Elle effleura des lèvres le duvet brun autour du pubis. Sous la peau souple et veloutée, les abdominaux se contractèrent
à ce contact. Du bout de la langue, elle joua à en suivre les sillons. Un peu plus tard, le sexe de Xavier s'étirait comme
après un long sommeil. Il se déroula paresseusement, se redressa un instant puis retomba contre le ventre mais sans
cesser de grandir. Sarah observa la fascinante métamorphose de ce fabuleux objet de désir. Quelle chance pour les
hommes d'avoir, greffé entre les jambes, un aussi beau jouet. Il semblait doué d'une vie propre. Voilà qu'il s'allongeait
encore, comme tendant le cou pour mieux la regarder. Tout son corps cylindrique vibrait. Sa veine sombre et saillante
palpitait et sous leur mince enveloppe, les testicules s'animaient comme d'un paisible mouvement de respiration. Sarah
s'approcha de la bête. Elle posa le bout de la langue sur le sommet de sa tête et entama un délicieux mouvement de
balayage. Le sang se mit à battre plus vite dans la veine. L'homme et son sexe se raidirent encore. Lorsque, léchant
toujours, Sarah glissa vers la base du gland, Xavier étouffa un soupir. Il plongea la main dans les cheveux de la jeune
femme. Ses doigts se refermèrent sur sa nuque. Sa langue continuait de frétiller le long de sa verge. Il se releva sur
un coude et contempla le spectacle hallucinant de cette fille couchée à côté de lui, de ses mains liées dans le dos,
de son échine courbée par les cordes, de ses fesses pointées vers le plafond, de sa jupe troussée jusqu'aux reins.
Sarah changea de méthode. Elle plaqua la langue tout entière au creux des testicules et remonta la verge jusqu'à la
commissure du gland, là où celui-ci semble se fondre en deux comme un abricot. Elle remarqua que l'étreinte de Xavier
sur sa nuque se faisait plus pressante lorsque sa langue atteignait ce triangle rose pâle. C'était là qu'il fallait donc porter
l'estocade. Ravie d'avoir découvert l'endroit sensible, elle continua de le torturer ainsi. Sous ses coups de langue, il
perdait peu à peu le contrôle. Il tendait le ventre, ondulait des hanches. Brusquement, il accentua sa pression sur la
nuque de Sarah jusqu'à lui écraser la bouche contre son pénis. Ce n'était pas une prière, c'était un ordre. Elle n'eut qu'à
entrouvrir les lèvres pour que, propulsé d'un coup de reins, le sexe de Xavier s'engouffre tout entier dans sa bouche.
La charge portée dans sa gorge fut telle qu'elle suffoqua. Pourtant, lorsque Xavier relâcha son étreinte, elle n'eut qu'un
bref mouvement de recul, juste le temps de reprendre son souffle avant de le reprendre dans sa bouche et il éjacula.
Quand aux liens, moi qui ne nourrissais jusqu'ici aucun fantasme particulier à leur sujet, je leur découvre une vertu que
je ne connaissais pas. Au début de notre relation, je me contentais d'entraver les poignets de Sarah pour satisfaire à ce
que je croyais n'être qu'un caprice de sa part. Mais peu à peu, nous nous sommes amusés à inventer des liens de plus
en plus sophistiqués, des positions de plus en plus complexes auxquelles elle se soumet toujours sans protester. Je la
pense, à dire vrai, incapable de s'en passer. C'est pour cela que je n'ai pas le sentiment de l'asservir. Comment expliquer
cela ? Lorsque j'entrave Sarah, c'est comme si, à la manière d'un peintre ou d'un sculpteur, j'avais soudain le pouvoir de
figer sa beauté dans l'espace et dans le temps. Nos rendez-vous prennent désormais des allures de séances d'atelier.
J'arrive avec une nouvelle idée de pose et des tas de cordes, de sangles, de lanières. Le ficelage prend du temps. Ce
sont de longues et excitantes prémisses. Les images de Sarah ainsi ligotée m'obsèdent. La voilà nue, assise sur une
chaise, les bras légèrement fléchis. Je lui ai joint les poignets à mi-dos. Les cordes s'évasent jusqu'aux épaules, comme
les nervures d'une feuille dont la colonne vertébrale serait la tige. Elles s'enroulent autour des cuisses, pressées contre
la poitrine, remontent jusqu'à la nuque où je les ai nouées. J'ai entravé les chevilles l'une contre l'autre, tiré la ficelle entre
les fesses. Je l'ai tendue au maximum pour la fixer aux poignets. Sarah est enroulée dans un cordon de cordes. Elle n'est
plus qu'un souffle impatient du plaisir à venir. Souvent, elle-même m'encourage à plus d'excentricité encore. Elle veut ne
plus rien pouvoir entendre, ne plus pouvoir rien dire, ne plus rien pourvoir voir, ne plus rien pouvoir faire que d'attendre le
moment où je m'enfoncerai au fond de son ventre ou de ses reins. Alors, je comble sa bouche avec un morceau de tissu,
je la bâillonne d'un large sparadrap, je l'aveugle d'un bandeau sur les yeux et je lui bouche les oreilles avec des boules
de cire. Je l'attache avec un soin maniaque, centimètre par centimètre, jusqu'à ce qu'elle ne puisse plus remuer du tout.
Je la modèle sous mes doigts comme un sculpteur manipule la glaise. Et quand enfin j'ai terminé, je prends du recul, je
l'admire, immobile comme une toile, aussi lisse qu'un marbre, statue de chair, chaude et tendre, inerte et pourtant vibrante
de vie. Quiconque entrant dans la pièce à ce moment-là trouverait la scène choquante. Sans doute ne verrait-il pas que
l'indécence extrême d'un corps emprisonné, la mâchoire distendue par sous le bâillon, l'obscénité des cuisses maintenues
ouvertes, l'insupportable étirement des muscles, la brûlure des cordes serrées contre la peau. Il ne verrait que le sordide
d'une femme soumise à un plaisir de mâle. Il ne verrait que l'humiliation. Pourtant, Sarah ne s'humilie pas en se livrant
ainsi. Elle met en moi une telle confiance que je ne la respecte jamais autant que lorsqu'elle est ainsi asservie. Même
tordue dans ses liens, elle conserve cette grâce qui fait souvent défaut aux amants, que je ne me lasse pas de contempler.
Alors, au-delà de l'excitation physique que cette vision éveille en moi, je me surprends parfois à ressentir comme une
fugace émotion d'artiste. Plus tard, je caresserai le satin de cette peau. Sous mes doigts, le tressaillement d'un sein frôlé.
Plus tard, je la soulèverai. Il faudra bien alors que monte le désir. Je la fouetterai, je la fouillerai. Tenaillée entre deux
douleurs, elle hurlera en me suppliant. Seulement plus tard. D'abord, je succombe à ce plaisir sadique de l'entraver.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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Le journal à la main, par cet après-midi de printemps, il monte dans la rame de la ligne numéro un, répète tout ce qu'il
va dire à son futur employeur. Les roues de caoutchouc glissent dans les rails, la rame entre en gare dans la station
Étoile. Parmi la nuée de passagers avalés par l'espace confiné, une jeune femme d'une trentaine d'années, vêtue d'une
jupe courte prend place sur le strapontin d'en face et croise ses jambes de gazelle. L'affluence augmente la chaleur
ambiante. La houle du train balance les corps qui, défiant les lois de la pesanteur, tentent de demeurer droits. Les bras
suspendus à la barre centrale dégagent une odeur de transpiration. Un freinage un peu brusque, une agitation qui
prépare la prochaine descente, les jambes de gazelle se déploient, s'écartent à peine. L'œil de Pascal accroche alors le
fond de la culotte, la femme voit qu'il la regarde, elle le toise, hautaine, pimbêche. Il la déteste sur le champ. Impression
curieuse, les boutons de son jean compriment sa verge et lui font mal. Elle descend, gracile, le fixant toujours droit dans
les yeux. Pascal ne peut s'empêcher de se détacher de ses deux amandes provocatrices. Il emboîte le pas, oubliant
le journal. Elle accélère, lui aussi. Le couloir est long jusqu'à l'escalier qui mène au grand jour. La bouche de métro les
crache avenue Charles-de-Gaulle. Les rais du soleil l'éblouissent, il croit la perdre de vue. Son regard rapide ratisse le
trottoir. Les jambes longilignes piétinent le macadam à l'arrêt du 43. Pascal s'approche, se colle presque tout contre elle.
L'effluve de son parfum l'excite, une odeur inédite, certainement inabordable; le corps devant lui se raidit. Combien de
fois, Sarah, la pointe de mes seins s'était-elle dressée à l'approche de tes mains ? Combien de fois au petit matin ? À
la sortie de la douche ? Le bus arrive, la belle monte et s'assied juste derrière le chauffeur. Le siège de derrière est
occupé. Pascal s'installe sur la banquette opposée. Il observe le profil racé, les traits de la jeune femme sont crispés, le
froncement du sourcil trahit l'inquiétude et il s'en réjouit. Il la dévisage longuement, admire le galbe de ses seins semblable
aux contours d'un joli pamplemousse et rêve de se désaltérer au fruit défendu. La jeune femme lui paraît de plus en plus
nerveuse. Ils descendent à la même station devant le musée des automates. Elle prend un ticket et dépasse le portillon.
Pascal est frustré, il ne peut payer l'entrée. Tant pis, il attendra dehors, il fait beau et il doit se calmer mais elle se retourne.
Je posais le livre sur la couverture. La ligne du 43, c'est celle que nous empruntions le dimanche pour aller promener le
chien. Même le chien, tu l'avais oublié. "- Vous ne me suivez plus ! Vous n'aimez pas les automates, peut-être ?" Quelle
prétention dans la voix. Pascal va la faire plier cette pimbêche, elle ne perd rien pour attendre. Il la suivra jusqu'au moment
propice où il pourra se l'approprier, même si cela doit lui prendre des jours et des nuits. Il achète un ticket pour le musée.
Pascal a soudain peur. Jamais il n'a connu ce sentiment. Il suit la croupe légère qui s'enfonce dans la salle des automates.
L'obscurité est quasi complète, seuls des spots blafards éclairent les drôles de pantins qui répètent dans un mouvement
saccadé des gestes identiques. Une voix suave conte l'histoire des curieux personnages. Le jeune homme n'a jamais vu
un tel spectacle et s'approche du cordon qui barre l'accès aux créatures magiques. La fraîcheur de la pièce contraste avec
la chaleur du dehors. La jeune femme vient se coller à lui, ses cheveux effleurent la joue rasée. Elle le prend par la main.
Une main chaude et douce, rassurante. " - Venez plutôt par là, c'est mon préféré!." Pascal ne s'intéresse plus au jouet de
fer mais à cette main qui pour la première fois s'est tendue à lui. Ils sont seuls dans la pièce. La main le guide habilement
d'un personnage à l'autre, les doigts graciles pressent les siens. Elle les arrête devant un duo. Il regarde. Une petite tête de
fer avance et recule la bouche ouverte sur un pénis rouillé, la nuque du propriétaire balance de droite à gauche dans un
imperceptible grincement. L'image de ce pénis rouillé, Sarah ... Quel souvenir ! Je reprenais hâtivement ma lecture.
"- Il manque d'huile, vous ne trouvez pas ?" Mais elle le provoque ! Le jeune homme sent monter en lui une sève brûlante,
son gland le tiraille, sa violence originelle le tenaille, il ne peut plus se retenir et tant pis s'il fait mal à cette main tendue. Il
se dégage et soulève la jupe. Il s'attend à un cri. La jeune femme ne dit rien, elle accélère seulement soudain le rythme de
sa respiration. Pascal ne comprend rien. Il s'en moque. Pressé par son désir, il fourre sa main sous le tissu et plonge ses
doigts à l'intérieur du sexe humide de sa proie. Nul besoin de dégrafer son jean, une main habile vient à sa rencontre qui
se faufile et agrippe sa verge. Elle le masturbe frénétiquement. La jeune femme se plie en deux, enfonce le gland gonflé
au fond de sa gorge et mime avec application la scène des deux pantins. La béance boulimique l'avale littéralement,
tentant d'atteindre la luette. Prêt à décharger, possédé par l'étrange créature, il la relève. Ses bras costauds soulèvent ses
cuisses légères, seule la pointe des pieds résiste à cette élévation. Il l'empale sur son jonc tendu. Malgré les ongles qui
éclatent la peau, la jeune femme se laisse glisser avec volupté sur cette gaillarde virile. Le rythme fort de leur respiration
s'accorde, laissant à la traîne le grincement de l'automate. L'instant d'après, l'extase les submerge, vertigineuse et folle.
Jamais personne ne s'est offert à lui avec tant de générosité. La jeune femme desserre l'étreinte, elle agite le pied gauche,
son bénard en soie bordé de dentelle coulisse le long de sa cheville. Dans un geste rapide, sa main froisse l'étoffe soyeuse
et la fourre dans son sac à main. La déculottée trémousse son arrière-train, rajuste la jupe et quitte les lieux, assouvie d'un
plaisir charnel. Le jeune homme la regarde s'éloigner, déjà elle ne le connaît plus. Pourtant, elle se retourne, pédante:
- Il vous reste beaucoup de choses à apprendre.
Et toi, Sarah, que te restait-il à apprendre ? Tu croyais tout savoir en matière d'amour. J'aurais tant aimé, à cet instant de
la lecture, que tu sois près de moi. J'aurais pu alors t'embarquer pour de nouveaux voyages. Pourquoi m'as-tu quittée,
espèce de garce. Je soupirais et je reprenais, j'étais là pour te haïr, pas pour te regretter. Quelle littérature de gare !!
Pascal n'a plus qu'une obsession, retrouver cette offrande, ce don divin balancé de la voûte céleste. Lui qui n'est pas
croyant se surprend même à prier, à supplier, mais le ciel n'est jamais clément à son égard. Les jours, les mois défilent.
Le miracle ne daigne pas s'opérer. Chaque jour, le jeune homme emprunte le même chemin, celui qui l'a mené à ce sexe
offert. Fébrile, il l'attend. Errant dans les bouches de métro, les gares, les cafés, tous ces lieux où se croisent les âmes
non aimées, il cherche les jambes de gazelle qui lui ont échappé. Un après-midi d'hiver, alors que les flocons de neige
mêlés au vent du Nord flagellent les visages, Il remarque deux chevilles montées sur des talons aiguilles qui abandonnent
les marches du 43. Le bus et le blizzard l'empêchent de distinguer la silhouette. Emmitouflée dans un long manteau de
fourrure, la créature est là en personne. Elle lui passe devant sans un regard et d'un pas lourd et rosse enfonce son talon
pointu dans l'extrémité du godillot. La douleur aiguë qui le transperce, soudain se transforme en une érection subite.
- Encore vous ! Suivez-moi !
Le ton péremptoire ne supporte aucune discussion. Rien n'a changé dans la salle obscure, si ce n'est la chaleur, contraste
des saisons. Tant d'attente ! Pascal brûle d'impatience. Il peut encore et il pourrait des milliards de fois s'il le fallait. Un
regard rapide atteste de leur heureuse solitude. Le jeune homme se jette sur la fourrure, il va lui montrer ce que c'est que
de faire trop patienter un tronc assoiffé. Saisissant la chevelure, il fait plier le genou gracile et guide la tête vers son sexe.
Il veut l'humilier. Brusquement, un mouvement de recul et les perles de porcelaine incisent cruellement son derme.
- Pas tout de suite, suivez-moi d'abord.
