui n'en demandait pas tant. L'amoureuse
quadragénaire perd la tête. Elle s'envoie des bouquets avec la carte de visite de son "amant rêvé", et le poursuit
de ses assiduités, partout où il se rend en France et en Europe. Lui, persuadé qu'elle est une espionne, non
sans raison, fuit sa présence. Si l'on en croit Laure Junot, duchesse d'Abrantès, ils ne se sont même jamais parlé.
Quand Richelieu meurt d'une crise cardiaque, en 1822, la reine de Suède porte le grand deuil. Et fait scandale.
Elle jure à nouveau que sa vie est finie. Jusqu'à ce qu'elle apprenne, quelques semaines plus tard, la présence
de son fils à Spa, où le prince royal de Suède vient de se fiancer à Joséphine de Leuchtenberg, fille d'Eugène de
Beauharnais. Que son Oscar envisage d'épouser la petite-fille de l'impératrice Joséphine, "la vieille", cette rivale
honnie qui lui a volé le cœur de Bonaparte, jamais! Elle se précipite à la rencontre du prince qu'elle n'a pas revu
depuis dix ans. Trop tard, il est déjà amoureux de cette beauté de seize ans, douée de toutes les qualités pour
faire une bonne souveraine. Désirée n'entend pas se laisser supplanter. Elle se souvient, opportunément, que
c'est elle, et elle seule, la reine de Suède et de Norvège. Et, le 13 juin 1823, elle rentre à Stockholm en grand
apparat pour présenter sa belle-fille. Bernadotte, désormais Charles XIV Jean, n'est pas rancunier. Il se montre
empressé auprès de Désirée avec qui il reprend le cours de la vie conjugale. Prévenant, il lui fait construire le
ravissant petit château de Rosendal, sur l'île de Djurgården, où loin de l'étiquette du palais royal, la reine pourra
mener une vie bourgeoise. Désirée surprend toujours ses sujets par ses "excentricités", les mets exotiques
qu'elle importe de Provence, comme l'huile d'olive. Plus encore par ses interminables promenades nocturnes
dans les jardins de Stockholm. Finalement, elle s'accoutume à ce royaume des neiges. Et sa bonté fini par gagner
le cœur de ses sujets. Le vingt-et-un août 1829, elle est couronnée en l'église Saint-Nicolas de Stockholm.
À la mort de Charles Jean, en 1844, pour ne pas la perturber, Oscar Ier lui conserve ses appartements au palais
royal et son train de cour. Quand Joséphine, la nouvelle reine, suggère à sa belle-mère de réduire son personnel,
elle répond: "Toutes ces personnes ne me sont plus nécessaires, c'est vrai. Mais toutes ont encore besoin de moi."
Elle aura la joie de profiter de ses cinq petits-enfants, dont deux deviendront rois de Suède et Norvège, et même
de connaître son arrière-petit-fils le futur Gustave V, disparu en 1950. C'est dans sa loge du Théâtre royal de Suède
que Désirée vivra ses derniers instants, le 17 décembre 1860. Mais elle aura attendu la fin de la représentation.
Elle repose au côté de Charles XVI Jean, le fringant général qui la fit reine, dans la chapelle Bernadotte de l'église
de Riddarholmen, où les Suédois viennent toujours se recueillir sur la tombe de Desideria "la mère de la dynastie".
Bibliographie et références:
- Claude Camous, "Désirée Clary, premier amour de Napoléon"
- Gabriel de Penchenade, "Désirée Clary, de la Canebière à Stockholm"
- Franck Favier, "Les relations entre la France et la Suède de 1718 à 1848"
- Colette Piat, "Mémoires insolents de Désirée Clary"
- Françoise Kermina, "Bernadotte et Désirée Clary"
- Anne Marie Selinko, "Désirée"
- Gabriel Girod de l'Ain, "Désirée Clary"
- Frédéric Masson, "Napoléon et les femmes"
- Léonce Pingaud, "Bernadotte, Napoléon et les Bourbons"
- Karl Fredrik Lotarius baron Hochschild, "Désirée, reine de Suède et de Norvège"
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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Blanche de Castille, épouse de Louis VIII le Lion et mère de Saint Louis, est l'une des rares reines de France
qui ait trouvé grâce auprès des historiens. Parmi les régentes de l'Histoire de France, on retient souvent Louise
de Savoie, Catherine de Médicis ou Anne d'Autriche. D'entre toutes, c'est bien elle à qui semble revenir la place
d'honneur, et pas seulement pour avoir été la première à réaliser cet exercice souvent délicat. Faisant preuve
d'une constance et d'un courage à toute épreuve pour maintenir l'autorité royale, elle a transmis un royaume
apaisé à son fils, le futur Saint Louis. Fille d’Alphonse VIII le Noble, roi de Castille, et d’Aliénor d’Angleterre,
elle-même fille du roi Henri II d’Angleterre et d’Aliénor d’Aquitaine, Blanche de Castille est donc la petite-fille
de celle qui fut, par son mariage avec Louis VII le Jeune, reine de France, puis reine d’Angleterre en épousant
le Plantagenêt. L’idée de marier Blanche avec le futur Louis VIII vint d’Aliénor d’Aquitaine, qui voyait ainsi ses
descendants occuper trois trônes: Angleterre, France, Castille. En effet, la négociation du mariage du fils de
Philippe-Auguste avec Blanche de Castille fut le dernier acte politique de la vie d’Aliénor, qui voulut elle-même
se charger d’aller à la cour d’Alphonse le Noble, conclure cette union et ramener au plus tôt la jeune princesse.
Son destin n'a tenu qu'à un prénom. En 1200, la reine Aliénor d'Aquitaine, âgée de quatre-vingts ans se rend
en délégation à la cour du roi Alphonse VIII de Castille pour ramener une infante, sa petite-fille, promise au fils
et héritier du roi de France Philippe Auguste. La délégation se voit présenter l'infante. Elle a toutes les qualités
requises sauf son prénom, Urraca, la pie en français. Chacun de se demander si les français pourront jamais
aimer une reine dotée d'un si méchant prénom. Qu'à cela ne tienne, le roi de Castille leur rappelle qu'il a une
fille de rechange. La cadette a douze ans. Elle ne manque pas non plus de qualités et porte le doux prénom de
Blanca ou Blanche. Qui aurait prévu, à l’heure du divorce de Louis le Jeune, qu’un jour la France devrait la mère
de Saint Louis aux soins d’Aliénor d’Aquitaine. Lorsque la vieille reine traverse en plein hiver 1200 la France en
tenant par la main Blanche de Castille, à la voir, appuyée sur cette jeune fille, destinée dans les décrets de la
la providence à pousser de si nobles enfants , ne semble-t-il pas qu’elle vient militer son pardon, et qu’en offrant
à la France cette reine excellente et cette mère accomplie, elle demande à la postérité d’oublier sa propre faute.
Philippe-Auguste s’attacha à cette jeune princesse dont l’agrément et la grâce animaient sa cour et égayaient
son humeur. L’âge développa les qualités de Blanche. Philippe put remarquer en elle un esprit si juste, que souvent
il prit plaisir à la consulter. Quelquefois elle le fit revenir sur des décisions qui paraissaient irrévocables. En septembre
1216 les anglais, las de Jean sans Terre, avaient offert la couronne au futur Louis VIII. Mais lorsque Jean sans Terre
mourut le 18 octobre 1216, les anglais reconnurent le fils de ce prince, Henri III, enfant âgé d’à peine dix ans. Et le
futur souverain français, qu’ils avaient appelé et qui n’avait gardé que six semaines un trône dont l’esprit national
l’aurait banni, lors même que la mort de Jean ne fût pas survenue, se trouva en difficulté lorsqu’il voulut résister.
Manquant de secours, il en demanda à son père Philippe qui ne voulut point lui en donner. Blanche se présente à son
beau-père, et le supplie en faveur de son mari: "Comment, Sire, vous laisseriez votre fils mourir en terre étrangère ?
Il sera votre héritier, envoyez-lui ce dont il a besoin ou tout au moins les revenus de son apanage", à quoi le monarque
répondit qu’il n’en ferait rien. Aussi Blanche rétorqua-t-elle: "Alors, je sais ce que je ferai." Le roi l’interrogeant sur ses
desseins, elle répondit: "Par la grâce de Dieu, j’ai de beaux enfans de Monseigneur, et si vous me voulez éconduire, je
les mettrai en gage et je trouverai bien quelque seigneur qui me baillera hommes et argent sur eux. "Philippe céda.
Mère de très bonne heure, Blanche remplit les devoirs de la maternité dans toute leur étendue. Le troisième de ses fils
fut Saint Louis. Elle apportait la plus grande vigilance aux progrès intellectuels de ses fils. Le soir, avant de faire retirer
ses enfants, elle les prenait sur ses genoux, leur faisait les plus tendres caresses, puis, les rendant attentifs par mille
petites industries maternelles, elle leur racontait quelques traits de vertu et leur demandait ce qu’ils en pensaient.
Louis le Lion avait trente-sept ans quand il monta sur le trône (1223). Le 6 août, l’archevêque de Reims, Guillaume
de Joinville, présida le sacre du roi et son couronnement, ainsi que celui de son épouse. Presque aussitôt Louis prit
les armes contre les Albigeois. Les documents de l’époque citent peu la reine qui ne participa pas à l’expédition mais
suivit, de Paris, les événements, et organisa prières et processions en vue de la victoire. Dans le même temps, les
chroniques de l’ennemi la présentent comme la maîtresse du royaume. En fait Blanche soutint son époux, le réconfortant
et le conseillant, sans détenir la réalité du pouvoir. C’est au cours de cette guerre que commencèrent les révoltes des
seigneurs, qui devaient plus tard amener les troubles de la régence de Blanche. Thibaut IV, comte de Champagne, fut
le premier à manifester ouvertement son indépendance. On a dit cependant qu’il aimait la reine Blanche. Il l’avait
nommée sa dame et il portait ses couleurs. Chaque chevalier avait une dame de ses pensées, et il n’était point de
noble châtelaine distinguée par la beauté ou par l’esprit, qui ne vît plusieurs chevaliers briguer l’honneur de porter
ses couleurs. Thibaut avait vingt-six ans, la reine en avait près de quarante, mais le comte se plaisait en la science
des trouvères, de la poésie et c’est à Blanche de Castille qu’il adressait ses plus tendres et douces complaintes.
La campagne ne réussit pas moins. Le roi prit Avignon. Nîmes et Beaucaire lui remirent leurs clefs. Partout on se
soumettait, et Louis VIII, après avoir confié le gouvernement de la province à Humbert de Beaujeu, jugea la guerre finie
et voulut s’acheminer vers Paris. Blanche l’y avait devancé. Le 29 octobre, en traversant Montpensier, le roi se sentit
atteint, et fut forcé de s’arrêter. Le 3 novembre il appela autour de son lit les seigneurs qui l’avaient accompagné.
Il leur fit jurer qu’ils demeureraient fidèles à son fils qu’ils le feraient couronner sans délai et qu’ils lui prêteraient
hommage et par son testament, il laissa la tutelle à sa femme Blanche de Castille. Le roi mourant recueillit toutes
ses forces et fit les plus pressantes instances pour s’assurer de l’obéissance des seigneurs à sa femme et à son fils.
Blanche eut douze enfants avec Louis VIII. Une fille, née en 1205, qui vécut quelques jours seulement. Philippe, né
le 9 septembre 1209 et mort en 1218. Des jumeaux, Alphonse et Jean, le 26 janvier 1213, qui décèdent aussitôt.
Louis, né le 25 avril 1214, qui deviendra roi sous le nom de Louis IX ou Saint Louis. Robert, né en 1216 et tué à la
bataille de Mansourah en 1250, qui fut comte d’Artois et épousa Mahaut de Brabant. Jean, né en 1219 et mort en
1232, comte du Maine et d’Anjou. Alphonse, né en 1220 et mort en 1271, comte de Poitiers et de Toulouse. Philippe,
né en 1222 et mort à l’âge de dix ans. Isabelle, née en 1224 et morte en 1268, fondatrice du monastère de Longchamp
et sœur préférée de saint Louis, qui fut honorée du titre de bienheureuse. Étienne, né en 1225 vivant seulement
quelques jours. Charles, né en 1227 et mort en 1285, à l’égard duquel Blanche fit preuve de faiblesse, roi de Sicile,
roi de Naples, roi de Jérusalem et comte de Provence. Elle se montra aimante et attentionnée à l'égard de tous.
Blanche, après la pompe des obsèques qui eurent lieu le 15 novembre 1226, conduisit son fils à Reims pour y être
sacré. Les seigneurs, qui avaient prêté serment au lit de mort de Louis VIII, invitèrent les pairs et le baronnage de
France à la solennité du sacre. La reine n’avait auprès d’elle d’autre conseil que celui du légat du pape, le cardinal
romain de Saint-Ange mais c’était un homme habile et tout dévoué à la reine. Il fallait déjouer la ligue formidable
qui se formait, car le comte de Champagne, doublement aigri et de la calomnie qui le flétrissait et de l’affront qu’il
avait reçu au sacre, venait de se joindre à cette ligue. Ceux qui y étaient déjà entrés étaient le comte de Bretagne,
Pierre Mauclerc, Lusignan, comte de la Marche, et sa femme Isabelle, comtesse d’Angoulême, le vicomte de
Thouars et Savary de Mauléon. Au milieu de l’hiver de 1229, la reine, accompagnée du comte de Champagne,
et toujours conduisant le tout jeune roi, vint assiéger Bellême, qui capitula au bout de quatre-vingt-dix-neuf jours.
Blanche ayant amené Thibaut au Louvre, les habitués remarquèrent dans l’attitude de la reine un changement qui
les étonna. On fit courir des plaisanteries grivoises dont tout le palais se régala. Les ennemis de la Couronne
profitèrent de l’occasion pour salir Blanche de Castille. Des pamphlets coururent le pays. On traita la reine de
débauchée et de sournoise. Le roi d’Angleterre devait unir ses armes à celles du duc de Bretagne. Heureusement
Henri III d’Angleterre, âgé seulement de quelques années de plus que Louis IX, était faible, incapable, dominé par
ses favoris. Le roi d’Angleterre quitta la France n’ayant ni la volonté, ni le pouvoir de porter le poids de la guerre.
Pierre Mauclerc était le seul qui ne fût pas entré dans la pacification. Mais enfin le roi étant parvenu à l’âge de
seize ans, la résistance ayant été jusque là onéreuse, Pierre consentit à négocier. Les plénipotentiaires de Henri III
et de Louis IX réglèrent, à Saint-Aubin des Cormiers, la trêve qui consomma tous les travaux de Blanche. Cette trêve,
conclue pour trois ans avec la clause de la renouveler, fut signée 4 juillet 1231. Cinq années de bonheur s’écoulèrent
sous la fin paisible de sa régence. Son administration constante, éclairée et vigilante s’étendit à tout le royaume.
La cour de saint Louis, pour être plus sévère que celle de Philippe-Auguste, n’était pas moins splendide. Le mariage
de Robert, comte d’Artois, frère du roi, avec Mathilde de Brabant, attira plus de deux cents chevaliers, avec un nombre
proportionné d’écuyers et de servants d’armes. À sa majorité, Blanche maria son fils à Marguerite de Provence. Sans
cesser de respecter sa mère, il prend vite la direction du gouvernement et Blanche s'efface progressivement. Louis
dirige désormais les affaires. En août 1248, Louis IX quitte la France pour partir en croisade, la septième et confie à
sa mère la régence du royaume. Blanche de Castille n'était pas favorable à cette expédition que le roi a décidée à la
suite d'un vœu fait pour demander à Dieu sa guérison. Elle s'acquitte de sa tâche avec prudence et sagesse. Quand
Saint Louis est fait prisonnier en Égypte (1250), elle se dispose à réunir la somme exigée pour sa libération, ce qui ne
sera pas nécessaire. Louis IX avait remis à sa mère le gouvernement du royaume avec les pleins pouvoirs, mais avait
emporté avec lui le sceau royal, interdisant ainsi toute décision importante. Cependant, on avait appris la délivrance
du roi. Durant toute cette période, Blanche de Castille ne cessa de tenter de mettre à bas toute tentative de coalition.
La fermeté prudente et vigilante de Blanche, qui formait le trait le plus remarquable de son caractère, ne connaissait
pas d’obstacle. En 1252, la reine est avertie que les habitants de la commune de Châtenay, n’ayant pas acquitté leurs
redevances envers le chapitre de Notre-Dame dont ils relevaient, ont tous été enfermés dans la prison du chapitre
près le cloître Notre-Dame. On lui rapporte que les cachots sont si étroits, la nourriture si malsaine, et la multitude de
prisonniers si grande, que plusieurs ont péri faute d’air et d’aliments. La reine, émue à la pensée de leurs souffrances,
envoie prier les religieux du Chapitre de relâcher les victimes sur sa parole royale. La reine, entourée de ses gardes,
accourt à la prison du Chapitre et ordonne de l’ouvrir et comme la crainte de l’excommunication rendait ses serviteurs
incertains et timides, elle-même, de la canne d’ivoire qu’elle portait, donna le premier coup. Alors, au milieu des cris
d’enthousiasme, c’est à qui disputera de zèle pour achever son œuvre. Les prisonniers sont bientôt très vite libérés.
