Bonsoir,
Plusieurs des interventions semblent entériner l’idée que «la déshumanisation, c’est le mal».
C’est oublier, je crois, que le bdsm est le terrain privilégié de tous les retournements sémantiques. Par ailleurs, il me semble qu’il y a au fil des contributions plusieurs confusions sur ce que chacun met dans cette «déshumanisation», sans toujours circonscrire ce qu’on entend par là dans un cadre bdsm.
De même que les notions de sadisme ou de torture en bdsm n’ont rien à voir avec le sadisme pathologique ou la torture telle qu’elle est pratiquée dans les pays totalitaires, il faut peut-être se demander s’il y a un déplacement sémantique spécifique au bdsm pour ce qui concerne cette déshumanisation. Je crois que oui. La déshumanisation en bdsm n’est pas la même que celle avec laquelle un gouvernement prépare un génocide.
Pour commencer, il faut peut-être partir de l’intention. Est-ce que la déshumanisation dont on parle procède d’une intention déshumanisante? De qui, et sur qui (l’autre ou soi-même)? S’agit-il d’une déshumanisation subie ou choisie?
Se servir de l’autre pour assouvir son plaisir, c’est plutôt la logique de l’instrumentalisation. Qu’il s’agisse de prendre un homme pour un gode sur patte, une femme pour une poupée gonflable, ou une domina pour une distributrice automatique de coup de fouet, l’intention est avérée: il s’agit bien d’instrumentaliser l’autre. C’est sans doute une forme de déshumanisation, mais où la déshumanisation est accessoire: on pourrait encore s’accommoder d’avoir en face de soi un être humain dès lors qu’il remplit la fonction qu’on attend de lui.
De nombreux bdsmeurs (dont je ne suis pas) sont très attachés à la notion d’éducation dans leur D/s. Peut-être est-ce une manière de signifier qu’ils excluent totalement toute déshumanisation de leur approche.
D’autres (dont je ne suis pas plus) préfèrent substituer à la notion d’éducation celle de dressage. C’est déjà nettement plus transgressif et franchement déshumanisant: on ne dresse pas les humains (on les éduque), tandis qu’on dresse les animaux. Dire qu’on dresse sa soumise (ou son soumis), c’est affirmer ouvertement qu’on s’adresse à sa part animale dans le cadre du bdsm. C’est donc très clairement se situer dans un espace de déshumanisation, qui sera on l’espère circonscrit à la relation bdsm, et n’empêchera pas d’avoir des relations intersubjectives entre humains le reste du temps.
Evidemment, ce phénomène est encore accentué dans le pet-play. En jouant à être un animal, on joue précisément à n’être plus un humain. Le temps du jeu, bien sûr, comme Eric H le rappelle, parce que mener une vie d’animal à quatre pattes, ça use assez vite les rotules, et vient un moment où on ne peut pas faire autrement que de se relever et de redevenir un bipède appartenant à l’humanité. Dans le pet-play comme dans la D/s qui s’appuie sur le dressage, les deux parties jouent d’un commun accord avec une déshumanisation consensuelle et passagère.
Dans certaines formes de bdsm extrême, il existe des processus très aboutis de déshumanisation qui empruntent autant aux techniques de torture traditionnelle qu’aux systèmes de manipulations sectaires. Cela passe par la privation sensorielle et l’égarement temporel sur des longues durées, ainsi que des conditions de claustration extrêmement dures. DonjonDominaDispo a récemment fait ici état de ses brillants états de service, réels ou supposés peu importe, dans ce registre. Le projet est alors clairement déshumanisant: il s’agit de «déprogrammer» la personnalité de l’esclave pour en faire une «chose» rampante. C’est quelque chose que la plupart d’entre nous ne considèrent plus comme du bdsm, mais bien comme une manipulation gravissime entrainant des troubles psychologique importants.
Mais il existe aussi de nombreuses situations bdsm qui n’ont rien d’extrême, où la personne soumise aspire très précisément à être déshumanisée, à devenir «unechose» ou «un objet» pour qui la domine. C’est ce que Rousky évoque. Cela touche très précisément au sujet de l’abandon, dont Shinian a parlé sur le mur il y a quelques jours. «Devenir une chose», pour la personne qui se soumet, c’est très exactement «débrancher le cerveau» pour entrer dans le domaine du lâcher-prise. Il s’agit de ne plus penser à la première personne avec son «Je», mais d’être exclusivement dans son corps, dans le ressenti de son corps, de devenir viande, viande sensible, viande saignante s’il le faut…
Cette viande-là n’est plus humaine en ce sens qu’elle échappe à l’intersubjectivité. Ça rejoint ce qu’énonçait nOOnne dans la première page, il n’y a pas d’altérité sans témoin de nos turpitudes. De l’autre côté, il n’y a plus non plus d’auto-jugement si on quitte momentanément la conscience de son appartenance à l’humanité. Cette déshumanisation-là est celle de la jouissance masochiste et du subspace, ou de l’abandon de la personne soumise qui est passée au delà de la phrase «Fais de moi ce que tu veux». Et je crois que dans un cadre bdsm, il ne se trouvera personne pour la diaboliser.
