"Il aimait entendre leurs gémissements se confondre avec leurs cris de douleur ou de plaisir, et l’épuisement de celles qui n’en peuvent plus, mais qui se donneront, encore et encore pour lui, malgré les muscles tétanisés, malgré cette sensation de ne plus pouvoir faire un geste de plus. Il aimait faire durer, les amener là où elles n’étaient jamais allées, plus longtemps qu’elles ne l’avaient jamais connu. Et lorsqu'elles pensaient qu’il allait enfin jouir, il aimait se retirer violemment pour prendre leurs bouches, s’y enfoncer aussi loin que possible, jamais assez loin, pour leurs prendre leurs dernières forces. Il attendait de sentir poindre les dernières limites, leurs derniers soubresauts d’énergie, et alors, il donnait les derniers coups de martinet ou de cravache en même temps qu'il jouissait, enfin, d’un plaisir sans pareil, inondant leurs bouches de son sperme". (Marquée au fer- Eva Delambre) "
L’esclave, anciennement libre de sa propre personne, accepte et établit qu’il veut et a l’intention de se livrer ainsi complètement entre les mains de son Maître. Le Maître accepte et établit alors qu’Il veut et a l’intention de prendre possession de l’esclave. Par signature de ce contrat d’esclavage, il est convenu que l’esclave donne tous les droits sur sa propre personne, et que le Maître prend entièrement possession de l’esclave comme propriété". Le corps est le premier et le plus naturel des instruments de l’homme. Mais le corps cristallise également l’idée de "personne", l’idée du "moi". Toutefois, la "catégorie du moi", le "culte du moi" ou le respect du moi et celui des autres sont des concepts récents. La persona latine désigne le masque tant tragique que rituel ou ancestral. Cependant, les sociétés latines ont fait de la personne bien plus qu’un fait d’organisation, bien plus qu’un nom ou un droit à un personnage et un masque rituel, elles l’ont érigée en fait fondamental du droit. Les pratiques sadomasochistes sont aujourd'hui devenues moins taboues. Elles peuvent agrémenter l'imaginaire voire, sous une forme consentie et sécurisée, pimenter la sexualité des individus. Si les modes d'entrée dans l'univers du sadomasochisme sont variables, par le biais d'un partenaire, d'une curiosité pour une pratique à la mode, la plupart des adeptes disent avoir toujours été attirés par la soumission ou la domination. La première expérience est vécue comme une initiation, qui permet le réajustement entre les fantasmes initiaux, très violents et extrêmes, et la réalité de la relation sadomasochiste, encadrée par des limites précises. Dans le sadomasochisme, une grande importance est accordée aux décors, aux lieux, aux accessoires utilisés, qui concourent à une forme de théâtralisation des pratiques. Les mises en scène et les scenarii sont d'une grande importance, tout comme l'esthétisme. Porter un certain type de tenue est un des nombreux codes qui placent les individus dans des rôles hiérarchisés, admis et choisis. Les humiliations et les douleurs infligées n'existent que pour les confirmer. L'univers sadomasochiste est fait de règles strictes, censées garantir la sécurité et le bon déroulement des pratiques en interdisant les débordements. Par conséquent, c’est d’abord à partir de la "personne" que l’on va déterminer ce qui est permis ou non et la "persona" va devenir une individualité qu’il faut respecter. Seul l’esclave n’a pas droit à la "persona" "parce qu’il n’a pas de corps, pas d’ancêtres, de nom, de biens propres". Ce type de droit se rattache aussi à la notion de territoire et est entendu comme titre de possession, de contrôle, d’usage ou de libre disposition d’un bien. La propriété, c’est-à-dire le fait d’user, de jouir et de disposer d’une chose d’une manière absolue et exclusive, se trouve en effet au centre de l’organisation sociale qui devient un subtil agencement de territoires. À ce titre, le corps, avant d’être le premier et le plus naturel des instruments de la femme ou de l’homme, est avant tout le premier bien dont elle ou il dispose.
