EricH, il semble décidément que la base de nos discussions d'ici soit le désaccord et la contradiction, et ce soir ne fera pas exception à la règle...
Sans psychologie au service du dominant, en terme de "voyage", il y a autant de différence entre, d'une part, tourner en rond pour visiter le village qu'on habite et, d'autre part, partir voir la capitale.
Qu'entends-tu par "psychologie au service du dominant"? La psychologie n'est pas la même chose que l'intellectualisation de nos conduites. La première est un outil de décodage relationnel, et il faut la mettre au service des deux parties, non?
En outre je ne suis pas sûr qu'il y ait moins de choses à voir au village qu'à la capitale, dès lors qu'on sait ouvrir l'oeil du voyageur (mais ceci est un autre débat).
C'est comme en amour. Quand on fait l'amour à quelqu'un avec son coeur et ses tripes, on fait l'amour.Autrement, on tire un coup. Ce n'est pas interdit, c'est bon pour le rythme cardiaque. Mais rien à voir...
Tu distingues donc "faire l'amour à quelqu'un" (c'est toi qui soulignes), et "tirer un coup". Moi pas.
Faire l'amour (et qui plus est avec ses tripes) ne me semble pas le meilleur exemple en soi d'intellectualisation et de cérébralité, mais passons sur cette dimension du faire et du passage à l'acte pour s'arrêter sur ce "à" que tu as souligné.
S’agit-il en effet de faire l’amour à quelqu’un ou de le faire avec quelqu’un ? Entre ce « à » et ce « avec », un abîme, un gouffre que toutes les pelleteuses de chez Bouygues réunies ne parviendraient pas à creuser.
Le "à" est un aller simple, le "avec" permet le retour...
A mes yeux dans ce « à », vingt siècles et plus de domination masculine étriquée dans le culte de la pénétration à sens unique. Une prison mentale à perpétuité dans le binôme actif-passif, une conception de la sexualité qui n’imagine rien d’autre que d’enfoncer un bout de chair dans un autre, et dont on sait à l’avance que l’un est mâle et l’autre femelle : autant dire un imaginaire érotique de prise électrique.
Le « avec » restaure à chacun sa place, son « activité », et permet de conserver l’espoir de bâtir une intersubjectivité érotique inventive, libre, dégagée de toute attente, de tout rôle prédéfini. Une chance offerte d’arpenter des sentiers inédits, des formes nouvelles ou à tout le moins différentes. Il ne s’agit nullement ici de renoncer au plaisir immense de pénétrer ou d’être pénétré (voix active et voix passive, la langue est encore et toujours contre moi), mais encore une fois de se défaire d’une modalité d’exclusivité sémantique.
Ce qui me gêne avec « faire l’amour à quelqu’un(e) », c’est que de nombreuses personnes emploient cette expression sans prendre en compte cette dimension, et promeuvent ainsi cette interprétation univoque du rapport actif-passif. Et cette expression n’est pas dans le domaine réservé des machos ou des illettrés : on l’entend parfois dans la bouche d’individus par qui tiennent par ailleurs les discours les plus progressistes et les plus sensés. De même lorsqu’un bon copain me demande si j’ai baisé telle fille avec qui il m’a croisé tel autre soir, ça me gonfle : le registre de la complicité virile n’a pas besoin de soustraire l’activité des femmes pour se savourer, et mon pote pourrait tout aussi bien me demander si j’ai baisé « avec » cette fille, personne ne s’en porterait plus mal…
La chose qui pourrait sembler triste c’est qu’il y a des « passivités » tellement répandues et admises que vous trouverez toujours des partenaires qui préfèrent ou tout au moins demandent que vous leur fassiez l’amour plutôt que de le faire avec vous. Paresse ? Confort ? Résignation ? Égotisme ? Habitude mentale et sociale ? Probablement un mélange indistinct de tout cela, qui me fait imaginer que « se branler avec quelqu’un » est finalement une forme de communication et d’échange supérieure à « faire l’amour à quelqu’un ».
Qu’on se rassure : quand une amante me dit « fais-moi l’amour » ou « prends-moi », tout ceci ne m’empêche ni de prendre, ni de faire. Il y a des moments où il convient de se dépouiller autant de ses vêtements que ses réticences lexicales… et où finalement on gagne à ne pas trop intellectualiser ce qu'on vit.
Et bien sûr, tout ceci s’applique parfaitement à la parole (ce n'est pas pareil de parler à quelqu'un ou avec quelqu'un) et au bdsm. La passivité est pour moi synonyme d’absence. Le bdsm, comme l’amour, est avant tout une affaire de présence : il s’agit d’être pleinement là, et d'être en dialogue avec l’autre, quelle que soit la place qu’on occupe, sinon à quoi bon ?
La seule chose qu’il me reste à nous souhaiter, c’est de ne jamais nous retrouver dans les bras d'un/une partenaire pour y faire l’amour (et/ou du bdsm) sans lui/elle.