Pascal, blessé, obéit. Les talons pressés dépassent le couple d'automates où l'huile fait toujours défaut, mais n'y prêtent
aucune attention.
- Fermez les yeux !
Le jeune homme se laisse conduire par cette main qui, une fois encore, se tend à lui.
- Ouvrez maintenant. Là, regardez. N'est-ce pas extraordinaire ce travail de précision ?
Pascal découvre deux automates. L'un tient un manche à balai qu'il introduit chirurgicalement dans le trou du derrière
de l'autre figurine. Face à ce mécanisme parfait, l'homme sent poindre les foudres du désir, résiste tant qu'il peut à la
lave incandescente. La belle se met à quatre pattes sur le sol glacial, relève la pelisse. Le balancement de sa croupe
se met à l'unisson de celui de la pantomime. La chute des reins de fer aspire le bois rugueux. La bande sonore, très
généreuse en détails impudiques, crache de façon nasillarde, l'histoire de Sodome et Gomorrhe. Le jeune homme
n'en a cure. Seuls les mots suggèrent à son membre contrarié, nourri d'une sève prospère, le chemin à suivre pour
atteindre la voie promise. À genoux derrière elle, il presse son pouce tout contre l'ovale brûlant, la fente muqueuse.
Le nid douillet gazouillant semble suinter de tous ses becs. Et d'un geste puriste, la jeune femme désigne le bout de
bois. Pinocchio ravale son désir et se met à fouiller partout en quête d'un balai. Essoufflé, le dard raide, il revient du
pont d'Arcole, victorieux. À la pointe de son bras jubile l'objet du caprice. L'aide de camp Muiron dormira ce soir sur
ses deux oreilles. Enfin, le jeune homme va pouvoir se mettre à l'attaque, la tenir au bout de cette étrange queue.
S'enfoncer loin dans le noir, l'entendre le supplier de ne pas s'arrêter. Mais lui, Pascal, n'est pas un automate que l'on
remonte à l'aide d'une clef. Fait de chair et de sang, comme les grognards de l'Empereur, ses sens aiguisés, le cerveau
vomira tous ses fantasmes, peut-être même jusqu'à la dernière charge. Ce sera son Austerlitz à lui. Le jeune homme
prend son élan, ferme les yeux et plante sa baïonnette. Le manche à balai lui revient en pleine figure, lui arrachant la
moitié du menton. Le bois a cogné le carrelage et a ripé. Hurlant de douleur, il se penche, une main appuyée sur sa
mâchoire endolorie, l'autre prête à saisir son arme. La belle a disparue. Stupéfait, notre hussard bleu tourne en tout sens,
agité comme un pantin désarticulé. Plus de pelisse, plus de petit cul offert, plus rien. Seule une voix impertinente:
- Décidemment, Pascal, vous n'êtes pas un artiste, jamais vous ne comprendrez le mécanisme automatique.
À cet instant précis du récit, je jubilais. Je te voyais toi, Sarah, et je répétais à voix haute, la phrase machiavélique qui te
réduisait en cendres. J'étais si contente de te voir humiliée de la sorte que je n'ai rien entendu. Soudain, le livre m'échappa
des mains, un corps gracile s'était abattu sur moi, entraînant dans sa chute la lampe de chevet. Mon cœur s'arrêta net de
battre dans le noir. Je laissai des mains inconnues cambrioler mon corps paralysé de terreur, voguant sur mes seins, mes
reins, à l'intérieur de mes cuisses, comme une carte du Tendre.
Les méandres de mes courbes, ces doigts agiles les connaissaient par cœur. C'est alors que je te reconnus. Moi qui
désirais tant te détester, je ne pus résister au supplice de tes caresses. Inondée de plaisirs, je m'offris à toi, assoiffée,
je t'avais dans la peau, bien sûr, tu le savais, tu étais une artiste, Sarah, à l'encre de ma rage. Je te remercie d'exister.
Hommage à l'œuvre littéraire de Roger Nimier.
N.B: texte republié à la demande d'une amie chère à mon cœur.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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Nous ne conservons en mémoire que les prouesses marginales, les nuits d'excès, les scènes d'humiliations, les actes
pervers et les situations paradoxales ou baroques. Aussi pour réveiller les souvenirs de notre mémoire érotique, il nous
faut déambuler dans le grenier de notre cerveau pour y ouvrir de vieilles malles à la recherche de porte-jarretelles, de
lettres coquines et délicieusement salées. Parfois nous retrouvons dans ce bric-à-brac des amours mortes une ceinture
oubliée qui laissait sur la peau satinée d'une jeune fille des stries d'un rouge vif et provoquait chez elle une réaction vive
où se mêlaient l'effroi, la pudeur offensée, la reconnaissance. Nous revoyons les menottes dont elle autre souhaitait qu'on
lui attache ses gracieux poignets aux montants du lit. D'autres objets ou manigances du plaisir surnagent dans la mémoire,
devenus tout aussi incongrus, obsolètes et poussiéreux que les anachroniques bicyclettes de l'arrière-grand-père. La
ceinture est là, racornie, craquelée, mais que sont devenues la délicieuse croupe prête à recevoir son châtiment désiré,
et la jeune femme aux airs de collégienne qui voulait être punie ? Elle est sans doute aujourd'hui, une mère de famille
honnête, qui sait même, donne des leçons de catéchisme et qui se récrierait bien haut si on avait l'indélicatesse de lui
rappeler ses anciens égarements et ses pâmoisons illicites. Chaque femme possède sa manière bien à elle de faire
l'amour. Elle a son identité sexuelle, ses seins éprouvent des émotions particulières, son sexe est aussi singulier que son
empreinte digitale. Au même titre que la teinte de ses cheveux, sa taille, la couleur de ses yeux. Le sexe de chacune a
son rythme propre, sa palpitation, son émoi. Si on pose l'oreille sur sa vulve comme on procède aussi avec les grands
coquillages pour écouter la mer, on entend une longue plainte distincte, un frisson venu des profondeurs de l'être qui sont
la marque d'une personne unique. Cette identité sexuelle, doit-on la taire ou en révéler les expressions, les appétits, les
fièvres ? Nul n'est besoin de la décrire. Dans la nuit noire, les yeux bandés, l'amante reconnaît le goût de sa bouche, de
son sexe, avec leur rythme ardent ou paresseux, son haleine chaude, son parfum lourd ou opiacé, sa saveur acide ou
âcre de tabac. Toute amoureuse possède sur se sujet un certain appétit. Mais il n'est pas certain qu'elle désire toujours
être rassasiée. Au contraire, il peut lui être gré de ne rien imposer et de laisser libre cours à son imagination. Car c'est un
paradoxe. Plus on décrit les gestes de l'amour, plus on les montre, plus la vision se brouille. En matière sexuelle, on ne
voit bien que soi-même. Et la description sexuelle risque d'égarer la curiosité. C'est donc aux deux amantes de remplir
avec leur imagination sentimentale ou érotique, les blancs, les points de suspension, les corsages dégrafés, les bas
déchirés et les porte-jarretelles entrevus, que le désir leur offre afin qu'elles les agrémentent à leur guise. L'amour le plus
beau, c'est celui qui nous donne un canevas pour reconstruire notre vie, nos rêves et nos fantasmes. Ce sexe crûment
exposé, on l'emploie souvent comme cache-misère de l'indigence romanesque. Comme dans un rêve, on entendait le
feulement de Charlotte monter peu à peu vers l'aigu et un parfum déjà familier s'exhala de sa chair sur laquelle les lèvres
de Juliette étaient posées. La source qui filtrait de son ventre devenait fleuve au moment qui précède le plaisir et quand
elle reprit la perle qui se cachait entre les nymphes roses qu'elle lui donnait. Elle se cambra alors de tous ses muscles.
Sa main droite balaya inconsciemment la table de travail sur laquelle elle était allongée nue et plusieurs objets volèrent sur
la moquette. Un instant, ses cuisses se resserrèrent autour de sa tête puis s'écartèrent dans un mouvement d'abandon
très doux. Elle était délicieusement impudique, ainsi couchée devant Juliette, les seins dressés vers le plafond, les jambes
ouvertes et repliées dans une position d'offrande totale qui lui livrait les moindres replis de son intimité la plus secrète.
Quand elle commençait à trembler de tout son être, elle viola d'un doigt précis l'entrée de ses reins et l'orgasme s'abattit
sur elle avec une violence inouïe. Pendant tout le temps que le feu coula dans ses veines, Juliette but les sucs délicieux
que son plaisir libérait et quand la source en fut tarie, elle se releva lentement. Charlotte était inerte, les yeux clos, les
bras en croix. Venant d'un autre monde, sa maîtresse entendit sa voix lui dire qu'elle était heureuse et qu'elle voulait que
cela ne finisse jamais. Juliette s'agenouilla entre ses jambes et Charlotte voyait ses cheveux clairs onduler régulièrement
au-dessus d'elle. Sa vulve était prisonnière du plus doux et du plus chaud des fourreaux qui lui prodiguait la plus divine
des caresses. Un court instant, elle s'interrompit pour lui dire qu'elle n'aurait jamais cru que c'était aussi bon de se
soumettre puis brusquement, adorablement savante, sa main vint se joindre à ses lèvres et à sa langue pour la combler.
Mille flèches délicieuses s'enfoncèrent dans la chair de Charlotte . Elle sentit qu'elle allait exploser dans sa bouche. Elle
voulut l'arrêter mais bientôt ses dents se resserrèrent sur la crête rosée. Un plaisir violent et doux s'abattit sur les deux
amantes et le silence envahit la pièce. Le plafond était haut, les moulures riches, toutes dorées à la feuille. Juliette
invita Charlotte à pénétrer dans la salle de bains où elle fit immédiatement couler l'eau dans une baignoire digne d'être
présentée dans un musée, un bassin en marbre gris à veinures rouges, remontant à l'avant en volute, à la façon d'une
barque. Un nuage de vapeur emplissait le monument. Elle se glissa dans l'eau, avant que la baignoire ne fut pleine. La
chaleur est une étreinte délicieuse. Une impression d'aisance l'emplit. Voluptueuse, Charlotte s'abandonna à ce bien-être
nouveau sans bouger. Le fond de la baignoire était modelé de façon à offrir un confort maximum, les bords comportaient
des accoudoirs sculptés dans le marbre. Comment ne pas éprouver un plaisir sensuel ? L'eau montait sur ses flancs,
recouvrait son ventre pour atteindre ses seins en une onde caressante. Juliette ferma les robinets, releva les manches de
son tailleur et commença à lui masser les épaules avec vigueur, presque rudesse. Ses mains furent soudain moins douces
sur son dos. Puis alors à nouveau, elle la massa avec force, bousculant son torse, ramollissant ses muscles. Ses doigts
plongèrent jusqu'à la naissance de ses fesses, effleurant la pointe de ses seins. Charlotte ferma les yeux pour jouir du
plaisir qui montait en elle. Animé par ces mains fines et caressantes qui jouaient à émouvoir sa sensibilité. Une émotion la
parcourut. L'eau était tiède à présent. Juliette ouvrit le robinet d'eau chaude et posa ensuite sa main droite sur les doigts
humides de Charlotte, l'obligeant à explorer les reliefs de son intimité en la poussant à des aventures plus audacieuses.
Juliette perdit l'équilibre et bascula sur le bord de la baignoire. Son tailleur trempé devint une invitation à la découverte,
et la soie blanche de son corsage fit un voile transparent révélant l'éclat de ses sous-vêtements. Elle dégrafa sa jupe et
se débarassa de son corsage. Dessous, elle portait un charmant caraco et une culotte de soie, un porte-jarretelle assorti
soutenant des bas fins qui, mouillés, lui faisaient une peau légèrement hâlée. Ses petits seins en forme de poire pointaient
sous le caraco en soie. Elle le retira délicatement exposant ses formes divines. Bientôt, les mains de Charlotte se posèrent
langoureusement sur ses épaules et glissèrent aussitôt sous les bras pour rencontrer les courbes fermes de la poitrine.
Son ventre palpita contre les fesses de son amante. Elle aimait cette sensation. Peu à peu, ses doigts fins s'écartèrent du
buste pour couler jusqu'à la ceinture élastique de la culotte. La caresse se prolongea sous le tissu. Juliette pencha la
tête en arrière et s'abandonna au plaisir simple qui l'envahit. Alors, rien n'exista plus pour elle que ce bien-être animé par
le voyage de ces doigts dans le velours de sa féminité. L'attouchement fut audacieux. Combien de temps restèrent-elles
ainsi, à se caresser et à frissonner, ne fut-ce pas un songe, l'ombre d'un fantasme ? Elles n'oseraient sans doute jamais
l'évoquer. Mais brusquement, revenue à la réalité, Juliette se rhabilla et abandonna Charlotte sans même la regarder.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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Charlotte fouilla dans son sac, sans trop savoir ce qu'elle désirait, sans rien chercher de précis, à vrai dire,
simplement pour s'occuper jusqu'à l'arrivée de Juliette. Elle ne pouvait pas se contenter de rester, là assise,
le regard perdu dans le vide, et elle ne voulait pas non plus jouer à la fille courbée sur elle-même qui pianote
frénétiquement sur son portable. Il y avait bien ces cent premiers feuillets d'un manuscrit que son assistante
lui avait tendu au moment où elle quittait le bureau, mais non, sortir un manuscrit de la maison Gallimard chez
Berthillon à l'heure de prendre une glace, c'était comme lire un scénario chez Miocque à Deauville. Le truc à
ne pas faire. La seule chose dont elle aurait vraiment eu envie, ç'aurait été de poser sur ses oreilles son casque
pour écouter de la musique, afin de ne plus entendre la voix grinçante et aiguë de l'homme, qui, derrière elle,
hurlait dans son téléphone. Si elle avait été seule, ou avec des amies, elle aurait tout simplement demandé à
changer de table, mais Juliette allait arriver d'une minute à l'autre, elle ne voulait pas qu'elle la surprenne à faire
des histoires. Elle connaissait trop ses sautes d'humeur et respectait par dessus-tout la relation SM qui les
unissait. Charlotte avait accepté sans restriction de se soumettre totalement à Juliette. L'anxiété générée par
la perspective de ce déjeuner, combinée au brouhaha incessant de la soirée organisée à l'étage au-dessus
qui s'était prolongée jusque tard dans la nuit, s'était soldée par un manque à gagner sérieux de sommeil.
La séance que lui avait imposée Juliette lui revenait en mémoire par flashes. Elle revivait surtout le moment où
elle avait dû retrousser sa jupe. Dès cet instant, elle avait commencé à éprouver du plaisir. Un plaisir que la
punition face au coin, la culotte baissée, les poses obscènes, et jusqu'à la tentative de viol de Juliette n'avaient
fait qu'accroître. Bien sûr, elle avait eu peur. Bien sûr, elle avait eu honte. Bien sûr, elle avait pleuré. Et pourtant,
le désir l'avait toujours emporté. Elle avait passé plus d'une heure à trouver une tenue sans arriver à se décider.
Toutes celles qu'elle portait d'habitude lui semblaient si classiques. Juliette aimait la provocation jusqu'à oser ce
qu'il y avait de plus sexy ou d'aguicheur. Elle possédait l'art de la composition et savait assortir avec goût les
éléments les plus disparates. Elle osait, au moins elle osait. Elle arriva finalement sans retard à leur rendez-vous.
Elle avait décidé de faire quelques courses en centre ville. Charlotte dévala quatre à quatre les escaliers du glacier.