Blanche s’affligeait de l’absence de son fils. Le retour d’Alphonse, comte de Poitiers et de Toulouse, de Charles,
comte d’Anjou, ne pouvait la consoler ni de la mort de Robert d’Artois, tué à la Mansourah, ni de l’éloignement du roi.
Elle tenait d’une main habile les rênes de l’État, qu’elle voulait remettre à Saint Louis comme il le lui avait laissé, mais
elle craignait de ne plus le revoir. Toujours ferme, elle sut refuser à Henri III le passage par la Normandie, que ce
prince lui demandait pour aller réprimer les troubles de ses provinces de France. Ce refus de la régente préserva
les peuples des désordres qui accompagnent la route des armées et qui, au Moyen Âge surtout, étaient redoutables.
Ce fut à peu près le dernier acte important de l’administration de Blanche de Castille. Elle fut surprise à Melun d’une
fièvre violente, qui lui fit juger que sa dernière heure était venue. Il fallut la transporter à Paris. Là, elle reçut les
derniers sacrements des mains de l’archevêque de Paris. Elle se fit coucher sur un lit de cendres, voulut, selon un
usage pieux de ce temps, recevoir l’habit religieux que lui donna l’abbesse de Maubuisson, et, après avoir langui cinq
ou six jours, elle mourut le 27 novembre 1252 sans avoir revu son fils. Blanche fut inhumée à l’abbaye de Maubuisson,
revêtue des vêtements royaux par dessus l’habit religieux, portée à visage découvert sur un trône d’or soutenu par les
premiers seigneurs de la cour. Le tombeau, érigé au milieu du chœur, portait une inscription en huit vers latins. La
reine avait fondé cette abbaye en 1241. Quatre de ses enfants survécurent à Blanche: Saint Louis, Alphonse, Jeanne,
Charles, duc d’Anjou, devenu, par sa femme Béatrice, comte de Provence et Isabelle qui fonda l’abbaye de Longchamp.
Bibliographie et références:
- Marcel Brion, "Blanche de Castille"
- Philippe Delorme, "Blanche de Castille"
- Régine Pernoud, "La reine Blanche"
- Gérard Sivéry, "Blanche de Castille"
- Georges Minois,"Blanche de Castille"
- Charles Zeller, "La reine Blanche"
- Jean Richard, "Les pouvoirs de Blanche de Castille"
- José Enrique Ruiz-Domènec, "Les souvenirs croisés de Blanche de Castille"
- Ursula Vones-Liebensten, "Une femme gardienne du royaume, Blanche de Castille"
- Blanche Vauvilliers, "Histoire de Blanche de Castille"
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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François Ier aurait pu ne jamais monter sur le trône. Il appartient en effet à la maison d'Angoulême, branche cadette
de la maison royale des Valois, fondée par Jean, comte d'Angoulême, fils de Louis d'Orléans et de Valentine Visconti.
Sa mère, Louise, était la fille d'un cadet de la maison ducale de Savoie. En 1488, elle épouse Charles d'Angoulême,
arrière-petit-fils de Charles V. Lorsque Charles meurt en 1496, François n'a que deux ans et sa mère dix-neuf. À cette
date, François n'est donc qu'arrière-arrière-petit-fils de roi. Mais, par le jeu de la loi salique, dont le principe de base
est la primogéniture masculine, il est le deuxième sur la liste des héritiers du trône, après son cousin Louis d'Orléans.
Il a donc fallu que Charles VIII puis Louis d'Orléans, devenu Louis XII, meurent sans héritier mâle pour qu'il devienne,
le premier janvier 1515, le vingt-quatrième de la dynastie capétienne, par la grâce de Dieu, roi de France. Nombreuses
furent les mères de rois de France à avoir exercé la régence, mais Louise de Savoie fut la plus singulière. Si Blanche
de Castille, Catherine de Médicis ou Anne d'Autriche furent couronnées reines, Louise influença et gouverna, sans
jamais monter sur le trône et alors que son fils François I er était politiquement majeur. La profonde convergence de
vues entre Louise et son fils est suffisament rare dans l'histoire des relations entre les rois et leur mère pour être notée.
L'inséparable duo qu'ils formèrent annonce certains tandems célèbres de monarques et leur ministres, tels Louis XIII
et Richelieu ou Charles I er d'Angleterre et le duc de Buckingham. Si des historiens ont jugé durement sa politique,
notamment Jules Michelet qui l'accusa d'être le mauvais génie de François Ier, l'action de Louise de Savoie doit être
replacée dans son contexte historique, une période dangereuse pour l'unité du royaume après la défaite de Pavie.
Orpheline de sa mère à sept ans, négligée par son père, Philippe sans Terre qui avait bien d’autres soucis, Louise
est éloignée de Savoie qu’elle ne reverra jamais en se voyant confiée à son oncle et à sa tante, Pierre et Anne de
Bourbon-Beaujeu. En 1488, ces derniers la marient à douze ans avec Charles d’Angoulême (1459-1496), un lointain
cousin, alors gouverneur de Guyenne, qu’elle ne connaît pas, qui a dix-sept ans de plus qu’elle et qui ne va cesser de
la tromper ouvertement avant de la laisser veuve à vingt ans. Une catastrophe n’arrivant jamais seule, Louise perd
au même moment son époux et son père, devenu duc de Savoie mais disparaissant après une seule année de règne.
Louise va consacrer sa vie à la promotion et à la défense de ses deux enfants qu’elle élève, Marguerite d’Angoulême,
future reine de Navarre et François. Elle refuse tout remariage et s’impose au roi Louis XII comme seule tutrice de ses
enfants et elle se heurte à la reine Anne de Bretagne, née en 1477, qui avait déjà épousé le roi Charles VIII. Louise
semble avoir gagné en 1514 quand suite à la mort de la reine Anne, Claude épouse enfin François d’Angoulême
devenu roi sous le titre depuis célèbre de François 1er. Convaincue de la destinée royale de son fils, Louise de Savoie
l'a éduqué comme un prince. Celle qui assura la régence s'est imposée comme un personnage clé du gouvernement.
La figure de la mère du roi, régente du royaume, est bien connue dans l'histoire de France. Il suffit de penser à Blanche
de Castille, la mère de Saint Louis, à Catherine de Médicis, celle de Charles IX, ou encore à Anne d'Autriche, la mère de
Louis XIV. L'une d'entre elles, qui a pourtant exercé le plus d'influence, échappe aux écrans de l'histoire. C'est Louise de
Savoie, la mère de François Ier. À la différence des autres régentes, elle ne fut jamais reine. Mais, contrairement à elles,
elle gouverna alors que son fils était majeur. Avant même la naissance de François, Louise de Savoie croit en la destinée
de son fils. L'ermite italien saint François de Paule, convoqué au Plessis-lès-Tours peu après le mariage de Louise avec
Charles d'Angoulême en 1488, alors qu'elle n'avait que douze ans, ne lui avait-t-il pas prédit qu'elle aurait un garçon et qu'il
deviendrait roi de France ? Très précieux pour nous est le "Journal" qu'elle tient alors quotidiennement et qui nous permet
de suivre les nombreuses inquiétudes qu'éveillent chez elle les événements susceptibles de nuire à l'avènement de son fils.
Ce sont surtout les grossesses d'Anne de Bretagne, l'épouse de Louis XII, qui l'effraient. En effet, François n'est que le
cousin du roi. Lorsqu'en 1512 Anne perd un nouveau-né, Louise ne peut contenir sa joie. "Anne reine de France, écrit-elle,
à Blois le jour de sainte Agnès, le vingt-et-un janvier, eut un fils, mais il ne pouvait retarder l'exaltation de mon César, car il
avait faute de vie." En 1514, Louise s'attend à voir son fils monter sur le trône. La mort d'Anne de Bretagne le 9 janvier
semble écarter toute perspective d'un futur héritier. Mais le roi se remarie le neuf octobre avec Marie Tudor, la sœur d'Henri
VIII d'Angleterre. Cependant, Louis XII tombe gravement malade et meurt le premier janvier 1515. François est aussitôt
proclamé roi, sans avoir encore la certitude que Marie Tudor ne porte pas d'enfant. "Le premier jour de janvier, je perdis
mon mari, et le premier jour de janvier, mon fils fut roi de France" écrit Louise. François Ier témoigne à sa mère autant
d'amour et de dévotion qu'elle lui en marque elle-même. Il élève son comté d'Angoulême au rang de duché et lui donne
le duché d'Anjou, les comtés du Maine et Beaufort-en-Vallée ainsi que la baronnie d'Amboise. Soucieux du confort de sa
mère, il lui achète en 1518 une petite propriété au lieu-dit les Tuileries, juste en dehors de l'enceinte de Paris "pour lui
procurer un meilleur air que celui de l'hôtel des Tournelles" car si Louise de Savoie aime le pouvoir, elle apprécie aussi
l'argent. À l'avènement de son fils, elle devient ainsi duchesse d'Angoulème et fait preuve d'une avidité considérable.
Dès 1515, Louise de Savoie s'impose comme le personnage clé de la cour et du gouvernement du jeune roi. Le 15 juillet,
François Ier part combattre en Italie. Pendant toute la campagne qui dure jusqu'au treize janvier 1516, sa mère, restée au
royaume, veille sur la maison France. Mais durant cette première régence, ses pouvoirs sont limités car François Ier a
emporté avec lui le grand sceau, nécessaire pour valider les actes royaux. Après le retour du souverain, l'influence de
Louise reste grande. Elle forme avec son fils un couple compact dont il n'est pas toujours facile de distinguer la double
composante. On trouve souvent dans les correspondances des contemporains comme par exemple celles du cardinal
Jean Du Bellay, ambassadeur à Rome, l'expression "le roi et Madame", plutôt que celle de la simple expression "le roi."
Louise de Savoie joue un rôle déterminant dans le contrôle du Conseil royal, principal organe de décision. Parmi ses bras
droits, la postérité a retenu la figure du chancelier Antoine Duprat, issu d'un milieu de marchands très actifs, mais aussi
d'officiers de finances. La carrière que son talent et sa détermination lui permettent de réaliser s'appuie sur une tranquille
mais méthodique montée en puissance de sa parentèle au cours du XV ème siècle. Duprat parvient à se procurer, en 1504,
un office de maître des requêtes de l'hôtel du roi. Pendant deux ans, son activité est consacrée aux procédures qui sont
lancées contre Pierre de Rohan, le maréchal de Gié, ancien gouverneur de François. C'est l'occasion pour lui de se
rapprocher de Louise de Savoie, qui n'est pas étrangère à la procédure contre le ministre. Par sa maîtrise du Conseil,
Louise de Savoie empêche que s'impose un favori sur le modèle d'Anne de Montmorency, puis de Philippe Chabot et de
Claude d'Annebault dans les dernières années du règne. Elle contrôle les entrées et les sorties du Conseil et provoque
la chute du connétable Charles de Bourbon et celle du financier Semblançay, dont elle a pourtant au départ poussé la
fortune, et qui finit pendu en 1527. Charles III, duc de Bourbon, comte de Montpensier et connétable de France, était à
la tête d'un domaine considérable au cœur du royaume. Sa femme, la duchesse Suzanne, meurt en 1521 en lui léguant
tous ses biens. Louise conteste le testament en arguant du fait que, cousine germaine de Suzanne, elle est sa plus
proche parente. Le testament est aussi contesté par le roi. L'affaire est soumise au parlement de Paris. Mais, avant
même que la Cour ne se prononce, François fait don à sa mère d'une partie des biens du connétable qui alors se soumet.
Mais c'est pendant sa deuxième régence, d'octobre 1524 à mars 1526, durant la captivité du roi qui suit le désastre de
Pavie, que Louise de Savoie donne toute sa mesure. Installée à l'abbaye de Saint-Just, près de Lyon, depuis le début de
la campagne pour communiquer aussi bien avec la capitale qu'avec l'Italie, elle gouverne, avec l'aide de Duprat, recevant
les ambassadeurs et les représentants du royaume. La tâche est complexe. L'absence du roi encourage en effet les
revendications de l'aristocratie et du parlement, chacun entendant exploiter ses atouts dans un contexte difficile pour la
monarchie. Une coalition constituée en grande partie de conseillers du parlement de Paris et des princes du sang tente
en avril 1525 de faire tomber le chancelier. Très adroitement, Louise assortit son soutien à Duprat d'une manœuvre par
laquelle elle fait croire qu'elle désire nommer Lautrec comme lieutenant général à la place de Vendôme. Grâce à son
habileté et à sa fermeté, la coalition fait long feu. La régente a montré, dans ce contexte délicat, ses talents politiques.
Son rôle diminue lorsque François Ier revient en France en mars 1526. Mais le retour ne marque pas la fin des hostilités
avec Charles Quint. La guerre recommence et Louise de Savoie revient sur le devant de la scène. Mettant à profit ses
talents diplomatiques, c'est elle qui, avec la tante de l'empereur Charles Quint Marguerite d'Autriche, signe la "paix des
Dames" à Cambrai le trois août 1529. L'empereur renonce à la Bourgogne contre une rançon de 2 millions d'écus. John
Clerk, l'ambassadeur du roi d'Angleterre Henri VIII à la cour de France, qui avait estimé judicieux de conseiller à Louise
de Savoie d'agir en femme et de supplier à genoux l'empereur de libérer ses petits-enfants, eut la finesse de sentir
"qu'elle ne l'avait pas bien pris." Un contresens sur la personnalité de Louise est surprenant de la part d'un observateur
averti. C’est à ce moment que pour sortir le royaume de son isolement, elle amène Henri VIII d’Angleterre à se déclarer
enfin comme allié de la France mais c’est aussi elle qui va négocier une entente avec le Grand Turc. En effet, même si
elle est fine politique, Louise se caractérise par sa fermeté. Ainsi, lorsque le cardinal François Guillaume de Castelnau
Clermont-Lodève conteste la nomination d'un protégé du roi à l'évêché de Lavaur, elle fait rentrer les choses dans l'ordre
par une lettre laconique terminée par ces mots: "Je vous prie, mon cousin, que vous complaisiez au Roi et à moi et vous
vous en trouverez bien." Malgré d'ultimes concessions, Louise obtient le retour de la Bourgogne dans le giron français.
Au début de l'année 1531, Louise de Savoie voit ses forces l'abandonner progressivement. Les observateurs notent
qu'on la croit toujours près de s'évanouir. Elle meurt le vint-deux septembre 1531, à l'âge de cinquante-cinq ans, alors
qu'elle se rend dans son château de Romorantin avec sa fille Marguerite pour fuir la peste qui ravage Fontainebleau. Le
fils auquel elle a dévoué sa vie n'est pas avec elle. Il chasse à Chantilly en compagnie de son favori, Anne de Montmorency.
Le roi ordonne que ses funérailles soient celles d'une reine. À titre posthume, François Ier l'élève au rang de reine. Le
dix-sept octobre, une procession immense accompagne le convoi funéraire jusqu'à Notre-Dame de Paris pour la messe
de requiem. Dans un cérémonial habituellement convenu pour les rois et les reines, une effigie de cire portant une
couronne et un sceptre est posée sur une litière recouverte d'un drap d'or. Le cortège conduit la dépouille de Louise
jusqu'à l'abbaye de Saint-Denis où elle est inhumée dans la crypte royale aux côtés des rois et des reines de France.
