Elle.a
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Voici un message posté sur Fetlife, par Port d’Attaches (profil https://fetlife.com/users/10420926 ), posté ici avec son accord.
Post original ici https://fetlife.com/users/10420926/posts/5870242#comment_24784948
Commencer le shibari : quelques recommandations pour les débutant·e·s
Ces dernières années, le monde du shibari connaît une immense expansion. Le nombre de pratiquant·e·s va grandissant, de façon quasi exponentielle. Et avec le nombre de pratiquant·e·s, également le nombre d'événements, de cours, d’enseignant·e·s, d’associations, d’organisateur·ice·s. Nous considérons que c’est une bonne chose : le savoir et les lieux de pratique sont devenus accessibles, les tabous s’estompent, les curieux et les passionnés ont davantage d’options pour trouver satisfaction.
Malheureusement, cette croissance rapide n’a pas laissé le temps à la communauté, trop enthousiaste, de s’équiper convenablement contre quantité de dérives. Personnalités manipulatrices, rapports de pouvoir malsains, comportements abusifs, misogynie et culture du viol, etc. Comme partout ailleurs dans notre société. À la différence près que notre pratique est par nature génératrice de fantasmes et de désirs, qu’on y intègre fatalement des jeux de pouvoir et de contrôle, et que les dérives sociétales et systémiques donnent souvent lieu à des abus de consentements, des violences physiques ou psychologiques, des agressions sexuelles, des viols. La prise de conscience progressive de ces dérives, les vagues MeToo ou BalanceTonPorc, ont libéré certaines paroles et depuis quelques années de nombreux scandales ont éclaboussé le monde des cordes, notamment à Paris. Avec virulence.
Port d’Attaches met un point d’honneur à apprendre de ces événement, à ne pas répéter les erreurs du passé, à se protéger le mieux possible de ces dérives, à identifier les comportements malsains ou malveillants pour les corriger ou les écarter, à prévenir et communiquer avec les pratiquant·e·s et la communauté.
Aujourd’hui, le message que nous voulons faire passer est le suivant : faites attention à qui vous confiez votre corps, vos émotions, votre intimité, votre esprit.
Deux choses à retenir : renseignez-vous et allez-y progressivement.
Nouveau·elle partenaire ? Nouveau lieu de pratique ? Nouvelle association ? Nouvelle·au enseignant·e ?
Renseignez-vous sur elleux. Auprès de pratiquant·e·s que vous connaissez, auprès d’une asso reconnue, dans un munch, au sein de votre communauté, sur un groupe dédié à ce genre de demandes et annonces sur Facebook ou Fetlife. Renseignez-vous sur les règles, le cadre instauré d’un lieu de pratique avant d’y aller. Renseignez-vous sur le style, l’approche, la réputation d’un·e enseignant·e ou d’une asso proposant des cours ou des workshops. Cela peut vous éviter d’assister à des pratiques que vous ne souhaiteriez pas voir, ou de vous exposer à des influences ou des discours que vous ne souhaiteriez pas entendre.
Certaines personnes travaillent seules pour proposer des évènements (cours, démo, etc.), parfois même à leur domicile. Les raisons de vouloir se tenir à l’écart de la communauté ou d’enseigner en petit comité peuvent être variées. Mais le fait est que vous pourriez vous retrouver dans un groupe très restreint, peut-être même seul·e face à l’enseignant·e, qui sur son terrain aurait une position d’autorité plus forte, avec tous les biais et les risques que cela comporte. Soyez d’autant plus vigilant·e vis-à-vis de ces propositions.
Partenaire inconnu·e ou méconnu·e ?
De belles photos ou une longue liste d’amis ne garantissent pas la probité de votre potentiel·le partenaire, loin de là. N’hésitez pas à faire votre première rencontre dans un contexte sans cordes, pour parler de vos envies, de vos interdits, faire connaissance et surtout vous faire une première impression sur la personne, sa communication, ses motivations. Le feeling, c’est important, peut-être que même sans un “red flag”, un élément dissuasif flagrant, vous vous rendrez compte que vous n’avez pas vraiment envie de confier votre corps à cette personne. Donnez rendez-vous dans un café, un munch, un parc fréquenté et tenez-vous en là pour le moment, laissez mûrir vos impressions et décidez d’un rendez-vous cordes plus tard.
Première session ?
Favorisez un lieu public, une jam, une soirée avec des ami·e·s. Ce genre de lieu ou événement n’étant pas toujours accessible, essayez d’organiser votre propre micro événement, par exemple invitez le·la à une soirée où quelques-un·e·s de vos ami·e·s seront aussi présent, chez vous ou chez elleux. Bonus spécial, pratiquer à quatre ou six dans un espace peut être une bonne source d’inspirations sans pour autant s’imposer une ambiance de groupe parfois trop encombrante. Ou bien emmenez juste une personne de confiance avec vous, pour faire des photos par exemple.
Définissez bien votre cadre de pratique. Vos envies, vos goûts, vos autorisations, vos limites, vos interdits. Mettez l’accent sur une certaine progressivité. Limitez-vous au départ à ce que vous connaissez, à une intensité moindre que ce que pourraient être vos fantasmes. Si tout se passe bien, vous aurez tout le temps de monter en intensité plus tard, de tenter de nouvelles expériences. Le shibari est une pratique relationnelle, et une relation doit prendre le temps de se construire, d’évoluer.
Mise en perspective
En écrivant ces lignes, nous nous imaginons nous adresser à des personnes curieuses et sans expériences, car ce sont ces personnes qui sont les plus vulnérables aux abus ou aux mauvaises influences.
Bien évidemment, il n’existe pas de charte de conduite absolue adaptée à tou·te·s, encore moins qui soit sans faille. Ces recommandations sont à prendre pour ce qu’elles sont : des recommandations. Tout ceci est à mettre en perspective selon votre vécu, vos expériences, vos désirs.
Dans le BDSM, on parle de “risk awareness”, la conscience du risque, et de consentement “éclairé”, informé. Informez-vous, prenez conscience.