"Il prenait son rythme. Souvent rapide, violent même. Il aimait le sexe quand il était intense, brutal quand les corps se mettaient à transpirer, quand les respirations se faisaient rapides, quand l’effort physique était à son comble. Il aimait sentir l’épuisement de ses partenaires, les sentir à bout de souffle, à bout de force. Il aimait les tourner et les retourner comme des poupées de chiffon, et sentir leurs cœurs palpiter comme jamais". S’il va de soi, dans nos sociétés occidentales contemporaines, que l’individu est une personne qui possède un corps et que ce fait lui ouvre des droits fondamentaux et immuables, comme le respect de soi et celui des autres, mais aussi respect du corps et de ses "territoires", qu’advient-il lorsqu’une pratique sociale remet en cause ces principes ? Cela est le cas des pratiques sexuelles sadomasochistes nommées aujourd’hui BDSM. En effet, elles se présentent comme des pratiques sexuelles ludiques qui ne cessent de jouer avec les concepts de propriété et de pouvoir. Il semblerait à première vue que des individus se soumettent à d’autres individus de leur plein gré, les premiers confiant leur corps aux seconds qui les dominent. Mais qu’en est-il exactement ? À quoi consentent véritablement ceux qui se soumettent ? Qu’acceptent-ils de concéder de leur personne ? Et que s’approprient les personnes qui dominent ? Le sadomasochisme peut se définir comme une relation particulière dans laquelle les individus s’engagent dans une interaction dominant/dominé, le savent, font référence à un certain nombre de représentations, et le disent. Ce qui signifie que la relation sadomasochiste est une relation consentante, négociée, contractualisée, mais qui se complexifie, en réalité, en se doublant d’un comportement particulier, appelle masochisme ou sadisme. En effet, le BDSM intègre alors une dimension éthique. Les pratiques se basent ainsi sur l’acronyme SSC (sain, sûr, consensuel). Elles reposent donc sur un dispositif de réglementations et de codifications qui interdit ainsi tout débordement. Définir le sadomasochisme comme une relation entre deux ou plusieurs individus pose toute la complexité du problème de la propriété. Dans ces jeux de rôle ritualisés, le dominant, pour un temps donné, domine son partenaire. Cependant, les limites sont fixées à l’avance, et à tout moment il est possible, pour la personne dominée, d’arrêter la séance (safeword). Il n’en reste pas moins que les fantasmes à l’origine de ces pratiques sont guidés par le souhait de s’abandonner à l’autre (lâcher-prise) ou d’en prendre possession.
"Je regardai mon Maître, l’esprit encore troublé par tout ce qui s’était passé durant ce week-end complètement insolite. Peu de gens auraient pu me comprendre, mais je l’aimais de plus en plus. J’aimais sa façon de m’obliger à dépasser mes limites, à me pousser toujours plus loin, à me remettre en question sur ce que je voulais. Avec lui, je n’avais aucun répit, aucune certitude sur ce que j’allais vivre le lendemain, il n’y avait ni routine, ni ennui". Mais qu’est-ce que cela signifie exactement ? S’agit-il de prendre possession du corps de l’autre ? de sa volonté ? de sa liberté ? Si la négociation des fantasmes permet de connaître les goûts et les désirs du partenaire, les contrats nous renseignent bien plus sur l’enjeu des relations BDSM. Les contrats sont, en effet, une convention par laquelle un ou plusieurs individus s’obligent, mutuellement, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose. Parfois écrits, ils peuvent être aussi tacites. La contractualisation occupe alors une place importante dans les relations BDSM et possède un caractère transgressif. Elle échappe, en effet, à tout contrôle institutionnel. Dès lors, qu’ils soient écrits ou non, les contrats s’apparentent surtout à des pactes qui sont des conventions solennelles entre deux ou plusieurs individus. Ce qui signifie que la caractéristique des relations BDSM n’est donc en rien l’invention d’un espace où tout serait permis, mais au contraire la création d’un territoire savamment limité et réglementé, d’autant plus fragile qu’à tout moment les règles peuvent être transgressées. Le plus célèbre des contrats est sans nul doute celui qui lie Sacher-Masoch à Mme Dunajew. Ainsi Séverin s’engage-t-il, sur sa parole d’honneur, à être l’esclave de Mme Wanda Dunajew aux conditions qu’elle demande et à se soumettre sans résistance à tout ce qu’elle lui imposera. Les pratiquants BDSM affectionnent ce type de contrat qui stipule des règles précises à respecter et énonce les statuts des uns et des autres. Dans ce contexte, l’individu devient "esclave", non pas parce que cet état est inscrit dans sa "nature" mais parce qu’il le désire. En outre, il devient "esclave" non pas parce qu’il n’a pas de biens propres, de nom ou de corps. Il le devient justement parce qu’il a un corps et que ce corps lui appartient, ou est censé lui appartenir. Le dominant "prend possession" de lui et il devient ainsi sa "propriété". Dès lors, le rôle de l’esclave est défini. L’"esclave" accepte d’obéir et de se soumettre complètement à son Maître en toutes choses. Il n’y a aucun endroit, instant ou situation dans lequel l’esclave pourrait refuser d’obéir à un ordre ou une directive du Maître, excepté dans la situation où le droit de veto ou safeword s’applique.