Bibliographie et références:
- P. Henry-Bordeaux, "Louise de Savoie, régente et roi de France"
- Maurice Zermatten, "Louise de Savoie"
- Cédric Michon, "Les conseillers de François Ier"
- Laure Fagnart, "Louise de Savoie"
- Aubrée David-Chapy, "Louise de Savoie"
- Denis Crouzet, "Louise de Savoie"
- Alain Decaux, "Louise de Savoie"
- Gérad Binoche, "La mère de François Ier"
- Catherine Villeret, "La paix des Dames"
- Jean-Henri Volzer," Louise de Savoie"
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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Son cœur repose au cimetière du Père-Lachaise dans le caveau des d’Ornano, son corps menu et gracieux
en Pologne, dans la tombe familiale à Kiernozia. Comme la comtesse Marie Walewska le voulait. Marie vit le
jour le sept décembre 1786 dans le manoir familial. Une jolie enfant, née Laczynska, une famille ancienne de
la noblesse polonaise qui aurait dû avoir une destinée banale, comme bien des femmes de son milieu et de sa
génération, un mari, de la fortune, des enfants, un amant ou deux pour faire passer le vieil époux. Marie a eu
tout ça, mais sa très courte vie a été foudroyée par une histoire d’amour et de patriotisme éperdus au côté de
Napoléon, qui a perduré jusqu’à sa mort, à trente-et-un ans. De toutes les silhouettes féminines qui côtoient
l’intimité de l’Empereur, la plus discrète, la plus tendre et la plus touchante est celle de la jeune Polonaise
que Benjamin Constant comparait à Mlle de la Vallière. Elle n’était pas précisément grande, mais elle avait la
taille fine, les cheveux blonds, le teint clair, un visage délicieux, un sourire extrêmement agréable et un timbre
de voix qui la rendait sympathique aussitôt qu’elle parlait. Modeste et très réservée dans ses gestes, toujours
très simple dans ses toilettes. Napoléon l’évoquant disait d’elle: "Un ange à l'âme aussi belle que sa figure."
Marie voit le jour le sept décembre 1786 à Brodno, dans la banlieue de Varsovie, dans une famille de l’ancienne
noblesse polonaise. La petite enfance de Marie est heureuse, mais, à huit ans, tout s’écroule. Les Polonais se
révoltent contre l’occupant russe. Son père y prend part et, alors que le soulèvement est écrasé dans le sang,
il perd la vie. Jamais elle ne pardonnera aux Russes. Sa haine ira sans cesse croissante, et son patriotisme ne
fera que devenir de jour en jour plus fort. Durant ces années, ce qui retient sans arrêt l’attention des Polonais
ce sont les informations reçues de France. Elles alimentent les conversations depuis les salons de l’aristocratie
jusqu’aux tavernes des petits bourgs. Tout le monde est focalisé sur l’homme qui est devenu le maître de la France,
Napoléon Bonaparte. On le voit comme un possible libérateur, celui qui pourrait offrir au pays son indépendance.
Des quatre coins de Pologne, les jeunes s’échappent pour rejoindre l’armée de Bonaparte. Le général Henryk
Dabrowski met sur pied une troupe de vingt mille Polonais. Dans ses pensées, la jeune Marie ne change pas.
Marie termine son éducation à quatorze ans dans un couvent pour les jeunes aristocrates polonais. Elle est douce
et studieuse comme le prouvent les rapports envoyés à sa mère. En plus d’être appliquée elle devient très belle,
ce qui est idéal pour lui faire épouser un bon parti et ainsi assurer son avenir. Malheureusement, en 1804, alors
qu’elle n’a même pas dix-huit ans, on la marie à un homme, certes important, mais très vieux, le comte chambellan
Anastazy Colonna Walewski qui a soixante-dix ans. La jeune femme rêve d'une Pologne libre, et nourrit une haine
virile du Russe qui occupe la Mazovie, où elle est née, à quelques lieues de Varsovie, mais aussi du Prussien et
de l'Autrichien qui se sont partagé le reste du pays. Son rêve, comme celui de milliers de Polonais, c’est une
Pologne libre. Toutes ces pensées ne la détournent pas de ses devoirs conjugaux et c’est en 1805 qu’elle devient
mère pour la première fois d’un petit garçon prénommé Antoni. À l’automne 1806, Napoléon est enfin là. Les
Polonais l’accueillent comme le Sauveur, celui qui amène la liberté, si chère à la France. Marie et sa famille se
lancent dans la lutte en aidant les troupes françaises comme elles le peuvent. Le premier de l’an 1807, Napoléon
rencontre Marie déguisée en paysanne, pour la première fois au relais de Blonie, sur la route de Varsovie.
Elle fait partie des Polonais venus l’acclamer. Il la revoit ensuite à un bal organisé à Varsovie par son ministre
Talleyrand. Il faut croire que l’Empereur est déjà suivi par la presse car elle fait état de leur seconde rencontre.
La gazette de Varsovie rapporte en effet: "Sa majesté l’Empereur a assisté à un bal chez le ministre des Relations
extérieures, le prince de Bénévent, au cours duquel il a invité à une danse la femme du chambellan Anastazy
Walewski. "Presse ou pas Napoléon est séduit. Dès le jour suivant, il envoie son grand maréchal du palais, Duroc,
déposer chez la comtesse un immense bouquet de fleurs accompagné d’un mot de sa main. Napoléon, sous le
charme, se fait lyrique et amoureux: "Je n’ai vu que vous, je n’ai admiré que vous, je ne désire que vous." "N."
Marie éconduit Duroc, et surtout Napoléon, en ne répondant pas. L’Empereur qui n’est pas homme à se décourager
sur un champ de bataille, est tout aussi tenace quand il s’agit d’affaire de cœur. Il reprend la plume et Duroc fait des
allers-retours incessants entre l’hôtel de la comtesse et son quartier général. Tant et si bien qu’à la fin, l’affaire ne
s’estompe point et finit par attirer l’attention. L’entourage de Marie s’en mêle et, contrairement à ce qu’on pourrait
penser, ne désapprouve pas. Le destin a voulu qu’elle soit choisie par l’Empereur, c’est un signe du ciel, elle est là
pour aider à sauver la Pologne. Il ne manque que les voix célestes. Après discussion et avec les accords du chef
de sa famille, un brillant soldat au service de Napoléon, et du vieux mari, elle finit par répondre aux lettres et accepte
de devenir la maîtresse impériale. On la sacrifie donc au salut de la patrie et d’une hypothétique liberté en la jetant
dans les bras de Napoléon. Pour Marie, accepter est un acte de courage extrême, de sacrifice patriotique, une
manière de continuer à combattre comme elle l’a toujours fait pour son pays. C'est pour elle le combat de sa vie.
L’Empereur l’emmène avec lui au Château de Finckenstein, en Prusse. Leurs amours printanières dans ce lointain
château resteront dans la mémoire de Napoléon comme un moment unique. Surpris par la résignation et l’attitude
désintéressée de la jeune femme, Napoléon sent se transformer en un sentiment profond ce qui n’avait été d’abord
qu’un caprice de conquérant. De son côté, Marie, qui n’a connu de l’amour que ce que peut donner un vieillard,
découvre sous le masque de l’Empereur, le visage d’un homme seul, écrasé sous le poids des responsabilités et
qui pourtant aspire aussi à sa part de bonheur. Faut-il voir dans l’attachement de Marie une part, inconsciente ou
non, de calcul ? Ne l’oublions pas, le sort de son pays est entre les mains de son amant. Le fait est que les deux
amants semblent très épris l’un de l’autre. L’Empereur va même réorganiser son emploi du temps afin de consacrer
de longs moments à cet amour naissant, une chose qu’il n’a plus faite depuis sa liaison récente avec Joséphine.
Marie accompagne souvent l’Empereur et dans l’intimité de leur couple, elle n’oublie jamais sa mission. Dès qu’elle
le peut, elle revient sur son sujet de prédilection, la résurrection de la Pologne. Avec elle, Napoléon ne perd jamais
patience, il discute et argumente. Pour lui, les Polonais doivent mériter cette renaissance. Leur sort est donc lié au
soutien qu’ils lui apporteront dans sa lutte. Ainsi, ils deviendront des alliés fidèles, comme Marie d’ailleurs. Pourtant,
tout ce qu’ils auront est un éphémère Grand-Duché de Varsovie qui existera de 1807 à 1815. Après la défaite de la
campagne de Russie en 1813, il est occupé par les Russes. Marie continue quant à elle de suivre Napoléon. À Paris,
elle vit retirée, dans un petit hôtel particulier de la rue de la Victoire. Le 4 mai 1810, à 4 heures de l’après-midi, elle
met au monde un joli garçon, Alexandre, futur diplomate, qui est le fruit de ses amours adultérines avec l’Empereur.
Le brave et vieil Anastazy de Walewski, âgé de 73 ans et mari en titre, reconnaîtra l'enfant par patriotisme polonais.
Il deviendra le ministre des affaires étrangères de Napoléon III et fera une carrière brillante sous le III ème empire.
Le cinq mai 1812, avant d’aller sceller son destin dans l’immensité glaciale des plaines de la Russie tsariste, Napoléon
en présence de Marie, prend toutes les dispositions nécessaires à la garantie de l’avenir du jeune Alexandre. Il lui
fait don de soixante fermes situées dans les environs de Naples ainsi que d’une rente. À cela s’ajoutent bien entendu
des armoiries en même temps que le titre de comte d’Empire. Il reste cependant un dernier détail à régler, la séparation
de Marie d’avec son vieux mari. Perclus de rhumatismes et de dettes il n’y a plus rien à espérer de lui. De plus, la loi
sur la communauté des biens entre époux pourrait le faire profiter de la dotation de l’Empereur. En août 1812, le couple
divorce, la situation de maîtresse d’Empereur aidant dans ce genre de dossier. Mais, car il y a souvent un mais, ce
divorce ne fait pas pour autant de Marie une femme libre. Son éducation et la tradition l’obligent, par décence, à
considérer son vieux chambellan comme mari aussi longtemps qu’il vivra, ce qu’il a tout de même le bon goût de ne
faire encore, que pendant deux ans et demi. L'homme fit preuve d'une étonnante grandeur d'âme pour l'époque.
La suite est connue, la retraite de Russie, la campagne de France, l’abdication et le départ pour l’île d’Elbe en avril
1814. Après l’abdication, Marie accourt à Fontainebleau. La première femme qui ait résisté à l’Empereur tout-puissant
est aussi la dernière à l’assister alors qu’il a tout perdu. Ce n’est pas tout, un soir de septembre, une femme et un
enfant débarquent à l’île d’Elbe. On attend l’Impératrice et le roi de Rome mais c’est encore une fois la comtesse
Walewska et son fils. Ils passent deux jours auprès du prisonnier puis reprennent la route pour le continent. Ils ne se
reverront plus. Rien n’obligeait Marie à faire tout cela, à lui montrer ces dernières marques d’affection. Alors, est-elle
sincère quand, dans ses mémoires, elle écrit que sa liaison avec l’Empereur a été "un sacrifice fait à son pays" ?
Blessé en duel, incarcéré pour propos hostiles au Roi, le général d’Ornano, cousin éloigné de Napoléon et général
d’Empire dont le nom est inscrit sur l’Arc de Triomphe, se réfugie à Bruxelles en janvier 1816. Il y retrouve Marie,
exilée elle aussi, et veuve à vingt-six ans suite au décès de son mari, le comte Walewski. Depuis longtemps, Ornano
éprouve une attirance pour la jeune femme. Le 7 septembre 1816, l’archiprêtre de Sainte-Gudule les unit en présence
du notaire Dupré et de son clerc. Les exilés n’ont pas obtenu l’autorisation de résider dans la capitale. Ils quittent la
ville et vont s’installer à Liège au pied de la colline de Cointe, dans le quartier de Fragnée qui, à l’époque, est encore
un quartier synonyme de campagne. À cette époque, à Liège, il y a beaucoup de proscrits, d’anciens officiers de
Bonaparte ayant refusé de se mettre au service du Roi. Ni le général, ni Marie ne semblent avoir cherché à les
fréquenter. Marie préfère de loin la musique dans son salon aux discussions politiques et l’ancien soldat doit se
contenter de rêver aux campagnes passées. En janvier 1817, Marie enceinte, décide d’aller jusqu’en Pologne pour
y régler certaines affaires, revoir son fils Antoni, né de son premier mariage et consulter un médecin très réputé.
Sa santé n’est pas très bonne et la perspective d’une nouvelle naissance inquiète tout le monde. Les nouvelles
ne sont pas réjouissantes car le docteur diagnostique une toxémie aiguë, une maladie des reins survenant pendant
la grossesse. Elle rentre malgré tout à Liège. Le dix juin, le comte d’Ornano déclare à l’état civil la naissance d’un
petit Rodolphe, né la veille. Très faible, la jeune mère tente de surmonter la maladie en se reposant dans la maison
de Fragnée. Elle passe l’été, sur une chaise longue dans le jardin. Elle en profite pour dicter à son secrétaire, ce qui
est supposé être ses Mémoires. C’est à Liège que Marie verra l’été pour la dernière fois. Le célèbre docteur français
Corvisart, appelé en consultation, est pessimiste. Entre-temps, le général reçoit l’autorisation de rentrer en France.
Il y ramène sa famille en novembre, par étapes, pour ne pas fatiguer la malade. Le trente, ils arrivent enfin à Paris.
Onze jours plus tard, à sept heures du soir, le 11 décembre 1817, le cœur de Marie Walewska cesse de battre. Elle
s’éteint dans les bras de son mari. Elle avait eu à peine la force de fêter son trente-et-unième anniversaire quatre
jours plus tôt. Dans son testament, Marie veut que son cœur reste en France mais que son corps soit transporté
en Pologne, dans le caveau familial de Kiernozia, ce qui fut fait quatre mois plus tard. Jusqu’à ce qu’il la rejoigne
dans la mort, le comte d’Ornano gardera dans son bureau l’urne contenant le cœur de Marie. À son décès elle est
placée avec lui dans le caveau familial avec la simple inscription: "Marie Laczynska, comtesse d’Ornano." Ils
reposent encore aujourd’hui, tous deux, au cimetière du Père-Lachaise. Avant de mourir, le général d’Ornano
est devenu sénateur, gouverneur des Invalides, grand chancelier de la Légion d’honneur. Leur fils Rodolphe est
préfet, député, maître des cérémonies à la Cour de Napoléon III. Alexandre sera ambassadeur et ministre d’État.
L'émouvante figure de Marie Walewska, la plus célèbre des maîtresses de Napoléon, suscite des interrogations.
Déjà mariée au comte Walewski, beaucoup plus âgé qu'elle, a-t-elle sacrifié l'honneur conjugal à la noble cause
de la résurrection de la Pologne, ou fut-elle prise de force, comme l'assurait André Castelot ? Ce sacrifice a-t-il
été vain ? Napoléon fut-il vraiment épris de Marie Walewska, épouse polonaise de l'Empereur ou faut-il ranger
simplement cette liaison au-dessus des passades nécessaires au repos du guerrier en raison de sa durée ? À
Sainte-Hélène, Napoléon ne disait-il pas à Gourgaud, sans le moindre attendrissement: "C'est M. de Talleyrand
qui m'a procuré Marie Walewska, elle ne s'est pas défendue." Ce qui est pour le moins brutal. Et le cinéma a
contribué encore à embellir l'histoire en faisant de Greta Garbo une Marie Walewska d'une beauté remarquable.
Bibliographie et références:
- Octave d'Aubry, "Maria Walewska, le grand amour de Napoléon"
- Christine Sutherland, "Marie Walewska, le grand amour de Napoléon"
- Guy Godlewski, "Le destin tourmenté de Marie Walewska"
- Paul Bauer, "Deux siècles d'histoire au Père Lachaise"
- Jean Tulard, "Napoléon Bonaparte"
- Philippe Antoine d'Ornano, "Archives familiales"
- Simone Bertière, "Les femmes de Bonaparte"
- Janine Boissard, "Trois femmes et un empereur"
- Alexandre Walewski, "Archives familiales"
- Rodolphe d'Ornano, "Ma mère, Marie Walewska"
- Alphonse Antoine D'Ornano, "Marie Walewska"
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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Lorsque Marie Leszczy?ska devient Reine de France le 5 septembre 1725, elle ignore tout des subtilités
de cour et des coteries qui y font rage. Son père, Stanislas, lui a donné pour conseil de se fier entièrement
aux artisans de son mariage, le duc de Bourbon et sa maîtresse la marquise Agnès de Prie. Conseil qui va
se révéler désastreux. Le duc de Bourbon, premier ministre depuis la mort du Régent, et sa maîtresse
Madame de Prie sont au faîte de leur puissance. Louis XV est encore trop jeune et trop influençable pour
gouverner par lui-même. Le couple va s’en charger avec délectation. Marie Leszczy?ska, polonaise sans
fortune ni avenir, fille d’un roi détrôné, n’est pas devenue reine par hasard. Alors que l’on cherche de toute
urgence une épouse au roi capable de lui donner une descendance, son nom est lancé par Madame de Prie.
Elle veut "une fille de roi, mais simple, douce, docile, pieuse à souhait, sans prétentions ni appuis." En effet,
que deviendrait-elle si le jeune souverain épousait une femme de caractère soutenue par une puissante famille ?
Il n’en est pas question. Il lui faut une Reine à sa solde, inexpérimentée, prête à se fier totalement à elle.
