Méridienne d'un soir
par le 20/03/21
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Fils de la Nuit et d'Érèbe, chargé de l'harmonie cosmique, présenté par Hésiode et les Orphiques comme l'un des
éléments primordiaux du monde, Éros est un dieu créateur. On lui attribua plus tard pour père Zeus, Arès ou Hermès
et pour mère Aphrodite. On le représente comme un enfant ailé, muni d'un arc et de flèches destinées à éveiller les
affres de la passion chez les humains. Turbulent et malicieux, il fut cependant victime de ses propres armes quand
il tomba amoureux de la belle Psyché. Le culte d'Éros remonte à la plus haute antiquité. Il était célébré en Thrace et
en Béotie où tous les cinq ans, avaient lieu les Érotidies qui n'avaient rien à voir avec les brutales et chancelantes
Dionysiaques. Le dieu au carquois, force primordiale dominant le cosmos, est ainsi le symbole de la passion sexuelle.
Pour Hésiode, il était une pure abstraction. Les grecs primitifs le décrivaient comme une "calamité ailée." L’esthétique
du beau est assuré par l’éclat de Himéros, le désir rendu visible, qui brille, de ce personnage fictif créé par le poète.
Himéros est un nom du désir, le désir qui fascine et captive, éblouit et aveugle. Son nom contient le nom du dieu Éros.
Himéros provient du verbe grec "himeirein", "désirer." Dans la mythologie, Himéros est un dieu, jumeau d’Éros, tous
les deux présents au moment de la naissance de Vénus, la déesse de la beauté. Alors qu’Éros est l’amour comme
sentiment, Himéros est le désir sexuel proprement dit. Himéros n’est pas le désir en tant que manque, aspiration, vide
de satisfaction, mais plutôt l’état de désir, d’excitation jouissante, éros dans son assertivité, ou encore "promis au lit."
Le désir érotique est un mal qui brûle dès le premier jour, un mal allumé par des séparations qui s’enchaînent, qui est
attisé par la répétition de fantasmes destinés à retourner ce mal à l’avantage de celui qui en souffre. Mais cela veut-il
dire que ce mal doit s’exercer aux dépens de quelqu’un ? Le désir est un mal intrinsèque. Il ne fait de mal à personne,
sinon à celui qui l’éprouve, rongé par une nostalgie que rien ne soulage. Désirer ne revient pas à faire le mal, bien que
cela puisse démanger un amant. Le désir lui donne ainsi ce rendez-vous du mal, qu’aucune rencontre ne devrait suivre.
C’est une violence suave non adressée, sinon par erreur, lorsque celui qui souffre en impute la faute à celle qu’il désire.
La naissance d'un amour plonge souvent les amants dans un état léthargique, à la frontière de l'enchantement et de
l'extase. La vie semble plus intense. Le temps s'arrête et se roule comme une boule de feu autour de trois ou quatre
mots où se concentrent toute la douleur et toute la réalité du monde. La faute devient alors le symbole de ce mal,
pourtant intrinsèque, pourtant sans rapport. Mais le mal du désir insiste dans la durée, sans répit. Et dans la longueur
de son parcours historique, le centre de la peur a fini par se déplacer et par se retourner contre elle. C’est ce qui est
arrivé. Le mal du désir s’est déboîté trois fois. Il est d’abord un mal intrinsèque. Il s’est ensuite trouvé une cause dans
ce qu’il désire le plus, c’est-à-dire le féminin. Enfin, en désespoir de cette cause, il lui a fallu "faire le mal", comme on
dit "faire l’amour." Ces déboîtements successifs du mal du désir l’ont enfoncé toujours plus avant dans son mal. Si la
cause du désir fait souffrir, elle engendre déjà une inhibition du désir. Et ce mal se multiplie par deux si, pour se libérer
de cette inhibition, la tentation s’impose de faire le mal à celle qui causa ce désir. Quiconque rejette la féminité la
reconnaît aussitôt comme la cause d’un désir qu’il préfère ignorer, qu’il tient dans la marge, obscène, excitant. Il croit
se libérer de sa fascination, alors qu’il est entraîné dans la répétition infinie de son mouvement aveugle d’exclusion.
Quand bien même l’anatomie serait-elle vue de la manière la plus aveuglante, elle continue de receler un mystère. Le
sexe féminin reste ainsi l’objet d’une fascination angoissée. Il annonce une altérité inquiétante dont il n’y a pourtant
pas moyen de se passer, puisque c’est grâce à elle que la virilité s’affirme. Ce scandale du mal du désir se multiplie
par deux lorsqu’il se renie lui-même. Le désir d’une femme peut effrayer un homme, et le contraire aussi, mais ce
mouvement n’est pas symétrique. L’angoisse des hommes devant les femmes qu’ils désirent attise leur violence, et cela
d’autant plus qu’ils cherchent à la surmonter en jouant aux pères. Une femme peut être effrayée par le masque violent
d’un père, mais moins par un homme qu’il faut plutôt rassurer, dès que la mascarade masculine arrive à son terme.