"Je me frottai à lui et sentis son sexe dur contre mon ventre. Comme j’aimais son corps contre le mien. J’avais tellement envie de lui, de son sexe. Je glissai mes mains dans son boxer et le caressai, il gémit tout de suite mais retira ma main. Il s’allongea et je vins le prendre dans ma bouche". L’"esclave" accepte aussi par signature de ce contrat d’esclavage que son corps appartienne au Maître qui en usera comme bon lui semble. L’"esclave" accepte de plaire à son Maître au mieux de ses possibilités, étant entendu qu’il n’existe que pour le plaisir de son Maître. L’"esclave" accepte aussi par signature de ce contrat d’esclavage que son corps appartienne au Maître qui en usera comme bon lui semble. En ce sens, les pratiques BDSM sont transgressives car elles remettent en cause la notion même de personne en tant que fait fondamental du droit, c’est-à-dire qu’elles remettent en cause la liberté de jouir de sa propre personne. Cependant, c’est oublier que nous sommes dans le cadre d’un jeu, plus exactement, dans une "modalisation". C’est-à-dire que la relation BDSM prend pour modèle l’esclavage mais lui accorde un sens tout à fait différent. Ainsi, si le contrat stipule que le Maître prend entièrement possession de l’esclave comme propriété, il précise également que, si l’"esclave" considère qu’un ordre ou une punition va nettement au-delà de ses limites, il peut faire usage d’un mot de passe convenu avec le Maître (safeword) pour stopper immédiatement une action ou une punition". De même, l’"esclave" peut user d’un mot de veto convenu avec son Maître pour refuser un ordre qui mettrait en péril sa vie professionnelle ou son intégrité physique. La négociation des fantasmes permet toujours de fixer des limites, des frontières à ne pas dépasser. Le contrat BDSM a pour fonction de préciser que l’on ne se situe surtout pas dans une véritable relation de sadomasochisme au sens classique du terme. En effet, Freud définit ainsi le sadomasochisme comme le désir de faire souffrir l’objet sexuel ou le désir de se faire souffrir soi-même et considère que le sadisme est le complément du masochisme. Deleuze apporte une nuance en précisant que le masochisme n’est en rien le complément du sadisme. Il est pour lui inconcevable qu’un sadique accepte que la personne qu’il domine tire un quelconque plaisir de sa domination. Inversement, le véritable masochiste ne cherche pas une personne sadique. Sadique et masochiste appartiennent ainsi à deux univers différents qui ne se croisent pas. Les théories évoluent en fonction des opinions doctrinales mais les fantasmes demeurent heureusement. En réalité, dans l’univers BDSM, le contrat d’esclavage n’est qu’un simulacre dans le sens où masochisme et sadisme ne s’y rencontrent jamais à l’état pur. Des individus acceptent néanmoins, pour un temps donné, d’endosser le rôle du sadique ou celui du masochiste. Ils peuvent même inverser les rôles.
