Aucune notion ne me semble plus suspecte que l’intelligence.
Il est d’usage d’opposer l’intelligence à la bêtise, et de préférer la première à la seconde, sans voir qu’il ne s’agit que de deux aspects d’une seule et même chose: lorsqu’on «traite» quelqu’un d’intelligent, on ne fait que manifester une appartenance commune à un groupe social régi par les mêmes codes.
C’est un leurre que de supposer ou de prétendre que l’intelligence consiste en une capacité à échafauder des structures conceptuelles. La plupart des échanges interpersonnels ne se font pas avec des concepts, mais se jouent avec la sensibilité et les tripes. Ce que nous nommons à tort « intelligence » n’est qu’un mode de reconnaissance sociale au sein d’un groupe homogène quant aux critères de cette reconnaissance.
Quand on qualifie quelqu’un de con ou d’intelligent, on est exactement dans le même registre: on ne fait jamais que parler de soi, et de la distance à laquelle on se tient de la personne à laquelle on attribue ces qualificatifs.
Traiter quelqu’un de con, c’est s’exclure de sa sphère, signaler et signifier qu’on ne parle pas la même langue et qu’on ne partage pas sa vision du monde.
Trouver des propos intelligents, c’est se les approprier, y reconnaître un écho de soi-même, se flatter de les comprendre, revendiquer une appartenance à une communauté de pensée. L’expression «être en bonne intelligence avec quelqu’un» nous ramène d’ailleurs à cette sémantique.
Il s’ensuit que la plus large reconnaissance de l’intelligence traduit simplement une adaptation du discours au plus grand nombre. Etre reconnu pour intelligent au sein d’un groupe social, c’est le signe qu’on y tient les propos les plus platement prévisibles et recevables, au cœur du politiquement correct et du prêt-à-penser.
Se comporter intelligemment aux yeux de ses semblables, c’est finalement traverser au feu rouge, être dans les clous, respecter l’ordre des choses, ne pas faire de remous, adopter un comportement adapté à la situation.
Lorsque on parle d’intelligence, il serait donc plus intelligent (c’est à dire adapté), de parler d’adaptation. On pourrait ainsi tout substituer en parlant d’une personne adaptée, d’un discours adapté, d’un comportement adapté. Et pareillement parler d’inadaptation lorsqu’on souhaite évoquer l’envers de l’intelligence.
Est-ce que cela changerait quelque chose?
Rien. Strictement rien.
La qualification d’adaptation ou d’inadaptation parlerait pareillement de la relation de proximité ou d’éloignement que le locuteur entretient avec l’objet qu’il qualifie. Quand on parle d’autrui avec des qualificatifs, on ne parle jamais que de soi, on ne décrit jamais que le regard qu’on porte sur l’autre.
Mais peut-être la substitution de l’intelligence en adaptation serait-elle plus honnête, autant dire plus vraie.
Malheureusement, la notion de vérité n’est pas moins fausse que celle d’intelligence. Il n’y a de vérité tangible que celle qui est perçue comme telle par la personne qui l’énonce. Si quelqu’un dit: «je suis fatigué» ou «je suis intelligent», ce ne serait vrai que pour lui, et pour le groupe social qui décidera de reconnaître sa fatigue ou son intelligence, et ces deux affirmations seront parfaitement contestables par celles et ceux qui se situent en dehors de ce groupe au moment de l’énonciation.
Ainsi, tenir quelque chose pour vrai, c’est exactement pareil que tenir quelqu’un pour intelligent: il ne s’agit que d’adopter un point de vue adapté à une situation à un moment donné. Il s’ensuit que la vérité la plus vraie et la plus largement partagée est aussi la plus prévisible et la plus consensuelle, la moins surprenante et la plus pauvre. Autant dire la moins intelligente.
Vérité et intelligence, tout comme bêtise et fausseté, ne sont que les mêmes mamelles d’une subjectivité de la langue qui condamne à ne parler que de soi.
Et puisque j’en suis réduit à parler de moi, il va de soi que je tiendrai pour sacrément con le premier qui s’aviserait de trouver tout cela intelligent, puisque mon discours ne témoigne que de modestes prédispositions à l’adaptation communautaire.
Pourquoi discuter de tout cela ici?
La police du hors-sujet est demandée pour procéder à mon interpellation dans les plus brefs délais!