L’équipe de Port d’Attaches réfléchit à comment créer des espaces d’échange pour aborder tous ces sujets, et en attendant, vous pouvez nous écrire, nous questionner, demander conseil, nous interpeller durant nos événements.
Pratiquez en toute conscience, posez vous les bonnes questions, faites attention à vous.
Dernière modification le 10/10/2019 20:12:15 par Elle.a.
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Luxurésens
#1
Merci M'dame Elle.a de ce partage d'article fort intéressant et utile :) Quand on débute une erreur ou trop d'empressement peut occulter la prudence, il est bon de nous la rappeler ;)
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marina001
#2
Je tiens à ajouter une chose : ces conseils pour "débutant-e-s", bien des "confirmé-e-s" peuvent utilement s'y reporter, aussi , et cette lecture ne sera pas du temps perdu. En tout cas cet article est une belle trouvaille, merci elle.a
Dernière modification le 12/10/2019 06:50:16 par marina001.
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Elle.a
#4
Je me renseigne et je vous dis ça.
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Elle.a
#5
Alors, renseignement pris auprès d'une personne digne de confiance, voici ce que j'ai glané :
Sur Bruxelles il y a Nicolas Yoroï (Yoroï Dojo) http://yoroi-dojo.org/ (le site est en anglais, mais Nicolas parle le français)
il y a Al-Walthery (profil fetlife https://fetlife.com/users/256621) qui est à Bruxelles mais il donne des cours à l'académie alternative à Liège, il est très bien (pas impossible en lui demandant qu'il donne quelques cours privés chez lui)
Puis il y a aussi Ligatio (https://fetlife.com/users/38968) et BeShibari (https://fetlife.com/users/51190) qui donnent des cours à Anvers
Surtout pas "shibari dojo Bruxelles", d'après ma source, et il semblerait que tous les autres ne soient pas à la hauteur et soient plus intéressé par l'argent que par le shibari.
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Lorelei-Febs
#6
Merci bcp, je recherche à me former et je viens de Bruxelles
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cruauté joyeuse
#7
Je relaie, avec l'accord de NortherSnake ( profil fet:https://fetlife.com/users/159400 ), cet article qui selon moi ouvre des pistes de réflexions propres à nourir la démarche de ceux qui veulent faire des cordes  

Le shibari n'est pas un (fucking) art

Sans doute qu’une bonne partie des personnes qui auront cliqué pour savoir ce que je raconte ici ne sont a priori pas d’accord avec cette affirmation. En vrai, qu’on soit d’accord ou non, je m’en fous un peu.
D’abord parce que je ne suis pas la police de la pensée - vous pouvez bien penser ce que vous voulez du shibari et de l’art.
Ensuite parce que ce dont j’ai envie de parler ici ce n’est pas du problème soulevé par le fait de penser que le shibari est un art, mais de tout ce qu’implique le fait de le dire ou de l’écrire, de véhiculer cette idée. Pour situer mon point de vue - qui n’est bien sûr pas neutre, je suis un mec occidental qui pratique les cordes depuis pas mal de temps (pour ainsi dire en tant que passionné…), et qui suit les “actualités” du milieu (entre autres les accidents, abus etc…) de manière assez assidue, en étant exposé à tous les biais qui vont avec le fait d'évoluer dans ce coin du monde. En tant qu’organisateur d’événements et avec plein de personnes auxquelles je tiens qui pratiquent autour de moi, j’ai à cœur de m’exprimer sur des sujets que je pense importants. En somme j’assume le côté politique de ce que j’écris, ce writing fait partie de mes tentatives d’influencer en toute humilité les personnes qui le liront, parce que je pense que ça va dans une direction positive pour la communauté et pour les individus (en bon utilitariste).
Je vais supposer que toi qui me lis est assez mature et intelligent-e pour évaluer la qualité de mon propos à travers mes arguments et en tenant compte de ma posture (c’est l’objet du point de vue situé) mais sans avoir à user d’une rhétorique en carton pour disqualifier arbitrairement les idées. Sous-titre pour les personnes assises au fond: les commentaires sont les bienvenus pour échanger dans le calme sur le sujet, présenter vos opinions et surtout vos arguments (vous le croirez ou non mais j’adore changer d’avis !). Je n’ai pas pour habitude de censurer des propos et je détesterai avoir à le faire parce que ça ne respecte pas les règles de Fetlife ou parce que je trouve que ça va trop loin. Si on s’engueule joyeusement et respectueusement en débattant, j’espère que ça aidera les autres à se construire une vision plus éclairée, mais je n’hésiterai pas à modérer si besoin.. Depuis que j’ai compris qu’une part énorme des contenus qui concernent le shibari ont envahi les réseaux sociaux vanille, Instagram et Tiktok en premier lieu (alors qu’avant le plus gros était sur Fetlife et autres réseaux kinky, puis sur Facebook), je m’inquiète du nombre croissant de publications où on voit des personnes utiliser des cordes pour faire du macramé sur leurs corps en appelant ça shibari et en espérant paraître originales (et bien sûr en ignorant totalement que des artistes comme Fred Kyrel ou Hikari Kesho font ça depuis des décennies).
Le problème n’est pas ici le fait que les réseaux sociaux ont cette tendance à mobiliser notre narcisse interne - il y a un tas d’autres pratiques qui se retrouvent dans la même situation que les cordes à cause de ça - mais le fait que c’est une tendance qui va nécessairement affecter les imaginaires collectifs et les connaissances les plus répandues dans le groupe des pratiquant-es du shibari autour de nous.