Pourquoi ? Tout simplement pour contrebalancer l’influence du cardinal de Fleury, précepteur du Roi, très écouté
et très apprécié par ce dernier. Éblouie par la Cour de Versailles, honorée toutes les nuits par un mari empressé
et métamorphosé par le mariage, qu’elle aime de toute son âme, Marie nage dans le bonheur. Un bonheur qui
ne sera que de courte durée. Moins de quatre mois après son union avec Louis XV, elle va commettre un faux
pas qui va lui coûter cher. Elle fait entièrement confiance à Madame de Prie pour l’aider à s’acclimater et à
s’instruire de ses nouvelles fonctions. Pourquoi en serait-il autrement ? Elle est le principal artisan de cette
union inespérée avec le plus puissant roi d’Europe et son père ne jure que par elle et le duc de Bourbon.
D’autant qu’elle ignore tout de l’aspect sordide des négociations qui l’ont conduite dans le lit du roi et ne sait rien
du passé peu recommandable du duc et de la marquise. La maîtresse du duc de Bourbon jubile. Loin d’apprendre
à sa protégée toutes les subtilités de l’étiquette, et de l’aider à arbitrer les querelles de préséance, elle use de
son ascendant et se joue de la naïveté de la jeune reine pour combler de faveurs ses amis, à l’exclusion des autres.
Marie Leszczy?ska est obsédée par Mme de Prie. Il ne lui est libre ni de parler à qui elle veut, ni d’écrire. Madame
de Prie entre à tout moment dans ses appartements pour voir ce qu’elle fait, et elle n’est maîtresse d’aucune grâce.
À soixante-douze ans, le cardinal de Fleury ne s’est pas fait que des amis. Le duc de Bourbon et sa maîtresse ne
supportent pas son influence sur le Roi, qu’il garde en entretien en tête à tête pendant des heures, et son ingérence
dans les affaires. Les deux compères mettent sur pied une manœuvre pour accéder en particulier au roi et tenter de
lui parler librement. Le but ultime étant évidemment d’évincer définitivement Fleury. D’autant que le temps presse,
leur politique est de moins en moins populaire. Marie Leszczy?ska connaît l’attachement du Roi pour Fleury.
Mais elle n’apprécie pas qu’il s’immisce dans sa vie intime, allant jusqu’à lui "donner son avis sur la fréquence idéale
des rapports conjugaux." Jouet facilement malléable par le duc et sa maîtresse, elle va accepter, après quelques
hésitations, d’intercéder en faveur du duc de Bourbon. Nous sommes le 17 septembre 1725. La journée tire sur sa
fin, et Louis XV qui revient de la chasse dispose d’une heure de temps libre avant de retrouver Fleury en entretien.
Marie envoie son chevalier d’honneur, prier le roi de passer chez elle. Louis XV ne se le fait pas dire deux fois,
et rejoint son épouse dans son cabinet. Quelle n’est pas sa stupeur de la trouver en compagnie du Premier ministre.
Certainement incapable de discerner le masque de colère froide sue le visage de son mari, Marie Leszczy?ska
l’assure qu’il lui sera bénéfique de travailler en particulier avec le duc de Bourbon. Ce dernier se lance alors dans la
lecture d’une lettre hostile à Fleury puis demande au roi ce qu’il en pense. Le roi, muré dans un silence de plomb
depuis le début de ce curieux entretien, renouvelle sa confiance au vieux cardinal, son ami. La défaite du duc de
Bourbon est cinglante. Louis XV regagne ses appartements, laissant Marie en pleurs. Il a vu sa femme être
l’instrument des ennemis de son précepteur. Le piège qu’elle lui a tendu maladroitement, l’a mis dans une colère noire.
À la suite de cet épisode, les jours du duc de Bourbon et sa maîtresse à la cour sont comptés. Ils ne vont y survivre
que quelques mois. Marie Leszczy?ska, qui persiste, intercède en faveur de ceux à qui elle se croit intimement liée.
En réalité Louis XV, poussé par Fleury et faisant preuve de dissimulation, s’apprête à leur signifier leur congé. Le duc
de Bourbon est disgracié. Madame de Prie doit regagner ses terres où elle mourra quelques mois plus tard.
Non seulement elle n’a pas mesuré combien le roi était viscéralement attaché à Fleury, qui va d’ailleurs diriger les
affaires de la France jusqu’à sa mort, mais encore se rend-elle compte que l’amour qu’elle porte à Louis n’est pas
payé de retour. Du moins pas de la même façon. En outre, en brusquant ce grand timide qui déteste les drames
et les conflits, distant avec autrui, Marie a commis une faute très grave. Elle dit adieu à ses chances de devenir sa
confidente, et de voir s’instaurer entre eux une réelle complicité. À partir de ce moment-là et ce pour toute sa vie,
Marie aura constamment peur de déplaire au roi, qu’elle aime plus qu’il ne l’aime. Après ces mois éprouvants,
elle a compris qu’il la domine et elle se montre plus docile et plus soumise que jamais. Désormais, leurs relations
seront dénuées de spontanéité et, irrémédiablement, Louis XV se détachera de sa femme trop douce et trop éprise.
Seconde fille de Stanislas Ier Leszczynski et de Catherina Opalinska, Marie Catherine Sophie Félicité naît le 23 juin
1703 en Pologne. Marie Leszczy?ska n’a que six ans lorsque Stanislas Ier perd la couronne de Pologne, au profit
d’Auguste III. En 1717, Anne Leszczy?ska, sœur aînée de Marie, meurt à l’âge de dix-huit ans, laissant une sœur
et une mère inconsolables. La princesse de Pologne se réfugie à Strasbourg en 1720 avec ses parents, grâce
au soutien du Régent, Philippe d’Orléans. Marie est une princesse instruite. Elle connaît le latin, parle plusieurs
langues, dont le français et a reçu l’enseignement des lettres, de la musique, du chant, de la danse et de l’histoire.
Concernant son premier rôle de génitrice, Marie Leszczy?ska le remplit à merveille. En dix ans, elle met au monde
dix enfants. Malheureusement, huit d’entre eux sont des filles, quand le royaume a besoin d’héritiers mâles.
Si les premières années de mariage ont été calmes et heureuses, Louis XV finit par s’ennuyer que son épouse soit
toujours indisposée par ses nombreuses grossesses. Dés 1733, il prend une maîtresse, Louise-Julie de Mailly, mais
la reine ne l’apprendra qu’en 1738. En 1733, Marie a le chagrin de perdre sa fille Louise-Marie et son second fils,
le duc d’Anjou, victimes de maladies infantiles. La France se désole que la reine ne donne plus naissance qu’à des
filles. On dira que “son ventre penche fâcheusement de ce côté-là”, la rendant ainsi responsable de ne pas renforcer
la dynastie par la naissance de garçons. Fatiguée d’être constamment enceinte, Marie Leszczy?ska dira un jour:
"toujours coucher, toujours grosse, toujours accoucher." En cette même année 1733, Louis XV intervient dans la
guerre pour la succession de Pologne, espérant remettre enfin le père de Marie Leszczynska sur le trône vacant.
Marie étant sa seule héritière, la Lorraine reviendra à la France au décès de Stanislas. Les frontières seront ainsi
élargies pacifiquement avec l’annexion d’une région importante d’un point de vue stratégique. En 1735 et 1738, la
reine a fait une fausse-couche, d’un garçon à chaque fois. La seconde perte met un terme à ses grossesses. Les
médecins conseillent à la souveraine de ne plus porter d’enfant, insistant sur le fait qu’il y a désormais un risque
de mort pour elle. Dés ce moment, Louis XV dévoile ses liaisons amoureuses et délaisse son épouse. Celle-ci se
réfugie dans la prière et obtient du roi de pouvoir tenir un petit cercle d’amis. Le couple royal vit sa vie chacun de
son côté. Louis et Marie n’apparaissent plus ensemble que pour les cérémonies officielles. Marie Leszczy?ska
bénéficie alors d’une liberté incroyable pour une reine de France, sans pour autant déroger à ses obligations.
Cette même année 1738, les quatre dernières filles de Marie Leszczy?ska partent pour l’abbaye de Fontevraud,
pour y recevoir une éducation religieuse. Seule Félicité, de santé fragile, ne reverra pas ses parents, victime de
maladie. En 1739, la fille aînée de Marie Leszczy?ska, Elisabeth, dite Madame Infante, épouse l’infant d’Espagne
Philippe de Bourbon. Les autres filles ne se marieront pas. À la cour, les maîtresses du roi se succèdent et Marie
Leszczy?ska prie pour le salut de son époux. Cependant, si le souverain impose ses favorites à la reine, il fait en
sorte de ne pas l’humilier davantage car, à l’inverse de son aïeul Louis XIV, il n’impose pas ses nombreux enfants
illégitimes à la cour, et n’en reconnaîtra qu’un. En 1744, on croit Louis XV perdu lorsqu’il tombe malade à Metz.
Il renvoie sa favorite et promet que, s’il guérit, il demeurera fidèle à la reine. Louis XV se rétablit et reprend des
maîtresses. Marie est résignée. Elle continue ses actions pieuses, se montre charitable envers les pauvres et se
consacre à ses enfants. Elle aime le jeu, ce qui permet à la reine généreuse de pouvoir donner des aumônes.
En 1752, un deuil affecte Marie Leszczy?ska et Louis XV. Leur fille Henriette meurt de la tuberculose. Elle était la
préférée du roi. Le peuple y voit un châtiment de Dieu, pour punir le roi de sa nouvelle liaison avec la marquise de
Pompadour. Marie n’aime guère cette favorite, qui restera vingt ans auprès du roi et jouera le rôle du Premier ministre,
le cardinal de Fleury étant décédé en 1743. La marquise est à la fois la maîtresse, la confidente, la politicienne. Les
enfants du roi, scandalisés par le comportement de leur père, la surnomment "Maman putain." Encore une fois,
la reine trouve refuge dans la prière. À partir de 1759, une série de deuils frappe le couple royal. Madame Infante,
en visite à Versailles, meurt de la variole. Elle est suivie, en 1761, par le fils aîné du dauphin, qui décède de la
tuberculose osseuse. En 1763, c’est au tour d’Isabelle de Bourbon de disparaître prématurément. Le 20 décembre
1765, le dauphin Louis-Ferdinand meurt, miné par la tuberculose. Son épouse Marie-Josèphe se laisse dépérir,
atteinte elle-aussi du même mal, et le rejoint dans la tombe en mars 1767. En 1764, la marquise de Pompadour
était morte d’un cancer, libérant Marie Leszczynska de sa présence à la cour et de son influence sur le roi.
Pourtant, Louis XV et Marie Leszczy?ska vivent séparés depuis trop longtemps pour se rapprocher maintenant.
Résignée, et fatiguée par les deuils, la reine s’éteint le 24 juin 1768 à Versailles, à l’âge de soixante-cinq ans. Aimée
par le peuple, Marie Leszczy?ska est vite oubliée par Louis XV qui reprend une nouvelle favorite, Jeanne Bécu, future
Madame du Barry. Marie laisse l’image d’une reine généreuse mais qui fut discrète, mélancolique et malheureuse car
trop vite délaissée par son époux qu’elle n’a pas réussi à s’attacher. Dernière reine de France à mourir avec sa couronne,
son corps est inhumé à la basilique Saint-Denis, tandis que son cœur repose auprès de ses parents à Nancy.
Bibliographie et références:
- Michel Antoine, "Louis XV"
- Simone Bertière, "La Reine et la Favorite, Marie Leszczynska"
- Jacques Levron, "Marie Leszczynska"
- Anne Muratori-Philip, "Marie Leszczy?ska"
- Benoît Dratwicki, "Les Concerts de la reine"
- Cécile Berly, "Les femmes de Louis XV"
- Maurice Garçot, "Stanislas Leszczynsk"
- Thierry Deslot, "Impératrices et Reines de France"
- Letierce, "Étude sur le Sacré-Cœur"
- Pierre Gaxotte, "Le Siècle de Louis XV"
- Yves Combeau, "Louis XV, l'inconnu bien-aimé"
- Pascale Mormiche, "Louis XV"
- Bernard Hours, "Louis XV et sa cour"
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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Si Mazarin et Anne d’Autriche ont laissé le jeune roi se divertir avec Marie Mancini, c’est qu’il était important,
après la grave maladie de l’été 1658, de rassurer les sujets sur le complet rétablissement du souverain. Atteint
d’une fièvre typhoïde qui faillit l’emporter après la prise de Dunkerque, Louis XIV a appris que le pouvoir royal
est tributaire de l’état de santé du prince. De multiples cabales ont en effet secoué le royaume et le quotidien
d’une cour toute disposée à porter le roi au tombeau. Après la guérison, Mazarin a songé au mariage du
convalescent. L’aventure avec l’une de ses nièces n’aurait servi qu’à distraire le jeune monarque en rassurant
les cours européennes sur sa capacité à se marier et à faire des enfants. Marie Mancini n’aurait donc servi
qu’à exercer le roi aux plaisirs de l’amour en espérant que, le moment venu, la raison reprendrait ses droits et
que le monarque se détournerait d’elle. Mais les choses se sont déroulées différemment. Après une séparation
en public, le jeune roi inaugure une correspondance avec Marie et la revoit plus tard, à Saint-Jean-d’Angély,
le treize août 1659, alors que les négociations avec l’Espagne ont débuté la veille sur l’île des Faisans.
Pourtant, tout au long de l’été, Anne d’Autriche et Mazarin n’ont eu de cesse de convaincre Louis de ne pas
revenir en arrière et de songer à l’avenir en la personne de Marie-Thérèse. Nombreux sont les contemporains
à avoir reconnu l’amour impossible du roi dans la Bérénice de Racine. Un vers resté célèbre: "Vous êtes empereur,
Seigneur, et vous pleurez." aurait été repris de l’échange survenu entre les deux amants au moment de leur
séparation publique. Plusieurs témoignages accréditent l’hypothèse selon laquelle le roi aurait effectivement
versé des larmes au moment fatidique. Mme de Motteville indique que ces pleurs ont débuté dès la veille au
soir, dans la chambre d’Anne d’Autriche, et qu’ils ont recommencé le lendemain en présence de la jeune femme.
Celle qui est considérée comme étant la première passion amoureuse de Louis XIV naît à Rome le vingt-huit
août 1639 et reçoit le prénom de Marie. Elle est la fille de Lorenzo Mancini et Girolama Mazarini, sœur de Mazarin.
Son père, Lorenzo Mancini, lui prédit dés sa naissance un avenir malheureux. Sa mère, Girolama Mazarini, sœur
de Mazarin, a déjà trois enfants dont deux filles lorsque Marie vient au monde et remarque bien vite que de toutes
ses filles, elle est celle qui a le moins de charme, a le visage le plus ingrat. Après Marie, Mme Mancini aura
encore plusieurs enfants qui porteront la famille à huit héritiers. Dés 1647, le cardinal de Mazarin fait venir sa
famille à la cour de France. Il espère ainsi marier ses nièces et ses neveux à de bons partis. La jeune fille
rejoint la France en 1655, après la mort de son père, survenue en 1650. Olympe, est déjà courtisée par Louis XIV.
Malgré la Fronde qui éclate en 1647, Laure parvient à épouser la même année, le duc de Mercœur, petit-fils
d’Henri IV et de sa maîtresse, Gabrielle d’Estrées. Après la Fronde en 1655, Madame Mancini emmène le reste de
ses enfants à Paris. Son époux, Lorenzo Mancini est mort en 1650. Alors que toute la famille est présentée à
la cour, Marie est mise dans un couvent à cause de son caractère inconvenant et ses mauvaises manières. En
décembre 1656, sa mère finalement s’éteint, emportée par une maladie. Girolama meurt en recommandant sa
fille, Marie Mancini, à son frère, le cardinal de Mazarin, pour qu’il la mette au couvent pour y finir ses jours. Malgré
les recommandations de Girolama, Marie est enfin libre et peut aller où elle veut. C’est à cette occasion qu’elle
apparaît à la cour pour la première fois. Elle trouve que sa sœur aînée, Olympe est déjà courtisée par Louis XIV
depuis quelques temps. Il ne faut pas attendre longtemps, pour que Marie tombe sous le charme du jeune Louis.
En 1657, sa sœur est finalement mariée au comte de Soissons. En 1658, une occasion vient montrer la grande
passion qu’elle a pour le roi. Celui-ci, parti guerroyer à Calais, est prit de fortes fièvres à Compiègne et il semble
que ses jours soient comptés. Marie, amoureuse depuis longtemps mais en secret de Louis, éprouve un profond
chagrin. Quand Louis XIV se remet de sa maladie, il apprend la tristesse que la jeune femme avait eue lors de
sa maladie, et conçoit peu après une violente passion pour elle. Cette nouvelle liaison ne fait qu’attiser la jalousie
d’Olympe qui manifeste immédiatement une haine incommensurable à sa sœur. Elle souhaite à tout prix sa perte.
Elle ne comprend pas comment cette fille, qui sans être d’une grande beauté, a réussi à conquérir le cœur du roi.