"Je savais qu’il allait jouir et pris mon temps pour en profiter un peu. Après quelques va-et-vient, je sentis son sperme gicler dans ma bouche à plusieurs reprises. J’avalai tout comme à chaque fois, et continuai de le lécher quelques instants. Je me rallongeai près de lui, il me prit dans ses bras et me serra contre lui tendrement". Le véritable sadisme n’est-il pas d’infliger une douleur non souhaitée, non espérée, non désirée ? Le véritable sadisme n’est-il pas dans l’authenticité de la souffrance ? C’est la raison pour laquelle le véritable sadisme ne fait en réalité pas partie de l’univers SM. Mais ce type de sadisme va au-delà de la relation consensuelle. Le BDSM n’est jamais négateur de l’autre. Ni le désir ni le plaisir de l’autre ne sont ignorés. Il s’agit bien plus de trouver un consensus, de délimiter un territoire où chacun des protagonistes trouvera plaisir et satisfaction. Le contrat BDSM, formel ou tacite, est nécessaire pour amorcer la relation. Il crée une rupture avec le quotidien et instaure un espace de jeu. Celui-ci n’est pas fixe mais au contraire varie beaucoup. Il peut s’agir d’un donjon, d’un lieu privé, voire d’un lieu public. Toutefois, au-delà des décors et des situations, l’espace du jeu se focalise avant tout sur le corps de la personne dominée. Le corps devient le lieu même de l’action puisque le dominant l’utilise tel un objet et exerce une action sur lui. Le Maître accepte la responsabilité du corps et de l’esprit de l’esclave, en prend possession, et, tout en ne mettant pas en danger sa vie, édicte des règles de comportement. En d’autres termes, prendre possession de l’"esclave", c’est prendre possession de ses territoires, et surtout de ses territoires les plus intimes: le corps et l’esprit. Dès lors, l’espace du jeu se décline n’importe où, n’importe quand. Même si les décors ont une importance, parce qu’ils véhiculent une certaine atmosphère, le jeu peut se dérouler dans n’importe quel lieu public à l’insu des autres. La domination consiste alors à choisir pour l’autre, à décider de ses attitudes ou de son comportement. Par exemple, l’action sur le corps de l’autre est présente dans les parures sélectionnées par le dominant. Elle est aussi présente dans les modifications corporelles, des marques que l’individu dominé accepte de porter, voire de conserver. L’introduction d’un mode d’expression particulier, qu’il s’agisse de la manière de parler ou de se tenir, délimite un territoire, signe la propriété de l’autre qui décide de ce qui est approprié de faire ou non. L’"esclave" n’a plus de vie privée, plus de corps, plus de droit.
"Je trouvais ça très excitant de le vouvoyer et de l’appeler Maître dans un lieu public, même si j’étais certaine que personne ne m’avait entendue. Je me dis que je pourrais relever ta robe jusqu’à ta taille, exhiber tes jolies fesses à tout le monde, et ce qui me fait vraiment bander, c’est de savoir que tu ne dirais rien, que tu te laisserais faire, honteuse, mais excitée". Cependant, les contrats n’ont aucun caractère immuable ou définitif. C’est ce que montre l’échange des rôles (switcher), toujours possible. En effet, si le contrat définit les rôles de chacun, il arrive qu’ils soient réversibles. Cette réversibilité peut s’effectuer ainsi pendant ou en dehors de la séance. Dès lors, les pratiques BDSM n’ont donc aucun caractère violent, tout au plus s’agit-il d’une violence canalisée, voire symbolique, telle qu’elle peut aussi l’être dans une pratique sportive. En effet, la violence agit sur le corps, mais surtout elle plie, elle brise, elle détruit. Elle ne tolère aucune résistance et surtout n’attend aucun consentement pour s’exercer. Rien de cela dans les relations BDSM, a priori. Ces dernières ne font que mettre en scène une relation de pouvoir qui ne peut être, par définition, une relation d’esclavage. En outre, dans les relations BDSM, le pouvoir est mobile, réversible, instable. En d’autres termes, la relation de pouvoir ne peut exister que dans la mesure où les sujets sont libres. Dès lors, il importe de déterminer jusqu’à quel point les individus, dans ce contexte, sont libres et consentants et jusqu’à quel point il s’agit de relations de pouvoir jouées et non pas d’une manifestation masquée de domination masculine ou d’une intériorisation des normes caractérisant le féminin et le masculin, qui emprisonnent l’individu dans un rapport de domination sans issue. Les jeux de rôle BDSM nous interpellent, à plus d’un titre, par leur caractère stéréotypé. Les histoires que se racontent et que jouent les pratiquants empruntent aux rôles traditionnels, notamment féminins et masculins, et à la représentation classique des rôles de sexe mais en les exacerbant et en les caricaturant. Ainsi, au rôle d’"esclave" est souvent attribué celui de prostituée, de servante, voire d’animal. Force est de constater que la caricature se conjugue très souvent au féminin. Un homme en position de soumission usera facilement de travestissement pour faciliter l’entrée dans le rôle qu’il se donne. À l’inverse, une femme, soumise ou dominante, restera féminine et conforme au désir masculin. Pour prouver sa domination, elle s’équipera d’instruments, son statut s’étayant de la présence de cet équipement. Dans ces représentations, le féminin est souvent dévalorisé alors que le masculin est valorisé.