Je ne suis pas sociologue donc je parle ici d’hypothèses basées sur des impressions en tant qu’observateur attentif, mais il me semble que les personnes qui ont récemment commencé à pratiquer le shibari ont une trajectoire assez différente de celles qui arrivaient il y a quelques années via les munchs, Fetlife et/ou les jams. Leurs envies et leurs attentes ne sont pas tout à fait les mêmes (prédominance des photos et culture du like bien installée, ça existait déjà sur Fetlife mais c’est exacerbé), leur rapport à l’expérience est différent (société plus ouverte à la diversité donc chaque pratique qui sort du lot paraît moins spéciale, on comprends moins l’intérêt du côté historiquement “caché” du BDSM), et le rapport à la notion de risque est lui aussi complètement chamboulé (perçu et assumé comme très personnel, chacun-e fait bien ce qu’ielle veut de son corps - ce qui est vrai sur le fond mais n’efface pas l’impact qu’on a sur les autres, or c’est de ça que je parle).
Un exemple très concret et récent de ces changements est la manière dont les personnes utilisant Instagram se sont habituées à l’algorithme de censure et qui mettent des petits smileys mignons ou des étoiles roses sur les tétons, acceptant de jouer le jeu d’une censure conservatrice et difficilement conciliable avec la dimension transgressive du shibari (et du kink au sens large). Et le problème c’est que ça déborde, puisque ces mêmes photos censurées se retrouvent parfois sur Fetlife ou d’autres plate-formes qui sont pourtant plus permissives. Sur ce point spécifique on voit tout de suite l’aspect politique du problème, où ça peut mener en termes d’impact sur nos habitudes quotidiennes d’exposition à des images… L’un des principaux responsables de ce changement est le suspect qu’on retrouve sur toutes les scènes de crime social: le langage. Les mots ont leur importance, ça va faire marrer les personnes qui me connaissent bien et me voient ressasser cet exemple depuis des années mais je le trouve particulièrement pertinent: Franck Lepage le démontre habilement dans une de ses conférences gesticulées. Il explique qu’à une époque pas si lointaine on parlait de la classe ouvrière comme composée de personnes qui sont exploitées dans l’organisation du travail, or qui dit “exploité” dit “exploitant”. L’exploitation est un processus, notre cerveau a donc envie d’identifier ce qu’il y a à l’origine pour comprendre comment on en est arrivés là - les cocos du XXe siècle répondront que c’est la faute des patrons évidemment. Mais depuis quelques décennies les éléments de langage ont changé et on ne parle plus d’”exploités”, on appelle les populations qui ont des boulots de merde et sont payées une misère des personnes “défavorisées” (et de plus en plus on glisse vers “fainéantes”, mais c’est un aure sujet). Et là plus question de processus, on a pas trop l’habitude de raisonner en termes de “défavorisateur-ice”, donc le premier réflexe de notre petit cerveau musclé c’est de se dire “ah merde, pas de bol”. Cet exemple illustre l’idée selon laquelle utiliser un terme ou un autre pour décrire un truc dans la société peut mine de rien avoir beaucoup d’incidence sur la manière dont les gens vont réfléchir ou non à ce truc, et se sentir en capacité d’agir et de militer pour le changer. A mon sens le fait de parler d’”art des cordes” quand on évoque le shibari soulève également ce problème. Le terme “art” est connoté, il a un sens chargé dans le langage courant. Personnellement quand je discute avec des personnes qui débutent et ne bitent rien au shibari je viens très vite vers cette idée qu’il ne faut pas considérer le shibari comme un “art ancestral” mais comme “une foutue technique de torture militaire japonaise détournée après la guerre pour faire du fric en violant des prostituées devant -entre autres- des occidentaux, puis en devenant une sorte de compétence d’élite pour le porno underground à Tokyo” (je me cite moi-même sans aucune humilité, mais sentez-vous libre de réutiliser ma définition :-*).
En faisant cette distinction à travers une définition - certes un peu outrancière - j’explique que l’intérêt est pour les débutant-es (mode paternaliste ON) de maintenir leurs radars à red flags en alerte: c’est plus facile de faire gaffe au consentement si on se dit qu’on va tenter un truc foutrement dangereux et ouvertement kinky que si on imagine une séance de massage mélangé à de l’escalade.
En voyant se démocratiser l’expression “art des cordes” j’ai réfléchi à ce qui existe comme alternative langagière, et je suis tombé sur la notion d’artisanat. Mais là attention, cette partie de ma démonstration a le pied gauche posé de justesse à quelques centimètres du bousin laissé par Moufle, le caniche du voisin, sur le trottoir près de la porte (j’ai rien contre les caniches ou les voisins, nos amies les bêtes auront je l’espère un jour droit à autant de considération sur le consentement que mes homologues sapiens). Je dis ça parce qu’on est sur internet, et que j’ai l’odorat fin pour les sujets polémiques. Petite parenthèse définition:
Selon Wikipedia l’art se définit par une activité ou un truc qu’on fait (au sens produire) avec cette activité et qui a un lien avec les sens, les émotions. Il est ici mis en opposition à la nature (les trucs qui se font sans nous) et la science (connaître des trucs sans forcément faire des choses avec).
Dans le CNRTL on parle d’“ensemble de moyens, de procédés conscients par lesquels l'homme tend à une certaine fin, cherche à atteindre un certain résultat “, on y ajoute donc l’idée qu’il y a un but, une intention (on passera sur l’androcentrisme de la définition).
Re-selon Wikipedia, l’artisanat c’est en gros faire des produits ou des services grâce à un savoir-faire et quand le procédé n’est pas encore massifié ou industrialisé.
Et selon la rouquine, l’artisan est la personne qui pratique un métier manuel selon des normes traditionnelles.
Pas très clair tout ça… M’étonne pas que chacun-e y aille de sa propre définition, on est pas loin du “art is free”. Beaucoup de tentatives de définitions s’accordent tout de même pour dire que l’art est plus libre, plus lié à la créativité, à l’imaginaire, il se sert lui-même, l'œuvre et sa réalisation sont la finalité. C’est ce qui explique qu’on peut faire de l’art sans savoir “où on va” - c’est alors le “message” de l’artiste qui prévaut, il exprime quelque chose et raconte une histoire (Pierre Soulages disait, y paraît, « l’artisan sait toujours où il va, l’artiste, pas forcément »).