Car il faut le dire, Olympe est plus belle que Marie Mancini. Et selon les dires de l’époque, Marie n’est pas très
belle, elle n’a pas la blondeur et les rondeurs de l’époque. Pour le séduire encore plus, Marie lui fait découvrir
les connaissances qu’elle a. En fait, Louis aime la littérature, la mythologie et Marie Mancini veut briller devant
en lui montrant qu’elle connaît ces choses. Elle lui fait aussi partager sa passion pour la poésie. La liaison entre
Louis et Marie éclate pendant le séjour de l'ensemble de la cour réunie à Fontainebleau, durant l’automne 1658.
En fait, Louis fait donner plusieurs fêtes somptueuses, des feux d’artifice, en l’honneur de sa bien-aimée, Marie.
La Cour comprit que c’est Marie, la nouvelle élue dans le cœur du roi et espérant en tirer des profits, tous les
courtisans se mettent aussi à courtiser Marie. Cela ne fait qu’aviver la jalousie de ses sœurs et surtout Olympe
qui avait espéré d’être toujours auprès du roi. La liaison entre Louis et Marie fût des plus platoniques. Dans les
premiers temps, Mazarin est content de voir sa nièce être aimée du roi car cela éloigne de lui des femmes
intrigantes et ambitieuses. Néanmoins, Louis commence à aimer beaucoup Marie et prévoit de l'épouser. Cette
fois, c’en est trop pour Anne d’Autriche. Elle menace Louis de faire révolter tout le pays et de le faire marcher
contre lui et à leur tête, son propre frère, le duc d’Orléans. Au début, la reine-mère pense que Mazarin approuve
cette union car Marie est sa nièce. Or elle se trompe, Mazarin avait prévu depuis longtemps l’union entre Louis
et la petite infante d’Espagne et de plus, sa nièce le haïssait. Donc Mazarin avait tout à craindre si un jour,
sa nièce parvenait à épouser Louis XIV, celle-ci aurait poussé son époux à le disgracier. Entre amour et haine.
Mazarin et Anne doivent feindre d’unir Louis XIV à Marguerite de Savoie pour éveiller de la jalousie chez le roi
d’Espagne, Philippe IV. Louis, se sentant maître de lui-même, refuse de se séparer de Marie. Il l’aime à la folie
et ces projets de mariage entre la Savoie ou l’Espagne ne lui font pas changer d’avis. Mais la reine-mère fait
entendre à son fils les méfaits qu’il y aurait s’il s’obstine à rester avec Marie. Louis XIV n’a plus de choix et pour
des raisons politiques ainsi que pour le bien de la France, il doit hélas quitter Marie. Craignant en effet l’autorité
de sa mère, Anne d’Autriche, Louis XIV est obligé de se séparer de Marie. Avant de quitter la cour, voyant le roi
pleurer, Marie ne peut s’empêcher de dire: "Vous pleurez Sire, vous êtes le maître et moi je pars." Marie Mancini
rejoint Brouage avec ses jeunes sœurs Hortense et Marie-Anne. En 1659, alors que Louis XIV part pour l’Espagne,
on lui accorde d’aller rendre visite à Marie à Cognac. C'est la dernière fois que Marie et Louis se voient seuls.
Bien que ne connaissant pas la future épouse de son fils, Anne d’Autriche en témoigne de l’affection, puisqu’elle
est sa nièce. Elle est la fille de Philippe IV, qui est son jeune frère. Elle éloigne Marie de Louis XIV, cette fois pour
de bon. Après avoir eu une liaison amoureuse avec Charles de Lorraine, Marie épouse en 1661 Lorenzo Colonna,
Connétable de Naples, un homme beau et riche que son oncle Mazarin lui a trouvé avant de mourir. Dès lors,
Marie mène un grand train de vie. Son époux est très amoureux d’elle et lui donne tout ce dont elle a envie.
Mais il ne faut pas attendre longtemps pour que Marie découvre la vraie nature de son époux. En fait, celui-ci la
trompe ouvertement avec d’autres femmes. Même si son époux la trompe, Marie n’en est pas plus fidèle. Elle
s’affiche avec d’autres galants, profite de la vie et sort plus régulièrement, allant dans plusieurs fêtes et bals.
Après huit années de leur mariage, Marie Mancini apprend que son époux a eu plusieurs bâtards que nombre
de ses maîtresses lui ont déjà donné. Exaspérée, elle refuse de partager son lit conjugal avec son époux puis finit
par s’enfuir, laissant derrière elle ses trois fils, tous jeunes. Elle, sa sœur Hortense, et son jeune frère Philippe
commencent à mener une vie dissolue. Enfin, pour éviter le scandale et que tout le monde ne sache pas ce
qui se passe, Lorenzo Colonna poursuit son épouse pour la faire enfermer dans un couvent. Marie craignant pour
sa vie, à tort, s’enfuit dans toute l’Europe, n’étant pas sûre où elle est en sécurité. En 1672, pour échapper à son
époux, Marie doit se réfugier chez sa jeune sœur Hortense. Arrivée avec elle à Aix en vêtements masculins, sa
ferme intention était de revenir à la cour. Et là, elle demande un passeport à son ancien amant. Mme de Montespan,
alors favorite en titre y met le holà en démontrant au roi combien la situation serait délicate s’il l’accueillait en
présence de la reine. Louis XIV se revisa et pria la voyageuse de se retirer dans un couvent ou de regagner l’Italie.
Marie s’installe d’abord à l’abbaye du Lys, près de Fontainebleau. C’était encore près. La marquise de Montespan
exige une retraite dans une plus lointaine province. La "Mazarinette", "outrée de douleur", séjourne quelques mois
à Avenay, non loin de Reims, puis descend à Nevers et là, ne trouvant aucun couvent agréable, demande asile au
duc de Savoie. Après, elle prend la route vers l’Espagne où elle mène une vie nomade à Madrid, où ne pouvant pas
mener un train de vie digne de son rang à cause de l’absence de ressources, elle erre d’habitation en habitation,
allant même dans un couvent. En hiver 1691-1692, Marie fait un séjour à Rome où elle se trouve mal à l’aise et
décide de retourner à Madrid. La France et l’Espagne sont encore en guerre et Marie a besoin d’un nouveau
passeport. Elle l’obtient en échange de ne pas quitter son parcours. L'errance se poursuit encore de ville en ville.
En 1700, la succession au trône espagnol est un bouleversement car c’est le petit-fils de son ancien royal amant,
Philippe V, qui devient roi d’Espagne. Ayant porté son choix sur le rival de Philippe V, Marie est obligée de s’exiler.
Alors qu’elle a plus de cinquante ans, elle obtient l’autorisation de retourner à Paris où le roi lui fait adresser "milles
honnêtetés." Mais son amour d’autrefois ne veut plus la revoir. Après 1700, Marie Mancini finira par retourner en
Italie d’abord à Rome puis à Pise où elle décède le 8 mai 1715 à l'âge de soixante-quinze ans, quelques mois avant
Louis XIV qui refusa toujours de la revoir. Après sa mort, elle est inhumée dans le couvent du Saint-Sépulcre. Son fils
favori, le Cardinal Charles, fera graver sur sa tombe, située à l'entrée de l'église, l'inscription “Cendres et poussière”.
Bibliographie et références:
- Claude Dulong, "Marie Mancini, la première passion de Louis XIV"
- Anne-Marie-Louise d'Orléans-Montpensier, "Mémoires"
- Luce Herpin, "Le Roman du grand roi; Louis XIV et Marie Mancini"
- Henry Bordeaux, "Marie Mancini"
- Michel Bernard, "Brouage, Lausanne"
- Gerty Colin, "Un si grand amour, Louis XIV et Marie Mancini"
- Claudine Delon, "Marie Mancini"
- Françoise Mallet-Joris, "Marie Mancini"
- Simone Bertière, "Les Femmes du Roi Soleil"
- Pierre Combescot, "Les Petites Mazarines"
- Frédérique Jourdaa, "Le Soleil et la Cendre"
- Emile Ducharlet, "La ballade de Marie Mancini"
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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En 1615, Anne d’Autriche, infante d’Espagne, quitte son pays natal pour lier son destin à celui de Louis XIII.
Ses espoirs seront vite anéantis. Tenue à l’écart des affaires de l’État par son époux et sa belle-mère, tous
deux jaloux de leurs prérogatives, elle découvre par ailleurs le peu d’attirance du roi pour le beau sexe. Sa
vie devient un enfer. Une entrevue galante à la nuit tombée, avec le séduisant duc de Buckingham fait
scandale dans les cours européennes et déchaîne la fureur d’un souverain humilié. Le cardinal de Richelieu,
qui gouverne la France d’une poigne de fer, espionne désormais la reine sans relâche tandis que la duchesse
de Chevreuse multiplie les intrigues autour d’elle, provoquant de graves crises qui ébranlent le trône. Parvenir
à embrasser les intérêts de la France et se sentir enfin reine, tel sera l’enjeu douloureux d’Anne d’Autriche
jusqu’à la naissance de son fils, le futur Roi-Soleil. Raison souveraine la cueille comme le bouton de rose
qu’elle est en 1615, alors qu’âgée de quatorze ans, elle épouse le roi de France. Louis XIII a le même âge,
il est en quête d’amour. Sa mère, Marie de Médicis, l’en a privé durant toute son enfance, lui préférant son
frère et l’élevant dans la crainte de Dieu et de ses châtiments. La responsabilité de cette femme dans l’échec
de la vie conjugale de son fils est énorme. Henri IV, son père, est assassiné quand il n’a que huit ans. Il voit
le cadavre que l’on ramène au Louvre, il en est traumatisé. Mais un roi ne doit pas pleurer. "Père manquant,
fils manqué" disait Corneau. Fille de Philippe III d'Espagne et de Marguerite d'Autriche, grande, belle, telle
que l'ont peinte Rubens (musée du Prado) et Mignard (musée du Louvre), héroïne enfin d'Alexandre Dumas,
la reine a suscité amitiés fidèles et animosités redoutables. Louis XIII ne l'aime guère, Richelieu s'en méfie.
Le 18 octobre 1615, après des années de négociations rendues difficiles encore par l’opposition huguenote
au mariage en France, Louis XIII épousait l’Infante d’Espagne, tandis que sa sœur Élisabeth était unie à l’Infant
Don Philippe, futur roi d’Espagne. Cet événement était censé mettre fin définitivement à la longue rivalité
politique et territoriale entre les deux puissances. Aussi bon nombre de publications célébrèrent-elles le double
mariage princier en des termes dithyrambiques et se firent-elles l’écho des fêtes somptueuses organisées
pendant près de deux mois des deux côtés de la frontière. Une riche iconographie ornait les architectures
éphémères, de nombreuses comparaisons et métaphores érudites émaillaient les discours officiels, dont le
but évident était de célébrer le mariage et la consolidation des relations pacifiques entre la France et l’Espagne.
Mais ces images étaient essentiellement ambivalentes, ambiguës même. En effet elles servaient moins à
construire des représentations paradigmatiques du mariage et de l’union qu’à forger un ensemble de fictions
destinées à affermir politiquement un royaume en période de reconstruction. Comme telles elles articulaient
les mêmes questions de pouvoir souverain et d’impérialisme que les autres rituels monarchiques du règne.
Les fêtes qui marquèrent le long séjour du roi et de la cour à Bordeaux à l’automne 1615 furent multiples et
variées. Il y eut tout d’abord son arrivée et entrée dans la ville le sept octobre, puis son mariage et celui de
sa sœur Élisabeth par procuration, à Bordeaux et à Burgos, simultanément, le 18 octobre de la même année.
Le retour à Paris n’eut lieu que le 16 mai suivant, avec tout l’apparat d’une entrée solennelle. L’annonce des
mariages en 1612 avait été le prétexte de multiples réjouissances dans la capitale et ailleurs, et notamment
d’un splendide carrousel, dit du Palais de la Félicité, donné sur la place Royale, à Paris, le seize avril 1612.
Derrière cet accord de façade entre la France et l’Espagne, se dissimulaient cependant les prétentions plus
nationalistes de la part des Bourbons. Loin de manifester un désir de partage d’influence et de souveraineté
avec l’Espagne, les emblèmes et autres images retenues n’envisageaient en fait l’instauration de la paix avec
la maison d’Autriche que comme un moyen destiné à faciliter l’avènement de la France à la domination
suprême sur la Chrétienté. L’alliance n’apportait pas l’égalité entre les deux puissances nouvellement
réconciliées, ni l’abandon de leur traditionnelle rivalité, elle venait plutôt consacrer la suprématie de la France
en Europe et, imaginairement, dans le monde. La jeune infante d’Espagne Anne d’Autriche, fille aînée de
Philippe III, née en 1601, devient reine de France par son mariage avec Louis XIII en 1615. Il faut attendre
1638 pour que la reine accouche d’un enfant, Louis Dieudonné, futur Louis XIV. La maternité constitue un
tournant majeur dans la vie d’Anne d’Autriche, qui acquiert ainsi le statut de mère de l’héritier du trône que
les régnicoles lui souhaitent depuis de longues années. Les relations avec Louis XIII, marquées par les
tensions voire la conflictualité, peinent cependant à s’apaiser. À la mort du roi en 1643, le jeune Louis XIV
n’a que quatre ans et huit mois, et Anne d’Autriche assure la régence du royaume de France. Veuve et
mère du roi, elle défend avec jalousie l’autorité de son fils en même temps qu’elle s’appuie sur le cardinal
Mazarin pour exercer l’autorité souveraine. Ce dernier a toujours compté sur son indéfectible soutien.
Même s'il n'y eut jamais de mariage secret. Paresseuse, peu instruite, c'est un trait qu'elle partage avec
nombre de membres des familles régnantes de l'époque, aussi entêtée qu'autoritaire, elle n'a plus, après la
mort de son mari, qu'un souci, celui de léguer à son fils un royaume intact. Pour simplifier, disons qu'elle a eu
deux carrières politiques successives. Jusqu'en 1643, elle chaperonne l'opposition, participe peu ou prou à
tous les "complots", comme ceux de Chalais ou de Cinq-Mars, entretient avec son frère Philippe IV une
correspondance secrète qui témoigne de plus d'inconscience que de réelle trahison. Tout change avec
Mazarin. Elle se laisse aveuglément guider par l'italien, par celui qui fut peut-être l'un des plus brillants
hommes d'État du XVII ème siècle, au plus grand bénéfice de la monarchie française. Justifiée par les
besoins de la politique de rapprochement franco-espagnol de Marie de Médicis, cette union ne produit pas
d’abord tous les fruits attendus. Si les hostilités ne reprennent officiellement qu’en 1635, le roi montre peu
d’empressement auprès d’une personne qui passe néanmoins pour bien faite, et à ce dédain apparent, ou
tout au moins à ce manque d’attention, Anne répond en manifestant des sentiments espagnols de plus en
plus ardents à mesure que la menace de guerre se précise. Il faudra attendre l'intervention de Luynes.
Tout son comportement attise la défiance d’un époux naturellement soupçonneux. C’est d’abord l’affaire
Buckingham, en 1625, dont elle comprend le danger à temps, aidée par son sens de l’honneur espagnol.
C’est ensuite le complot de Chalais, en 1626, auquel elle est mêlée comme à toutes les intrigues maladroites
où Madame de Chevreuse parvient à l’engager. Elle se fait ainsi un ennemi de Richelieu, qui l’espionne avec
régularité et qui semble l’avoir longtemps desservie dans l’esprit du roi. Au point de vue psychologique et
moral, la détérioration des rapports conjugaux atteint son comble avec la découverte, en 1637, de la
correspondance secrète qu’elle entretient avec le roi d’Espagne Philippe IV et le cardinal-infant. Bien que l’on
admette généralement qu’elle est alors à deux doigts de sa perte, il n’est pas sûr qu’elle ait livré ainsi à ses
frères des renseignements de première importance. Quoi qu’il en soit, la disgrâce est très brève. En 1638,
naît le dauphin tellement attendu de tous les Français. Il n’est plus possible de répudier la mère du futur roi.
La reine est devenue indispensable, non seulement au roi, mais encore à la politique de son ministre. Elle
aurait acquis en 1642 les bonnes grâces de Richelieu en lui dévoilant les secrets du complot de Cinq-Mars.
La reine a-t-elle bien trempé dans le complot ? Rien ne permet de l’affirmer. La mort de Louis XIII, en 1643,
est une autre grande date dans la vie d’Anne d’Autriche. La régence à peine ouverte, la reine fait casser le
testament de son époux. Elle a désormais tous les pouvoirs, en particulier celui de confier les affaires du
royaume à qui lui plaît. Elle a le bon goût de nommer Mazarin chef de son Conseil. Ceux qui comptaient
sur la régence pour renverser l’ordre voulu par Richelieu et conquérir les bonnes places doivent déchanter.