Ces mots si simples qui annoncent la mort d'un être ou la fin d'un amour se chargent d'une signification que le chagrin
et le désespoir poussent indéfiniment à creuser. les hommes éprouveraient une angoisse de castration devant le sexe
féminin. Ou, pour le dire selon l’imagerie forte du "vagin denté", ils auraient un désir certain de donner le phallus, mais,
en même temps, une toute aussi forte angoisse qu’une fois cet instrument donné, il ne leur soit pas rendu. D’où une
impuissance, le plus souvent occasionnelle. En apparence, ce serait l’absence de pénis de la femme qui les effraierait.
Pourtant, toutes les femmes ne provoquent pas ce genre d’angoisse. Elle ne menace un homme que devant la femme
qu’il aime et qu’il désire. Il l’idéalise, faisant d’elle l’objet fantasmatique du désir du père, avec lequel s’instaurent aussitôt
une concurrence et une inévitable jalousie. La femme n’angoisse un homme qu’à proportion de cette invocation du père.
C’est ce dernier qui menace de castration. Tout change dans le cadre de la rivalité pour l’amour. L'amour fait sortir le
sexe de son anonymat, il oblige à un choix contre un tiers, et mettant en jeu l’interdit, la jouissance qui était d’abord
masturbation va prendre un autre sens. La présence du tiers est toujours implicite dans l’amour, de même que la
demande d’exclusivité, et cet amour introduit sa dimension dans la sexualité. C’est à l’occasion des jeux de la rivalité
pour l’exclusivité que le deux de la reconnaissance de l’autre va s’établir à partir du trois, et non plus comme c’était le
cas dans le rapport narcissique au service du un. C’est à partir de l’exclusion de la troisième personne que le deux
de l’altérité apparaît. La jouissance sexuelle prend alors brusquement son sens à partir de cet interdit du tiers qui ne
se découvre jamais si bien qu’à l’heure de la rivalité malheureuse. Voir la rivale l’emporter, c’est voir, imaginer la scène
primitive, et la souffrance de cette défaite remémore et fait comprendre la séduction qui a été subie dans le passé.
Ce qui surgit dans ce temps immobile, chargé de souffrances et de larmes encore retenues, c'est un amas énorme,
un afflux de questions. Elles brûlent de crever cette membrane étroite et fragile que la stupeur du moment et peut-être
une ultime et déjà désespérée prudence opposent déjà à leur poussée. Une femme n’est castratrice qu’à titre de suppôt
du père, et elle l’est même plus que lui, lui qui n’est jamais là. Cette angoisse est tributaire du désir qu’elle provoque.
Pour faire image, même vues de loin, les femmes actualisent la castration, puisqu’elles provoquent une érection qui
téléporte le phallus à leur portée, à distance de celui qui s’en croyait propriétaire. Il se retrouve désirant et castré dans
le même mouvement. Ce processus aurait-il paru plus clair, si l’on avait plutôt dit que la femme désirée est la femme
du père ? Peut-être. Mais cela aurait fait aussitôt penser qu’il s’agit de la mère, comme c’est le cas dans l’Œdipe. Alors
qu’au contraire il s’agit de n’importe quelle femme plutôt que de la mère, pourvu qu’elle soit désirée par une sorte de
père. La vérification est facile. Dès qu’une femme ne représente plus cet idéal, dès qu’elle est ravalée, l’impuissance
de son amant prend fin. L’absence de pénis féminine n’est pas le déclencheur de l’angoisse. Cette source ordinaire
d’impuissance devant une femme, surtout lorsqu’elle est idéalisée, surtout lorsqu’elle est imaginée armée, déguisée en
guerrier, en Vampirella, déchaîne une violence masculine, d’ailleurs susceptible, une fois qu’elle a été perpétrée, de
rendre sa puissance à l’impuissant. Car pourquoi prendre par le viol ce que le consentement de l’amour obtiendrait ?
D’abord parce que le mal du désir brûle en contrepoint de l’amour et que la violence résout cette contradiction. L’amour
est d’abord né de la simplicité de l’attachement maternel, que contredisent la séparation onaniste, puis le désir sexuel.