Dans l’artisanat, la création est cadrée, souvent rémunérée en amont par un-e commanditaire, et sa finalité est l’utilisation qui sera faite de l'œuvre une fois produite (ou du service une fois rendu), finalité qu’on avait anticipée et qui n’a pas nécessairement de rapport avec une expression purement personnelle de l’artisan. Dans ce cas, c’est plus une expression dirigée vers un but non choisi, une interprétation avec un savoir-faire technique et/ou esthétique ; l’artisan s’exprime mais raconte l’histoire que lea commanditaire veut entendre. En tant que photographe, je relève aussi cette distinction dans ma pratique.
Quand je fais le reportage photo d’un mariage ou de la représentation d’un binôme d’acrobates, je documente leur vie, je saisis des instants avec ma façon à moi de les voir, de les regarder, de figer des instants. Les photos vont raconter leur histoire de mon point de vue, avec ma technique et ma sensibilité. Je me considère comme artisan.
Quand je recherche des modèles pour collaborer sur un shooting à mon initiative, c’est que j’ai envie d’exprimer quelque chose, je veux que la photo raconte l’histoire que j’ai choisie. Les personnes qui collaborent, modèles, make-up artists etc… sont les artisans et moi je suis à la fois également un artisan et le commanditaire, et au final je peux me considérer comme artiste.
Dans l’art il y a en général un message, une intention. Un-e chorégraphe qui veut raconter une histoire à son public grâce aux mouvements qui accompagnent la musique, un-e danseur-euse qui veut faire passer une émotion en interprétant un personnage ou en incarnant littéralement la composition musicale (dans la danse contemporaine c'est particulièrement saillant), un-e créateur-ice de mode qui cherche à influencer l’esthétique de la société à travers le travail des tissus etc… Le but n’est pas juste de faire du beau, on cherche à provoquer plus que ça dans la tête du public. Donc à mon sens la principale différence entre l’art et l’artisanat vient de l’intention de raconter quelque chose, du fait que soit on travaille pour soi, soit on travaille pour l’autre. On peut bien sûr prétendre travailler pour l’autre et raconter une histoire qui ne concerne que nous, ou au contraire se dire qu’on fait de l’art en prétendant raconter quelque chose alors qu’en réalité tout l’intérêt de l’image vient de l’expression du message de la personne qu’on prends en photo (c’est souvent cette situation que je constate sur Insta) ; et dans ce cas il y a un problème d’honnêteté intellectuelle, les choses n’ont pas été correctement posées dès le début…
Cette grille de lecture peut tout à fait s’appliquer au shibari. Si on regarde les choses par ce biais-là, il y a finalement assez peu d’artistes. Dans certaines situations, je pense que Hajime Kinoko se raconte une histoire à lui-même en attachant des arbres, des rochers, des motos, il s’exprime et amène avec lui les photographes et personnes qui regardent (ou alors il est simplement en train de faire une prestation). Peut-être qu’Akechi Kanna ou Naka Akira essayent parfois de raconter des histoires dont ielles tirent les ficelles à leurs partenaires, ou au public présent dans la salle. C’est un shibari que j’aime énormément, et je sais qu’il a une place particulière dans le milieu kinky Japonais, certaines personnes en parlent d’ailleurs bien mieux que moi (d'où les "peut-être”, je reste humble quand à ma connaissance du sujet).
Dans d’autres situations, les mêmes bakushis vont suivre un scénario écrit pour être filmé devant la caméra avant d’intégrer les catalogues du porno industriel. Sur le tournage, il y a peut-être encore un peu de l’artiste, mais il y a sans doute aussi beaucoup de l’artisan-e.
Et dans l’intimité, on ne sait pas, mais il y a sans doute beaucoup plus à dire encore… En tout cas les deux approches, artistique et artisanale, peuvent se côtoyer, se frôler, et ça n’en est que plus intéressant. Mais là on parle des professionnel-les du kinbaku, je pense que la majorité des personnes qui font des cordes ne veulent pas être des artistes.
Moi, je ne veux pas souvent être un artiste. Ce que j’aime dans les cordes c’est que ça m’excite de voir une personne solidement attachée gémir dans ses liens, de prendre le contrôle et de chercher comment je peux aller provoquer ces gémissements qui m’intéressent et me titillent.
Si je veux trouver mon plaisir, je dois passer par l’étape qui vise à satisfaire l’autre, je dois me centrer sur ce qu’ielle aime, déteste, savoir ce qui est dans et hors limite. Je suis un artisan de son plaisir qui accepte une commande au moment où ielle sollicite une session, versus je suis le commanditaire d’une séance dont j’entend tirer du plaisir mais qui m’obligera pour y parvenir à travailler pour et sur la personne attachée (on ne peut pas y couper, sinon ça s’appelle un viol).
Cette façon d’attacher en étant centré sur l’univers kinky de l’autre, l’eros comme d’aucuns l’appelleraient et dont il est souvent question dans les émouvants récits des sessions de Yukimura Haruki, c’est de loin ce que je préfère. Et c’est surtout ce qui me paraît l’étape préliminaire à explorer avant de devenir capable d’exprimer par les cordes un truc digne d’intérêt, de s’exprimer en tant qu’artiste. Il faut beaucoup de travail et de savoir-faire pour être capable d’intégrer l’histoire que saon partenaire se raconte dans une histoire qu’on va se raconter à soi, ou la raconter à un public. Et c’est encore plus dur de capturer cette histoire pour l’élaborer et la raconter en retour à saon partenaire. Une sorte de meta-mise en abyme cérébrale… On peut regarder aux jeux olympiques un binôme qui danse sur la glace en réalisant des figures incroyablement difficiles, dans ce cas on mettra les lunettes de cellui qui cherche du spectaculaire, du sensationnel, et applaudira la performance. Mais on peut aussi, lors d’une rencontre d’amateur-ices éclairé-es qui dansent le tango, observer du coin de l’oeil un couple qui fusionne sur le parquet et vient nous arracher des larmes ; on aura ici chaussé les lunettes de l’émotion, de la sincérité, de l’authenticité.