Raide au volant de sa voiture allemande, Juliette ne lui jeta même pas un regard. Elles roulèrent sans se parler.
Elle conduisait sa voiture à travers la circulation avec son autorité naturelle. À coté d'elle, Charlotte ne savait pas
comment se tenir et gardait le visage tourné vers la vitre. Où allaient-elles ? Juliette n'avait même pas répondu à la
question. Elle flottait entre inquiétude et excitation, ivresse et émoi. À l'extérieur ne défilaient que des silhouettes
floues, échappées d'un mirage. Cette fois, elle savait que l'univers parallèle qu'elle s'était tant de fois décrit en secret
était tout proche, enfin accessible. La réalité peu à peu s'effaçait. À tout moment, elle s'attendait à ce que la main de
Juliette se pose sur sa cuisse. Une main douce glissant sa caresse sur le satin de sa peau. Ou une main dure au
contraire, agrippée à son corps. N'importe quel contact lui aurait plu, mais rien ne passait. Indifférente à la tension
de Charlotte, aux imperceptibles mouvements que faisaient celle-ci pour l'inviter à violer son territoire, à ces cuisses
bronzées que découvraient hardiment une minijupe soigneusement choisie, Juliette ne semblait absorbée que par
les embarras du trafic. Enfin, elle gara sa voiture devant la plus célèbre bijouterie de la ville et fit signe à Charlotte
de descendre. Toujours sans dire un mot, elle la prit par le bras et lui ouvrit la porte du magasin. Comme si on
l'attendait, une vendeuse s'avança vers elle, un plateau de velours noir à la main et leur adressa un sourire un peu
forcé. Sur le plateau étaient alignés deux anneaux d'or qui étincelaient dans la lumière diffuse de la boutique.
- "Ces anneaux d'or sont pour toi, chuchota Juliette à son oreille. Tu seras infibulée. Je veux que tu portes ces
anneaux aux lèvres de ton sexe, aussi longtemps que je le souhaiterai."
Charlotte accueillit cette déclaration avec émotion. Elle savait que dans les coutumes du sadomasochisme, la pose
des anneaux était une sorte de consécration réservée aux esclaves et aux soumises aimées. C'était une sorte de
mariage civil réservé à l'élite d'une religion qui professait l'amour d'une façon peut-être insolite, mais intense. Il lui
tardait à présent d'être infibulée, mais sa Maîtresse décida que la cérémonie n'aurait lieu que deux semaines plus
tard. Cela illustrait parfaitement la personnalité complexe de Juliette. Quand elle accordait un bonheur, elle le lui
faisait longtemps désirer. Le jour tant attendu arriva. On la fit allonger sur une table recouverte d'un tissu en coton
rouge. Dans la situation où elle se trouvait, la couleur donnait une évidente solennité au sacrifice qui allait être
célébré sur cet autel. On lui expliqua que le plus long était de poser les agrafes pour suturer l'épiderme du dessus
et la muqueuse du dessous. Un des lobes de ses lèvres serait percé, dans le milieu de sa longueur et à sa base.
Elle ne serait pas endormie, cela ne durerait pas longtemps, et serait beaucoup moins dur que le fouet. Elle serait
attachée seulement un peu plus que d'habitude. Et puis tout alla très vite, on lui écarta les cuisses, ses poignets
et ses chevilles furent liées aux pieds de la table. On transperça l'un après l'autre le coté gauche et le coté droit de
ses nymphes. Les deux anneaux coulissèrent sans difficulté et la brûlure s'estompa. Charlotte se sentit libérée,
alors même qu'elle venait d'être marquée pour signifier qu'elle appartenait à une seule femme, sa Maîtresse. Alors
Juliette lui prit la main droite et l'embrassa. Elle ferma les yeux pour apprécier plus intensément encore cet instant
de complicité. Ses yeux s'embuèrent de larmes, d'émotion, de joie et de fierté. Personne ne pouvait comprendre
l'authenticité de son bonheur. Elles allèrent à La Coupole fêter la cérémonie. Leur entrée dans la brasserie fit
sensation. Juliette la tenait en laisse le plus naturellement du monde. Un serveur apporta une bouteille de Ruinart.
Charlotte sortit de son body transparent les billets qu'elle tendit au garçon littéralement fasciné par le décolleté
qui ne cachait rien de ses seins. Les voisins de table les épiaient plus ou moins discrètement. Ils n'avaient sans
doute jamais vu auparavant une jeune fille tenue en laisse par une femme, attachée au pied de la table, payant
le champagne à ses amis. Elles sortirent d'une façon encore plus spectaculaire. Aussitôt passé le seuil, Juliette
l'obligea à rejoindre, à quatre pattes, la voiture laissée en stationnement juste devant la porte de la brasserie.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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De cette chose impalpable, peut-être inexistante qu'est le passé, que gardons-nous ? À peine quelques mots
dont nous ne savons plus s'ils ont été réellement prononcés ou si c'est nous qui les inventons dans le naïf
désir de nous justifier, de croire que nous avons vraiment existé tel jour, telle heure cruciale dont le souvenir
nous poursuit. Seules des images, parfois même reliées entre elles comme dans un film dont le monteur aurait
coupé les meilleures ou les pires passages, ôtant toute logique à leur enchaînement, seules des images fugaces
surnagent et permettent de reconstituer un épisode du passé dont nous sommes assurés qu'il a été un carrefour
fatal. Là, tout est décidé. Un pas à gauche au lieu d'un pas à droite, une minute de retard, et toute une vie
bascule dans l'inconnu. La double magie des lumières et du maquillage conservait miraculeusement l'éclat des
vingt ans de Sarah alors qu'elle approchait du double et l'ardeur généreuse de sa jeunesse ressuscitait sur son
visage en présence de Patricia. Son amante ne voyait plus qu'elle, n'entendait plus que le timbre de sa voix à
peine mûrie par les excès de sa vie passée. Face à face, elles ne se mentaient jamais. Dans un miroir, c'est
beaucoup plus facile. Une remarque insolente sur sa soudaine pudeur, le rappel de la scène qui a motivé leur
fâcherie seraient de mauvais goût. Se souvenait-elle seulement des plaisirs partagés, et qu'elles prenaient,
parfois pour de l'amour ? Une méprise bien de leur âge. Un jean noir et un chandail amincissait sa silhouette,
sans être grande, elle avait un corps charmant. Un bandeau noir sur son front maintenait en arrière ses cheveux
cendrés. Patricia avait depuis longtemps, dépassé le stade de la souffrance, une douleur qui s'annihile elle-même.
Allongée dans le lit, la jambe de Sarah pressée contre la sienne, Patricia respirait avec bonheur le doux parfum épicé
de son amante. La chaleur qu'elle dégageait la rassurait autant qu'elle aiguisait ses sens. Cette nuit, elle ne dormirait
pas seule. Et si d'aventure, il arrivait que Sarah l'embrasse encore, et apaise ses brûlures qu'elle avait fait naître sur
tout son corps, elle se plierait avec joie à son bon plaisir. Les longues jambes fuselées, le triangle inversé de la fine
toison qui plongeait entre ses cuisses, le galbe des hanches d'une perfection appelant la caresse et là-haut au-dessus
de la taille crémeuse, les seins ronds qui pointaient. Pourtant, elle comprit tout de suite, qu'elle ne se livrerait pas en
totalité. Ce baiser manifestait la violence de son désir, l'acuité des sensations qu'elle éprouvait mais l'esprit de Sarah
demeurerait à distance. Cela, alors qu'elle se donnait sans compter. Elle risquait de rompre le charme. Elle était si
claire de cheveux que sa peau était plus foncée que ses cheveux, bise et beige comme du sable fin quand la marée
vient juste de se retirer. Un peu de sueur brillait sous ses aisselles, qui étaient épilées et Patricia en sentit l'odeur âpre
et fine, un peu végétale et se demanda comment une femme si belle pouvait parfois se montrer d'une si grande cruauté.
Elle savait à qui elle appartenait mais se demandait où étaient sa bouche, ses seins et ses reins. Les exigences de Sarah,
le plus difficile n'était pas de les accepter, le plus difficile était simplement de parler. Dans la moiteur de la nuit, elle avait
les lèvres brûlantes et la bouche sèche, la salive lui manquait, une angoisse de peur et de désir lui serrait la gorge, et ses
mains étaient froides. Si au moins, elle avait pu fermer les yeux. Mais non, elle veillait sur la lancinante douleur des traces.
Les amours l'avaient laissé indemne jusqu'à Patricia. Elle adorait voir la joie de vivre dans ses yeux malicieux, la parfaite
connaissance de ses doigts soyeux du corps féminin, jamais lasse d'étreintes fiévreuses, toujours à l'assaut. Pour Sarah,
les hommes étaient le mensonge, avec leurs mains fausses, leur appétit, la politique dont ils parlaient, ils font impression
jusqu'au jour où leur faiblesse éclate; pour la plupart, ils sont peureux et paresseux, et la faiblesse engendre la vulgarité.
Patricia était la femme de sa vie. Avec le temps, les corps s'apprivoisent et les caractères se sculptent. Elle avait accepté
de se soumettre à elle dans une totale abnégation. La flagellation et les humiliations, ça faisait partie de la poésie de
Patricia. Entre douleur et langueur, supplices et délices, telle de la glace sur du granit, le désir était devenu une terre
ardente où s'épanouissait son corps. Quand Sarah évoquait l'anatomie altière de Patricia, sa grâce brune et allongée, sa
femme-enfant, fragile et éternellement adolescente, ses seins parfaits, ses longues jambes toujours brunies par le soleil,
elle avait peur pour elle, du soleil, des coups de cravache trop violents qui semblaient devoir la brûler. Elle l'aurait voulue,
idéalement dans la pénombre d'un boudoir, dans un décor vaporeux qu'elle aurait éclairé de la lueur de ses longs cheveux
noir de jais croulant en cascade sur ses épaules nues. Fragile et forte, forte mais attendrissante de faiblesse pensait Sarah
en regardant la nuit monter dans le ciel immense. Que ferais-je sans elle, je serais sans doute un peu perdue, désemparée.
Patricia s'ouvrit et se cambra au contact de son doigt qui remontait et qui se mit à masser doucement son bouton de chair
turgescent qui gîtait dans l'ombre de son pubis. Ineffable lui fut la caresse de son index à l'orée de sa voie la plus étroite,
provoquant en elle une sensation de plaisir telle que jusqu'au fond de son ventre et de ses reins, elle fut traversée d'une
tension exquise, presque insoutenable. Elle s'abandonna à cette jouissance, à cette extase irradiante. C'était comme si son
être entier, tout son corps, tous ses nerfs, tout son sang bouillonnant affluaient dans son hédonisme solitaire. Elle eut un
éblouissement d'impudicité. Elle cria sa lasciveté, avec des saccades et des soubresauts. Elle demeura debout, les cuisses
écartées, les bras mous immobiles le long du corps. Elle avait encore en elle des ondes d'orgasme qui se répandaient dans
une fréquence de plus en plus lente, comme les vagues qui meurent sur le sable quand la mer est calme sous un ciel étale.
Une femme experte n'aurait pas été plus habile à lui donner autant de plaisir, sauf Sarah. Mais elle était heureuse de dormir
seule dans le grand lit, avec le calme de la campagne tout autour. Elle allait tirer les rideaux, laisser entrer la lumière du soir
recouvrir ses rêves et la lune éclairer les arbres. Il n'est pas de plus grands fâcheux que ceux qui racontent leurs rêves. Si
Sarah s'y risquait, ce n'était pas par complaisance envers elle, détachée et prisonnière de l'instant, confrontée tantôt jusqu'à
l'angoisse, tantôt jusqu'au plaisir avec la réalité onirique, mais parce qu'elle se trouvait en proie à une netteté indélébile. Il
était plus de minuit. Patricia ne se déroba pas aux promesses. Elle avait les yeux de ce bleu qui dénotait une âme tendre.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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Comme c'est étrange cette douleur infligée par les corps. Parce que des mains passent sur eux,
parce que des visages s'en rapprochent, parce que des souffles se mêlent et qu'une commune
sueur baigne ces plaisirs qu'il est convenu d'appeler physiques, une âme au loin, un cœur, une
imagination souffrent d'incroyables tortures. Je reconstruisais Charlotte en moi, je la voyais dans
des bras étrangers. Je me représentais des gestes, des abandons et j'avais mal. Des liens forts
et subtils nous unissent tous au monde où nous cherchons notre bonheur et où nous trouvons
que des larmes. Le bonheur est un baume, un miel. Il entre en nous, s'y roule insidieusement.
L'odeur d'un parfum excite, une fragrance inédite, le corps devant elle se raidit. Revenons à
l'amour, puisqu'il n'y a que cette passion éphémère qui donne seule à la vie un goût d'éternité.
Souvent des images me reviennent. Chaudes, épicées, elles se superposent aux visages et
aux corps. Les femmes que j'évoque m'apparaissent alors dans l'éclairage violent de leur autre
vie, celle ardente du lit, de la volupté, des étreintes. Ces souvenirs familiers deviennent aussi
étrangers que la mémoire d'anciens accès de folie. Pourtant un rien les ressuscite. Un mot,
une anecdote, un parfum. Aussitôt s'éveille et s'anime le théâtre de la jouissance, de l'extase.
Je me demande quel lien l'unit à l'amour ? Sommes-nous dans les cris que nous poussons ou
que nous suscitons dans l'alcôve ? Quelle part de nous-mêmes participe à ces coups de reins,
à la furie des corps embrassés à bouche-que-veux ? De ces feux éteints, que me reste-t-il ?
Rien n'est volatile comme le souvenir de la volupté. Mais quelle denrée périssable que le
plaisir. Le passé n'est pas le temps du désir. Celui-ci s'enflamme et s'enfuit ailleurs aussi vite
qu'il était venu, comme une amante oublieuse et volage. Au présent, c'est le sexe qui nous
tient, nous insuffle ses ardeurs; au passé, il faut faire un effort de mémoire pour rallumer nos
anciennes fièvres. Car ce sont rarement les moments parfaits où tout concourait à l'harmonie
de l'amour et des siens, les instants de la plénitude où la vie rendait justice. Ces heures-là,
douces comme de paisibles siestes, basculent dans l'oubli comme tant de moments du bonheur
passé. Nous ne conservons en souvenirs que les nuits d'excès et les scènes de perversité.
La mauvaise humeur passa. Pas la blessure, qui demeura intacte. Cet échec ne fut pas inutile.
Il me donna matière à réfléchir. Je ne cessais de penser à Charlotte, non plus dans l'espoir d'un
retour d'affection. J'étais trop meurtrie pour remettre en route cette machine à souffrir, mais pour
tenter d'élucider l'énigme de sa conduite. D'autant qu'elle ne fit rien pour se justifier. Je ne reçus
pas de nouvelles d'elle, ni lettre ni message d'aucune sorte. Elle s'était évanouie dans le silence.
Cela fut l'occasion d'un examen de conscience. Avais-je des torts envers elle ? J'avais beau me
livrer à la plus sévère critique de mes faits et gestes depuis notre rencontre, je ne trouvais rien
à me reprocher. Pourtant j'étais experte en autodénigrement; mais en la circonstance, quel que
fût mon désir de me flageller et de me condamner, force était d'admettre que pour une fois,
peut-être la seule dans une vie amoureuse déjà longue et parsemée de petites vilénies, mon
comportement se signalait par son honnêteté. Mais un doute affreux me traversait. N'était-ce pas
justement dans cette honnêteté un peu niaise que résidait mon erreur ? Pourquoi s'imaginer que
les jeunes filles veulent être traitées comme des saintes ou des chaisières ? Peut-être ce respect
n'était-il pas de mise avec elle ? Ne m'eût-elle pas mieux considérée si je l'avais bousculée au lieu
d'accumuler ces stupides désuets préliminaires ? L'amoureuse et la tacticienne, qui dans le succès
amoureux ne font qu'une, s'affrontaient dans l'échec. Elles se donnaient réciproquement tort.
