Par Fatima Ezzahra Benomar :
"#MeToo a permis à la classe des femmes d'avoir une voix et de la porter massivement pour dénoncer haut et fort le secret de polichinelle des violences sexuelles et sexistes qui nous ont été infligées, à toutes, sans exception.
Or, si les femmes ont toutes subi, et même plusieurs fois chacune, du harcèlement sexuel, des agressions sexuelles ou des viols, il faut bien que des hommes, très nombreux, assez nombreux pour être nos collègues, nos amis, nos camarades, nos frères et nos pères, les aient commis et continuent à les commettre à l'encontre de nos amies, de nos soeurs, de nous-mêmes et d'autres nous-mêmes.
Il y a quelques mois, les hashtag #MeToo et #balanceTonPorc n'avaient pas eu le même accueil. Le premier a été toléré dans le débat public. Des victimes s'outaient, se mettaient en lumière, se risquaient sur le terrain des mots, se mettaient à nu dans des médias affamés, grand bien leur fasse ! On leur a gentiment reproché de se victimiser mais la polémique fut de bonne guerre, tribunes contre tribunes.
Le deuxième hashtag a été bien plus conspué car il désignait les coupables, et quels coupables ! La classe des hommes, c'est-à-dire la classe privilégiée du système patriarcal. Même pas besoin de balancer des noms pour que le geste soit insupportable. Une victime expiatoire a rapidement payé le prix de l'inadmissible transgression. Ce fut Caroline De Haas qui, sans donner de noms, a tout simplement affirmé cette évidence tue qu'ils étaient sans doute très, très nombreux.
Réjouissons-nous quand même ! Depuis #MeToo et #BalnceTonPorc, le secret de polichinelle du patriarcat est plus nu que jamais. On voit son ombre courir sur les murs et fuir devant les coups de projecteurs. Ça donne du coeur ! Le viol n'est plus un crime exceptionnel, mythifié, commis par des cassos, des punks à chiens, des crasseux, des alcoolos, des déglingos, des délinquants, des psychopathes, des migrants, des zombis et des loups-garous à la nuit tombée... c'est redevenu ce qu'il est, le crime ordinaire, le crime quotidien de la classe des hommes.
Nos amis, nos frères, nos collègues, nos camarades, nos visages familiers, furent les premiers à dire qu'eux étaient, pour le coup, des chics types et des mecs biens sous tous "rapports", au dessus de tous soupçons dans leurs costumes de ministres ou de syndicalistes, de cadres ou de papas. Certains sont même tombé des nues en rencontrant cette ombre, sur le mur, projecteur dans le dos, et en se rendant compte, en remuant les doigts, que c'était la leur. Alors ils ont balbutié qu'ils étaient en pleine zone grise, ce clair-obscur qui permet à l'ombre de jouer du flou et de la profondeur de champ, le temps de s'évanouir entre deux coups de phare.
Maintenant qu'on a dénoncé le viol, continuons de le politiser ! Le viol n'est pas un crime par hasard. C'est l'arme fatale des dominants, celle qui nous mate, pour certaines dès le plus jeune âge, c'est le coup de règle sur les doigts qui fait intégrer aux filles et aux femmes la leçon, qui sont les maitres du jeu, du monde, de la rue et du foyer, à qui on doit demander nos permissions de sortie, de tenue et de comportement pour ne pas mériter sa sanction, car les criminels seront toujours couverts par des codes sociaux qui leur trouveront bien assez de circonstances atténuantes, en miroir des circonstances aggravantes qu'ils réservent aux victimes.
Le viol, c'est avant tout le coup de matraque de la police patriarcale qui perpétue son ordre, si bien que d'autres polices, au service d'autres systèmes de domination, l'infligent aussi à d'autres catégories dominées, les jeunes noirs qui résistent, les gay, les trans ou les enfants.
Pour triompher au mépris de la loi qui prétend le condamner, le viol a besoin de croyances collectives régulièrement rabachées à travers tous les canaux de communication qui nous entourent, le mythe de la pute, de la salope, de la nympho, de la mytho, de l'hystéro, de la folle, de la conne, de la manipulatrice, de la sorcière, de l'Ève, bref la déshumanisation, l'animalisation, la folklorisation des femmes, tous ces terrains minés qui ont devancé nos pas embarrassés, nos attitudes piégées, notre apparence interprétée, ces mythes dont on devine bien qu'ils nous habillent de la tête au pied quels que soient nos efforts pour les prévenir et pour les faire mentir. Et pour cause ! Cela fait des siècles que le tapis rouge de ce champ symbolique est déroulé pour justifier tout ce que la loi criminalise et désavoue officiellement dans ses textes.
Ajouté à cela la dépendance économique, la mésestime de soi, les démonstrations de force que sont les violences conjugales, la terreur, le chantage, l'intimidation et les insultes qui remplissent des rôles tout aussi précis dans ce maintien de l'ordre, on ne peut plus douter qu'il n'y a pas d'issue féministe possible hors de sa radicalité. Et la radicalité commence tout simplement par le fait d'oser les bons mots sur nos réalités."
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