J’aime la technique, et j’aime les performances circassiennes millimétrées des “shibaristes” en Europe ou aux USA qui performent dans des bars ou des clubs libertins. Mais ce que je préfère de loin c’est l’intimité de deux personnes brûlant de désir grâce à la corde qui caresse et qui empêche simultanément la caresse en retour, ce jeu de frustration et d’excitation qui peut parfois pointer le bout de son nez à des moments inattendus. Je suis mille fois plus heureux de payer pour voir ça que pour du shibari acrobatique.Même s’il y a parfois de l’émotion sur scène, je pense que c’est important de bien dissocier les deux approches, parce qu’elles ont des contextes et des objectifs différents.
Dans ma pratique j’ai vécu la majorité de ces moments de connexion avec la partenaire pour qui j’ai des sentiments et une relation très intense (ti adoro <3) , mais c’est aussi arrivé sans prévenir avec ce gars qui a bratté comme si sa vie en dépendait et a fini avec huit mètres de cordes autour du cou, ou avec cette jeune femme primale qui m’a presque transformé en animal sauvage il y a si longtemps lors d’une session où j’ai découvert ce qu’est la primalité.
En tant que spectateur, les fois où je vais avoir la larme à l'œil sont plus fréquentes en jam qu’en performance, et rares (très rares) sont les photos ou les vidéos qui vont vraiment susciter mon intérêt. Celles où je vais penser “c’est ça le shibari que j’aime vraiment”. Je suis assez perplexe face aux personnes qui se considèrent comme artistes parce qu’elles attachent un-e bottom en se focalisant sur l’esthétique (et en se contentant d’essayer de “rester safe” dans les interactions avec lea bottom parce que c’est politiquement correct aujourd’hui) et pour qui la photo est prise juste parce que plein de gens trouvent ça “beau” ou acrobatique (par anticipation le plus souvent, parce qu’on copie les autres et qu’on court derrière les likes).
S’il n’y a pas de message, pas d’intention visible, qu’on se contente de “waouh, la pose est trop belle”, est-ce que ça ne manque pas cruellement d’intérêt ?
Pas que je sois opposé à l’approche esthétique par principe, mais juste… Je ne crois pas que le shibari se résume à ça, et ça me paraît tellement dommage que le prétexte de populariser la pratique mène surtout à la ringardiser, parce que les photos qui racontent de chouettes histoires sont perdues au milieu d’un océan de clichés uniquement conçus pour être instagrammables et trouver sa dose de dopamine, pour activer les leviers de l’ego et du positionnement social. Ce qui me dérange c’est que ces personnes prétendent faire de l’art, et faire du shibari, alors que dans ma vision des choses ce n’est ni l’un ni l’autre. En espérant vous avoir convaincu de l’intérêt de cette vision binaire art versus artisanat, je peux revenir au sujet de base: pourquoi c’est un problème plus large de présenter le shibari comme un art ? Déjà je prends acte que ça peut se comprendre. Pour le shibari on a plutôt envie de parler d’art car il est associé à une certaine idée de noblesse, un travail sur des matériaux précieux qui révèlent leur potentiel en étant transformés par une personne qui cherche à exprimer quelque chose. Quand on pense à “artiste”, l’imaginaire collectif occidental va convoquer une personne en train de peindre, de sculpter, de composer de la musique, un vieil homme qui peint ou une femme qui danse (clichés, clichés, clichés)...
Si on parle d’”artisan-e”, on va plus facilement avoir en tête lea forcené-e qui se lève hyper tôt pour préparer le pain, pour assembler les parpaings ou pour réparer la fuite d’eau. L’artisan-e a une aura bien moins sexy, même si tout le monde respecte la compétence technique et la finesse du geste ça n’a pas la même place que celle des artistes dans nos sphères sociales. Petit aparté, artiste et artisan sont aujourd’hui associés à des statuts juridiques différents, l’artiste est libre et sa réussite est conditionnée à un mélange de talent et de chance pour percer et devenir célèbre, alors que l’artisan sera d’autant plus riche qu’ielle travaillera dur, obtenant ses gains à la sueur de son front. Autant dire qu’à moins d’adorer bosser dur (les masos capitalistes du fond, je vous ai vus, arrêtez de trépigner) c’est le premier point de vue qui remporte la plupart des mises, on rêve d’être artiste parce que ça paraît plus facile, et on sait que pour devenir artisan il faudra travailler dur (en tout cas le rapport à l'effort et à la rémunération espérée va dans ce sens). Le shibari est une pratique à connotation sexuelle de par son histoire et par la biologie (comme toutes les pratiques impliquant de la proximité des corps). Or vous ne diriez sans doute pas de la fellation, du cunnilingus ou de la golden shower que c’est un art ? Ou alors en parlant d’”art” vous pensez en réalité à autre chose (j’imagine tout à fait le genre de contexte dans lequel on peut parler d’”art de la fellation”) de plus proche de l’artisanat justement, et ça ne vous viendrait pas nécessairement à l’esprit que ces “arts” occupent la même place dans la société que les arts au sens strict, ceux qu’on trouve dans les musées. Quand vous parlez d’”art du cunni”, c’est dans une conversation au ton paillard, et où vous sentez rapidement s’il y a des personnes qui sont mal à l’aise. Le recours à l’humour sert souvent de carapace pour contrer le sentiment malaisant d’une conversation qui parle de nos intimités (et là on commence à toucher du doigt pourquoi c’est tellement compliqué).