Seule Charlotte détenait la clé qui me manquait. Et encore, je n'en étais pas certaine. Savait-elle
vraiment ce qui l'avait d'abord poussée à accepter cette invitation puis à s'y soustraire ? J'imaginais
son débat intérieur. À quel instant précis avait-elle changé d'avis ? Quelle image s'était présentée
à son esprit qui soudain avait déterminé sa funeste décision ? Pourquoi s'était-elle engagée aussi
loin pour se rétracter aussi subitement ? Parfois, je l'imaginais, sa valise prête, ce fameux jour,
soudain assaillie par le doute. Hésitante, songeant à ce séjour à Belle-Île-en-Mer, à la nuit passée
à l'hôtel du Phare à Sauzon, au bonheur escompté, mais retenue par un scrupule, un scrupule qui
s'alourdissait de seconde en seconde. Puis la résolution fulgurante qui la retenait de s'abandonner
au plaisir. Et cet instant encore instable où la décision prise, elle balançait encore jusqu'à l'heure
du départ qui l'avait enfermée dans ce choix. Le soir, avait-elle regretté sa défection, cette occasion
manquée, cet amour tué dans ses prémices ? Ou bien était-elle allée danser pour se distraire ?
Danser, fleureter, et finir la nuit avec une femme qu'elle ne connaissait pas, qu'elle n'aimait pas.
Songeait-elle encore à moi ? Souffrait-elle comme moi de cette incertitude qui encore aujourd'hui
m'habite ? Quel eût été l'avenir de cet amour consacré dans l'iode breton ? Eût-il duré ? M'aurait-elle
infligé d'autres souffrances pires que celle-là ? Mille chemins étaient ouverts, tous aussi arides, mais
que j'empruntais tour après tour. S'il est vrai que tout amour est plus imaginaire que réel, celui-ci se
signalait par le contraste entre la minceur de ses épisodes concrets et l'abondance des songeries
qu'il avaient suscitées en moi. Charnel, il devint instinctif mais intellectuel et purement mental. À la
même époque, le hasard me mit entre les mains un livre de Meta Carpenter, qui fut le grand amour
de Faulkner. Ce récit plein de pudeur, de crudité, de feu et de désespoir raviva ma blessure.
Meta Carpenter travaillait comme assistante d'Howard Hawks à Hollywood lorsqu'elle vit débarquer
Faulkner avec son visage d'oiseau de proie; à court d'argent, il venait se renflouer en proposant
d'écrire des scénarii. Il venait du Sud, élégant comme un gandin, cérémonieux. Meta avait vingt-cinq
ans. Originaire du Mississipi elle aussi, c'était une jolie blonde très à cheval sur les principes, qui
vivait dans un foyer tenu par des religieuses. Tout de suite, l'écrivain l'invita à dîner. Elle refusa. Il
battit en retraite d'une démarche titubante. Elle comprit qu'il était ivre. Faulkner revint très souvent.
Chaque fois qu'il voyait Meta, il renouvelait sa proposition, chaque fois il essuyait un refus. Cela
devint même un jeu entre eux qui dura plusieurs mois. Un jour, Meta accepta. À la suite de quelle
alchimie mentale, de quel combat avec ses principes dont le principal était qu'une jeune fille ne sort
pas avec un homme marié ? Elle-même l'ignorait. Elle céda à un mouvement irraisonné. À l'issue de
ses rencontres, elle finit par accepter de l'accompagner à son hôtel. Là dans sa chambre, ils firent
l'amour. Ainsi commença une longue liaison sensuelle, passionnée et douloureuse. Comprenant
que Faulkner ne l'épouserait jamais, Meta se rapprocha d'un soupirant musicien, Rebner qui la
demanda en mariage. Elle finit par accepter. L'écrivain tenta de la dissuader sans vouloir pour
autant quitter sa femme. Il écrivit "Tandis que j'agonise" sous le coup du chagrin de la rupture.
Mais au bout de deux ans, le mariage de Meta commença à chavirer. Elle ne pouvait oublier
l'homme de lettres. Ils se revirent, vécurent ensemble à Hollywood, puis Meta revint avec Rebner
qu'elle quitta à nouveau pour retrouver Faulkner. C'était à l'époque où il recevait le prix Nobel. Leur
amour devenait une fatalité. En Californie, sur le tournage d'un film, un télégramme mit fin pour
toujours à ses espoirs. Faulkner était mort. Cette pathétique histoire d'un amour en marge ne me
consola pas. Bill et Meta, eux au moins, avaient vécu. Ils s'étaient aimés, s'étaient fait souffrir.
Mais que subsisterait-il de cette passion pour Charlotte restée dans les limbes ? Un vague à l'âme
dédié à ce qui aurait pu être, une buée amoureuse qui s'efface. Dans toutes les déceptions qu'apporte
l'amour, il reste au moins, même après l'expérience la plus cruelle, le sentiment d'avoir vécu. Alors
que cet amour sans consistance me laissa un sentiment plus violent que la frustration. J'étais furieuse.
Au lieu de cette irritation due à une passion esquissée, j'eusse préféré lui devoir un lourd chagrin.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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Patricia regagna sa chambre d'hôtel et s'octroya le luxe rare de faire une sieste. Étendue nue sur le
lit, elle avait seulement conservé son bustier en cuir noir qui enserrait sa taille. Ce fut un coup frappé
à la porte qui la réveilla, deux bonnes heures plus tard. Reposée, elle bondit hors du lit et alla jeter un
coup d'œil par le judas. Un livreur attendait, tenant une corbeille de fleurs dans les bras. Lorsqu'elle
ouvrit la porte, elle découvrit un superbe bouquet de lys, une bouteille de champagne et un cadeau très
soigneusement enrubanné. C'était agréable et inattendu et elle ne put s'empêcher d'être émue par ce
geste si romantique de la part sans doute de l'inconnu, celui qui l'avait soumise la veille, lors de cette
soirée mémorable. Elle donna un pourboire au livreur, referma la porte et ouvrit avec joie le paquet.
Patricia ne fut pas étonnée de découvrir son contenu, un déshabillé en soie noire, un loup en velours
de la même couleur et une paire de menottes. Elle saisit la petite carte dont elle lut le message à voix
haute: "Cette soirée vous appartient. Portez le bandeau pour moi. Je passerai vous prendre à dix-neuf
heures". Un peu anxieuse, elle aima pourtant sa persévérance et sa fidélité dans le lien qui les unissait.
La persévérance signifiait qu'il prenait très au sérieux les sentiments qu'il éprouvait pour elle. Mais en même
temps, toutes les attentions qu'il lui prodiguait la déstabilisaient. Elles ne lui laissaient pas le temps de souffler
et rendaient plus difficile encore la possibilité de lui résister. Patricia songea à s'enivrer avec le champagne.
Ainsi elle n'aurait pas à réfléchir ni à prendre de décision. Elle porterait le bandeau. Tout ne lui serait pas infligé
à la fois, elle aurait le loisir de crier, de se débattre, mais de jouir aussi, tant il prenait plaisir à lui arracher ces
indubitables témoignages de son pouvoir. Il n'était pas dans ses habitudes de fuir les responsabilités.
Elle avait découvert la subtilité et la délicatesse du jeu des relations entre le maître et son esclave. Elle devait
savoir indiquer à l'inconnu les limites à ne pas franchir. L'autorité absolue est un savant jeu d'équilibre, le moindre
faux pas romprait l'harmonie et au-delà briserait la considération qu'ils se porteraient l'un à l'autre. Toute femme
a ses limites, elle a les siennes. Il ne pourrait aller au delà des limites acceptées, moralement ou physiquement.
Toute dérogation à cette règle serait dangereuse. En cela, elle s'accorderait du plaisir et une nuit d'amour car il
avait la générosité de ne pas la priver d'orgasme. Patricia devrait lui accorder les privilèges de sa fonction. Lui
procurer le bonheur grisant de la dominer tout en se préservant quelque indépendance, car alors la punition qui
s'ensuivrait serait source de plaisir pour l'un et l'autre. Se soumettre, endurer, désobéir et jouir dans la contrainte.
Elle avait pris conscience de son pouvoir sur l'homme. Car c'est une évidence qu'ignorent les non-initiés à cet
univers qu'elle pénétrait, marginal et si envoûtant. Il ne serait jamais celui que l'on croit. En réalité il serait en état
de dépendance totale vis à vis d'elle. Il existerait et ne trouverait sa place ou sa justification que par rapport à elle.
Par ce jeu subtil de rapports de force, elle serait certainement celle qui exercerait le véritable pouvoir dans leur
relation. Même s'il la pousserait certainement au paroxysme de l'épuisement et de la souffrance physiques lors
de séances très éprouvantes. Elle l'accepterait tout de lui pour autant qu'il n'abuse pas trop de la situation de
dépendance engendrée par l'amour qu'elle lui portait en la forçant à accepter des épreuves trop humiliantes.
Elle se pencha au-dessus des lys, huma leur parfum. Elle aimait les fleurs fraîches, le champagne, le déshabillé
et le symbole des menottes. Mais qui ne les aimerait pas ? Cela ne signifiait pas qu'elle était prête à succomber
à la requête de l'inconnu. Et toutes ces attentions. Elle ne savait pas ce qu'il pensait vraiment d'elle. Elle avait
voulu le séduire, mais en réalité, il l'avait soumise. Sur la terrasse de la suite, elle avait désiré être sodomisée et
elle avait joui mais ensuite dans le reflet de la lumière de la chambre, attachée, l'homme l'avait fouettée avec sa
ceinture. Les traces sur son corps la rendaient fière. Elle souhaita seulement qu'il fut également heureux, si le
le supplice était le prix à payer pour que son amant continuât à l'aimer. Pour s'engager plus avant, elle aurait
besoin de savoir qu'il l'aimait. Mais comment pouvait-il le lui prouver ? Lui avait-elle, à dessein, assigné une
tâche impossible ? Avait-elle aussi peur qu'il le pensait ? Patricia portait un collier de soumission mais elle
n'avait pas les clefs, encore moins celles des chaînes de leur relation amoureuse. Les règles de leur jeu.
Elle se sentait incapable de répondre à toutes ces questions. Elle prit la paire de menottes et le bandeau. Elle fit
glisser ce dernier entre ses doigts. Devait-elle poursuivre leur relation et offrir une chance à ce lien si fort qui les
unissait ? Elle n'aurait su le dire mais secrètement elle l'espérait. Son corps l'exigeait. Alors que dix-neuf heures
approchait, elle se doucha, et s'habilla. Une simple robe légère, et en dessous une paire de bas tenue par un
porte-jarretelle; porter des sous-vêtements aurait été maladroit. Elle noua le bandeau sur ses yeux. Les cinq
minutes passèrent trop vite et lorsqu'on frappa à la porte, elle se sentit la gorge sèche. Elle l'entendit rentrer.
Sa voix profonde, sensuelle, fit courir un frisson le long de son dos et naître aussitôt le désir au creux de ses reins,
de son ventre. Déjà, ses seins se dressaient, pressant la soie de son décolleté. Très vite, elle compris qu'elle
avait pris la bonne décision. Et qu'importe ce qu'il adviendrait ensuite, elle était prête à vivre tous ses fantasmes.
- Il y a une chose qu'il faut que vous sachiez si vous me prenez en charge ce soir.
- De quoi s'agit-il ?
- Je ne porte pas de lingerie. Par conséquent, je suis nue sous ma robe.
- J'aimerais beaucoup voir.
Les doigts tremblants, elle saisit l'ourlet et fit remonter le tissu le long de sa cuisse. Jamais elle ne s'était sentie aussi
indécente et elle adorait cela. Elle écarta légèrement les cuisses. Elle se sentait déjà humide, prête pour lui. S'il ne la
touchait pas très vite, elle allait s'évanouir. Il laissa un doigt glisser vers l'intérieur de son entrecuisse, puis il effleura
son clitoris. Patricia frissonna, le corps parcouru de sensations délicieuses.
- Nous n'allons pas faire l'amour ?
- D'abord, nous allons poursuivre votre apprentissage. Avez-vous aimé la séance d'hier ?
- Oui, je vous aime quand vous me dominez.
Elle se sentait rassurée. Il lui ordonna de se déshabiller totalement et de se débarrasser de ses talons hauts. Il glissa
quelque chose de doux et de soyeux autour de ses poignets et l'attacha. Elle testa ses liens. Elle pouvait bouger de
quelques centimètres. Ce qu'elle fit, et dans la position où elle se trouvait, le désir crût soudain dans ses reins. Alors
il décida de la contraindre, les bras maintenus dans le dos à l'aide de la paire de menottes métalliques.
- Je voudrais vous fouetter, et cette fois, je vous le demande. Acceptez-vous ?
- Vous connaissez la réponse, je vous aime.
Il lui enchaîna les mains au dessus de sa tête, à l'anneau fixé au plafond qui soutenait le lustre de la chambre. Quand
elle fut ainsi liée, il l'embrassa. Lorsqu'elle reçut le premier coup de fouet, elle comprit qu'il s'agissait d'un martinet souple
utilisé de façon à lui chauffer le corps avant d'autres coups plus violents. Puis, du martinet, l'homme passa à la cravache.
Elle en devina la morsure particulière au creux de ses reins. Cela devait être une cravache longue et fine, d'une souplesse
trompeuse et d'un aspect presque rassurant. Maniée avec précision et nuance, chaque coup reçu lui semblait différent,
selon que la mèche de cuir la frappait à plat, ou au contraire sur toute la longueur de la tige. Patricia oublia toutes ses
résolutions pour se mettre à crier sous la morsure intolérable des coups. Le tout avait duré une dizaine de minutes. Il
s'arrêta. Elle ressentit un apaisement. L'inconnu lui ôta le bandeau qui la rendait aveugle. Un sourire sur son visage.
