Bon, même si son ange a déjà dit mille choses que je pense en des termes à peu près similaires, je m'y colle aussi.
D'abord, comme j'aime bien être là où on ne m'attend pas forcément, je vais commencer par une affirmation qui fera son petit effet:
je suis viscéralement, profondément, définitivement élitiste.Je m'en suis expliqué dans les premières pages d'un sujet de forum que j'avais posté à mon arrivée ici:
http://www.bdsm.fr/forum/thread/98/la-place-du-verbe-dans-une-relation-d-s/En gros, j'y expliquais que je suis incapable de me soumettre à quelqu'un qui n'a pas une maitrise de la langue égale ou supérieure à la mienne. Quoique ce n'était pas le sujet à l'époque, je peux aujourd'hui également affirmer que je ne peux pas non plus dominer quelqu'un qui ne décode pas subtilement ce que je lui dis ou ordonne.
Bref, je suis élitiste de fait, mais en même temps, je ne cultive pas le sentiment d'appartenir à une élite: ce que je perçois comme mon
"niveau" d'expression, c'est ce qui est pour moi la norme moyenne, celle à laquelle m'a donné accès mon éducation, et que je partage avec les gens que je fréquente au quotidien. Si je pense "élite de la langue", je vais me tourner vers quelques écrivains ou diplomates dont j'admire une virtuosité stylistique très supérieure à mes modestes capacités.
L'élitisme, c'est également un des enjeux dont il est beaucoup question dans les problématiques d'accès à l'éducation. Il y a quelques temps, j'ai passé un diplôme d'enseignement dans mon domaine d'activité. Le jury ne s'y est pas trompé et à tout de suite démasqué mon élitisme réactionnaire : croyant aux vertus de l'erreur surmontée, je fais faire à mes élèves des exercices difficiles qui sont excluants puisqu'ils ne parviennent pas à les exécuter avec succès du premier coup...
Il se trouve que j'estime plus honnête de dire à un élève que son exercice est raté mais qu'il le réussira mieux la prochaine fois, plutôt que de lui dire qu'il a vraiment un talent merveilleux pour réinventer la consigne. Me voici donc rattrapé par mon élitisme galopant.
Pourtant, quoique en position de discerner ce qui est réussi de ce qui est raté, et incarnant sans doute l'élite aux yeux de ceux qui n'ont pas mon
niveau, je ne me sens pas non plus appartenir à une élite dans le domaine qui est le mien, parce qu'il y a également des gens
au dessus de moi, qui y excellent bien davantage que je ne pourrais le faire.
On pourrait multiplier les exemples à foison: il existe assurément des domaines de l'existence qui mettent en jeu des savoirs faires et des techniques évaluables, et où on peut identifier des personnes d'exception qui en sont l'élite parce qu'elles ont le meilleur niveau. C'est évidemment le cas dans le sport de haut niveau, qui est un domaine particulièrement élitiste, sur lequel j'ai des vues incontestablement élitiste.
Pour débattre de l'élitisme dans le bdsm, il me semble donc incontournable d'aborder la question suivante:
qu'est-ce qu'un niveau, en bdsm?Sur ce, une petite pause avec quelques observations en vrac:
- Le bdsm n'est pas un sport (il n'y a d'ailleurs pas de compétition normée de bdsm, pas de fédération française ni internationale pour en définir les modalités).
- Le bdsm n'est pas le fruit d'une éducation ou d'un cursus sanctionnée par un diplôme.
- Le bdsm peut mettre en jeu des pratiques très techniques demandant l'acquisition de savoir-faire spécifiques, mais peut également s'en passer et se développer dans des aspects peu techniques.
- Dans le sport (et aussi dans la musique, comme dans plein d'autres domaines), une longue pratique (même de plusieurs année) ne garantit pas nécessairement un bon niveau et une haute technicité (il y a d'éternels débutants qui se font plaisir longtemps avec un bagage technique minimal).
- L'élite d'une discipline ne s'autoproclame pas d'elle même sur la base de son expérience, mais elle est reconnue par des tiers qui s'estiment généralement incapables de réaliser eux-même ce que réalise précisément l'élite.
Mais revenons à la question...
Pour définir un niveau en bdsm qui permettrait de désigner une élite, et le cas échéant d'appartenir à cette élite, il faudrait donc disposer de modalités d'évaluation crédibles et sérieuses des différentes techniques. Fantasmons un peu: on pourrait même imaginer un cursus diplômant avec des unités de valeurs à valider (Bondage, single tail, aiguilles, sécurité...). le jury serait constitué de l'élite de chaque discipline et décernerait les UV à chaque prétendant en fonction de ses compétence, jusqu'à validation complète du diplôme d'appartenance à la véritable élite du vrai bdsm.