Plusieurs des interventions semblent entériner l’idée que «la déshumanisation, c’est le mal».
C’est oublier, je crois, que le bdsm est le terrain privilégié de tous les retournements sémantiques. Par ailleurs, il me semble qu’il y a au fil des contributions plusieurs confusions sur ce que chacun met dans cette «déshumanisation», sans toujours circonscrire ce qu’on entend par là dans un cadre bdsm.
De même que les notions de sadisme ou de torture en bdsm n’ont rien à voir avec le sadisme pathologique ou la torture telle qu’elle est pratiquée dans les pays totalitaires, il faut peut-être se demander s’il y a un déplacement sémantique spécifique au bdsm pour ce qui concerne cette déshumanisation. Je crois que oui. La déshumanisation en bdsm n’est pas la même que celle avec laquelle un gouvernement prépare un génocide.
Pour commencer, il faut peut-être partir de l’intention. Est-ce que la déshumanisation dont on parle procède d’une intention déshumanisante? De qui, et sur qui (l’autre ou soi-même)? S’agit-il d’une déshumanisation subie ou choisie?
Se servir de l’autre pour assouvir son plaisir, c’est plutôt la logique de l’instrumentalisation. Qu’il s’agisse de prendre un homme pour un gode sur patte, une femme pour une poupée gonflable, ou une domina pour une distributrice automatique de coup de fouet, l’intention est avérée: il s’agit bien d’instrumentaliser l’autre. C’est sans doute une forme de déshumanisation, mais où la déshumanisation est accessoire: on pourrait encore s’accommoder d’avoir en face de soi un être humain dès lors qu’il remplit la fonction qu’on attend de lui.
De nombreux bdsmeurs (dont je ne suis pas) sont très attachés à la notion d’éducation dans leur D/s. Peut-être est-ce une manière de signifier qu’ils excluent totalement toute déshumanisation de leur approche.
D’autres (dont je ne suis pas plus) préfèrent substituer à la notion d’éducation celle de dressage. C’est déjà nettement plus transgressif et franchement déshumanisant: on ne dresse pas les humains (on les éduque), tandis qu’on dresse les animaux. Dire qu’on dresse sa soumise (ou son soumis), c’est affirmer ouvertement qu’on s’adresse à sa part animale dans le cadre du bdsm. C’est donc très clairement se situer dans un espace de déshumanisation, qui sera on l’espère circonscrit à la relation bdsm, et n’empêchera pas d’avoir des relations intersubjectives entre humains le reste du temps.
Evidemment, ce phénomène est encore accentué dans le pet-play. En jouant à être un animal, on joue précisément à n’être plus un humain. Le temps du jeu, bien sûr, comme Eric H le rappelle, parce que mener une vie d’animal à quatre pattes, ça use assez vite les rotules, et vient un moment où on ne peut pas faire autrement que de se relever et de redevenir un bipède appartenant à l’humanité. Dans le pet-play comme dans la D/s qui s’appuie sur le dressage, les deux parties jouent d’un commun accord avec une déshumanisation consensuelle et passagère.
Dans certaines formes de bdsm extrême, il existe des processus très aboutis de déshumanisation qui empruntent autant aux techniques de torture traditionnelle qu’aux systèmes de manipulations sectaires. Cela passe par la privation sensorielle et l’égarement temporel sur des longues durées, ainsi que des conditions de claustration extrêmement dures. DonjonDominaDispo a récemment fait ici état de ses brillants états de service, réels ou supposés peu importe, dans ce registre. Le projet est alors clairement déshumanisant: il s’agit de «déprogrammer» la personnalité de l’esclave pour en faire une «chose» rampante. C’est quelque chose que la plupart d’entre nous ne considèrent plus comme du bdsm, mais bien comme une manipulation gravissime entrainant des troubles psychologique importants.
Mais il existe aussi de nombreuses situations bdsm qui n’ont rien d’extrême, où la personne soumise aspire très précisément à être déshumanisée, à devenir «unechose» ou «un objet» pour qui la domine. C’est ce que Rousky évoque. Cela touche très précisément au sujet de l’abandon, dont Shinian a parlé sur le mur il y a quelques jours. «Devenir une chose», pour la personne qui se soumet, c’est très exactement «débrancher le cerveau» pour entrer dans le domaine du lâcher-prise. Il s’agit de ne plus penser à la première personne avec son «Je», mais d’être exclusivement dans son corps, dans le ressenti de son corps, de devenir viande, viande sensible, viande saignante s’il le faut…
Cette viande-là n’est plus humaine en ce sens qu’elle échappe à l’intersubjectivité. Ça rejoint ce qu’énonçait nOOnne dans la première page, il n’y a pas d’altérité sans témoin de nos turpitudes. De l’autre côté, il n’y a plus non plus d’auto-jugement si on quitte momentanément la conscience de son appartenance à l’humanité. Cette déshumanisation-là est celle de la jouissance masochiste et du subspace, ou de l’abandon de la personne soumise qui est passée au delà de la phrase «Fais de moi ce que tu veux». Et je crois que dans un cadre bdsm, il ne se trouvera personne pour la diaboliser.
Dernière modification le 07/07/2013 01:52:48 par analogique.
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