Quand il la prit dans ses bras, le coton de sa chemise lui agaça la pointe des seins. Il l'embrassa, l'étendit sur le lit, se
coucha contre elle, et lentement et tendrement, il la prit, allant et venant dans les deux voies qui lui étaient offertes, pour
finalement se répandre dans sa bouche, qu'ensuite il embrassa encore. Elle trouva la force de lui répéter qu'elle l'aimait.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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Nous ne conservons en mémoire que les prouesses marginales, les nuits d'excès, les scènes d'humiliations, les actes
pervers et les situations paradoxales ou baroques. Aussi pour réveiller les souvenirs de notre mémoire érotique, il nous
faut déambuler dans le grenier de notre cerveau pour y ouvrir de vieilles malles à la recherche de porte-jarretelles, de
lettres coquines et délicieusement salées. Parfois nous retrouvons dans ce bric-à-brac des amours mortes une ceinture
oubliée qui laissait sur la peau satinée d'une jeune fille des stries d'un rouge vif et provoquait chez elle une réaction vive
où se mêlaient l'effroi, la pudeur offensée, la reconnaissance. Nous revoyons les menottes dont elle autre souhaitait qu'on
lui attache ses gracieux poignets aux montants du lit. D'autres objets ou manigances du plaisir surnagent dans la mémoire,
devenus tout aussi incongrus, obsolètes et poussiéreux que les anachroniques bicyclettes de l'arrière-grand-père. La
ceinture est là, racornie, craquelée, mais que sont devenues la délicieuse croupe prête à recevoir son châtiment désiré,
et la jeune femme aux airs de collégienne qui voulait être punie ? Elle est sans doute aujourd'hui, une mère de famille
honnête, qui sait même, donne des leçons de catéchisme et qui se récrierait bien haut si on avait l'indélicatesse de lui
rappeler ses anciens égarements et ses pâmoisons illicites. Chaque femme possède sa manière bien à elle de faire
l'amour. Elle a son identité sexuelle, ses seins éprouvent des émotions particulières, son sexe est aussi singulier que son
empreinte digitale. Au même titre que la teinte de ses cheveux, sa taille, la couleur de ses yeux. Le sexe de chacune a
son rythme propre, sa palpitation, son émoi. Si on pose l'oreille sur sa vulve comme on procède aussi avec les grands
coquillages pour écouter la mer, on entend une longue plainte distincte, un frisson venu des profondeurs de l'être qui sont
la marque d'une personne unique. Cette identité sexuelle, doit-on la taire ou en révéler les expressions, les appétits, les
fièvres ? Nul n'est besoin de la décrire. Dans la nuit noire, les yeux bandés, l'amante reconnaît le goût de sa bouche, de
son sexe, avec leur rythme ardent ou paresseux, son haleine chaude, son parfum lourd ou opiacé, sa saveur acide ou
âcre de tabac. Toute amoureuse possède sur se sujet un certain appétit. Mais il n'est pas certain qu'elle désire toujours
être rassasiée. Au contraire, il peut lui être gré de ne rien imposer et de laisser libre cours à son imagination. Car c'est un
paradoxe. Plus on décrit les gestes de l'amour, plus on les montre, plus la vision se brouille. En matière sexuelle, on ne
voit bien que soi-même. Et la description sexuelle risque d'égarer la curiosité. C'est donc aux deux amantes de remplir
avec leur imagination sentimentale ou érotique, les blancs, les points de suspension, les corsages dégrafés, les bas
déchirés et les porte-jarretelles entrevus, que le désir leur offre afin qu'elles les agrémentent à leur guise. L'amour le plus
beau, c'est celui qui nous donne un canevas pour reconstruire notre vie, nos rêves et nos fantasmes. Ce sexe crûment
exposé, on l'emploie souvent comme cache-misère de l'indigence romanesque. Comme dans un rêve, on entendait le
feulement de Charlotte monter peu à peu vers l'aigu et un parfum déjà familier s'exhala de sa chair sur laquelle les lèvres
de Juliette étaient posées. La source qui filtrait de son ventre devenait fleuve au moment qui précède le plaisir et quand
elle reprit la perle qui se cachait entre les nymphes roses qu'elle lui donnait. Elle se cambra alors de tous ses muscles.
Sa main droite balaya inconsciemment la table de travail sur laquelle elle était allongée nue et plusieurs objets volèrent sur
la moquette. Un instant, ses cuisses se resserrèrent autour de sa tête puis s'écartèrent dans un mouvement d'abandon
très doux. Elle était délicieusement impudique, ainsi couchée devant Juliette, les seins dressés vers le plafond, les jambes
ouvertes et repliées dans une position d'offrande totale qui lui livrait les moindres replis de son intimité la plus secrète.
Quand elle commençait à trembler de tout son être, elle viola d'un doigt précis l'entrée de ses reins et l'orgasme s'abattit
sur elle avec une violence inouïe. Pendant tout le temps que le feu coula dans ses veines, Juliette but les sucs délicieux
que son plaisir libérait et quand la source en fut tarie, elle se releva lentement. Charlotte était inerte, les yeux clos, les
bras en croix. Venant d'un autre monde, sa maîtresse entendit sa voix lui dire qu'elle était heureuse et qu'elle voulait que
cela ne finisse jamais. Juliette s'agenouilla entre ses jambes et Charlotte voyait ses cheveux clairs onduler régulièrement
au-dessus d'elle. Sa vulve était prisonnière du plus doux et du plus chaud des fourreaux qui lui prodiguait la plus divine
des caresses. Un court instant, elle s'interrompit pour lui dire qu'elle n'aurait jamais cru que c'était aussi bon de se
soumettre puis brusquement, adorablement savante, sa main vint se joindre à ses lèvres et à sa langue pour la combler.
Mille flèches délicieuses s'enfoncèrent dans la chair de Charlotte . Elle sentit qu'elle allait exploser dans sa bouche. Elle
voulut l'arrêter mais bientôt ses dents se resserrèrent sur la crête rosée. Un plaisir violent et doux s'abattit sur les deux
amantes et le silence envahit la pièce. Le plafond était haut, les moulures riches, toutes dorées à la feuille. Juliette
invita Charlotte à pénétrer dans la salle de bains où elle fit immédiatement couler l'eau dans une baignoire digne d'être
présentée dans un musée, un bassin en marbre gris à veinures rouges, remontant à l'avant en volute, à la façon d'une
barque. Un nuage de vapeur emplissait le monument. Elle se glissa dans l'eau, avant que la baignoire ne fut pleine. La
chaleur est une étreinte délicieuse. Une impression d'aisance l'emplit. Voluptueuse, Charlotte s'abandonna à ce bien-être
nouveau sans bouger. Le fond de la baignoire était modelé de façon à offrir un confort maximum, les bords comportaient
des accoudoirs sculptés dans le marbre. Comment ne pas éprouver un plaisir sensuel ? L'eau montait sur ses flancs,
recouvrait son ventre pour atteindre ses seins en une onde caressante. Juliette ferma les robinets, releva les manches de
son tailleur et commença à lui masser les épaules avec vigueur, presque rudesse. Ses mains furent soudain moins douces
sur son dos. Puis alors à nouveau, elle la massa avec force, bousculant son torse, ramollissant ses muscles. Ses doigts
plongèrent jusqu'à la naissance de ses fesses, effleurant la pointe de ses seins. Charlotte ferma les yeux pour jouir du
plaisir qui montait en elle. Animé par ces mains fines et caressantes qui jouaient à émouvoir sa sensibilité. Une émotion la
parcourut. L'eau était tiède à présent. Juliette ouvrit le robinet d'eau chaude et posa ensuite sa main droite sur les doigts
humides de Charlotte, l'obligeant à explorer les reliefs de son intimité en la poussant à des aventures plus audacieuses.
Juliette perdit l'équilibre et bascula sur le bord de la baignoire. Son tailleur trempé devint une invitation à la découverte,
et la soie blanche de son corsage fit un voile transparent révélant l'éclat de ses sous-vêtements. Elle dégrafa sa jupe et
se débarrassa de son corsage. Dessous, elle portait un charmant caraco et une culotte de soie, un porte-jarretelle assorti
soutenant des bas fins qui, mouillés, lui faisaient une peau légèrement hâlée. Ses petits seins en forme de poire pointaient
sous le caraco en soie. Elle le retira délicatement exposant ses formes divines. Bientôt, les mains de Charlotte se posèrent
langoureusement sur ses épaules et glissèrent aussitôt sous les bras pour rencontrer les courbes fermes de la poitrine.
Son ventre palpita contre les fesses de son amante. Elle aimait cette sensation. Peu à peu, ses doigts fins s'écartèrent du
buste pour couler jusqu'à la ceinture élastique de la culotte. La caresse se prolongea sous le tissu. Juliette pencha la
tête en arrière et s'abandonna au plaisir simple qui l'envahit. Alors, rien n'exista plus pour elle que ce bien-être animé par
le voyage de ces doigts dans le velours de sa féminité. L'attouchement fut audacieux. Combien de temps restèrent-elles
ainsi, à se caresser et à frissonner, ne fut-ce pas un songe, l'ombre d'un fantasme ? Elles n'oseraient sans doute jamais
l'évoquer. Mais brusquement, revenue à la réalité, Juliette se rhabilla et abandonna Charlotte sans même la regarder.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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Il y aurait beaucoup de choses à lui dire, mais d'abord, celle-ci, que je crains de deviner en elle, de la légèreté.
Elle aimait la légèreté des choses, des actes, de la vie. Elle n'aimait pas la légèreté des êtres, tout ce qui était
un peu au-dessus du niveau semblait heurter Charlotte. Elle ne recherchait pas à s'attribuer beaucoup de mérites
en ce monde ni dans l'autre, celui de l'abandon. Un sentiment d'insécurité pour son corps sans cesse meurtri. Elle
était bien jeune et ne savait même pas si elle possédait un peu de lumière. Juliette était arrivée quand elle était
dans l'ombre, et maintenant, il fallait arranger les choses. Tant pis pour elle. Les souvenirs qui ont su être poètes
de sa vie, c'est à dire dans le désordre, plaisir et enivrement de l'imagination. Mais dans la moindre de ses paroles,
raisonnable douce-amère, ce cadeau impérieux du ciel, le lot avait oublié sa jeunesse, l'allégresse avec laquelle
elle devait accepter l'insistance, la mauvaise grâce, et la maladresse. Comme le fouet et les doubles fenêtres pour
que l'on ne l'entende pas hurler. Ses mains s'agrippèrent aux colonnes du lit, où Juliette les immobilisa à l'aide de
fines cordelettes qui lui sciaient les poignets. Des sangles passaient dans les bracelets de ses chevilles. Elle était
allongée sur le dos, de telle façon que ses jambes surélevées et écartelées laisse à Juliette toute la fantaisie de la
fouetter. Elle était debout à coté d'elle, un martinet à la main. Aux premières cinglades qui la brûlèrent aux cuisses,
Charlotte gémit. Mais elle ne voulait pas demander grâce, même quand sa Maîtresse passa de la droite à la gauche.
Elle crut seulement que les cordelettes déchireraient sa chair, tant elle se débattait. Mais Juliette entendait marquer
sa peau de traces nobles et régulières et surtout qu'elles fussent nettes. Il fallut subir sans souffle, sans troubler
l'attention de Juliette qui se porta bientôt sur ses seins. Elle allait retrouver sa considération en s'accommodant de
son statut d'esclave et non pas de soumise. Et il n'était pour elle de plus grand bonheur que de se savoir appréciée.
L'amour mais avec un arc-en-ciel d'émotions vertigineuses en plus rayonnait toujours chaque parcelle de son corps.
Charlotte n'avait pas très mal. Chaque cinglement amenait seulement un sursaut, une contraction de ses muscles
fessiers, mais peu à peu, une douce chaleur irradia sa croupe, se propageant à son vagin. Une torsion des cuisses
et de ses hanches donnait au corps un balancement lascif. De la bouche de la suppliciée sortirent de longs soupirs,
entrecoupés de sanglots. Juliette, excitée, commença à frapper plus fort par le travers et les gémissements furent
plus profonds. En même temps qu'elle entendait un sifflement, elle sentit une atroce brûlure sur les cuisses et hurla.
Elle la flagella à toute volée sans attendre qu'elle se tût, et recommença cinq fois, en prenant soin de cingler chaque
fois, ou plus haut ou plus bas que la fois précédente, pour que les traces fussent quadrillées. Charlotte crispa ses
poignets dans les liens qui lui déchiraient la chair, le sang monta à sa tête. Alors Juliette s'accroupit près des épaules
de Charlotte et lui caressa le visage, penchée sur elle, lui donnant de longs baisers qui grisèrent la soumise éplorée.
Mais elle recommença, frappant plus fort, les fines lanières s'écrasèrent dans un bruit mat sur la pointe des seins.
Charlotte laissa couler quelques larmes. Alors Juliette arrêta de la flageller. Elle ne la détacha pas de ses liens,
mais la laissa ainsi exposée, le reste de la soirée, deux longues heures, cuisses ouvertes et relevées sur le lit.
Elle ne cessa de souhaiter refermer ses jambes. Penchée sur le ventre offert de sa soumise, Juliette posa ses
lèvres frémissantes sur le sexe humide et ardent, la faisant sombrer dans une indicible félicité, tandis que de
sa bouche s'échappait la plainte d'amour, des gémissements étouffés de la chair humide et palpitante, elle céda
à la jouissance. Juliette dut maintenir ses hanches à deux mains, tant les sursauts du spasme furent violents et
ininterrompus. Elle se consuma. Sans doute, ce ne fut pas là seulement la sensation du plaisir mais la réalité
même. Penchée au-dessus d'elle, Juliette tenait à la main une bougie. D'un geste lent, le bougeoir doré s'inclina sur
sa peau, la cire brûlante perla ses seins en cloques blanchâtres et incandescentes. Son martyre devint délicieux.
Le fantasme d'être brûler vive augmenta son excitation. Elle perdit la notion du temps et de la douleur. Elle aimait
l'idée du supplice, lorsqu'elle le subissait elle aurait trahi le lien qui l'unissait à Juliette pour y échapper, quand il était
terminé elle était heureuse de l'avoir subi d'autant plus épanouie qu'il avait été plus long et plus cruel. Sa Maîtresse
ne s'était pas trompée à l'acquiescement ni à sa révolte, et savait parfaitement que son merci n'était pas dérisoire.
Charlotte ne se lassait de sentir le satin de ses caresses, de haut en bas et de bas en haut. C'était toujours comme
pour la première fois qu'elle éprouvait le bonheur dans la forme la plus belle de la soumission, celle de l'abnégation.
De la souffrance qu'elle aimait subir, elle n'en éprouvait aucune honte. Se laisser fouetter, s'offrir à des inconnues,
être toujours accessible, aimable et nue. Elle ne se plaignait jamais. Pour l'amour qui faisait battre son cœur, on ne
la forçait jamais. On était fâché contre elle parce qu'on ne lui connaissait pas de rébellion. C'était de la discrétion.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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"C'est une grave erreur que de parler d'écriture féminine ou masculine. Il n'y a que des écritures tout court et plus elles
sont androgynes mieux ça vaut." Nathalie Sarraute, figure de proue féminine du courant littéraire du nouveau roman n'a
pas connu la littérature à l'époque des "bas-bleus", terme adopté par les conservateurs misogynes, voyant d'un mauvais
œil la femme qui s'intéressait aux choses intellectuelles. Elle ne pouvait être qu'une "précieuse", qu'un homme "manqué"
selon Barbey d'Aurevilly. Est-il néfaste pour celui qui veut écrire de penser à son sexe ? La littérature, comme tous les
espaces de pouvoir, a toujours été un bastion détenu par les hommes. Néanmoins, quelles que soient les périodes, de
Christine de Pisan à George Sand en passant par Louise Labé et Madame de Lafayette, les femmes appartenant aux
élites sociales et ayant bénéficié d’une certaine instruction ont pu acquérir une visibilité au sein du monde des lettres.
Pourtant, ces incursions demeuraient minoritaires à l’intérieur de l'univers littéraire. N’être plus ni muse, ni inspiratrice
mais participer à la voix du monde. C’est le souhait de toute femme écrivant. N’être que l’écrivain qui se cherche dans
l’écriture, s’invente et parle à l’autre de soi, de lui, d’elle. S’il s’agit de saisir pourquoi les femmes écrivent davantage
aujourd’hui, il sera sans doute assez facile de parler du contexte social et culturel qui leur donne plus de facilités. Mais
c’est davantage au sujet du contenu des textes, des mots employés, de la forme, que se trouve peut-être la clé de ce
qui fait la spécificité de l’écriture féminine. La stigmatisation des femmes de lettres s’est élaborée autour de la catégorie
"femme auteur", "bas bleu". Ce marquage sexué amalgamant sous ce dénominateur biologique commun les auteurs
féminins, jugeant et classant leurs œuvres, imposait une séparation entre une littérature écrite par les hommes et une
seconde écrite par les femmes. Aujourd’hui une telle opposition paraît désuète, révélant une évolution des modalités
d’appréciation de la littérature produite par les femmes et la reconnaissance de leur accès à cet univers de la création.