Les nombreux Importants, les ambitieux ou les simples aigris réclament à grands cris le renvoi de Mazarin.
C’est mésestimer le caractère de la souveraine. Persuadée que son autorité est en jeu, Anne d’Autriche
commence par confirmer les fonctions de Mazarin dont le pouvoir sera aussi illimité que celui de Richelieu.
Et aussitôt après, elle frappe un grand coup en renvoyant en prison le plus fou des Importants, Beaufort ,
qui n’est pas encore le héros de la populace. Il n’en faut pas plus pour réduire au silence, pendant quelques
années, les velléités d’opposition. Il est difficile d’évaluer indépendamment l’action politique de la reine et
celle de son ministre pendant la période de la Fronde de 1648 à 1653, et plus généralement pendant les
dix-huit années qui séparent le règne de Louis XIII et le règne personnel de Louis XIV de 1661 à 1715.
Dès le début de la régence, la Cour, frappée par l’unité d’inspiration qui préside aux destinées du royaume,
avait conclu que la veuve de Louis XIII avait trouvé dans le cardinal un amant qui la consolait de ses déboires
passés. Sans qu’il soit possible de nier l’inclination d’Anne pour son favori, et l’influence de ce sentiment sur
la politique française, il ne faudrait pas raisonner en auteur de mazarinades et faire de la reine un jouet entre
les mains d’un intrigant italien. Les actes autoritaires de la régence ont été décidés par elle et Mazarin. Lorsque
les circonstances obligeaient à les révoquer, la reine a toujours fait beaucoup plus de résistance que son ministre.
Inversement, les actes conciliants ont été presque tous engagés ou inspirés par Mazarin. L’association d’une
Espagnole et d’un Italien a permis la conclusion définitive des traités de Westphalie en 1648, l’abaissement
des grands qui s’étaient cru à tort revenus au bon temps de la régence de Marie de Médicis, l’anéantissement
des prétentions politiques du parlement de Paris, la négociation et la conclusion du traité des Pyrénées en
1659, avec le mariage de Louis XIV et de Marie-Thérèse, qui était depuis longtemps le grand dessein personnel
de la reine. Ce n’est pas tout ce que Louis XIV doit à sa mère. Il semble que celle-ci lui ait légué une grande
partie de sa dignité et de sa majesté naturelle. Par sa volonté, le roi reçoit une instruction assez peu étendue
peut-être, mais solide et pratique, faite de principes simples, débarrassés des préjugés à la mode. Après la mort
de Mazarin, Anne n’a plus aucune part au gouvernement du royaume. Elle n’en continue pas moins de bénéficier
de l’affection de son fils. Anne d'Autriche, qui a toujours joui d'une bonne santé, atteinte d'un cancer du sein,
s'éteint le 20 janvier 1666, à l'âge de soixante-quatre ans. Son mariage secret avec Mazarin n’a jamais été prouvé.
Bibliographie et références:
- Ruth Kleinman, "Anne d'Autriche"
- Philippe Alexandre, "Pour mon fils, Pour mon Roi"
- Simone Bertière, "Les deux régentes"
- Aimé Bonnefin, "La monarchie française"
- Jean-Christian Petitfils, "Louis XIII"
- Michel Duchein, "Le duc de Buckingham"
- Jean-Christian Petitfils, "Louis XIV"
- Claude Dulong, "Anne d'Autriche"
- André Castelot, "L'Histoire insolite"
- Pierre Chevallier, "Louis XIII"
- Claude Dulong, "Anne d'Autriche"
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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Cédant aux revendications du parti anti-autrichien de la cour, Louis le Bien-Aimé lance en 1741 son royaume
dans la guerre de Succession d’Autriche, qui durera sept ans, malgré l’opposition du vieux cardinal de Fleury,
qui décède deux ans plus tard. Dorénavant, à l’image de son grand-père, Louis XV, âgé de trente-trois ans,
gouvernera sans Premier ministre. Si durant les premières années de guerre, la monarchie française collectionne
les succès militaires, telle la bataille de Fontenoy en 1745, celle de Rocourt en 1746, et enfin celle de Lauffeld en
1747, la défaite rencontrée à l’issue de la bataille de Plaisance de 1746 met cependant un terme aux espoirs
français d’établir la frontière nord du royaume le long du Rhin, aux Pays-Bas autrichiens. Cette guerre affaiblit
la monarchie au point de vue financier. Si les dépenses de la guerre de Succession de Pologne s’étaient chiffrées
à près de deux cents millions de livres, la guerre de Succession d’Autriche, premier grand conflit terrestre et
maritime du règne de Louis XV, pesa plus lourdement encore sur le budget. Le conflit engloutit plus d’un milliard
de livres, accroissant dès lors la dette de l’Etat. Le traité d’Aix-la-Chapelle, signé en 1748, restitue toutes les
conquêtes françaises aux Autrichiens, suscitant le mécontentement des généraux de Louis XV et l’indignation
dans tout le royaume. Mécontents, les français avançaient que "Louis XV avait travaillé pour le roi de Prusse."
La popularité du monarque connaît après cette paix une large érosion, alimentée de surcroît par les rumeurs
de la cour évoquant un roi égoïste et jouissif, plus préoccupé des plaisirs que lui procuraient ses maîtresses que
par la conduite de l’Etat. Pourtant, le roi formait autrefois un couple solide avec Marie Leszczy?ska, avant que
la lassitude vienne s’installer, la reine étant épuisée par ses maternités trop rapprochées. Ses grossesses
répétées l’ont tenue écartée des activités préférées du roi, la chasse et les divertissements. Bien qu’instruite,
elle manque de l’éclat capable de retenir Louis XV. La reine finit par se plaindre à son père de l’infidélité
récurrente de son mari volage, tombé successivement sous le charme des quatre sœurs de Mailly-Nesle: Louise
Julie, comtesse de Mailly; Pauline Félicité, comtesse de Vintimille; Diane Adélaïde, duchesse de Lauraguais;
Marie-Anne, marquise de La Tournelle et duchesse de Châteauroux. Tour à Tour, elles furent ses favorites.
Aînée des cinq filles de Louis III de Nesle, Louise-Julie née le 16 mars 1710, la même année que Louis XV. Elle
n’a que seize ans lorsqu’elle épouse en 1726 Louis-Alexandre, comte de Mailly. Grâce à sa haute naissance,
Louise entre dès l’âge de dix-neuf ans au service de la reine Marie Leszczynska comme dame d’honneur. La jeune
femme fut délivrée de son époux qui n’appréciait pas la cour et demeurait sur ses terres. Quant à sa mère,
Armande-Félicitée, elle est la petite fille d’Hortense Mancini et donc par conséquence, arrière-petite-nièce du
célèbre cardinal de Mazarin. Louise-Julie donc par son père et sa mère, appartient à des illustres et nobles
familles. Louise-Julie ne passe pas une enfance paisible, sa mère fréquente beaucoup d’amants et elle n’a que
seize ans lorsqu’elle épouse en 1726 Louis-Alexandre, comte de Mailly, qui est le cousin germain de son père.
Le comte de Mailly, de seize ans son aîné était débauché, le contrat de mariage ne fut pas respecté par les
beaux-parents, et le couple se trouva dépourvu de moyens. On disait: " C'est le mariage de la faim et de la soif."
La jeune Louise-Julie prit dans l'entretemps, un amant, le marquis de Puisieux qui en devient amoureux et qui
la consola de son mari. Le roi la remarque dès 1732 mais ne fait rien car il est encore très épris de son épouse.
Pourtant, les grossesses à répétition de la reine commencent à lasser Louis. Bachelier et Lebel pourvoient à leur
maître quelques passades amoureuses mais qui n'assouvissent pas ses désirs. Le Cardinal de Fleury dut se
rendre à la réalité. Il fallait trouver au souverain une maitresse-en-titre capable de lui tirer de son ennui. Afin
d'éviter que le choix du roi ne se porte sur une femme ambitieuse susceptible d'exercer quelque influence sur
le souverain, Le choix se porta sur Mme de Mailly. Ainsi, et avec la complicité du Cardinal de Fleury ainsi que
celle de Mlle de Charolais, de la comtesse de Toulouse ainsi que de Bachelier, premier valet de chambre du roi,
Louise entreprend une relation avec le roi pour le sortir de son ennui. Mais il fallait d'abord chasser l'encombrant
marquis de Puisieux qui était fou amoureux de sa maîtresse. Pour l'éloigner de bon de Mme de Mailly, on lui fit
miroiter le poste d'ambassadeur à Naples mais il refusa disant qu'il ne partirait que sur ordre de sa maitresse. Et
ce que fit Mme de Mailly. Le marquis fut surpris par sa décision à laquelle il ne se connaissait pas de successeur.
La liaison de Louis XV et de la comtesse de Mailly débutera en 1733 et restera secrète jusqu’en 1737, année
où la reine donne naissance à sa dernière enfant, Madame Louise et les deux amants utiliseront des portes et
couloirs dérobés pour se voir. Mais en 1738, Marie Leszczynska ferme définitivement la porte de sa chambre au
roi pour raison de santé. Les médecins lui ayant conseillé de ne plus tomber enceinte car une autre grossesse
pouvait nuire à sa santé. Louis s’affiche alors publiquement et sans scrupules avec la comtesse de Mailly. Ses
contemporains décrivent le portrait d'une jeune femme enjouée, bonne, tendre, adroite et désintéressée.
Pourtant Louise qui est si douce et réservée, est sans grande beauté. Elle a un long nez, une grande bouche,
un teint brun, cheveux bruns, des joues plates, une voix rude et une démarche masculine. Mais elle a un front
"ayant le poli d’ivoire", est très bien faite et adore l’intimité. Elle est aussi fort élégante et sait mettre en valeur
quelques avantages que la nature lui a donnés. Le valet de chambre de Louis XV la dépeint ainsi: "Grande
et bien faite, c'est une très belle brune piquante, sa gorge est blanche et ses yeux sont magnifiques".
Louise fut certainement celle qui, parmi les sœurs Nesle, et presque toutes les favorites de Louis XV, aima le
roi d’un amour totalement désintéressé voire sincère. Eloignée de toute intrigue, Mme de Mailly reste en
extase devant ce souverain qui lui témoigne régulièrement sa flamme, malgré les scrupules religieux qui
l'assaillent parfois. En fait il quittait parfois sa maîtresse pour rejoindre le lit de la Reine où pleurant et à
genoux, lui demandait plusieurs fois de lui accorder le pardon. Malgré sa position de favorite royale, elle ne
demandait rien au roi ni pour elle ni pour ses proches. Louis XV d’ailleurs, ne lui donnait presque rien puisqu’elle
ne le demandait pas. Même la pension qu’il lui versait était bien maigre et Louise portait parfois des robes
trouées et usées. Quoique Louise-Julie de Mailly-Nesle soit la favorite déclarée de Louis XV, en revanche,
elle est respectueuse envers la reine. Louis XV parait heureux de sa maitresse et Fleury est satisfait d'un plan
qui n'entrave pas la marche du gouvernement. Malheureusement, il ne va pas pourtant tarder à déchanter.
Louise, dans sa grande naïveté introduit bientôt à Versailles sa sœur Pauline qui vient de finir son éducation
au couvent de Port-Royal. Après avoir écrit plusieurs lettres à sa sœur, Pauline veut venir à la cour et la
supplanter dans le cœur du roi. Pauline est aussi insolente, mordante et laide que sa sœur aînée est réservée,
timide et sans grande beauté. Il apparaît bien vite que Louise ne sert plus que de paravent aux amours du roi
et de sa sœur. Mais en septembre 1741, Pauline décède brusquement lors d’un accouchement et Louis, éploré,
retourne auprès de la comtesse de Mailly. Le roi installe Mme de Mailly dans un appartement secret aménagé
au-dessus du sien. Leur relation reprit mais Louise-Julie ne parvenait plus à égayer les petits soupers des
cabinets. Elle pleurait et le roi aussi. Lorsque celui-ci partageait son lit, il se réveillait pendant la nuit pour
réciter un acte de restriction. Pour se recoucher ensuite auprès de sa maîtresse parée comme une châsse
puisqu'elle ne pouvait pas dormir sans ses bijoux. Elle avait appelé une autre de ses sœurs, Mlle de Montcavrel
qui fut sa maitresse de très courte durée. Il l'avait renvoyée et s'empressa de la marier au duc de Brancas.
La cour s'enlisait dans l'ennui et les courtisans se demandaient qui allait succéder Mme de Mailly dans le lit
du roi. Et une fois de plus, Louise encore sans défiance, fait entrer à la cour ses deux dernières sœurs, les
plus jeunes, Hortense et Marie-Anne. Le roi de France alors amoureux fou, courtise la première, qui repousse
ses avances puis la deuxième, qui finit par accepter de devenir sa maîtresse en titre. Louis XV mettra alors
définitivement un terme à sa relation avec Louise. Celle-ci quitte alors Versailles en 1742 pour Paris où,
honteuse, elle porte désormais un cilice. Elle vient d’être bannie par le roi à la demande de sa sœur, Marie-Anne,
qui souhaite être la seule favorite officielle de Louis XV. Louise de Mailly se retire à Paris où elle vit dans la
charité, la dévotion et la pauvreté. Touchée par un sermon du père Renaud, Mme de Mailly se sentit tout à coup
ravie et dégoûtée d'elle-même par cette parole douce et pénétrante qui parlait du bonheur de vivre avec Dieu.
Un jour où elle devait dîner chez M. de Boissière, elle faisait dire qu'elle ne pouvait plus s'y rendre et c'est là
qu'on apprit le renoncement de Mme de Mailly. Elle quittait le rouge et les mouches. Elle s'était complètement
métamorphosée et de ce jour, elle se vouait à une pénitence exemplaire. Le Jeudi Saint de l'année 1743, la
cour et le peuple se pressaient chez les sœurs grises de Saint-Roch pour voir Mme de Mailly, qu'accompagnait
la jeune veuve du duc de La Trémoille pour le lavement des pieds. Elle consacrait tout son argent pour des
bonnes œuvres. Elle ne s'employait qu'à visiter les pauvres, n'hésitant pas à se dépouiller en secours et en
charités, à peine se réservait-elle pour son nécessaire personnel deux ou trois écus de six livres. Cette vie de
sacrifice menée avec courage, avec gaîté même, dura jusqu'au 5 mars 1751 où la comtesse de Mailly mourait
à l’âge de quarante-et un ans en odeur de sainteté. Son légataire universel fut le jeune comte du Luc, fils du
roi et de sa jeune sœur, Mme de Vintimille, qu'elle avait adopté. Son exécuteur testamentaire, le prince de Tingry
à qui elle laissa un diamant de prix et une somme de 30 000 livres qui était destinée à payer ses créanciers.
L'ancienne favorite fut enterrée selon ses veux, au cimetière des Innocents, à Paris, parmi les plus pauvres.
Bibliographie et références:
- Alain Decaux et André Castelot, "Dictionnaire d'histoire de France"
- François Bluche, "Louis XV"
- Michel Antoine, "Les favorites de Louis XV"
- Marc Langlois, "Louise-Julie de Nesle"
- Pierre-André Laurens,"Louise-Julie de Nesle"
- Bernard Hours, "Louis XV : un portrait"
- Paul Del Perugia, Les amours de Louis XV"
- Jean-François Solnon, "La Cour de France"
- Jean Meyer, "Louis XV"
- Simone Bertière, "Les amours de Louis XV"
- Evelyne Lever, "Le crépuscule des rois"
- Jean-Christian Petitfils, "Louis XV"
- Jacqueline Suzanne, "Louise-Julie de Nesle"
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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On a dit de la vie de Mme de Staël qu'elle constituait le meilleur de ses romans. De fait le rôle qu'elle joue, toute
jeune mariée, dans son salon de la rue du Bac, le rayonnement qu'elle exerce à Coppet, l'exil auquel elle est
contrainte, ses voyages en Allemagne, en Italie et en Russie, sa liaison mouvementée avec Benjamin Constant,
sa fréquentation des plus beaux esprits de l'époque, lui donnent un prestige qui dépasse de beaucoup son œuvre.
Femme de lettres, Madame de Staël est considérée comme une des importatrices du mouvement romantique en
France, avec son défenseur et ami François-René de Chateaubriand. Fille de Necker, la jeune femme reçoit une
excellente éducation et grandit au contact des grands noms de la vie intellectuelle française, ce qui fera d'elle une
femme curieuse, libre et ambitieuse, animée par l'esprit des Lumières. Vivement opposée à Napoléon Ier, Germaine
de Staël passe une grande partie de sa vie en exil, en Suisse notamment, où elle fonde le Groupe de Coppet avec
Benjamin Contant, son amant. Femme forte dont la personnalité marquera profondément les générations suivantes,
Madame de Staël demeure une figure majeure de la littérature française pour son aspiration à un renouveau littéraire.