"Je ne crie pas, et pourtant, c’est comme si jamais je n’avais poussé tel hurlement. Le cri d’une bête à l’agonie. Le cri de celle qui croit mourir. Un cri sans élégance ni classe, juste un cri de douleur. Puissante et indicible douleur. Mais je ne crie pas". La littérature nous fournit des illustrations singulièrement différentes en ce qui concerne le sexe de l'agent dominé. La comparaison des romans d’"Histoire d’O" de Pauline Réage et de la "Vénus à la fourrure" de Sacher-Masoch est à ce titre tout à fait significative. Dans le premier, bien que O soit une femme autonome et active, sa soumission paraît naturelle et se passe de justification. La manière dont elle vit et dont elle ressent sa soumission est exprimée, mais jamais son désir de l’être. La soumission est ici féminine. Dans "La Vénus à la fourrure", la soumission est masculine et n’a aucun caractère naturel. À l’inverse d’O, Séverin est celui qui construit sa soumission, choisit celle qui le dominera et à qui il impose un contrat qui stipule sa servitude. Ici, le soumis est celui qui dicte les règles. Si nous nous en tenons strictement à la représentation des catégories de sexe, il est alors possible d’observer une reconduction de la domination masculine. Il y a une affirmation de la domination lorsqu’un homme domine et une affirmation de la soumission lorsqu’une femme se fait dominer. Il y a très souvent une illusion de la domination lorsqu’une femme domine. Ce qui ne signifie pas qu’il y ait alors une perpétuation de la domination masculine. Les relations BDSM ont ceci de paradoxal qu’elles sont l’endroit où cette domination peut-être reconduite tout comme elle peut s’évanouir. Il existe de nombreux cas de relation de domination féminine sur des hommes. Alors que le rôles féminins et masculins ne cessent de se redéfinir l’un par rapport à l’autre, il semble que les relations sadomasochistes ne fassent que théâtraliser des rôles traditionnels figés, en les appliquant ou en les inversant. Mais bien que les rôles soient prédéfinis et stéréotypés, il est toujours possible de les réinventer, de composer, de créer son masque, de renouer avec les jeux de l’enfance. Ainsi, l’individu trouve des réponses aux questions qu’il se pose inconsciemment. Selon son désir, il choisit d’être homme ou femme, sadique ou masochiste, dominant ou soumis. Ainsi, Il s’identifie et expérimente. Il peut laisser libre cours à son imagination puisqu’il est entendu qu’il s’agit d'un jeu et que les limites de chacun seront bien heureusement respectées. Il n’importe pas de chercher une explication de type pathologique à un désir de soumission ou de domination mais d’être sous le charme d’un érotisme qui peut faire exploser les rôles habituels. Toutefois, la difficulté de l’analyse des relations BDSM réside dans le fait que la relation sadomasochiste ne saurait se réduire à un jeu sexuel basé sur un contrat qui énonce les rôles de chacun.