Certaines d'entre elles ont grâce à leur renommée servi de phare permettant ainsi à leurs consœurs de se libérer du joug.
Au cours du siècle dernier, les auteurs féminins se sont affranchis peu à peu de cette stigmatisation de leur contribution
à la littérature. Elles se sont imposées dans les rangs de l’avant-garde en mettant au cœur de leurs livres la revalorisation
du féminin. Cette construction sociale et symbolique de la légitimité des écrivaines a été édifiée à la fois en dénonçant la
suprématie masculine dans le monde des lettres et en définissant un esthétisme qui, théorisé, manifeste la possibilité
qu’ont les femmes désormais d’occuper visiblement le territoire littéraire. Lutter contre le stéréotype de l’appartenance
sexuée en la constituant en emblème esthétique s’inscrit dans un contexte où un espace s’ouvre aux femmes. D’une part,
le contexte politique dominé par le mouvement féministe des années soixante-dix permet de faire entendre l’expression
de l’arbitraire des jugements masculins à leur endroit. D’autre part l’évolution même du champ littéraire où apparaissent
de nouvelles avant-gardes crée une brèche où le "féminin" peut être défini comme subversif. Depuis les années cinquante,
le champ littéraire est dominé par deux courants d’avant-garde, l’existentialisme incarné par Jean-Paul Sartre et Simone
de Beauvoir et le "nouveau roman" porté par des auteurs tels que Nathalie Sarraute et Marguerite Duras. Le premier vise
à défendre une littérature engagée s’inscrivant dans une filiation héritée de Zola depuis la fin du XIXème siècle. Le second
rassemble des auteurs ayant une démarche apparentée à l’art pour l’art. Elle est sensible chez les nouveaux romanciers.
Quelle part intime la femme apporte-t-elle dans les belles-lettres ? Ces courants littéraires accueillent dans leurs rangs des
auteurs féminins bénéficiant d’une reconnaissance symbolique suffisante pour être affiliés à ces groupes. De Simone de
Beauvoir à Nathalie Sarraute en passant par Marguerite Duras et Julia Kristeva, ces femmes participent aux créations
théoriques de courants dans lesquels elles sont reconnues. Ces présences féminines révèlent la possibilité de fédérer
l’appartenance sexuée et l’innovation esthétique dans un espace plus autonome du monde des lettres. Qu’en est-il
de l’aveu de leur corps ? Qu’est-ce qu’une femme peut dire de son sexe qu’un homme ne saurait pas dire ? En somme,
peut-on dire que l’écriture aurait un sexe ? La poésie serait-elle plus révélatrice du sexe de son auteur ? La femme est un
sexe, le "deuxième", si l’on en croit Simone de Beauvoir. Il y aurait donc un premier et le deuxième se définirait par rapport
au premier. Sexe de moins, sexe en moins, moindre sexe, sexe en creux comme on le dit du moule qui donne sa forme
et son sens à la statue de bronze, celle-ci n’existant pas sans l’autre. "En tout ce qui ne tient pas au sexe, la femme est
homme", a dit Jean-Jacques Rousseau, ce qui pourrait vouloir dire qu’en dehors de l’amour, de l’expérience amoureuse
son sexe n’a pas d’importance. À voir, à moins que ce ne soient les formes du discours au féminin qui construisent le récit
de la différence sexuelle. En réalité, l’écriture féminine ne révèle pas qu’une seule voix mais des sexualités plurielles.
Sauf exception, le monde des lettres a péché par orgueil masculin dès l'origine. La plume ne pouvait être alors que virile.
George Sand voulait être l’un et l’autre sexe. George, l’écrivain à Paris, et Aurore, la femme, à la campagne, bien que
l’écriture se soit fabriquée aussi à Nohant. Reconnue comme un grand écrivain dès le départ par Henri James et Flaubert,
elle est conspuée par Baudelaire et Barbey d’Aurevilly. Baudelaire la nommait "la vache laitière de la littérature." Est-ce
seulement l’écrivain qu’il refusait ou la femme-écrivain ? Sappho est reconnue par son orientation sexuelle et par
l’interprétation de son œuvre à la lumière des éléments connus de sa biographie. D’autres femmes en Grèce ont écrit
de la poésie mais c’est le côté sulfureux des textes de Sappho qui nous est resté. Ce qu’elle mit d’elle-même et de sa vie,
de sa relation à l’amour, Horace nous le dit: "feu" et "amour." Poète de la passion amoureuse, "la mâle Sappho, l’amante
et le poète", dit d’elle Baudelaire, concédant à celle-ci le statut de poète parce qu’elle serait "mâle" ? Est-ce encore une
façon de nier cette écriture féminine ? L’écriture est pour toute femme la transgression absolue. Sappho dans l’Antiquité,
Christine de Pisan au Moyen Âge, Louise Labé et Pernette du Guillet à la Renaissance, d’autres encore dont les textes
sont oubliés, mais si peu de femmes poètes. Pourquoi ? Étaient-elles muettes ou interdites d’écriture et de création ?
Longtemps dans le corps social, la conscience féminine de l’identité personnelle ne se rencontrait pas. Elle ne trouvait
pas le temps d'écrire. La femme occupait dans sa famille, dans la société, une place assignée, préparée par le contexte.
Elle se soumettait, sans avoir ni la force, ni l’idée même de se révolter, sinon par une prise de pouvoir sur les structures
familiales. On connaît l’idée de l’invention de la sœur de Shakespeare par Virginia Woolf et de sa destinée. L’invention du
"moi" n’apparaît pour les hommes en général qu’à la période romantique. Pourtant, si le caractère de chaque individu le
poussait à exister pour ou contre son milieu, la femme était plus généralement dans une lignée où elle avait un rôle à
jouer qui remplissait grandement sa vie. Le problème de l’identité féminine va se forger lentement avec des rébellions
personnelles et des revendications qui aboutiront aux réactions des féministes de la fin du XIXème au XXème siècle.
La psychanalyse a aussi favorisé cette prise de conscience de l’identité personnelle. Si bien que nous nous trouvons
actuellement à une époque où le sentiment d’identité, la conscience d’être une personne unique s’affirment dans toutes
ses implications. D’où, au XXème siècle, l’explosion de l’écriture des femmes, d’abord des romancières puis, de plus en
plus, des poètes. Et comment dire le plus et le mieux, que l’on écrit à partir de soi, d’une conscience singulière, qu’en
laissant parler les mots du corps ? C’est dans la poésie, cette forme de littérature au plus près du corps, du murmure,
de l’émotion vive, une écriture hors des formes et des normes, que les femmes révèlent actuellement leur singularité.
Aujourd’hui, la femme écrit son corps comme une libération, dans un certain excès parfois. Mais cette parole muselée
doit sans doute déborder avant de trouver son juste milieu. La poésie est ce qui se dérobe aux discours de pouvoir,
aux sollicitations des marchands, peu vendue, peu éditée, elle est sans enjeu, c’est donc une écriture totalement libre.
Depuis toujours, les mots libèrent en se tournant vers l'autre car écrire c'est inventer une langue à partir de l’imaginaire.
La question du marquage sexué de l’écriture a divisé les femmes les plus dotées culturellement. Les plus anciennement
installées dans le champ, Marguerite Yourcenar, Simone de Beauvoir, Nathalie Sarraute, ont subi tout au long de leur
trajectoire son acception péjorée. La littérature féminine était définie comme un particularisme excluant de la littérature
universelle, donc considérée comme mineure. Ainsi Simone de Beauvoir exprimait son rejet du marquage sexué: "Quand
j’ai commencé à écrire, nombreuses étaient les auteurs féminins qui refusaient d’être classées précisément dans cette
catégorie. Nous rejetions la notion de littérature féminine parce que nous voulions parler à égalité avec les hommes."
La mise en évidence de la domination masculine, plutôt qu’objet de lutte militante, devient une référence contre laquelle
s’invente une parole féminine. L’accent porté sur la spécificité offre la possibilité de promouvoir le "féminin" en inversant
les valeurs auparavant stigmatisantes. Et cette mise en perspective de la différence posée en termes esthétiques oblitère
toute possibilité de contester la prise de pouvoir objectivement observable des femmes produisant ce type de discours.
Hissée au rang de singularité littéraire, la glorification du "féminin" s’inscrit dans une démarche distinctive, celle de
l’invention d’un style littéraire. Et l’invention puise son caractère inédit dans l’expression de tout ce qui a trait au corps
féminin: jouissance sexuelle, grossesse, accouchement, menstruations. Dire le corps féminin, affirmer la jouissance
sexuelle, offre la possibilité de briser le préjugé d’une littérature du sentiment, facile fondée sur la douceur féminine.
Admettre l'existence d'une écriture féminine, c'est admettre sa spécificité et avant tout tenter de la définir, non seulement
dans le désir, l’amour charnel et l’érotisme même si c'est là où elles ont le plus à être enfin elles-mêmes. Tout ce qui a
trait aux femmes est calqué sur le principe du texte en ce qu’il est autonome, trouve son fondement en lui-même par
une sorte d’immanence qui justifie à la fois l’orientation esthétique et l’émancipation des auteures. Le corps et le texte
de la femme sont articulés pour produire un discours s’opposant à celui du modèle masculin. Cette production révèle
que "tout est trop là: les mots, les corps, l’angoisse, la passion de celle qui écrit. Le lecteur masculin est mis en présence
d’une féminité qui n’est pas la sienne. Non plus parlées par la bouche des hommes, même des poètes les plus tendres,
les plus raffinés, les plus amoureux. Leur voix peut enfin se dire par-delà les siècles de contraintes. Les femmes ne sont
évidemment pas ce "continent noir" obscur et mystérieux. Elles peuvent parler pour elles et de ce qu’elles ressentent
vraiment. On a aujourd’hui une littérature érotique abondante et même un peu complaisante, et c’est encore dans la
poésie que les femmes peuvent se dévoiler au plus juste. Là où les mots obscènes sont surtout la reconnaissance des
gestes forts, primitifs et naturels qui fondent les amants. Rituels de l’amour dans sa réalisation. Si la mécanique de la
pensée vient du corps, l’écriture, elle, vient du corps profond, du corps intérieur par le langage maternel. Ce qui glisse
du corps de la mère par le langage se retrouve d'abord dans les émotions de la petite fille, puis ensuite de la femme.
Là où la plume se fait passion, de Louise Labé à Marceline Desbordes-Valmore, la littérature est de chair et de peau, et ce
qui est ressenti du corps d’une femme par la femme proclame avant tout cette expérience-là. C’est dans le dépassement,
la tension vers la lumière, la connaissance que surgit et se réalise l’écriture. Qu’est-ce qui, de l’indicible de l’être-femme,
se communique de particulier, de mystérieux avec les mots de tous ? Est-ce qu’une femme lit mieux une autre femme ?
Quelque chose d’impalpable, connu du fond de l’être passe-t-il chez la lectrice. Personne ne peut nier l’importance de
Virginia Woolf ou d’Anaïs Nin, non sur la qualité ou la forme de l’écriture mais sur le témoignage, la réparation, que ces
lectures ont apporté aux lectrices et futures femmes/écrivains. Pour échapper au carcan du discours de pouvoir, aux livres
des hommes, aux pensées formulées par ceux qui ont déterminé pendant des siècles la formation de la pensée chez les
femmes, pour échapper à cette sorte d’aliénation, une femme-écrivain doit inventer un langage nouveau, qui lui soit
réellement personnel. Ce doit être le cas évidemment de chaque écrivain car toute écriture vraie est d’abord novatrice.
Mais une femme devra sans doute l’être encore plus. Tout cela dans une certaine difficulté de reconnaissance car le
monde reste dominé par des hommes. Les éditeurs sont en majorité masculins et, pour eux, publier une femme passe
par savoir reconnaître l’originalité d’une écriture, avant d'accepter un certain nombre de femmes à leur catalogue. Les
jurys les plus enclins à couronner des femmes comme le Prix Femina et le Prix Médicis en font rarement des lauréates.
Bibliographie et références:
- Denise Bourdet, "Nathalie Sarraute"
- Christine Delphy, "L’ennemi principal"
- Élisabeth Badinter, "La littérature féminine"
- Françoise Héritier, "Masculin, féminin"
- Luce Irigaray, "Spéculum"
- Yvonne Knibiehler, "Qui gardera les enfants ?"
- Michèle Le Dœuff, "Le sexe du savoir"
- Joan W. Scott, "La romancière paradoxale"
- Nicole-Claude Mathieu, "L'écriture des femmes"
- Marguerite Duras, "Les parleuses"
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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Si de nos jours encore, la jouissance sexuelle féminine demeure secrète, ne pouvant se circonscrire à un simple plaisir
physiologique, dans les études sur l’orgasme et la frigidité féminins, une fausse distinction est faite entre l’orgasme vaginal
et l’orgasme clitoridien. Les hommes ont en général défini la frigidité comme l’incapacité d’une femme à ressentir l’orgasme
vaginal. Or, la région vaginale n’est pas hautement sensitive et n’est pas conformée pour produire un orgasme. Le centre de
la sensibilité est le clitoris, l'équivalent féminin du pénis. L’importance de distinguer les diverses formes de jouissance pour
une femme lors du rapport sexuel, nous permet de mettre en évidence la complexité de sa conduite sexuelle en même
temps que l’impossibilité de faire de sa jouissance un stéréotype, même s’il s’agit d’un stéréotype très valorisant pour elle.
L’hypothèse d’une jouissance qui serait exclusivement féminine nous expose au risque de faire de celle-ci une sorte d’idéal,
de finalité à rejoindre, de norme en somme. Il y aurait d’un côté la bonne jouissance, la vraie, et de l’autre, des formes
inauthentiques ou autoérotiques. Si l’excitation sexuelle est manifeste chez la femme, comme chez l’homme d’ailleurs,
l’orgasme féminin ne se montre pas avec des signes aussi évidents que l’orgasme masculin, ce qui ne veut pas dire, bien
sûr, que pour l’homme le processus qui conduit à la jouissance sexuelle soit simple et mécanique. Que veut-on dire avec
le terme de jouissance sexuelle ? Jouissance physique et jouissance psychique sont à distinguer dans le rapport sexuel,
bien qu’elles puissent arriver en même temps, dans l’orgasme notamment. Orgasme qui n’est pas pourtant synonyme
d’éjaculation. Une éjaculation ne comporte pas forcément une jouissance psychique, et par conséquent, elle n'est pas
consubstantielle de l’orgasme. Le terme de jouissance psychique est sûrement insatisfaisant, il nous permet cependant de
marquer l’importance, pour les deux partenaires, de la rencontre au niveau des fantasmes, rencontre censée favoriser une
jouissance, notamment. La rencontre des fantasmes, rencontre qui n’est pas synonyme d’accord, d'harmonie ou de fusion,
est nécessaire pour qu’on puisse parler d’orgasme dans le rapport sexuel. L’orgasme n’est pas une jouissance pure, un
plaisir isolé du sujet, détaché de celui du partenaire. Il suppose le renoncement à une jouissance singulière, séparé de
celle de l’autre. Le coït n’est pas une action solitaire, comme la masturbation, mais un abandon de soi qui implique l’autre.