Née à Paris le 22 avril 1766, Germaine de Staël côtoie dès son enfance les esprits les plus éclairés de son temps
dans le salon de sa mère, Suzanne Curchod. Elle est par ailleurs initiée au jeu du pouvoir par son père, le ministre
des finances Necker. À vingt ans, elle suit la décision de ses parents et épouse le baron de Staël, ambassadeur de
Suède, et entame sa carrière de femme de lettres avec les "Lettres sur J. J. Rousseau." Déçue dans sa vie privée,
prise dans le tourbillon de la vie publique et politique, elle s’éprend du comte de Narbonne, futur ministre de la Guerre.
La naissance de son fils Auguste, en 1790, et les aléas de la carrière de Necker ne l’empêchent pas de regrouper
dans son salon le parti constitutionnel et libéral. En 1792 naît son second fils, Albert, qui mourra dans un duel en
1813. Délaissée par Narbonne, Mme de Staël se lie alors au comte de Ribbing. Après avoir dénoncé le sort fait
à Marie-Antoinette dans "Réflexions sur le procès de la reine", elle théorise sur l’avenir du roman dans "l’Essai sur
les fictions", traduit par Goethe. Perçue comme une dangereuse intrigante par le Comité de salut public, elle quitte
la France pour la Suisse. De sa liaison avec Benjamin Constant naît une fille, Albertine, en 1797. Mme de Staël
espère jouer un rôle politique, mais ses rares rencontres avec Napoléon révèlent qu’il se méfie beaucoup d’elle.
Très tôt, et malgré l'ingratitude d'un physique sans grâce, elle séduit par sa culture, son intelligence et sa conversation.
Bien qu'appartenant traditionnellement à la littérature, le personnage de Mme de Staël déborde des cadres étroits où
l'on voudrait l'enfermer. La plume est pour elle à la fois un moyen et un pis-aller. Par son père, Jacques Necker, l'enfant
connaît surtout la nouvelle puissance de l'argent. Necker, commis de banque devenu associé de ses patrons, fait
fortune et devient ministre. En 1777, il est directeur général des Finances du royaume. Celle qu'on appelle alors Louise
Necker a onze ans. Elle entre précocement dans la vie politique et ne se résignera jamais à l'abandonner, servie et
contrée par l'extraordinaire expansion des affaires françaises à travers toute l'Europe. Portée par les événements, elle
ne les vit pas et cela dès son plus jeune âge, comme devant être subis et croit toujours pouvoir les infléchir.
Elle est attachée aux préoccupations politiques de son temps. Jean-Jacques Rousseau a été son maître. Il reste son
inspirateur et elle lui consacre son premier ouvrage important. Aussi accueille-t-elle avec joie la Révolution. Espère-t-elle
jouer un rôle ? C'est vraisemblable, car elle proposera à Montmorin un plan d'évasion du roi et elle aura suffisamment
d'influence pour faire donner le portefeuille des Relations Extérieures à Talleyrand. Il le paya d'ailleurs de la plus totale
ingratitude, et elle se vengea en le peignant sous les traits d'une vieille dame sèche et égoïste dans Delphine (1802).
À ce jeu, elle risque quelquefois la mort, comme le 3 septembre 1792, et ne cesse jamais de lutter avec les différentes
polices, où elle a cependant des intelligences. De cette lutte, elle n'est victorieuse qu'au prix de péripéties dignes d'un
roman d'espionnage. Mais ses défaites provisoires, elle les transforme en victoires. Lorsque Napoléon l'exile en Suisse,
en 1802, elle fait de Coppet, propriété de son père sur les bords du Léman, le lieu où se crée de toutes pièces un esprit
européen, image qu'elle veut positive des conquêtes négatives de l'Empereur. À partir de là commence une lutte ouverte
entre elle et Napoléon, qui va se répercuter sur sa pensée et ses ouvrages. Il n’aime pas les femmes influentes et craint
une personne très éloquente tenant un salon fréquenté par des gens brillants, haut placés dans son entourage, un salon
où l’on professe des idées qu’il rejette. Il croit trouver la trace de Mme de Staël, non sans raison, dans des groupes
d’opposants, puis dans des conspirations, ce qui est beaucoup moins sûr. Elle sera sans nul doute sa pire ennemie.
Si Mme de Staël connut la gloire de son temps, ce fut d'abord par son œuvre romanesque, avec "Delphine" en 1802, puis
"Corinne", en 1807. Mais elle fut aussi l'auteur d'articles, signés parfois de pseudonymes, et d'essais politiques d'une rare
pénétration à cette époque de la part d'une femme. La plupart ne furent connus qu'après sa mort, comme ses "Réflexions
sur la paix", ses "Considérations sur la Révolution française", ses "Circonstances actuelles". Adepte de la monarchie
constitutionnelle, Mme de Staël, qui élève sa passion de la liberté au-dessus de la forme des régimes constitutionnels, s'est
ralliée à la République après le 9 Thermidor. Pourtant, la situation de Mme de Staël devient intenable. Repoussée par les
républicains, elle se pose en égérie de la monarchie constitutionnelle et s'attire les sarcasmes de la noblesse. Effrayée par
les massacres de septembre 1792, elle fuit Paris pour la Suède, puis rejoint son père à Coppet. Le gouvernement modéré
de 1794 la rassure. Elle revient à Paris et un grand changement s'opère en elle. Sa générosité, son sens élevé de la justice
et sa commisération profonde s'épanouissent. Son salon devient le rendez-vous des mécontents. Le pouvoir s'inquiète,
Bonaparte se méfie. Fouché prévient Mme de Staël qui n'en tient aucun compte. Elle est préoccupée par son livre "De la
littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales" (1800), qui est unanimement critiqué. Seul
Chateaubriand prend sa défense. De là date leur grande amitié. Les deux écrivains se retrouvent sur tous les autres plans.
La mort de son père interrompt son périple en Allemagne. Elle se rend en Italie avec A. W. Schlegel et, à son retour, Mme
de Staël décline une offre de mariage de Constant. Son deuxième roman à succès, "Corinne" (1808), trace le destin d’une
femme qui tente d’être artiste et amante à la fois et prône la liberté de l’Italie. Elle passe l’hiver de 1808 dans la haute
société viennoise, s’éprend du comte Maurice O’Donnel et fréquente le prince de Ligne, dont elle publie les préfaces.
Revenue en Suisse, elle alterne la rédaction de "De l’Allemagne", œuvre qui ouvre les portes au romantisme en France,
avec celle des pièces de théâtre qu’elle interprète parfois elle-même. Elle tente de se rapprocher de la capitale, mais la
police lui ordonne de rentrer en Suisse et fait détruire les épreuves de "De l’Allemagne" sur l’ordre de Napoléon (1810).
À Genève, Mme de Staël rencontre un sous-lieutenant des hussards, John Rocca, qu’elle épousera secrètement en 1816
après lui avoir donné un fils. En mai 1812, elle s’échappe de Coppet, sa propriété suisse, et se rend alors en Angleterre.
Elle reprend "Dix années d’exil" et commence les "Considérations sur la Révolution française." Mme de Staël traverse
alors une période cruelle. Affectée des mesures prises par Fouché, l'âge l'assombrit. Elle a horreur de vieillir et tout lui
devient âpre. En 1812, elle réussit à s'enfuir à Saint-Pétersbourg, puis en Suède et en Angleterre. Partout, elle tente de
stimuler l'ardeur des ennemis de Napoléon. À Londres, elle rencontre le futur Louis XVIII, en qui elle veut voir l'homme
capable de réaliser la monarchie constitutionnelle dont elle rêve. Mais elle pressent la désastreuse influence que vont
avoir sur le roi les émigrés arrogants: "Ils perdront les Bourbon", dit-elle. De retour à Paris le 30 septembre 1814, elle
se rallie aux Bourbons après les Cent-Jours. Pendant l’hiver 1816, elle fait un dernier voyage en Italie pour marier sa fille.
De retour à Paris, elle meurt le 14 juillet 1817. La mort brutale de Mme de Staël à cinquante et un an, arrête une œuvre
inachevée sur le plan littéraire. Il ne lui a pas été donné de voir les changements maintenant proches de la littérature
française, elle sans qui les choses n’auraient pas été tout à fait ce qu’elles sont. Elle repose conformément à ses vœux
auprès de ses parents dans la chapelle d'un cimetière situé non loin du château de Coppet au bord du Lac Léman.
Bibliographie et références:
- Simone Balayé, "Madame de Staël. Lumières et Liberté"
- Jean-Denis Bredin, "Une singulière famille, les Necker"
- Laurence de Cambronne, "Madame de Staël"
- Ghislain de Diesbach, "Madame de Staël"
- Françoise d'Eaubonnes, "Germaine de Staël"
- Maria Fairweather, "Madame de Staël"
- Henri Guillemin, "Madame de Staël et Napoléon"
- André Lang, "Une vie d'orages, Germaine de Staël"
- Marcel Laurent, "Madame de Staël"
- Georges Solovieff, "Madame de Staël"
- Michel Winock, "Madame de Staël"
Bonne lecture à toutes et à tous.
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Charlotte fouilla dans son sac, sans trop savoir ce qu'elle cherchait, sans rien chercher de précis, à vrai dire,
simplement pour s'occuper jusqu'à l'arrivée de Juliette. Elle ne pouvait pas se contenter de rester, là assise,
le regard perdu dans le vide, et elle ne voulait pas non plus jouer à la fille courbée sur elle-même qui pianote
frénétiquement sur son portable. Il y avait bien ces cent premiers feuillets d'un manuscrit que son assistante
lui avait tendu au moment où elle quittait le bureau, mais non, sortir un manuscrit de la maison Gallimard chez
Berthillon à l'heure de prendre une glace, c'était comme lire un scénario chez Miocque à Deauville. Le truc à
ne pas faire. La seule chose dont elle aurait vraiment eu envie, ç'aurait été de poser sur ses oreilles son casque
pour écouter de la musique, afin de ne plus entendre la voix grinçante et aiguë de l'homme, qui, derrière elle,
hurlait dans son téléphone. Si elle avait été seule, ou avec des amies, elle aurait tout simplement demandé à
changer de table, mais Juliette allait arriver d'une minute à l'autre, elle ne voulait pas qu'elle la surprenne à faire
des histoires. Elle connaissait trop ses sautes d'humeur et respectait par dessus-tout la relation SM qui les
unissait. Charlotte avait accepté sans restriction de se soumettre totalement à Juliette. L'anxiété générée par
la perspective de ce déjeuner, combinée au brouhaha incessant de la soirée organisée à l'étage au-dessus
qui s'était prolongée jusque tard dans la nuit, s'était soldée par un manque à gagner sérieux de sommeil.
La séance que lui avait imposée Juliette lui revenait en mémoire par flashes. Elle revivait surtout le moment où
elle avait dû retrousser sa jupe. Dès cet instant, elle avait commencé à éprouver du plaisir. Un plaisir que la
punition face au coin, la culotte baissée, les poses obscènes, et jusqu'à la tentative de viol de Juliette n'avaient
fait qu'accroître. Bien sûr, elle avait eu peur. Bien sûr, elle avait eu honte. Bien sûr, elle avait pleuré. Et pourtant,
le désir l'avait toujours emporté. Elle avait passé plus d'une heure à trouver une tenue sans arriver à se décider.
Toutes celles qu'elle portait d'habitude lui semblaient si classiques. Juliette aimait la provocation jusqu'à oser ce
qu'il y avait de plus sexy ou d'aguicheur. Elle possédait l'art de la composition et savait assortir avec goût les
éléments les plus disparates. Elle osait, au moins elle osait. Elle arriva finalement sans retard à leur rendez-vous.
Elle avait décidé de faire quelques courses en centre ville. Charlotte dévala quatre à quatre les escaliers du glacier.
Raide au volant de sa voiture allemande, Juliette ne lui jeta même pas un regard. Elles roulèrent sans se parler.
Elle conduisait sa voiture à travers la circulation avec son autorité naturelle. À coté d'elle, Charlotte ne savait pas
comment se tenir et gardait le visage tourné vers la vitre. Où allaient-elles ? Juliette n'avait même pas répondu à la
question. Elle flottait entre inquiétude et excitation, ivresse et émoi. À l'extérieur ne défilaient que des silhouettes
floues, échappées d'un mirage. Cette fois, elle savait que l'univers parallèle qu'elle s'était tant de fois décrit en secret
était tout proche, enfin accessible. La réalité peu à peu s'effaçait. À tout moment, elle s'attendait à ce que la main de
Juliette se pose sur sa cuisse. Une main douce glissant sa caresse sur le satin de sa peau. Ou une main dure au
contraire, agrippée à son corps. N'importe quel contact lui aurait plu, mais rien ne passait. Indifférente à la tension
de Charlotte, aux imperceptibles mouvements que faisaient celle-ci pour l'inviter à violer son territoire, à ces cuisses
bronzées que découvraient hardiment une minijupe soigneusement choisie, Juliette ne semblait absorbée que par
les embarras du trafic. Enfin, elle gara sa voiture devant la plus célèbre bijouterie de la ville et fit signe à Charlotte
de descendre. Toujours sans dire un mot, elle la prit par le bras et lui ouvrit la porte du magasin. Comme si on
l'attendait, une vendeuse s'avança vers elle, un plateau de velours noir à la main et leur adressa un sourire un peu
forcé. Sur le plateau étaient alignés deux anneaux d'or qui étincelaient dans la lumière diffuse de la boutique.
- "Ces anneaux d'or sont pour toi, chuchota Juliette à son oreille. Tu seras infibulée. Je veux que tu portes ces
anneaux aux lèvres de ton sexe, aussi longtemps que je le souhaiterai."
Charlotte accueillit cette déclaration avec émotion. Elle savait que dans les coutumes du sadomasochisme, la pose
des anneaux était une sorte de consécration réservée aux esclaves et aux soumises aimées. C'était une sorte de
mariage civil réservé à l'élite d'une religion qui professait l'amour d'une façon peut-être insolite, mais intense. Il lui
tardait à présent d'être infibulée, mais sa Maîtresse décida que la cérémonie n'aurait lieu que deux semaines plus
tard. Cela illustrait parfaitement la personnalité complexe de Juliette. Quand elle accordait un bonheur, elle le lui
faisait longtemps désirer. Le jour tant attendu arriva. On la fit allonger sur une table recouverte d'un tissu en coton
rouge. Dans la situation où elle se trouvait, la couleur donnait une évidente solennité au sacrifice qui allait être
célébré sur cet autel. On lui expliqua que le plus long était de poser les agrafes pour suturer l'épiderme du dessus
et la muqueuse du dessous. Un des lobes de ses lèvres serait percé, dans le milieu de sa longueur et à sa base.
Elle ne serait pas endormie, cela ne durerait pas longtemps, et serait beaucoup moins dur que le fouet. Elle serait
attachée seulement un peu plus que d'habitude. Et puis tout alla très vite, on lui écarta les cuisses, ses poignets
et ses chevilles furent liées aux pieds de la table. On transperça l'un après l'autre le coté gauche et le coté droit de
ses nymphes. Les deux anneaux coulissèrent sans difficulté et la brûlure s'estompa. Charlotte se sentit libérée,
alors même qu'elle venait d'être marquée pour signifier qu'elle appartenait à une seule femme, sa Maîtresse. Alors
Juliette lui prit la main droite et l'embrassa. Elle ferma les yeux pour apprécier plus intensément encore cet instant
de complicité. Ses yeux s'embuèrent de larmes, d'émotion, de joie et de fierté. Personne ne pouvait comprendre
l'authenticité de son bonheur. Elles allèrent à La Coupole fêter la cérémonie. Leur entrée dans la brasserie fit
sensation. Juliette la tenait en laisse le plus naturellement du monde. Un serveur apporta une bouteille de Ruinart.