Je vous épargne le paragraphe développé sur le sujet et le hors-sujet, qui ressortent des mêmes logiques que l’intelligence et la bêtise, le vrai et le faux: trouver que des propos sont dans le sujet ou n’y sont pas ne parle pas des propos en question mais encore et toujours de la personne qui émet cette opinion.
Ce qui, de mon point de vue strictement autobiographique, me fait considérer que je suis dans le sujet (qui concerne la vie du site) et me conduit à partager ici ces quelques lignes, c’est que chaque jour sur le mur, il se trouve des gens pour parler des «cons», tout autant qu’il s’en trouve pour parler du «vrai» bdsm ou des «vrais» Maîtres.
Comme s’il y avait un vrai bdsm et un faux. Comme s’il y avait un archétype universel de la connerie. Comme si on oubliait que le con, c’est toujours et exclusivement la part de l’autre dans laquelle on ne voudrait pas se reconnaître.
Vu depuis mes étroites œillères (je ne targuerai pas d’en avoir moins que quiconque ici), parler du con comme s’il existait pour un autre que soi et parler du vrai bdsm comme s’il existait pour un autre que soi, c’est être soumis à une déférence mentale envers le groupe qui tiendra la même personne pour conne, le même bdsm pour vrai.
De là à dire que celui qui s’illustre par de tels propos est à mes yeux un vrai con, il n’y a qu’un tout petit pas que je m’efforce de ne pas franchir, bien que la tentation soit parfois immense… Je préfère voir en l’autre et en sa différence (autant dire sa connerie) un potentiel de richesses qui me sont pour l’instant inaccessibles, et je répugne à considérer que d’autres formes d’intelligence que la mienne me sont définitivement fermées…
Si la connerie n’est autre que l’horizon extrême de l’altérité, si l’intelligence est ce qui nous réunit, si le vrai bdsm n’est autre que le sien propre (mais qu’on voudrait désespérément partager), et si surtout on intègre ce caractère éminemment subjectif de tous nos propos sans exception, alors peut-être nous reste-t-il un minuscule espoir d’entrevoir nos univers respectifs à défaut de les comprendre ou de les apprécier… Ne sommes-nous pas là pour cela?
Moi, si.
C’est con, mais c’est vrai.
Il est d’usage d’opposer l’intelligence à la bêtise, et de préférer la première à la seconde, sans voir qu’il ne s’agit que de deux aspects d’une seule et même chose: lorsqu’on «traite» quelqu’un d’intelligent, on ne fait que manifester une appartenance commune à un groupe social régi par les mêmes codes.
C’est un leurre que de supposer ou de prétendre que l’intelligence consiste en une capacité à échafauder des structures conceptuelles. La plupart des échanges interpersonnels ne se font pas avec des concepts, mais se jouent avec la sensibilité et les tripes. Ce que nous nommons à tort « intelligence » n’est qu’un mode de reconnaissance sociale au sein d’un groupe homogène quant aux critères de cette reconnaissance.
Quand on qualifie quelqu’un de con ou d’intelligent, on est exactement dans le même registre: on ne fait jamais que parler de soi, et de la distance à laquelle on se tient de la personne à laquelle on attribue ces qualificatifs.
Traiter quelqu’un de con, c’est s’exclure de sa sphère, signaler et signifier qu’on ne parle pas la même langue et qu’on ne partage pas sa vision du monde.
Trouver des propos intelligents, c’est se les approprier, y reconnaître un écho de soi-même, se flatter de les comprendre, revendiquer une appartenance à une communauté de pensée. L’expression «être en bonne intelligence avec quelqu’un» nous ramène d’ailleurs à cette sémantique.
Il s’ensuit que la plus large reconnaissance de l’intelligence traduit simplement une adaptation du discours au plus grand nombre. Etre reconnu pour intelligent au sein d’un groupe social, c’est le signe qu’on y tient les propos les plus platement prévisibles et recevables, au cœur du politiquement correct et du prêt-à-penser.
Se comporter intelligemment aux yeux de ses semblables, c’est finalement traverser au feu rouge, être dans les clous, respecter l’ordre des choses, ne pas faire de remous, adopter un comportement adapté à la situation.
Lorsque on parle d’intelligence, il serait donc plus intelligent (c’est à dire adapté), de parler d’adaptation. On pourrait ainsi tout substituer en parlant d’une personne adaptée, d’un discours adapté, d’un comportement adapté. Et pareillement parler d’inadaptation lorsqu’on souhaite évoquer l’envers de l’intelligence.