Au lieu que de montrer que la frigidité est due à des assertions erronées sur l’anatomie féminine, les psychanalystes ont
appelé frigidité un problème purement psychologique. Les femmes qui en souffraient étaient dirigées vers des sexologues
afin de tirer au clair leur problème, et celui-ci était alors généralement défini comme une incapacité d’accepter leur rôle de
femme. Les faits anatomiques et sexuels nous disent tout autre chose. S’il existe de nombreuses zones érogènes, il n’y en
a qu’une pour la jouissance, cette zone est le clitoris. Tous les orgasmes sont des extensions de la sensation à partir de
cette zone. Comme le clitoris n’est pas nécessairement assez stimulé dans les positions conventionnelles, nous demeurons
frigides. À côté de la stimulation physique qui, chez la plupart des gens, est la cause habituelle de l’orgasme, il existe une
stimulation qui passe d’abord par un processus mental. Certaines femmes, par exemple, parviennent à l’orgasme au moyen
d’images sexuelles ou de fétiches. Quoi qu’il en soit, même dans le cas où la stimulation est psychologique, l’orgasme n’en
est pas moins physique. Si donc la cause est psychologique, l’orgasme est physique, et se situe nécessairement au niveau
de l’organe équipé pour la jouissance sexuelle, le clitoris. Le degré d’intensité de l’expérience orgastique peut aussi varier,
parfois elle est plus localisée, parfois plus diffuse ou plus vive. Mais ce sont tous des orgasmes clitoridiens. Les hommes
éprouvent l’orgasme essentiellement par friction contre le vagin, et non la zone clitoridienne, qui est externe. Les femmes
ont donc été définies sexuellement en fonction de ce qui fait jouir les hommes. Leur physiologie n’a pas été proprement
analysée. On leur a collé le mythe de la femme émancipée avec son orgasme vaginal, un orgasme qui en fait n’existe pas.
Chez les analystes, le tort a été à l'origine de définir le plaisir féminin à partir du plaisir masculin, comme étant dépendant.
Il nous faut caractériser notre plaisir, tout en rejetant les idées normales de sexualité, et nous mettre à penser en fonction
d’une satisfaction sexuelle mutuelle. L’idée d’une satisfaction mutuelle est défendue dans les manuels conjugaux, mais non
poussée jusqu’à ses conséquences logiques. Pour commencer, si des positions données comme classiques ne dispensent
pas l’orgasme aux deux partenaires, nous devons exiger qu’elles ne soient plus tenues pour classiques. Alors, de nouvelles
techniques doivent être inventées afin de modifier cet aspect de notre exploitation sexuelle courante. Freud soutenait que
l’orgasme clitoridien était infantile et que, après la puberté, dans les rapports hétérosexuels, le centre de l’orgasme s’était
transféré au vagin. Le vagin, prétendait-on, était le lieu d’un orgasme parallèle, plus complet que le clitoris. De nombreux
travaux ont concouru à l’édification de cette théorie, bien peu a été fait pour en réfuter les présuppositions. Tout ce qu’il y
a de paternaliste et de craintif dans l’attitude de Freud à l’égard des femmes provient de leur manque de pénis. Mais c’est
seulement dans son essai "La psychologie féminine", qu’il exprime clairement. le mépris des femmes implicite dans toute
son œuvre. Il leur prescrit de renoncer à la vie de l’esprit, qui gêne leur fonction sexuelle. Quand le patient est un homme,
l’analyste s’attache à développer les capacités masculines mais si c’est une femme, la tâche consiste à la faire rester dans
les limites de sa sexualité. Le sentiment que les femmes étaient inférieures fut donc le fondement des théories de Freud sur
la sexualité féminine. On ne s’étonnera pas que Freud découvrît un épouvantable problème de frigidité chez les femmes.
Les soins d’un psychiatre étaient alors prescris. Le mal leur venait d’une incapacité à s’adapter à leur rôle naturel de femme.
L’explication était qu’une telle femme enviait les hommes, exprimant ainsi un refus de féminité. On diagnostiquait alors un
phénomène anti mâle. Il faut bien préciser que Freud ne fonda point sa théorie sur une étude de l’anatomie féminine, mais
sur sa propre conception de la femme comme appendice et inférieure de l’homme, et du rôle social et psychologique qui en
découle. Au cours de leurs tentatives pour résoudre le problème d’une frigidité massive, les freudiens se livrèrent à des
gymnastiques mentales très poussées. Marie Bonaparte, dans "De la sexualité de la femme", n’hésite pas à appeler la
chirurgie au secours des femmes pour les aider à rentrer dans le droit chemin. Ayant découvert un rapport curieux entre la
non-frigidité et la proximité du clitoris et du vagin, elle écrit: "Il m’apparut alors que, si chez certaines femmes ce fossé était
trop large, et la fixation sur le clitoris durcie, une réconciliation vagino-clitoridienne pouvait être effectuée par des moyens
chirurgicaux, pour le grand bien de la fonction érotique normale. Le professeur Halban de Vienne, chirurgien et biologiste,
se montra intéressé par cette question et mit au point une technique opératoire très simple. Les ligaments maintenant le
clitoris étaient coupés, le clitoris, conservant ses structures internes, était fixé plus bas, avec éventuellement une réduction
des petites lèvres." Mais le plus grand dommage n’était pas localisé du côté de la chirurgie où les freudiens se livraient à
d’absurdes tentatives pour changer l’anatomie féminine afin de la faire entrer de force dans leurs conceptions. Le dommage
était pour la santé mentale des femmes, qui ou bien s’accablaient elles-mêmes en secret ou bien se pressaient chez les
psychiatres, puis chez les chirurgiens en quête du fameux refoulement qui les excluait totalement de leur destin vaginal.
Preuve est faite qu'un certain paternalisme teinté d'une misogynie était encore de mise au tout début du XIXème siècle.
Le préliminaire est une notion créée pour le besoin mâle, mais tourne au désavantage de pas mal de femmes car, lorsque
sa partenaire est "chauffée", l’homme passe à la stimulation vaginale et la laisse à la fois excitée et insatisfaite. On savait
aussi que, durant les interventions chirurgicales à l’intérieur du vagin, l’anesthésie n’était pas nécessaire, ce qui montre bien
qu’en vérité le vagin n’est pas une région hautement sensitive. Aujourd’hui, avec le progrès de la science anatomique, et
le recul des idées sexistes, on est sorti de l’ignorance dans ce domaine. Cependant, pour des raisons sociales, ce savoir
n’a pas été popularisé. Nous vivons dans une société mâle, où le rôle des femmes demeure inchangé. Plutôt que de partir
de ce que les femmes devaient ressentir, il eût été plus logique de partir des faits anatomiques concernant le clitoris et le
vagin. Le clitoris est un pénis en plus petit, avec la différence que l’urètre n’y passe pas. Son érection est ainsi analogue à
l’érection mâle, et l’extrémité du clitoris a le même type de structure et de fonction que le gland. Le clitoris n’a donc d’autre
fonction que le plaisir sexuel. L'emploi du vagin est rattaché à la fonction de reproduction, principalement, la menstruation,
recevoir le pénis, garder la semence et le passage de l’enfant. Les petites lèvres peuvent infuser un orgasme clitoridien.
Et comme elles peuvent être stimulées durant le coït, cette stimulation a pu être interprétée comme un orgasme vaginal.
Ainsi, influencées par des thèses analytiques paternalistes, à la limite du sexisme et par méconnaissance de leur propre
corps, certaines femmes se conforment à l'idée qu’un orgasme ressenti durant le rapport normal est d’origine vaginale.
Cette confusion est due à deux facteurs, l’incapacité de localiser le centre de l’orgasme et le désir de ces femmes de faire
concorder leur expérience avec la conception mâle de la normalité sexuelle. Ce malentendu a de nombreuses causes.
D’abord, la femme, est soumise à une très forte pression de la part de l’homme, qui place souvent très haut ses propres
talents amoureux. Pour ne pas blesser sa vanité, la femme endosse le rôle qui lui est imparti et simule l’extase. D'autres
femmes, ayant constaté que l’acte sexuel était surtout satisfaisant pour l’homme, et le plaisir qu’une femme y pouvait
prendre un petit extra en supplément, ont peur de revendiquer le droit à un plaisir sexuel égal. D’autres, assez fermes
pour repousser l'aide d’un sexologue, refusent de reconnaître leur frigidité. Elles ne veulent pas se sentir en faute, mais,
ignorantes de leur propre physiologie, ne savent pas comment en sortir. Celles-là se trouvent dans un complet désarroi.
Sans verser dans la généralité qui est toujours caricaturale, force est de constater que depuis l'antiquité, les hommes ont
tendance à entretenir l'illusion de l'orgasme vaginal. Le meilleur stimulant pour le pénis est le vagin. Il fournit le frottement
et la lubrification nécessaires. Certains hommes considèrent en effet le clitoris comme une menace pour leur masculinité.
Si le clitoris détrône le vagin comme centre de la jouissance féminine, les hommes peuvent craindre alors de cesser d’être
sexuellement indispensables. On invoque en effet, comme motif de l’excision pratiquée au Moyen-Orient et en Afrique
subsaharienne, la nécessité de préserver les femmes de la perdition. En supprimant l’organe de l’orgasme, on est assuré
que ses débordements sexuels seront amoindris. Quand on sait combien les hommes considèrent leurs femmes comme
leur propriété, spécialement dans les nations où le poids de la tradition est grand, on commence à bien comprendre
pourquoi les hommes n’ont pas intérêt à laisser les femmes courir librement. À côté des raisons strictement anatomiques
qu’ont les femmes de chercher également d’autres femmes pour faire l’amour, il existe chez les hommes une crainte que
les femmes se mettent alors à rechercher, dans la compagnie des autres femmes, des relations complètes et réellement
humaines. La promotion de l’orgasme clitoridien serait ainsi une menace pour l’institution hétérosexuelle. En réalité, Il
n’existe pas une forme d’orgasme plus normale qu’une autre, finalement, ce qui devrait avoir de l’importance, c’est la seule
qualité du plaisir entre deux personnes consentantes, et non pas le moyen par lequel elles l’atteignent. D’ailleurs, ce n’est
pas parce qu’une femme jouit, même plusieurs fois, qu’elle est forcément satisfaite de sa relation sexuelle et amoureuse.
Bibliographie et références:
- Élisa Brune, "Le Secret des femmes"
- Odile Buisson, "Qui a peur du point G ?"
- Pierre Foldes, "Le mystère de l'orgasme féminin"
- Bernard Andrieu, "La peur de l'orgasme"
- Robert Muchembled, "L’orgasme féminin"
- Pascal de Sutter, "La mécanique sexuelle"
- Catherine Solano, "Le plaisir féminin"
- Thierry Lodé, "Histoire du plaisir
- Anne Koedt, "L'orgasme vaginal"
- Wilhelm Reich, "La fonction de l'orgasme"
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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Les anciens avaient choisi une pierre nommée Hystérolithe, de couleur noire, sur laquelle on voyait une bouche,
qu'on croyait tombée du ciel, pour représenter la déesse mère des dieux et des hommes, la Vénus noire, Mélénis
ou la Nocturne. Divinité latine, elle symbolisait la fécondité de la nature. On continua à l'adorer sous le nom de
Libentina, déesse de la séduction et du plaisir. Platon raillait Pausanias. Mais grâce à Pausanias, une histoire de la
représentation se confond avec celle de la figure d’Aphrodite car la lecture du Banquet permet, au prix de quelques
aménagements, de retourner l’interdit posé sur les arts figuratifs aux livres III et X de "La République", en avançant
que l’ordre des apparences sensibles donne accès au surnaturel, ce en quoi consiste probablement le classicisme.
Pausanias soutenait qu’il est deux manières de l’amour comme il est deux Aphrodite, la céleste et la vulgaire. On a
déduit du discours de Diotime, qu’Amour est une figure possible du passage entre le monde lunaire et le monde divin.
Dès lors Aphrodite céleste, plus qu’aucune muse, pouvait garantir la possibilité de la représentation de la séduction.
Séduction vient du latin "se ducere", qui signifie conduire à l’écart ou amener à soi. Séduire, c’est tirer quelqu’un à
l’écart du groupe avec lequel il se confondait, le sélectionner, le persuader qu’il est unique, remarquable, et qu’il a
été remarqué. La séduction opère de deux façons différentes, voire opposées. De façon active, quand une personne
cherche à s’imposer à une autre par des moyens qui vont de la manipulation violente à la persuasion douce. De façon
passive, quand quelqu’un cherche à attirer une personne vers soi ou, comme le dit le langage populaire, à "la prendre
dans ses filets." La manière active est qualifiée de virile, la seconde de féminine. Séducteur d’un côté, séductrice de
l’autre. Dans toute relation humaine, la séduction est une constante, mais c’est dans la relation amoureuse qu’elle se
déploie avec le plus de ruse et d’ingéniosité. Il suffit de parcourir la littérature pour constater que le séducteur et la
séductrice sont devenus des archétypes qui transcendent le temps. Les écrivains, les poètes, les dramaturges de
même que les compositeurs d’opéra de toutes les époques et de tous les pays ont largement traité de la séduction
et ont cherché, chacun dans leur domaine, à l’illustrer par des personnages de fiction et des situations de roman.
En Arcadie, on adorait la sœur d'Apollon dont elle partageait les exploits et les combats. Demi-sœur d'Hermès, fruit
des amours de Zeus et de Léto, elle accoucha sans douleur dans l'île des cailles près de Délos qui lui fut consacrée,
où elle avait été transportée sur les ailes du vent pour échapper à la colère d'Héra. Neuf jours après sa naissance, la
déesse Artémis délivra sa mère de son frère Apollon. Elle était l'antithèse de la plus illustre séductrice de l'antiquité.
Pourquoi hommes et femmes cherchent-ils à se séduire ? Comment s’opèrent leurs choix ? Y a-t-il des secrets à la
réussite d’une entreprise de séduction et des causes à son échec ? Quelles qualités requiert l’art de séduire ? Y a-t-il
une différence entre séduction masculine et séduction féminine ? Les moyens qu’utilisent hommes et femmes pour
séduire un partenaire convoité sont-ils les mêmes ? Sinon en quoi diffèrent-ils ? Autant de questions, dont les réponses
sont à trouver, certes, dans l’observation des amants heureux ou des patients déçus, mais aussi et peut-être surtout
dans les descriptions littéraires que les écrivains, au cours des siècles, ont brossé des séducteurs et des séductrices.
Les personnages imaginaires qu’ils ont créés permettent de dresser une galerie de portraits de tous les types de
séducteurs et de séductrices possibles, de même que d’explorer en profondeur les motivations qui les animent. Les
écrivains, tout au moins ceux dont le génie a traversé les siècles, sont de fins observateurs de l’âme humaine, et ils
ont surtout le don inimitable de traduire, à travers les personnages sortis de leur imagination, ce qu’ils ont souvent
vécu eux-mêmes ou observé autour d’eux avec une acuité d’artiste. La littérature apparaît donc comme une voie
royale capable de percer les secrets et les artifices des séducteurs et des séductrices, entre défi et transgression.