Quand vous dites “art” dans ce contexte vous voulez sans doute faire référence à toute la technicité que peut nécessiter un rendez-vous intime avec Main Droite, au fait que ça demande un savoir-faire tout à fait comparable à celui qu’on obtient en maîtrisant une discipline comme le font les artistes et les artisan-es. C’est une situation où le terme joue le rôle de facteur de confusion, son usage classique admet la largesse de la définition. Mais ça pose problème quand on vient à parler d’une pratique aussi risquée que le shibari, parce que les trucs à la fois chargés sexuellement et risqués sur plus d’un point n’admettent pas une telle largesse, il en va de la sécurité des gens qui pratiquent. Petite expérience de pensée, en particulier pour les personnes qui ont débarqué dans les 2-3 dernières années. J’ignore si toi qui me lis tu avais cet arrière-plan sexualisé déjà présent au départ de ta pratique des cordes, si tu l’as toujours aujourd’hui - caché ou non -, ou s’il n’existe simplement pas chez toi. Essaye d’imaginer ce qu’il se serait passé si on t’avait parlé du shibari non pas comme d’un art stylé dont on fait des super photos sur Insta et des clips de musique, mais d’un genre de pratique extrême vachement dangereuse et potentiellement douloureuse, du bon gros BDSM pratiqué par une communauté sexuellement très libérée ? Est-ce que tu serais allé-e en jam ou faire ton premier shooting avec le même état d’esprit ?
Honnêtement je ne crois pas. Je pense que la manière de présenter les choses a son importance, et qu’elle influence énormément les trajectoires des personnes qui viennent creuser leur sillon dans le monde des cordes. Un autre problème avec le fait de parler d’”art du shibari”, c’est le fait que ça prépare le terrain pour des abuseur-euses de tous poils.
Si je parle de ça ce n’est pas seulement une essentialisation des mecs hétéros qui vont utiliser le combo shibari / shooting et donc corde et appareil photo comme des cannes à pêches et des nanas qui cèdent à l’injonction de sortir socialement du lot sur les réseaux, c’est aussi parce que je l’ai vécu.
J’ai été ce débutant maladroit qui se la pétait avec ses potes les plus proches en leur parlant de cet “art ancestral japonais que peu de gens pratiquent”. Celui qui a voulu initier des modèles parce qu’il avait trop peur de l’erreur et du regard d’une bottom expérimentée qui aurait vu en deux secondes les tensions approximatives et l’absence d’intention claire - alors que paradoxalement c’est la bottom avec moult expérience qui m’aurait le plus aidé à progresser.
Avec le recul que j’ai aujourd’hui, j’aurais aimé qu’on me présente les choses autrement, qu’on soit un peu plus ferme et précis dans la manière de m’accompagner dans mes gammes. J’ai eu de super profs, mais la dissonance cognitive était trop forte et mes insécurités de l’époque trop puissantes pour m’empêcher d’aller chercher ce shoot éphémère de confiance en moi en biaisant ma perception des moments de pratique au lieu de me focaliser sur le fond.
Quand j’ai assisté pour la première fois à une jam, je sortais d’une période où j’avais décidé de revendiquer une vision complètement désexualisée du bondage “western”. Je pensais sincèrement être capable d’attacher une personne sans forcément qu’il y ait de connotation sexuelle, et c’était vrai dans certaines situations. Mais déjà je n’étais plus honnête avec moi-même quand il s’agissait d’attacher des personnes qui me plaisaient, surtout physiquement. Là j’avais le cerveau en ébullition, et pas que le cerveau, même si je faisais tout pour me convaincre du contraire.
Et surtout le moteur de ma pratique, ce qui me faisait dépenser toute cette énergie pour organiser de petits ateliers, écrire des histoires, des tutos… C’était l’envie de rencontrer une partenaire avec qui je pourrais clairement passer la seconde, la fille que je pourrais baiser attachée (ou qui m’attacherait pour me baiser) avec son consentement, et qui en redemanderait derrière. Clairement, la partie était truquée d’avance. Il m’a fallu des années, et travailler sur moi et sur une compréhension plus éclairée de la société et du fonctionnement des tabous pour me sentir plus à l’aise avec ça. Aujourd’hui je n’ai plus peur de dire que je peux facilement bander dans les cordes, que ma bite reste dans mon pantalon si c’est convenu comme ça, et qu’il n’y a pas de raison que ça soit un problème tant que c’est consenti et pas caché. J’ai le sentiment d’avoir réconcilié ce que je ressens avec ce que je défends éthiquement et politiquement. Et spoiler, ça fait du bien… Je me rends compte aujourd’hui à quel point j’ai été vulnérable à la tentation d’utiliser cet ascendant de “sachant” pour abuser de mes partenaires. C’est pour ça que j’aimerais l’éviter aux autres, en leur suggérant de commencer par se mettre au clair avec leurs envies. Une autre raison qui pousse selon moi les débutant-es à préférer “se mettre à l’art des cordes” plutôt qu’à la “technique artisanale du shibari” ou à “une pratique BDSM japonaise” est la dimension préservative de l’ego. Quand on débute une nouvelle pratique, on est souvent tenté-es de se rapprocher des personnes qui débutent comme nous et moins enclin-es à échanger librement avec des personnes expertes (ou alors dans un cadre bien contrôlé), au risque de dire un truc faux au milieu de la conversation et de passer pour une quiche. En jam on est plus timides avec les grosses pointures qu’avec les personnes qui ont l’air de faire les mêmes bourdes que nous.
C’est aussi par facilité et pour flatter notre ego qu’on va mettre beaucoup d’énergie pour parler de notre nouvelle passion à des potes ou des proches qui n’y connaissent sans doute rien, le shibari venant tout juste de sortir des sous-sols humides du BDSM et donc pas encore très connu. Qu’il est plaisant d’expliquer le sens du terme “semenawa”, la différence entre "shibari" et "kinbaku" et de montrer le noeud de base à des gens qui vont nous voir comme un esprit libre et progressiste, n’est-ce pas ? Et ce qui est trop cool, c’est qu’on peut le faire même quand on a très peu d’expérience ! Dunning-Kruger, ou plutôt sa version simplifiée à outrance, passe par là… Dans ces situations utiliser le terme “art” est une sorte de bouclier protecteur, le même qui fait que quand Tata Ginette tombe sur une photo de vous à poil sur Insta ça peut virer au drame familial jusqu’à ce qu’elle voit que le post en question est celui d’un photographe spécialisé en “nu artistique” ; et là boum ! Ça passe magiquement (enfin presque, ça reste choquant, mais ça passe clairement mieux).