"Lui seul sait. Lui seul peut me comprendre et me deviner, il me ressent. Il touche ma peau et sait. Il croise mes yeux et sait. Il perçoit mon souffle et sait. Le fer n’est plus en contact avec ma peau, pourtant la douleur semble s’intensifier, elle se diffuse, elle irradie et étend son territoire comme si elle voulait m’englober". "Il n'est de richesse que d'hommes" le soulignait, le philosophe angevin du XVIème siècle, Jean Bodin dans "Les Six Livres de la République". Les individus établissent un lien avec l’autre, lien qui implique une relation humaine, source d’émotions et d’affects. Avant d’être une relation BDSM, il s’agit d’une relation entre deux individus. Lorsque l’on connaît le mode de fonctionnement de ce type (consentement mutuel, négociation des désirs, contrat), la relation BDSM laisse tout d’abord apparaître la complicité, la réciprocité, la connaissance de soi et de l’autre. Et, en effet, beaucoup de pratiquants évoquent un épanouissement possible dans cet univers qu’ils ne trouvent pas ailleurs, basé sur une connivence mutuelle. C'est toute la richesse du lien de domination ou de soumission. Mais parce que les pratiques BDSM sont aussi des pratiques sociales, on y trouve les mêmes travers que ceux observés dans la société, et la même hétérogénéité. Certains individus ne cherchent qu’à satisfaire leur désir. Il en va ainsi des pseudo Maîtres dominateurs qui trop souvent contactent des soumises pour assouvir un classique désir sexuel tarifié, comme des soumis qui consultent des dominatrices professionnelles pour vivre leur fantasme. Le corps de l’autre n’est alors utilisé que comme objet et ne nécessite aucune relation authentique de complicité. Comme les pratiques BDSM sont aujourd’hui plus visibles et pénètrent dans l’univers du sexe en général, certains prétendent vouloir engager ce genre de relations alors qu’ils cherchent tout à fait autre chose. Le jeu sensualiste et érotique devient alors pornographique. Les relations BDSM sont hétérogènes et ne diffèrent en rien de n’importe quel autre type de relation. On y trouve, comme partout ailleurs des mécanismes de domination et d’appropriation de l’autre. Cependant, elles sont aussi l’endroit où un véritable échange peut s’observer. Ainsi, elles ne constituent pas plus que d’autres une entorse au respect des personnes. Comme toute relation, elles peuvent reconduire des rapports de force ou bien participer à la construction des identités. Les pratiques BDSM ne remettent donc pas en cause les principes fondamentaux du droit. Il n’y a pas un individu qui s’approprie le corps ou l’esprit d’un autre. Deux partenaires, dont l’identité est en perpétuelle construction, s’investissent dans un univers où les règles sont fixées, non seulement par le contrat, mais aussi, plus profondément, par le jeu social lui-même. C’est pourquoi ces pratiques, qui ne sont transgressives qu’en apparence, se donnent pour principe de fonctionnement, le respect mutuel et la négociation. Loin d’être sauvages, elles sont bien au contraire socialisantes. C'est paradoxalement en usant de masques, en ritualisant et en théâtralisant l’échange, que deux partenaires ont la possibilité, dans une relation SM pérenne et saine, de pimenter leur sexualité, en réalisant une part de leurs désirs inconscients informulés et de s’affirmer comme personnes à part entière, consentantes et responsables dans la plus grande liberté. Un grand merci au studio Imag'in rider photography qui m'a aimablement autorisé à illustrer cet article sur le BDSM par cette photographie originale.
Bibliographie et références:
- Sigmund Freud, "Névrose, psychose et perversion"
- Sigmund Freud, "Trois essais sur la théorie sexuelle"
- Gilles Deleuze, "Présentation de Sacher-Masoch"
- Jacques Lacan, "La logique du fantasme"
- Gala Fur, "Dictionnaire du BDSM"
- Arnaud Alessandrin, "BDSM fantaisies: pouvoir et domination"
- Gini Graham Scott, "La domination féminine"
- Véronique Poutrain, "Sexe et pouvoir"
- Gabrielle Rubin, "Le Sadomasochisme ordinaire"
- Mona Sammoun, "Tendance SM"
- Jean Streff, "Les extravagances du désir"
- Mark Thompson, "Dominant women, submissive men"
- Margot Weiss, "Techniques of pleasure"
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.