Nous pourrions penser a priori que les deux sexes sont également représentés dans le domaine artistique et plus
particulièrement en littérature, respectant ainsi une juste parité, mais, lorsqu’on cherche des exemples de séduction
dans les œuvres littéraires, on trouve essentiellement des séducteurs masculins: Don Juan, Casanova, Valmont,
Julien Sorel, viennent tout de suite à l’esprit, alors qu’il est beaucoup plus difficile de dresser une liste comparable de
séductrices ayant laissé des noms aussi connus. Une exception peut-être serait Carmen, mais Carmen n’est pas un
prototype de séduction féminine. Elle diffère des autres femmes en ce qu’elle entend mener sa vie amoureuse
comme un homme. "Si tu ne m’aimes pas, je t’aime et si je t’aime, prends garde à toi", son air le plus célèbre, est
une protestation virile, un hymne au libre choix amoureux, sinon sexuel. Les hommes acceptent mal ce genre de
liberté de la part des femmes et Don José lui retournera son "prends garde à toi", à la fin de l’opéra, en la tuant d’un
coup de couteau. En dehors de la littérature proprement dite, lorsque la séduction féminine s’exprime comme
l’affirmation d’un désir sexuel au sens viril du terme, elle aboutit à un échec. La Bible en donne un exemple avec
l’histoire de la femme de Putiphar. Sa tentative de séduction de Joseph aboutit à une série de catastrophes. De même,
Salomé, dans l’opéra de Richard Strauss, est incapable d’ébranler la sérénité de Jean-Baptiste. Dans d’autres cas,
la femme joue de sa séduction, mais c’est au nom d’une noble cause qui, en quelque sorte, la déculpabilise d’oser
le faire. Judith tuant ainsi Holopherne après l’avoir séduit, Dalila menant Samson à sa perte pour sauver les Philistins.
En réalité, force est de constater que malgré de rares exceptions, en littérature comme dans la vie, le sexe féminin est
toujours la proie du sexe masculin dans les jeux du marivaudage. La femme est très souvent séduite puis abandonnée.
Ariane se lamentant à Naxos de l’infidélité de Thésée, Didon mourant sur son bûcher après le départ d’Enée, Médée
tuant ses enfants parce que Jason l’a trahie. La femme séduite est aussi une femme à jamais fidèle. Pénélope résistant
à la horde des prétendants, Lucrèce qui se suicide pour rester fidèle à son mari. Ces histoires dessinent les contours de
la séduction féminine. Discrète, voilée, dissimulée, la femme n’avance que masquée. C’est elle qui maîtrise l’art du
maquillage et de la magie. L’homme, qui a de la peine à comprendre ce qui l’attire chez la femme, préfère attribuer les
tensions de son désir à la sorcellerie féminine plutôt qu’au mystère de sa sexualité. Tristan victime du philtre d’Isolde,
Siegfried de celui de Gudrun. C’est ainsi que, pour être acceptée, la séduction féminine doit se conformer à une règle
incontournable, qui est de laisser au séducteur l’illusion de la victoire. Rôle pour rôle, les écrivains ont donc, semble-t-il,
été plus tentés par le rôle actif du séducteur que par le rôle passif de la séduite. Le sens commun a, depuis longtemps,
dressé un portrait type du séducteur. Il ne doit manquer ni de charme, ni d’élégance, ni surtout de distinction. C’est un
homme de belle allure, mais dont la beauté physique compte pour peu. Beaucoup de séducteurs laids et disgracieux
ont su séduire "au second degré." Lauzun était aussi vilain qu’insolent, mais séduisait par des propos spirituels et un
sens aigu de l’ironie, qui lui valurent de grands succès féminins. Sa séduction était malheureusement sans prise sur le
sexe mâle, et Louis XIV, qui le trouvait insolent, l’envoya à la Bastille. Il n’en sortit que sur les instances d’une femme.
Presque à la même période, au XVIIème siècle, mais de l'autre côté des Pyrénées, lorsque on aborde la séduction
masculine, on pense immédiatement à Don Juan. On dit d’un séducteur qu’il est un Don Juan, et on qualifie alors de
"donjuanisme", la recherche inlassable de la relation amoureuse. Le personnage de Don Juan est né de l’imagination
d’un espagnol, moine de son état, mais auteur à succès, Tirso de Molina. C’est lui qui écrivit entre 1625 et 1630 une
pièce de théâtre intitulée Don Juan Tenorio, le trompeur de Séville, burlador, en espagnol: "Déjà grand seigneur et déjà
méchant homme", Tirso de Molina avait ajouté un sous-titre à sa pièce. Sous-titre révélateur, car il indiquait le destin
tragique de ce trompeur hors normes: "Le festin de pierre." Ce festin, c’est le souper avec le Commandeur, dont la
statue de pierre vient punir et entraîner dans la damnation éternelle celui qui l’a tué dans un duel injuste. Don Juan
est un condamné en sursis, qui se moque de toutes les lois humaines et divines, et ses défis à Dieu et aux hommes
vont crescendo jusqu’à la catastrophe finale. C’est un génie du mal voué à la mort et à la damnation. Dans la pièce de
Molière, il lance des défis de plus en plus graves aux règles et aux croyances de ses contemporains. Il ridiculise ses
créanciers, insulte son père, se moque de la religion, feint la conversion et affirme ensuite que sa seule croyance est
que "deux et deux font quatre." "Votre religion, dit Sganarelle, est donc l’arithmétique." Mais sa provocation suprême,
il la réserve à la mort, interpelle dans son tombeau le Commandeur qu’il a tué et l’invite alors ironiquement à souper.
Derrière l'attitude enjôleuse, se dissimule la silhouette du libertin, du roué des petits soupers de Philippe d'Orléans.
Ce qu’il n’imaginait pas, c’est que le Commandeur honorerait l’invitation. On connaît la suite. Dans l’opéra de Mozart,
il séduit Zerline, une jeune beauté paysanne, le jour de ses noces, en menaçant du bâton le futur mari et en promettant
le mariage à la pauvre innocente. Puis il l’entraîne en chantant d’une voix suave et envoûtante, à la limite de l’hypnose,
"La cidarem la mano." Usant facilement de chantage et de promesses mensongères, son image se dessine sur fond
d’ambivalence. L’admiration qu’il suscite peut se muer rapidement en sourde hostilité. En politique, cela s’appelle fin de
l’état de grâce, en amour, fin des illusions. Dans la pièce de Molière, il séduit deux femmes à la fois, Mathurine et
Charlotte, en leur promettant simultanément et séparément le mariage. En réalité, il ne s’intéresse pas aux femmes
mais seulement à leur défaite. Les fruits qu’il pourrait en retirer le préoccupent peu. Ce qui le passionne dans la
séduction, c’est l’acte de séduire et l’accumulation des victoires, leur nombre et leur quantité. L’air du catalogue
résume de façon plaisante et cruelle l’aspect comptable de la séduction telle qu’il la conçoit. Don Juan ne voit dans
les femmes que des numéros à ajouter. Tout autre est la séduction de Casanova. Don Juan était un mythe. Casanova
fut un personnage bien réel qui traversa le XVIIIème siècle et nous laissa des mémoires d’un grand intérêt littéraire.
La personnalité des deux hommes est en effet très différente. Le vénitien, grand aventurier et ami de Bernis est un
fervent admirateur du sexe féminin. Casanova aime la vie, entend en jouir et prétend en faire jouir les femmes qu’il
rencontre. Il séduit des femmes réelles, ancrées dans leur culture, qui répondent avec leurs propres armes, acceptent
ou refusent d’être séduites et sont des partenaires à part entière, non des victimes vaincues d’avance. Casanova se
heurte à la réalité, à ses complications, à ses obstacles. Le but de sa séduction, c’est de contourner les obstacles ou
de les utiliser comme tremplins pour accroître les mérites de ses victoires. Il agit ses fantasmes mais les échecs ne
l’abattent pas et il est heureux de ses succès. Peut-être s’en vante-t-il un peu, mais, tandis que Don Juan court vers
la mort avec l’assurance d’un somnambule, Casanova la déteste "parce qu’elle détruit la raison", dit-il. "Je sens que
je mourrai, écrit-il, mais je veux que cela arrive malgré moi, mon consentement sentirait le suicide." Mais, surtout,
Casanova ne sépare pas la séduction de l’amour. Pour lui, l’amour est une fatalité, une maladie incurable mais, sans
elle, la vie ne vaudrait pas la peine d’être vécue. Lorsque Casanova entreprend de séduire une femme, il ne lui ment
pas. Sa conception de la sexualité est païenne. La crainte de la damnation ne l’effleure pas et, s’il est l’ennemi de la
superstition, il ne rejette pas la magie qu’il cultive. Quand il critique la religion, c’est en aristocrate ami du plaisir et de
la fête, non en athée besogneux et fanatique. Et ainsi de déclarer: "Rien ne pourra faire que je ne me sois amusé."
La passion amoureuse étant parfois chose raisonnable et sérieuse, le séducteur élabore scrupuleusement la stratégie
qui le fera naître dans le cœur de la femme à séduire. Tout grand séducteur a l’âme d’un stratège, d’un conquérant
déterminé devant une place forte à réduire. Il imagine des plans, fourbit des armes, cherche les points faibles de la
forteresse, puis part à l’assaut. Dans "Les Liaisons dangereuses", de Laclos, Valmont, qui se compare volontiers à
Alexandre et à César, décide de faire tomber la place forte, la "Présidente de Tourvel." Ayant remarqué que cette
femme pieuse est sensible aux gestes charitables, il envoie son valet faire ostensiblement l’aumône à une famille
nécessiteuse, au moment où il sait que la Présidente sort de la messe. Geste plein d’hypocrisie et de duplicité, qui
fera néanmoins tomber les dernières préventions de cette femme trop crédule. Un homme aussi charitable ne peut
être qu’un amoureux sincère. La gloire de la victoire se mesure à l’importance du défi. Valmont, qui a aisément séduit
la jeune Cécile de Volanges, se tourne avec convoitise vers la Présidente de Tourvel, citadelle plus impressionnante.
"Voilà une victoire digne de vous", lui dit Madame de Merteuil, son âme damnée. Seule compte la défaite de l'ennemi.
Mais la séduction peut se faire manœuvrière et permettre ainsi au séducteur de s'élever dans la société. En effet, la
nouvelle stratégie amoureuse asservit les femmes pour s’en servir. Stratégie déjà très sensible chez Stendhal et Balzac,
où de jeunes hommes désargentés séduisent les femmes pour se faire ouvrir les portes de la haute société. Julien Sorel
avec Madame de Rênal et Mathilde de la Môle ou Rastignac avec Madame de Nuncingen en sont deux bons exemples.
De Rastignac, la postérité a fait un nom commun qui qualifie les jeunes provinciaux rêvant de conquérir ainsi Paris en
séduisant les femmes qui en détiennent les clés. Mais c’est Maupassant qui a campé le portrait le plus surprenant d’un
séducteur aussi arriviste que sadique. Bel-Ami est, en effet, un cas limite dans la galerie des séducteurs, car le mépris
dans lequel il tient les femmes donne à sa séduction une coloration machiste et cruelle, inconnue jusque-là. Don Juan
pouvait friser parfois le viol et la violence, mais il était trop de son siècle pour songer à les battre. Bel-Ami, lui, franchira
le pas. Bel-Ami n’est amoureux que de lui-même, et le secret de sa séduction, c’est sa puissance sexuelle. Le sadisme
revendiqué de Bel-Ami est lié à un machisme libéré de toute contrainte, voire de tout degré de civilité ou de civilisation.
Face à l'homme, la femme sait se servir à son tour de ses atouts. C'est en effet masquée qu'elle avance ses pions dans
les jeux du marivaudage. Le thème de la femme fatale a été souvent traité en littérature et au cinéma. Pierre Louÿs en a
tiré un roman célèbre, "La Femme et le pantin" et Ernst Lubitsch un film culte, "L’Ange bleu." Marlène Dietrich, dont la
séduction sensuelle a franchi les générations, y entraîne le digne professeur d’une petite ville allemande de dégradations
en dégradations jusqu’à en faire un clown de cirque. Loin du cinéma, mais avec les mêmes ingrédients, l’histoire abonde
en exemples de séductrices, qui ont été tantôt les inspiratrices, tantôt les destructrices d’hommes illustres. De Cléopâtre,
séduisant Marc Antoine et César, à la Pompadour, maîtresse toute-puissante de Louis XV, innombrables sont les femmes
qui ont utilisé leur pouvoir de séduction pour dominer les hommes ou façonner leur avenir et infléchir leur destin. Il arrive
parfois que la séduction féminine abandonne le domaine de la sexualité pour se mettre au service d’une grande cause.
Aucune séductrice ne recule devant le danger ni même le crime. La Bible nous a légué ainsi deux exemples assez
extraordinaires de séductrices patriotes. Dalila, ravissante Philistine, séduit Samson, un Hébreux à la force invincible.
L’histoire de Judith est à la fois plus complexe et plus morale, même si elle se conclut par un crime. les Hébreux assiégés
étaient sur le point d’être massacrés par les armées d’Holopherne, un général de Nabuchodonosor. Judith, une veuve,
belle et séduisante, décide de sauver son peuple. Restée seule avec lui avec la promesse de se donner, elle enivre le
général qui s'endort au lieu de faire l'amour et lui tranche la tête. La séduction féminine a sauvé un peuple du désastre.
Ces deux illustrations tirées de la Bible, morales qu'en apparence, témoignent que l'ensorcellement féminin dans le jeu
de la séduction peut servir à tout sauf à exprimer de la passion. Dans un autre cas, devenu assez fréquent de nos jours,
la séductrice adopte le même comportement que le séducteur. Elle décide de choisir ses partenaires et d’en changer
quand bon lui semble. Femme libre, elle se veut à égalité avec les hommes. Grâce à Bizet, Carmen est devenue le
modèle le plus intemporel de ces séductrices viriles. Libérée de toute contrainte, elle exige le droit de séduire qui lui
plaît, comme il lui plaît, autant qu’il lui plaît. Féministe avant la lettre, elle réclame pour le sexe féminin les droits et les
privilèges du sexe masculin: "Si tu ne m’aimes pas, je t’aime, et si je t’aime, prends garde à toi !" Si Carmen ose faire ce
qu’aucune femme de son temps n’aurait osé même penser, c’est parce qu’elle est la séduction à l’état sauvage. Comme
un homme, elle est infidèle si cela lui plaît de l’être. Tout le charme de la séduction tient dans l’art des préliminaires.
On pourrait ajouter qu’hommes et femmes ont de cet art des idées bien différentes. La séduction, pourtant inséparable
de la relation amoureuse, prouve ainsi que toute rencontre, dans ses buts comme dans ses effets, demeure aléatoire.
Masculine ou féminine, elle est un faux-semblant proche de l’art théâtral. Mais lorsque fantasme et stratégie se mêlent
de façon indiscernable, séducteur et séductrice tombent alors d’un commun accord dans les pièges et les délices d’une
relation amoureuse où, comme l’a écrit le poète Ovide il y a bien longtemps, "l’art d’aimer" remplace l’art de séduire.
Bibliographie et références:
- Pierre Fayard, "Sun Tzu, stratégie et séduction"
- Arlette Farge, "Séduction et société"
- Cécile Dauphin, "La séduction amoureuse"
- Frédéric Monneyron, "Séduire"
- Thierry Lodé, "La guerre des sexes"
- Gisèle Harrus-Révidi, "Qu'est-ce que la séduction ?"
- Robert Greene, "L'art de la séduction"
- Catherine Örmen, "De Don Juan à Casanova"
- Jean-Claude Bologne, "Histoire de la conquête amoureuse"
- Verena von der Heyden, "La passion de séduire"
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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