Première question : je ne me dis jamais « cette personne est digne de ma domination », ni même d'ailleurs « j'ai envie de la soumettre ». Ce qui va éveiller ma « dominance » sera plutôt une émotion-sensation, l'envie en moi de déployer ma protection, de l'envelopper pour la soulever, l'amener à se dresser à découvert, à se mettre à nu en libérant la beauté que j'ai perçue, au travers de détails, de touches infimes bien difficiles à décrire puisqu'ils sont chaque fois uniques à la personne.
Pas de notion de supériorité pour moi non plus, du moins a priori : s'il y a des choses sur lesquelles j'ai une plus grande expérience, compétence ou sagesse, l'idée est alors de les transmettre, ce que vous dites d'ailleurs à travers l'idée d'éducation, sachant que surtout ici dans l'univers BDSM, ce mot recouvre à la fois la notion de dressage (conditionnement) et d'élévation (enseignement). C'est le côté enseignement qui m'attire, et dès lors, la fonction du Maitre n'est pas celle de celui qui cherche à possèder l'autre dans une relation de dépendance entretenue et figée comme dans l'esclavage, mais celle de celui qui l'informe (lui donne forme) et l'élève vers sa propre indépendance et souveraieneté individuelle. D'où pour moi la gratification immense de se savoir distingué comme Maitre si c'est par un être libre et souverain de le faire, tandis que si c'est par dépendance ou sentiment d'infériorité, comme il a été dit, je me sentirais plutôt dévalorisé au contraire.
Deuxième question : je viens d'en donner un premier aperçu, mais je veux rebondir sur cette idée de résistance, qu'importe d'ailleurs que la personne soit déjà soumise assumée ou qu'elle l'ignore : je ne pense pas pouvoir forcer qui que ce soit à se soumettre à moi. Ce n'est pas tant une question de puissance que de refus de ma part de viser un objectif sans me préoccuper des moyens qui y mènent. Pour moi ce n'est pas la fin qui compte mais les moyens.
S'il y a résistance à l'idée de se soumettre, je ne m'entêterais pas dans ma volonté d'en convaincre l'autre. Là je parle d'expérience vécue : dans mes relations dites « vanilles », j'ai plusieurs fois été confronté au constat que ma partenaire se comportait comme une soumise, au moins sur certaines questions, sexuelles mais pas que, au sens ou elle cherchait mon arbitrage, mon aval, ma protection, ou me laissait guider, mais j'ai appris combien le mot « soumise » pouvait venir provoquer une vraie dissonnance cognitive quand la personne en face, de par son éducation, ses conditionnements et ses propres auto-définitions égotiques, ne pouvait tout simplement pas l'entendre. Que m'importait donc qu'explicitement elle m'offre sa soumission, si dans les faits au sein de la relation cette polarité complémentaire que j'aime à trouver dans le BDSM était bien présente ?
C'est là sans doute qu'aux yeux de certains puristes je passerais peut-être pour un « mauvais adepte » du BDSM : pour moi le fond est plus important que la forme.
Il n'en reste pas moins que la forme (l'éthiquette, l'esthétique) m'intéresse bien sûr, sinon je ne serais plus là depuis longtemps, mais s'il n'y a que ça, ça ne peut pas me suffire, tandis qu'à l'inverse, s'il n'y a que le fond, même sans la forme, je peux très bien m'épanouir dans la relation et m'y sentir à ma place.
Juste un mot pour finir sur la notion de puissance : pour moi la puissance, comme l'autorité, ne vaut que si elle est latente et contenue mais peu et rarement utilisée (usée). Cela rejoint mon avis sur la supériorité : quelque part, il n'y a que celui qui n'est pas sûr de sa puissance, ou qui veut se prouver qu'il peut l'être qui a besoin d'en user, et par là donc d'établir une relation de supériorité.
J'admets qu'au stade débutant d'une relation il puisse y avoir besoin à quelques moments-clés de faire montre pour le Dominant de sa force de caractère, mais je ne pense pas jouer avec les mots en disant que c'est différent de la volonté de puissance. Savoir dire non, s'affirmer ou donner un ordre n'est pas se placer au-dessus de l'autre et n'interdit pas à l'autre d'en faire autant sans que la relation D/s soit remise en question pour autant. Je préfère convaincre un maximum pour être suivi plutôt qu'imposer par la force, afin que si exceptionnellement j'emploie cette dernière, ce soit vraiment comme argument ultime, et à ne pas répéter si possible…
Merci pour ce sujet bien posé, aux réponses édifiantes que j'ai lues et continuerai de lire, et la motivation d'y répondre qu'il a suscitée en moi :)