Sauf que —faut-il le rappeler?— le bdsm n'est pas une technique, c'est une sexualité.
Dans ce cas, ne faut-il pas repenser les critères de niveau ? Par exemple, être d'un bon niveau en bdsm, n'est-ce pas simplement donner du plaisir à son/sa/ses partenaire-jury ? On mesure ça au nombre d'orgasmes obtenu sur un laps de temps donné ? On pourra louer les services d'une simulatrice pour avoir une meilleure note ? Restera encore la question de l'évaluation qualitative comme quantitative des sentiments amoureux échangés...
Dans ce cas, être d'un bon niveau en bdsm demande en fait les mêmes qualités que celle d'un/e bon/ne amant/e dans n'importe quelle sexualité, même vanille: des capacités d'écoute, d'attention à l'autre, et une forme d'intelligence du désir de l'autre. Pour l'élitisme, on repassera, parce que la sexualité, ça résiste plutôt bien aux grilles d'évaluations techniques.
Et puis la sexualité, c'est quand même un truc vachement universel, non? Parce que tout le monde a une sexualité, même celles et ceux qui n'ont pas d'activité sexuelle, si. Et de plus, dans toute la palette de directions érotiques offertes par le bdsm (fétichisme de l'autorité, fétichisme de la douleur, fétichisme de la contrainte), il y en a quand même pour tous les goûts. De cela aussi j'avais tenté de parler dans un vieux sujet du forum, ici:
http://www.bdsm.fr/forum/thread/103/tendances-bdsm-o%C3%B9-se-situer/Bien que le bdsm en tant que sigle envisagé dans sa globalité soit considéré comme une sexualité minoritaire, je suis persuadé qu'il est exceptionnel que quelqu'un ait une sexualité parfaitement exempte d'aspects bdsm. D'ailleurs, des "purs vanilles" absolument rétifs à toutes les dimensions du bdsm, je ne suis même pas sûr que ça existe, en tout cas je n'en ai jamais rencontré.
Du coup, il me semble possible de reconnaitre une élite pour certains aspects techniques du bdsm: on connait aujourd'hui très bien les encordeurs et encordeuses qui maitrisent leur sujet, les experts et expertes en maniement ou en fabrication du fouet... Il s'agit de gens qui ont développé des compétences techniques spécifiques et qui s'emploient à les partager et à les transmettre. Ceux-là sont l'élite —si ce n'est du bdsm— du moins de leur pratique spécifique.
Pour le reste, en vertu de la non-mélangeabilité des torchons et des serviettes, il est impossible de dire que A qui commence le fouet est moins bon que B qui fait le même bondage depuis vingt ans ou meilleur que C qui n'a jamais surmonté sa peur de la cire de bougie mais encaisse incroyablement la badine. On ne peut pas non plus dire que D qui jouit de son premier fist est moins bonne que E qui jouit de son millième. Quoique ce soit tentant, il ne me viendrait pas non plus à l'idée de faire valoir que je suis très supérieur à G, virtuose du fouet, au prétexte que j'ai le cul plus dilaté... Etre pratiquant (même depuis longtemps, même en maitrisant des aspects techniques) ne définit en rien l'appartenance à une élite parce que le bdsm n'est pas autre chose qu'une sexualité, et que l'élite de la sexualité (bdsm ou vanille, c'est pareil), c'est juste celle qui prend son pied.
Et c'est quand même super prétentieux de croire qu'on le prend mieux que les autres (qui forcément n'y connaissent rien, bien sûr!). Se targuer d'appartenir à une élite parce qu'on fait du bdsm et qu'on est persuadé d'en savoir plus que les autres, c'est se glorifier à peu de frais d'un sentiment gratifiant et bon pour l'égo, mais c'est aussi se méprendre sur ce que les gens savent, c'est finalement comme être super fier de savoir faire ses lacets (parce que oui, savoir faire ses lacets, c'est aussi appartenir à une élite).
Allons, puisque je suis élitiste jusqu'au bout des ongles et que c'est si bon pour le moral: hourah! Vive l'élitisme grâce auquel je me sens si fort et si supérieur à la masse grouillante et larvaire de celles et ceux qui ne savent pas nouer leurs lacets (j'ai 40 ans d'expérience, moi!), et que je peux encore regarder de haut, de très haut!