Est-ce que cela changerait quelque chose?
Rien. Strictement rien.
La qualification d’adaptation ou d’inadaptation parlerait pareillement de la relation de proximité ou d’éloignement que le locuteur entretient avec l’objet qu’il qualifie. Quand on parle d’autrui avec des qualificatifs, on ne parle jamais que de soi, on ne décrit jamais que le regard qu’on porte sur l’autre.
Mais peut-être la substitution de l’intelligence en adaptation serait-elle plus honnête, autant dire plus vraie.
Malheureusement, la notion de vérité n’est pas moins fausse que celle d’intelligence. Il n’y a de vérité tangible que celle qui est perçue comme telle par la personne qui l’énonce. Si quelqu’un dit: «je suis fatigué» ou «je suis intelligent», ce ne serait vrai que pour lui, et pour le groupe social qui décidera de reconnaître sa fatigue ou son intelligence, et ces deux affirmations seront parfaitement contestables par celles et ceux qui se situent en dehors de ce groupe au moment de l’énonciation.
Ainsi, tenir quelque chose pour vrai, c’est exactement pareil que tenir quelqu’un pour intelligent: il ne s’agit que d’adopter un point de vue adapté à une situation à un moment donné. Il s’ensuit que la vérité la plus vraie et la plus largement partagée est aussi la plus prévisible et la plus consensuelle, la moins surprenante et la plus pauvre. Autant dire la moins intelligente.
Vérité et intelligence, tout comme bêtise et fausseté, ne sont que les mêmes mamelles d’une subjectivité de la langue qui condamne à ne parler que de soi.
Et puisque j’en suis réduit à parler de moi, il va de soi que je tiendrai pour sacrément con le premier qui s’aviserait de trouver tout cela intelligent, puisque mon discours ne témoigne que de modestes prédispositions à l’adaptation communautaire.
Pourquoi discuter de tout cela ici?
La police du hors-sujet est demandée pour procéder à mon interpellation dans les plus brefs délais!
Je vous épargne le paragraphe développé sur le sujet et le hors-sujet, qui ressortent des mêmes logiques que l’intelligence et la bêtise, le vrai et le faux: trouver que des propos sont dans le sujet ou n’y sont pas ne parle pas des propos en question mais encore et toujours de la personne qui émet cette opinion.
Ce qui, de mon point de vue strictement autobiographique, me fait considérer que je suis dans le sujet (qui concerne la vie du site) et me conduit à partager ici ces quelques lignes, c’est que chaque jour sur le mur, il se trouve des gens pour parler des «cons», tout autant qu’il s’en trouve pour parler du «vrai» bdsm ou des «vrais» Maîtres.
Comme s’il y avait un vrai bdsm et un faux. Comme s’il y avait un archétype universel de la connerie. Comme si on oubliait que le con, c’est toujours et exclusivement la part de l’autre dans laquelle on ne voudrait pas se reconnaître.
Vu depuis mes étroites œillères (je ne targuerai pas d’en avoir moins que quiconque ici), parler du con comme s’il existait pour un autre que soi et parler du vrai bdsm comme s’il existait pour un autre que soi, c’est être soumis à une déférence mentale envers le groupe qui tiendra la même personne pour conne, le même bdsm pour vrai.
De là à dire que celui qui s’illustre par de tels propos est à mes yeux un vrai con, il n’y a qu’un tout petit pas que je m’efforce de ne pas franchir, bien que la tentation soit parfois immense… Je préfère voir en l’autre et en sa différence (autant dire sa connerie) un potentiel de richesses qui me sont pour l’instant inaccessibles, et je répugne à considérer que d’autres formes d’intelligence que la mienne me sont définitivement fermées…
Si la connerie n’est autre que l’horizon extrême de l’altérité, si l’intelligence est ce qui nous réunit, si le vrai bdsm n’est autre que le sien propre (mais qu’on voudrait désespérément partager), et si surtout on intègre ce caractère éminemment subjectif de tous nos propos sans exception, alors peut-être nous reste-t-il un minuscule espoir d’entrevoir nos univers respectifs à défaut de les comprendre ou de les apprécier… Ne sommes-nous pas là pour cela?
Moi, si.
C’est con, mais c’est vrai.
Dernière modification le 05/07/2013 15:21:07 par analogique.
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