Contrairement à ce qui s'énonce ici et là, je suis persuadé qu'il existe presque autant de manières de faire du bdsm qu'il y a de pratiquants, et les lignes qui suivent tenteront de le démontrer.
L'acronyme repose sur trois pôle: SM ou le fétichisme de la douleur, D/s ou le fétichisme de l'autorité, BD ou le fétichisme de la contrainte. Si quelques rares "spécialistes" habitent l'un de ces pôles sans jamais visiter les deux autres, le plus souvent nous faisons un mélange des trois dans des proportions diverses.
Mais ce triangle n'offre pas encore une représentation assez précise car à l'intérieur de chacun de ces pôles, il existe encore des tendances qui peuvent être plus ou moins opposées ou complémentaires, ou qui assurément n'ont pas les mêmes finalités. Je voudrais tenter ici d'en esquisser brièvement les contours.
- Dans le fétichisme de la douleur, on peut distinguer un SM "de sentations" d'un SM "d'émotions". Le premier est par définition superficiel, puisqu'il consiste à jouer sur les sens. Il commence avec la fessée des débutants en vanille épicée, et se prête bien au jeu avec des inconnus, parce que —même intense— il n'engage pas profondément celles et ceux qui s'y adonnent. La douleur y est souvent conduite de pair avec la recherche de plaisir. Le second n'est accessible a priori qu'à des pratiquants qui se connaissent suffisamment pour ne pas redouter ce qui va sortir, puisqu'il s'agit d'aller toucher des limites pour y trouver des émotions: la colère, la peur, la révolte (et plein d'autre choses plus ou moins incontrôlées) peuvent être au rendez-vous... Cela demande une confiance réciproque entre les deux protagonistes. Cette confiance ne peut exister qu'à partir du moment ou la partie dominante est aussi bienveillante que déterminée dans son sadisme (car il ne s'agit pas de laisser le/la maso en plan à mi-chemin dans ce voyage).
- Dans le fétichisme de l'autorité, on peut opposer une D/s "d'éducation" et une D/s "de libération", qui ont toute deux des finalités presques opposées. La première inscrit la partie dominante dans un registre de pygmalion qui façonne sa créature en l'éduquant. Elle peut avoir recours à toutes les méthodes d'éducation coercitive, au premier rang desquelles se trouvent l'humiliation et la punition, éventuellement l'infantilisation. La seconde tendance réfute toute vélléité éducative: il s'agit au contraire de libérer la partie soumise de son carcan socialement acceptable, de faire exister sa part non-normée, bref de la "déséduquer" en la révélant à elle-même. Paradoxalement, les "déséducateurs" peuvent se sentir proches de celles et ceux qui préfèrent la notion de dressage à celle d'éducation, en ce sens que ces dernier s'adressent également à la part animale de leurs soumis(e), et à ce titre ne considèrent pas particulièrement qu'ils agissent sur le mode de l'humiliation. Là encore, ce qui distinguera un bdsm éclairé d'une relation pathologique ou vouée à l'échec, c'est la dose de bienveillance et de conscience responsable dans la dominance, et l'autorité y est avant tout une autorité de compétence.
- Enfin, dans le fétichisme de la contrainte, on peut distinguer ce qui ressort de la "contrainte fonctionelle" et de la "contrainte symbolique ou esthétique". Appliqué au bondage, la première version a une finalité matérielle très précise: immobiliser sa victime dans le cadre d'une séance sm. Mais cette contrainte devient symbolique dès lors qu'elle sert à libérer la partie soumise de la tentation du mouvement dans un cadre D/s, ou esthétique dès lors qu'elle est pratiquée pour elle-même, en dehors d'un objectif D/s ou SM.
Il faudrait enfin mentionner un dernier point de clivage, qui excède le cadre de l'acronyme: la place du sexe. Si on admet que le bdsm est une forme de sexualité, alors tout rapport bdsm est une forme de rapport sexuel. Il semble donc plus précis de distinguer celles et ceux qui n'envisagent pas leur bdsm sans rapport sexuel génital et jouissance au sens traditionnel du terme, et celles et ceux qui considèrent que ces rapports sexuels génitaux n'ont pas leur place dans la sexualité bdsm.
On aurait par ailleurs tort d'opposer le SM dans sa dimension physique à la D/s dans sa dimension cérébrale: ce ne serait là que simplification résultant de l'héritage judéo-chrétien occidental visant à séparer la chair et l'esprit. Il existe bel et bien un SM cérébral et mental, autant qu'une D/s très physique: le pet-play sans violence en est un parfait exemple, où le corps des "animalisés" à 4 pattes peut être mis à rude épreuve. Bref, SM et D/s ne sont pas à opposer, et s'intègrent dans une perspective globale chez les pratiquants.
Partant de ce constat de multiplicité des formes d'expression du bdsm de chacun, il parait évident que celles et ceux qui affirment que le bdsm c'est comme-ci ou comme-ça, qui parlent des qualités du bon soumis ou du vrai Maître sont au mieux des pratiquants (ou des fantasmeurs) qui ne voient pas plus loin que le bout de leur martinet, au pire des escrocs manipulateurs. Le/la bon(ne) soumis(e), c'est celui/celle qui a rencontré le/la Maître(sse) dont la dominance lui convient. Et réciproquement.
J'irai même plus loin: il n'y a pas de "vrai" ou de "faux" bdsm: ce qui est bdsm, c'est ce qui est vécu comme tel par les gens qui le pratiquent, quelles que soient les formes mises en oeuvre.
De mon coté, je savoure les deux dimensions du SM (sensations comme émotions), et je n'envisage la D/s que comme un mal nécessaire: il faut bien que quelqu'un tienne les rennes. Mais je m'inscris en faux contre toute démarche éducative, punitive, humiliante: ce ne sont pas des choses que j'ai envie de voir surgir dans ma sexualité. La D/s ne doit servir pour moi qu'à révéler et libérer, par un processus de déséducation. J'utilise la contrainte comme lien (avec et sans jeux de mot) entre mon SM et ma D/s. Enfin, je peux jouir sans rapports génitaux, mais j'aime bien ça quand même: c'est que je suis un switch gourmand de la pire espèce...
Et vous, où vous situez-vous dans tout cela? Quel est votre bdsm?