La jeune femme n'avait jamais compris, mais fini par reconnaître, pour une vérité indéniable, et importante, l'enchevêtrement contradictoire et constant de ses sentiments: elle aimait être fouettée et semblait se satisfaire que le supplice soit de plus en plus cruel et plus long. Même si parfois, elle aurait trahi le monde entier pour s'y soustraire tant le sadisme de sa Maîtresse s'intensifiait. La dernière séance que lui avait imposée Juliette lui revenait en mémoire par flashes. Elle revivait surtout le moment où elle avait dû retrousser sa jupe. Dès cet instant, elle avait commencé à éprouver du plaisir. Un plaisir que la punition face au coin, la culotte baissée, les poses obscènes, jusqu'à la tentative de baiser de sa Maîtresse n'avaient fait qu'accroître après avoir été martyrisée. Bien sûr, elle avait eu peur. Bien sûr, elle avait eu honte. Bien sûr, elle avait pleuré. Et pourtant, le désir l'avait toujours emporté. Elle avait passé plus d'une heure à trouver une tenue sans arriver à se décider. Toutes celles qu'elle portait d'habitude lui semblaient si classiques. Juliette aimait la provocation jusqu'à oser ce qu'il y avait de plus sexy ou d'aguicheur. Elle possédait l'art de la composition et savait assortir avec goût les éléments les plus disparates. Elle osait, au moins elle osait. Elle arriva finalement sans retard à leur rendez-vous. Elle avait décidé de faire quelques courses en centre ville. Charlotte dévala quatre à quatre les escaliers du glacier. Raide au volant de sa voiture allemande, Juliette ne lui jeta même pas un regard. Elles roulèrent sans se parler. Elle conduisait sa voiture à travers la circulation avec son autorité naturelle. À coté d'elle, Charlotte ne savait pas comment se tenir et gardait le visage tourné vers la vitre. Où allaient-elles ? Juliette n'avait même pas répondu àla question. Elle flottait entre inquiétude et excitation, ivresse et émoi. À l'extérieur ne défilaient que des silhouettes floues, échappées d'un mirage. Cette fois, elle savait que l'univers parallèle qu'elle s'était tant de fois décrit en secret était tout proche, enfin accessible. La réalité peu à peu s'effaçait. À tout moment, elle s'attendait à ce que la main de sa Maîtresse se pose sur sa cuisse. Une main douce glissant sa caresse sur le satin de sa peau. Ou une main dure au contraire, agrippée à son corps. N'importe quel contact lui aurait plu, mais rien ne se passa. Indifférente à la tension de Charlotte, aux imperceptibles mouvements que faisaient celle-ci pour l'inviter à violer son territoire, à ces cuisses bronzées que découvraient hardiment une minijupe soigneusement choisie, Juliette ne semblait absorbée que parles embarras du trafic. Enfin, elle gara sa voiture devant la plus célèbre bijouterie de la ville et fit signe à Charlotte de descendre. Toujours sans dire un mot, elle la prit par le bras et lui ouvrit la porte du magasin. Comme si on l'attendait, une vendeuse s'avança vers elle, un plateau de velours noir à la main et leur adressa un sourire un peu forcé. Sur le plateau étaient alignés deux anneaux d'or qui étincelaient dans la lumière diffuse de la boutique.
- "Ces anneaux d'or sont pour toi, chuchota Juliette à son oreille. Tu serais infibulée. Je veux que tu portes ces anneaux aux lèvres de ton sexe, aussi longtemps que je le souhaiterai."
La jeune femme ébahie accueillit alors cette déclaration avec émotion. On lui avait enseigné que dans les coutumes du sadomasochisme, la pose des anneaux était une sorte de consécration réservée aux esclaves et aux soumises aimées. C'était une sorte de mariage civil réservé à l'élite d'une religion qui professait l'amour d'une façon peut-être insolite, mais intense. Il lui tardait à présent d'être infibulée, mais sa Maîtresse décida que la cérémonie n'aurait lieu que deux semaines plus tard. Cela illustrait parfaitement la personnalité complexe de Juliette. Quand elle accordait un bonheur, elle le lui faisait longtemps désirer. Le jour tant attendu arriva. On la fit allonger sur une table recouverte d'un tissu en coton rouge. Dans la situation où elle se trouvait, la couleur donnait une évidente solennité au sacrifice qui allait être célébré sur cet autel. On lui expliqua que le plus long était de poser les agrafes pour suturer l'épiderme du dessus et la muqueuse du dessous. Un des lobes de ses lèvres serait percé, dans le milieu de sa longueur et à sa base. Elle ne serait pas endormie, cela ne durerait pas longtemps, et serait beaucoup moins dur que le fouet. Elle serait attachée seulement un peu plus que d'habitude. Et puis tout alla très vite, on lui écarta les cuisses, ses poignets et ses chevilles furent liés aux pieds de la table. On transperça l'un après l'autre le coté gauche et le coté droit de ses nymphes. Les deux anneaux coulissèrent sans difficulté et la brûlure s'estompa. Charlotte se sentit libérée,alors même qu'elle venait d'être marquée pour signifier qu'elle appartenait à une seule femme, sa Maîtresse. Alors Juliette lui prit la main droite et l'embrassa. Elle ferma les yeux pour apprécier plus intensément encore cet instant de complicité. Ses yeux s'embuèrent de larmes, d'émotion, de joie et de fierté. Personne ne pouvait comprendre l'authenticité de son bonheur. Elles allèrent à La Coupole fêter la cérémonie. Leur entrée dans la brasserie fit sensation. Juliette la tenait en laisse le plus naturellement du monde. Le collier en cuir noir enserrait le cou de Charlotte au maximum. Sa Maîtressse exigeait qu'elle le porte ainsi tous les jours. Un serveur apporta une bouteille de Ruinart. La jeune femme ainsi asservie sortit alors de son body transparent les billets qu'elle tendit au garçon littéralement fasciné par le décolleté qui ne cachait rien de ses seins. Les voisins de table les épiaient plus ou moins discrètement. Ils n'avaient sans doute jamais vu auparavant une jeune fille tenue ainsi en laisse par une femme, attachée au pied de la table, payant le champagne à ses amis. Elles sortirent d'une façon encore plus spectaculaire. Aussitôt passé le seuil, Juliette l'obligea à rejoindre, à quatre pattes, la voiture laissée en stationnement juste devant la porte de la brasserie.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.