Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie, revient sur ce mécanisme dont on ne parle pas assez.
"Mais pourquoi n’a-t-elle pas essayé de fuir ? De crier ? De se débattre ?" L’inaction de la victime est alors perçue comme une forme de consentement. Pourtant, il n’en est rien. D’après une étude clinique suédoise parue en 2017, 70 % des femmes victimes de viol seraient comme paralysées pendant cet acte d’une violence inouïe. Tétanisée, la victime est dans l’incapacité de bouger, de parler, de penser, de réagir (ou alors simplement de façon automatique). C’est ce qu’on appelle la sidération psychique.
"La sidération peut être produite par la terreur, l’extrême violence, la menace forte ou par l’incompréhension totale d’une personne par rapport à une situation qui n’a aucun sens, qui est injuste ou fausse", résume Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie. Dans le cadre des violences sexuelles, "cette sidération psychique va être recherchée par l’agresseur, car elle va permettre de paralyser sa victime."
pour se protéger, le système disjoncte. Le cerveau va bloquer tous les processus psychiques. "C’est quelque chose que l’on peut d’ailleurs observer grâce à des IRM, insiste la psychiatre. On voit que toute l’activité des fonctions supérieures, c’est-à-dire le cerveau au niveau des lobes frontaux et autour du système limbique, va être complètement inactive. C’est ça qui va entraîner une paralysie psychique avec une incapacité pour la victime de penser la situation ou de réagir."
la prise en compte de la réalité et du vécu est alors inhibée de manière temporaire ou durable. Voilà pourquoi les victimes sont souvent incapables de porter plainte ou de livrer un témoignage clair et précis sur ce qu’elles viennent de vivre.
"Ce qui est terrible, c’est qu’avec la culture du viol, on est tout le temps en train d’interroger le comportement de la victime sans regarder le comportement de l’agresseur. On ne prend pas non plus en compte les mécanismes psychotraumatiques qui découlent d’un traumatisme."
La psychiatre explique que deux stratégies de survie vont être mises en place, selon la personne ayant vécu les violences.
D’abord, il y a une stratégie d’évitement. La victime va peu sortir de chez elle, éviter les endroits trop fréquentés où elle n’aura pas le contrôle de la situation, comme les transports en commun. Elle va tenter d’éviter tout ce qui pourrait rallumer le trigger (il suffit parfois d’une odeur ou d’un son pour faire revivre à la victime un événement traumatique).
Et puis il y a les conduites dissociantes. La victime va continuer de vivre dans un état de dissociation en étant déconnectée. Elle peut se tourner vers l’alcool, la drogue, les médicaments, ou bien s’automutiler et se mettre en danger. "Ces conduites dissociantes vont recréer une situation de stress très importante qui va refaire disjoncter le cerveau pour ne pas avoir à revivre le viol", résume Muriel Salmona.
Pendant l’acte, elle est parvenue à sortir de sa sidération quelques secondes, en envisageant de frapper son agresseur avec une lampe, avant d’être à nouveau sidérée après que ce dernier lui a adressé des mots cruels et culpabilisants. "
L’important est donc d’informer sur ces mécanismes, non seulement pour que la victime puisse se défendre, mais aussi pour faire cesser une bonne fois pour toutes le "victim blaming". "Ce n’est pas la personne violée qui doit être mise en cause, c’est la situation et l’intentionnalité de l’agresseur", martèle la psychiatre