Grâce à cette entourloupe de vocabulaire, on catalogue d’entrée le shibari comme un truc symbole de liberté, où c’est l’esthétique qui compte et que tout le monde peut interpréter à sa sauce en slalomant entre les tabous (transfert de pouvoir, dimension érotique, sadisme/masochisme et jeux de douleurs, sexualisation des corps…). Sauf que ça a des conséquences, c’est comme ça qu’on en vient à trouver des tutos complètement pétés réalisés par des gens qui ont trois mois de pratique et qui font des milliers de vues, merci les algorithmes.
Utiliser les codes d’Instagram ou de Tiktok en faisant des photos de shibari esthétique avec des cordes colorées au soleil couchant sur une plage n’est pas anodin, ça véhicule une vision du shibari dans laquelle le risque et le sexe paraissent absents. On ne voit ni l’attache qui a pris du temps, ni les heures de travail pour acquérir le geste et le pattern, ni les fois où on est pas passé-es loin d’un radial qui aurait valu des semaines de soin et d’arrêt de travail. Les erreurs, le travail, l’intention qui nécessite un vrai investissement sont invisibilisés dans une bobine “reel” de 12 secondes. C’est pour cette raison que toutes les vidéos de Shibari Study commencent par un avertissement de sécurité, ce qu’on ne retrouve pas sur Insta.
Sur ce sujet, je suis tombé récemment sur un post qui l’explicite bien mieux que moi, et dont je vous livre (avec consentement de l'autrice) un extrait traduit:
“A propos de mensonge, mettons-nous d’accord sur un fait concernant la suspension: la plupart des bottoms mentent. Rien dans tout ça n’est confortable. Rien dans tout ça n’est chill. C’est juste qu’on s’y est habitué-es. On a passé des années de nos vies à nous entraîner à chercher comment accepter et trouver du sens dans la douleur et l’inconfort. L’expression que vous voyez sur nos visages n’est pas, souvent, le bonheur du confort et de la satisfaction. C’est de l’acceptation, de la tolérance, ou parfois juste le résultat de ce qu’on s’efforce de faire pour ne pas mourir…”
[...]
“Je ne suis pas du genre à blâmer les réseaux sociaux, je pense vraiment qu’ils sont à leur place et j’apprécie de recevoir des likes, des notifications tout autant que n’importe qui. Mais le fait que tant de contenus de cordes (une phrase qui me hérisse le poil, mais je digresse) se soient installés sur Instagram, une plate-forme vanille et désexualisée, a amené tout un tas de gens dans les cordes qui ne sont pas intéressés ou conscients du BDSM. Ces personnes regardent une photo de corde et pensent sans ironie que ça pourrait être marrant et confortable. Les bottoms pensent qu’il y a un truc qui cloche chez elleux si iel-les ressentent de la douleur ou de l’inconfort, ou préfèrent ne rien dire quand elles sont blessées.”
@hanawa
Post d’origine: a note on rope photo Avec ces mauvaises représentations, le risque est que les modèles se mettent du challenge, la photo finish de la suspension spectaculaire est vue comme un but et si le corps ne se plie pas de la bonne manière on finit déçu-e et on se dit qu’on est nul-le. Alors que dans l’image d’origine ce qu’on voit n’est qu’un tout petit bout de la réalité. Sans aller jusqu’au cliché de l’équipe technique qui se cache derrière le rideau pendant le shooting, toutes les personnes qui pratiquent la suspension et font des photos savent que bien souvent la pose ne tient pas aussi longtemps qu’on pourrait l’imaginer. Cet écart entre ce qu’on projette comme confort / sensations (a fortiori quand on a peu d’expérience) et ce qu’on vivra concrètement une fois en l’air du point de vue bottom c’est un peu le noeud du problème, et c’est pour ça qu’il faut en parler autrement, qu’il faut le montrer autrement. Et puis faire une jolie photo d’une posture spectaculaire c’est bien, mais ça ne me paraît pas être l’aspect le plus intéressant du shibari. Si vous voulez faire de l’art, pourquoi pas. Mais faites de l’art avec l’esthétique de la connexion, pas avec l’esthétique du corps.
Un témoignage (traduit et consenti lui aussi) pour illustrer jusqu’où ça peut dériver:
“L’une des pires expériences a été avec une personne qui m’a fait tenir la pose, et maintenir la corde fermement derrière mon dos pour qu’elle ne paraisse pas lâche sur la photo, et son ego et Fetlife étaient plus importants que mon plaisir ou même mon rôle dans ce moment. Certaines personnes auraient pu aimer ça, mais ça n’était pas mon cas, j’aime créer des liens avec des gens qui me voient et apprécient ce que j’apporte dans mon bottoming et ce sont des personnes avec qui je passe de très beaux moments, avec ou sans leurs cordes.”
@GentofChaos
Post d’origine: The problem with suspension photos on Fet (lisez-le aussi, il est super intéressant) Je n’ai pas de boule de cristal, mais en tant que militant ça me paraît risqué de laisser une grosse quantité de ces extraits policés et stéréotypés s’inscrire dans une société déjà minée par les tabous et les incohérences (comme le débordement dont je parlais plus haut, photos censurées façon kawaï qui finissent sur Fetlife). Sans parler de toutes les pseudo-sciences ou pratiques pseudo-médicales ou bien-être new age qui se déclinent en produits cosmétiques et en formations qui ruinent le portefeuille et la santé des victimes de ce système. Le shibari a aussi sa cohorte de charlatans qui prétendent soigner par les cordes en n’ayant aucun bagage sérieux derrière (ou le plus souvent en comm et marketing), ou en faire une pratique mystique couplée à un tas d’autres trucs qui peuvent causer de sérieux ennuis aux gens qui y croient. Comme beaucoup d’autres personnes j’aime m’inspirer de photos, vidéos ou dessins pour tenter de nouvelles choses avec mes partenaires. Mais quand une écrasante majorité des images est d’un niveau technique très bas, on risque de générer des accidents chez les personnes qui n’ont pas encore le réflexe d’adapter leurs attaches.