Charlotte sortit de son body transparent les billets qu'elle tendit au garçon littéralement fasciné par le décolleté
qui ne cachait rien de ses seins. Les voisins de table les épiaient plus ou moins discrètement. Ils n'avaient sans
doute jamais vu auparavant une jeune fille tenue en laisse par une femme, attachée au pied de la table, payant
le champagne à ses amis. Elles sortirent d'une façon encore plus spectaculaire. Aussitôt passé le seuil, Juliette
l'obligea à rejoindre, à quatre pattes, la voiture laissée en stationnement juste devant la porte de la brasserie.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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On ne peut pas mesurer nos vies à nos dernières années. De cela, j'en étais certaine. J'aurais dû deviner ce
qui m'attendait. Avec le recul, il me semble que c'était évident, mais les premiers temps, je trouvais que ces
incohérences étaient compréhensibles et n'avaient rien d'unique. Elle oubliait où elle posait ses clés, mais à
qui n'est-ce jamais arrivé ? Elle ne se rappelait pas non plus le nom d'un voisin, mais pas quand il s'agissait
de quelqu'un que nous connaissions bien. Elle réprima un certain sentiment de tristesse, espèrant un jour,
qu'elle changerait. Sarah l'avait souvent promis et y parvenait en général quelques semaines avant de retomber
dans la routine. Patricia n'aimait pas en discuter avec elle, essentiellement parce qu'elle savait qu'elle lui disait la
vérité. Son travail était très prenant, aussi bien avant son agrégation de lettres. Elle longea une galerie d'art
sans presque la remarquer tant elle était préoccupée, puis elle tourna les talons et revint sur ses pas. Elle
s'arrêta une seconde devant la porte, étonnée en constatant qu'elle n'avait jamais mis les pieds dans une galerie
d'art depuis une éternité. Au moins trois ans, peut-être plus. Pourquoi les avait-elle évitées ? Elle pénétra dans
la boutique et déambula parmi les tableaux. Nombre des artistes étaient du pays, et on retrouvait la force présence
de la mer dans leurs toiles. Des marines, des plages de sable, des pélicans, des vieux voiliers, des remorqueurs,
des jetées et des mouettes. Et surtout des vagues. De toutes les formes, de toutes les tailles, de toutes les couleurs
inimaginables. Au bout d'un moment, elle avait le sentiment qu'elles se ressemblaient toutes. Les artistes devaient
manquer d'inspiration ou être paresseux. Sur un mur étaient accrochées quelques toiles qui lui plaisaient davantage.
Elles étaient l'œuvre d'un artiste dont elle n'avait jamais entendu parler. La plupart semblait avoir été inspirées par
l'architecture des îles grecques. Dans le tableau qu'elle préférait, l'artiste avait délibérément exagéré la scène avec
des personnages à une petite échelle, de larges traits et de grands coups de pinceaux, comme si sa vision était un
peu floue. Les couleurs étaient vives et fortes. Plus elle y pensait, plus elle l'aimait. Elle songeait à l'acheter quand
elle se rendit compte que la toile lui plaisait parce qu'elle lui rappelait ses propres œuvres. Nous nous étions connues
en khâgne au lycée Louis-le-Grand puis rencontrées par hasard sur la plage de Donnant à Belle île en Mer un soir d'été.
Elle n'avait pas changé: elle avait à présent vingt-trois ans, elle venait de réussir comme moi l'agrégation de lettres
classiques. Elle avait également conservé un air juvénile, perpétuant son adolescence. Les visages en disent autant
que les masques. Les yeux noisette, des cheveux noirs, coupés très courts, presque à ras, et la peau hâlée au soleil,
épanouie, à moins de détecter quelques signes d'angoisse dans ce léger gonflement de veines sur les tempes, mais
pourrait être aussi bien un signe de fatigue. Je l'ai appelée, le soir. Nous avions convenu d'un rendez-vous chez elle.
Elle m'a ouvert. "Tu es en retard" a-t-elle dit, j'ai rougi, je m'en rappelle d'autant mieux que ce n'est pas une habitude.
Je ne comprenais pas pourquoi ses moindres propos me gênaient ainsi. Elle m'avait aidée à ôter mon imperméable.
Il pleuvait; mes cheveux étaient mouillés; elle les a ébourriffés comme pour les sécher, et elle les a pris à pleine main,
m'a attirée à elle, je me suis sentie soumise, sans volonté. elle ne m'a pas embrassée, ellle ne m'a jamais embrassée,
depuis quatre ans. Ce serait hors propos. elle me tenait par les cheveux, elle m'a fait agenouiller. Elle a retiré ma jupe,
mon chemisier et mon soutien gorge. J'étais à genoux, nue, ne portant qu'une paire de bas et des talons hauts, j'avais
froid. Quand je pense à nos rapports, depuis, il y a toujours eu cette sensation de froid, elle a le chic pour m'amener
dans des endroits humides, peu chauffés. Elle m'a ordonné de ne pas la regarder, de garder le visage baissé. Elle est
revenue vers moi une fine cravache à la main. Ce jour-là, elle s'est contentée de me frapper sur les fesses et les cuisses,
en stries parallèles bien nettes en m'ordonnant de compter un à un les coups. Ce fut tout ce qu'elle dit. À dix, j'ai pensé
que ça devait s'arrêter, qu'elle faisait cela juste pour dessiner des lignes droites, et que je n'allais plus pouvoir me retenir
longtemps de hurler. À trente, je me suis dit qu'elle allait se lasser, que les lignes devaient se chevaucher, constituer
un maillage, et que ça ne présentait plus d'intérêt, sur le plan esthétique. J'ai failli essayer de me relever mais elle m'avait
couchée sur le bois, et m'avait ligotée les poignets et les chevilles aux pieds de la table. Elle s'est arrêté à soixante, et je
n'étais plus que douleur, j'avais dépassé la douleur. J'avais crié bien sûr, supplié, pleuré et toujours le cuir s'abattait.
Je ne sais pas à quel moment j'ai pensé, très fort, que je méritais ce qui m'arrivait. C'était une cravache longue et fine,
d'une souplesse trompeuse et d'un aspect presque rassurant. La douleur qui me tenaillait se mua lentement en plaisir.
Il est peu probable que si j'avais su qu'un jour je devrais figurer nue dans un roman, j'aurais refusé de me déshabiller.
J'aurais tout fait pour qu'on mentionne plutôt mon goût pour le théâtre de Tchekhov ou pour la peinture de Bonnard. Mais
je ne le savais pas. J'allais absolument nue, avec mes fesses hautes, mes seins menus, mon sexe épilé, avec les pieds
un peu grands comme si je n'avais pas terminé ma croissance et une jeune femme qui s'était entiché de mes jambes. À
cet instant, elle a les doigts serrés autour de ma nuque et la bouche collée sur mes lèvres. Comme si après une longue
absence, je retrouvais enfin le fil de mon désir. De crainte que je le perde à nouveau. Nous restâmes toutes les deux aux
aguets, tendues, haletantes, tandis que l'obscurité se répandait jusqu'au fond de la chambre. Elle voulut me dire autre
chose à propos de la fidélité, mais ce ne fut pas le moment alors elle me prit la main et nous demeurâmes silencieuses.
C'était ridicule et merveilleux. Nous pleurâmes un peu ensemble. Sarah se sentit l'âme noble et généreuse. Nous nous
pardonnâmes mutuellement et nous serions heureuses. Patricia se jeta contre elle et continua à pleurer. En vérité, elle
avait le cœur brisé par les larmes. Mais ce fut une douleur exquise, non plus cette douleur absurde de l'absence. Un
inextriquable mélange de bonheur et de douleur, touchant de sincérité et débordant de tendresse. Les jeux de l'amour
voilent d'autant plus aisément sous la facilité et l'agrément sous les plus cruelles douleurs que la victime s'acharne à ne
pas les laisser paraître surtout quand la coquetterie du bourreau raffine la cruauté naturelle des attitudes et des preuves.
La passion impose de privilégier l'être aimé et les réels bienfaits ne sont agréables que tant que l'on peut s'en acquitter.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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Le 15 avril 1719, Madame de Maintenon s’éteint, seule et insatisfaite, quatre ans après Louis XIV.
À Saint-Cyr, institution créée par ses soins pour protéger et éduquer les jeunes filles nobles et pauvres,
et leur éviter les désarrois et les humiliations qu’elle a elle-même supportés, elle achève un destin tumultueux,
audacieux et hautement romanesque. Toute de passions contrariées, celle qui a œuvré pour le bonheur de
ses proches, l’avenir de ses neveux et nièces, l’instruction des enfants illégitimes du roi, la gloire de son
époux, part sans jamais avoir vraiment rencontré le Dieu qu’elle cherche depuis sa jeunesse. La figure et l’œuvre
de Françoise d’Aubigné, veuve Scarron et marquise de Maintenon, se sont trouvées longtemps prisonnières
des mythes qu’ont inspirés dès le XVII ème siècle la vie romanesque et le destin exceptionnel de l’épouse
morganatique du Roi-Soleil. La Palatine, Saint-Simon, Michelet ont bâti la légende noire, les Dames de
Saint-Louis, Mme de Caylus et Mlle d’Aumale en ont édifié l’hagiographie, Voltaire et Sainte-Beuve tracé
des portraits plus nuancés, mais insuffisants à faire sortir Madame de Maintenon de son statut de conseillère
de l’ombre et de fondatrice de l'institution de Saint-Cyr, ou à dégager l’épistolière de grand talent qu’elle fut.
L’enfance de Françoise, née d’Aubigné, offre trop peu de souvenirs heureux. Elle doit sa naissance en novembre
1635, dans la prison de Niort, à un père coutumier des cachots, faux-monnayeur, tricheur, renégat et assassin de
sa première femme. Déshérité par le poète Agrippa, grand-père de Françoise, compagnon d’Henri IV, pourfendeur
de catholiques et homme de convictions, le mal nommé Constant laisse à son épouse Jeanne le soin d’élever seule
leurs enfants. Celle-ci parvient mal à assumer la survie des siens. Surtout, Françoise manque de tendresse: "Je ne
me souviens d’avoir été embrassée de ma mère que deux fois, et seulement au front, après une grande séparation."
La jeunesse de "Bignette", son surnom, s’embourbe dans la nécessité, dans la grande pauvreté et parfois même
dans la misère, hormis six ans au cours desquels elle savoure le bonheur, l’amour et les rires chez sa tante
Louise-Arthémise. Avec son cousin chéri, elle découvre les travaux des champs, les semailles et les récoltes,
les marchés aux bestiaux. Personne ne l’oblige à rallier la foi protestante, personne ne l’intimide, personne ne
la blesse. Mais son bonheur butte sur les retrouvailles inopinées de sa famille, un temps reconstituée, partie à
la conquête de chimériques richesses aux Antilles. Le retour à La Rochelle, trois ans plus tard, accuse la défaite
et la honte. Françoise mendie parfois aux portes des couvents et du collège des jésuites. Elle s’endurcit, forge
son tempérament, consolide son assurance et assoit sa volonté ; bientôt placée entre les mains d’une parente
catholique, riche et pingre, arrogante et ennuyeuse, elle apprend à dissimuler et à faire bonne figure. Elle s’initie
aussi à l’art de la conversation, une nécessité pour qui veut appartenir à la bonne société. Avec ses immenses
yeux noirs, sa chevelure brune, quand la mode est aux blondes, sa taille élancée, son goût prononcé pour la
répartie et la science des précieuses, elle affirme une personnalité originale. Du haut de ses seize ans, elle fait
déjà seule, face au destin. Sa marraine l'introduit dans les salons, elle y acquiert le surnom de "belle indienne."
Faute de dot, elle préfère au couvent se marier à un paralytique de quarante-et un-ans, bel esprit au corps atrophié.
Pour autant, le poète Scarron, ce "raccourci de la misère humaine", lui apporte bienveillance, carnet d’adresses,
renommée, gentillesse. Il conforte son intelligence, lui permet de briller en société, de goûter aux jeux de l’esprit,
de la séduction et de l’amour chaste. En échange, elle lui offre sa jeunesse, son éclat, son indéfectible fidélité.
Le couple tient bon face au mépris et aux mauvaises langues, et à "l’hôtel de l’Impécuniosité" esprits fins, élégants,
libertins, lettrés, frondeurs, aristocrates critiques, peintres et musiciens se pressent au chevet de l’écrivain tordu.
L'auteur à l'esprit mordant est au sommet de sa gloire. Il dispose d'une confortable pension et fréquente une foule
d'esprits distingués et de personnalités influentes. Françoise sait qu'il lui est impossible de trouver meilleur parti.
Veuve à vingt-quatre ans, Françoise reçoit des dettes pour tout héritage. Mais, pendant huit ans, elle a placé
ses pions, tissé un étroit réseau de relations, cultivé un comportement exemplaire et rassurant, consolidé une
réputation sans faille. Pragmatique, sensible, consciente de sa précarité, elle a déjà entrepris son irrésistible
ascension sociale. "Comptez que jamais personne n’a établi sa réputation en se divertissant. C’est un grand bien
mais il coûte cher. La première chose qu’il faut sacrifier pour sa réputation, c’est le plaisir", analyse-t-elle. Et cet
adroit calcul la propulse sans peine auprès d’épouses dévotes et puissantes, qui assoient sa notoriété.
Installée dans une chambre au couvent de la Petite-Charité, elle cultive son image de femme respectable, dévouée
et charitable, entre sincérité et nécessité. Le soir, auprès des d’Albret, Richelieu, Montchevreuil, elle parfait son
masque de chrétienne accomplie. Lors d’un dîner, elle croise la piquante Madame de Montespan, de cinq ans sa
cadette. La rencontre, décisive, dicte son avenir. Françoise devient bientôt, dans la plus grande clandestinité,
la gouvernante des enfants naturels de la favorite de Louis XIV, l’éblouissante et mordante Athénaïs. Ainsi, durant
quatre années, dans une maison discrète de Vaugirard, dans l'actuel XV ème arrondissement de Paris, la future
marquise de Maintenon s'occupe des quatre enfants cachés de Madame de Montespan et de Louis XIV: le duc
du Maine, le comte de Vexin, Mademoiselle de Nantes et Mademoiselle de Tours. Tout en organisant la vie de
ses petits protégés, Françoise Scarron continue de remplir ses obligations mondaines et de se montrer dans les
salons. Malgré cette double vie exténuante, elle se prend d'affection pour les petits bâtards royaux, s'attachant
particulièrement à l'aîné, le duc du Maine, enfant boiteux et à la santé fragile. Doté d'une vraie fibre paternelle,
Louis XIV rend régulièrement visite à sa progéniture, et s'attarde pour bavarder avec leur charmante nourrice.
Elle remplit son rôle à merveille auprès des bâtards du roi. Les questions de pédagogie et d’éducation la
passionnent, et elle défend avec ardeur l’intérêt et l’éveil des enfants. Louis XIV découvre la dévote sous un autre
jour. Elle le touche, le séduit. "Elle sait bien aimer, il y aurait tant de plaisir à être aimé d’elle." Pour conquérir le
cœur du roi, Françoise use de toute son intelligence. La tête froide, l’habile gouvernante se lance avec le Roi-Soleil
dans une relation amicale, intellectuelle, amoureuse qui perdure de 1673 à 1715, année de la mort du souverain.
Bien que discrète, elle vit dans l'intimité du roi et se révèle une conseillère de taille. En raison de son austérité et
de son intransigeance, l'épouse secrète de Louis XIV est détestée par la famille royale. Son influence pèsera
surtout sur les mariages des bâtards royaux et sur la nomination de certains ministres. Très hostile au marquis de
Louvois, elle prend parti pour le clan de Colbert et favorise les carrières du maréchal de Villars et de Chamillart.
Au long de leurs trente-deux ans de vie commune, elle apprend à connaître, à respecter et à craindre un homme
égoïste, tyrannique, autoritaire, rigide. Déçue par cet amour qui ne correspond pas à un absolu tant espéré, elle
s’adonne avec passion, sincérité et efficacité aux œuvres charitables et utiles. Loin de la mystique et de la
contemplation qui, dans le fond, ne l’intéressent pas vraiment, elle pense à son grand dessein, Saint-Cyr, son cadeau
de mariage, son salut et sa dernière demeure, qui doit la réconforter. Il n’en sera rien. À quatre-vingt-deux ans,
l’ambitieuse généreuse achève un destin exceptionnel dans la peine et la lassitude. "Ma lassitude m’avertit que
je suis mortelle mais j’aperçois un miroir qui me dit que je suis morte." Toute de complexité et de paradoxe, elle n’a
pourtant rien abdiqué, elle n’a jamais renié sa liberté de penser ou encore entaché son orgueilleuse constance.
Bibliographie et références:
- Arthur Conan Doyle, "Les Réfugiés de Madame de Maintenon"
- Marguerite Teilhard-Chambon, "Françoise d'Aubigné, marquise de Maintenon"
- Christine Mongenot, "Madame de Maintenon, une femme de lettres"
- Éric Le Nabour, "La Marquise de Maintenon, l'épouse secrète de Louis XIV"
- Jean-Paul Desprat, "Madame de Maintenon, le prix de la réputation"
- Éric Le Nabour, "La Porteuse d'ombre. Madame de Maintenon et le Roi Soleil"
- Simone Bertière, "Les Femmes du Roi-Soleil"
- André Castelot, "Madame de Maintenon, La reine secrète"
- Françoise Chandernagor, "L’Allée du roi, souvenirs de Françoise d’Aubigné"
- Louis Mermaz, "Madame de Maintenon"
- Alexandre Maral, "Madame de Maintenon, la presque reine"
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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