Je suis tombé par exemple sur ces très chouettes planches de Dame Delin (sur le groupe Facebook Neurshibari) qui est une artiste dont j’aime beaucoup le coup de crayon et l’intention, mais dont la manière de représenter les cordes sur les poignets pose évidemment un énorme problème si on souhaite s’en inspirer pour du réel.
https://drive.google.com/file/d/13v0Vp8DI3_6eTHlWpQbXinMKjLS4fWwE/view?usp=share_link
(Je poste ses images avec son consentement, elle a compris ma démarche et a même très gentiment proposé de m’envoyer des planches encrées de son travail, merci à elle ! ). Toute la bonne volonté du monde, le fait de vouloir se faire plaisir ou faire plaisir à l’autre n’exclut pas qu’il y a des risques individuels et collectifs, dont il faut à mon sens avoir conscience.
Je pense qu’il faudrait militer pour défaire les tabous, assumer le côté sexuel quand il existe individuellement et également l’héritage historique de la pratique. Et aussi penser à une forme de compensation: beaucoup de riggers et modèlent pratiquent à la fois un shibari “artistique” et un shibari plus kinky dans l’intimité, ne montrer que le premier ce n’est pas aider la société à être plus à l’aise avec ce qui nous motive au plus profond de nous, donc il faut aussi montrer un peu l’autre volet.
Et il y a urgence, vraiment, parce qu’on a atteint un niveau de surcouche remplie de clichés qui multiplie les situations où des gens viennent à trouver étonnant que le shibari puisse avoir une composante sexuelle. Comme cette personne qui se dit qu’en tant qu’art elle comprends le principe, ayant découvert les cordes via des dessins et des photos très cool, mais que pour faire du sexe (sous-entendu pénétratif, on voit aussi le lien avec d’autres problématiques) ça ne doit vraiment pas être pratique d’avoir un-e partenaire attaché-e avec des cordes.
C’est à mon sens un vrai souci que des personnes puissent passer par ce genre de chemin pour arriver aux cordes, ce chemin où il sera encore plus difficile d’installer un cadre safe. Je pense aussi qu’il est nécessaire de s’appliquer une forme d’éthique de l’image. A titre personnel je ne choisis pas au hasard ce que je “pousse” en avant par un commentaire ou un like, je peux liker des photos des potes pour les encourager, des photos de corps différents, des photos d’hommes bottoms et de femmes riggers.. J’hésite à liker quand j’ai un doute sur le consentement, ou que la technique me paraît bancale. J’ai fait ma popote interne, et vous devriez penser à faire la vôtre si ce n’est pas encore le cas (heureusement je sais que plein de gens ne m’ont pas attendu pour ça, force à elleux).
Peu importe comment vous choisissez de commenter ou liker, mais faites-le en tenant compte du fait que vous avez votre part de responsabilité en donnant à manger aux algorithmes de recommandation qui vont pousser des gens, des vrais, dans une direction ou dans une autre. Et ce que je propose, c’est de moins penser le shibari comme un art mais plutôt comme une sorte de sport extrême. Dit de cette manière ça peut paraître con mais si on pense par exemple au hooking, cette pratique qui consiste à utiliser des crochets en métal insérés sous la peau (et sans doute des muscles ou autre, je n’y connais rien) pour se suspendre ensuite dans les airs, est-ce que le premier mot qui vous viendrait pour en parler serait “art” ? Pourtant c’est un truc tout aussi kinky et même si c’est différent le niveau de risque est tout à fait comparable au shibari. L’esthétique est moins “flatteuse” que celle des cordes mais on y retrouve aussi le besoin de préparation, la possibilité de pratiquer seul ou un duo (avec ou sans transfert de pouvoir), la compétence technique, le subspace (hookspace ?)... J’aime aussi beaucoup cet aspect fascination un peu trash qu’on retrouve dans les performances de fakirs, on a toustes ce côté voyeur, qu’on ose ou pas regarder on peut kiffer cette dose de spectacle. Donc pourquoi ne pas présenter le shibari comme une pratique hyper chouette et fascinante mais qui reste risquée et ne s'improvise pas ? Le fameux “ne tentez pas de reproduire, ce numéro est réalisé par un-e professionnel-le” aurait toute sa place sur Tiktok. En pensant à la nécessité de faire de la prévention dans les communautés kinky, je vous invite à réfléchir à l’utilité de changer de point de vue et de vocabulaire en évoquant le shibari. Si après ça vous n’êtes pas convaincu-e que parler de shibari comme un art décale la manière dont votre interlocuteur-ice va recevoir l’info en la transférant depuis la sphère “tabou” (et la prudence qui va avec) vers la sphère “wahou (qui donne envie d’y aller sans trop penser aux conséquences) et que ça pose un problème, alors je suis curieux de lire vos arguments.
En tout cas pour ma part j’aimerais que les personnes qui se mettent au shibari le fassent parce qu’elles ont envie de s’ouvrir à de nouveaux types de sexualités alternatives et de sensations qui flirtent avec le kink, en ayant conscience des risques, et pas pour faire les mêmes jolies photos des profils que ces personnes followent sur insta. Une fois que des bases prudentes sont posées et un peu d’expérience accumulée, on peut aller dans la direction d’assumer un shibari désexualisé. J’aimerais vraiment que ça se passe comme ça pour plus de personnes, et je vais continuer à militer dans ce sens, à vous de voir si vous trouvez ça pertinent. Pour terminer, j’invite les personnes à découvrir ou re-découvrir cet article de @Zetsu sur Kinbaku Today (traduction dispo ici pour les non anglophones, même si je recommande la version originale), qui explique pourquoi retirer la composante érotique du shibari (ce qui arrive souvent lorsqu’on le cache derrière le mot “art”) revient à faire du mal au patrimoine historique de la pratique. Si les thèmes de la libération sexuelle et de la liberté vous tiennent à coeur, vous gagneriez sans doute à réfléchir à ce qu’il explique dans l’article.
Line vers l'article original sur FETLIFE https://fetlife.com/users/159400/posts  
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