La victime de ces conjurations sait bien que les réponses feront souffrir. Mais si on choisit de ne pas mourir, de survivre
à ces mots qui font plus mal que tout, le besoin de savoir l'emporte sur toutes les sagesses. Le désir du féminin contredit
l’amour maternel et n’importe quelle violence, morale plus que physique, tend à maintenir cette séparation. Si l’attachement
à la mère s’alignait sur l’irréel de la féminité, l’amour éteindrait l’étincelle érotique. C’est le risque, dès que l’amour calme
la séparation et comble le manque, non à être, mais à avoir, le phallus. La féminité est lourde de cette violence. Elle allume
un contrefeu contre l’amour. C’est couramment qu’elle provoque le désir pour le refuser: "Regarde-moi, admire ma beauté,
mesure ma promesse, mais passe ton chemin, Chevalier. Va chercher plus loin ton Graal." Le refus forge l’arme de sa
brutalité propre, immobile, muette, pure aura sans pitié. Oui, sans le moindre geste de pitié qui anticiperait sur l’angoisse,
comme une mère qui se souvient de sa propre enfance a pitié de son enfant. Le désir risque d’être inhibé par l’amour, et la
violence masculine comme féminine cherche à contourner cet écueil. La violence paraît donc moins dangereuse pour le
désir masculin que le consentement de l’amour. À ce motif de violence s’ajoute l’angoisse devant l’orgasme féminin. C’est
une terreur presque religieuse, comme si le cri orgastique évoquait alors la chute du père primitif, au point que dans l’aire
d’influence de l’une des religions monothéistes, l’excision et l’infibulation des femmes sont toujours de nos jours pratiquées.
Les coups une fois portés, qui arrêtent le temps dans la douleur, ne laissent rien subsister que l'horreur et le mal. Les
causes psychiques de la misogynie sont le plus souvent inconscientes. Elles sont passées au second plan derrière des
motifs secondaires qui ont pris toute la place. Le tabou du féminin s’est extériorisé avec beaucoup de force à travers le
tabou de la virginité, la honte de la nudité, une sorte de phobie extrême du sexe féminin, et, surtout à travers une angoisse
généralisée devant le sang des règles, sang de l’enfant qui ne viendra pas, d’une sorte de parricide, donc. Les règles sont
sacrées, sacrifice horrifiant en l’honneur de l’idole abattue. Le père qu’il n’y aura pas de l’enfant parti goutte à goutte. La
phobie du sang féminin a été d’une grande puissance. Comme l’écrit la Torah: "Le flux menstruel est une malédiction qui
se transmet de mères en filles." Il conjoint l’érotisme, la procréation et la mort. La femme menstruée est impure, elle
corrompt les aliments, et le si sage Aristote écrivit même que son reflet dans le miroir "dégage un nuage sanglant." Les
rapports sexuels pendant les règles sont tombés sous le coup d’interdits religieux jusqu’au XVIIIème siècle. Dans "Le
Marteau des sorcières", le "Malleus Malificarum" de 1486, manuel de l’Inquisition, la femme en son genre était le symbole
du mal, destinée à tromper, à "priver l’homme de son membre viril." Première matérialité à laquelle le regard puisse se
raccrocher devant la nudité du sexe, la pilosité féminine est l’objet d’une phobie intense, déplacée jusqu’aux cheveux.
Les femmes eurent souvent la tête rasée depuis la naissance du monothéisme, avec une recrudescence sous l’Inquisition,
et à la Libération en France. Encore de nos jours, au XXIème siècle, cette phobie du poil est toujours puissante au Japon.
C'est un paradoxe, plus on décrit les gestes de l'amour, plus on les montre, plus la vision se brouille. En matière sexuelle,
on voit bien que soi-même. Et la description érotique risque d'égarer la curiosité. "On pourrait presque dire que la femme
dans son entier est taboue", comme l’écrivit Freud dans "Le tabou de la virginité." Freud ne fait d’ailleurs que répertorier
des faits. Rabelais avait déjà écrit que le diable lui-même prenait alors la fuite devant une femme exhibant son sexe. La
Gorgone des Étrusques sculptée sur leurs chars devait faire fuir les ennemis. Méduse ornait le bouclier de Persée. Car
les hommes ont préféré faire la guerre, non seulement entre eux pour contrer leur angoisse, mais ils l’ont d’abord menée à
l’aveugle contre l’ensemble des femmes, contre leurs droits politiques et économiques. Car la violence morale, répressive,
physique, exercée contre l’ensemble du féminin permet de précéder et de prévenir l’angoisse. Cette violence a d’abord été
théologique, contre le désir lui-même désigné comme la source du mal par le bouddhisme, et contre le féminin dans les
monothéismes d’Occident. Elle a ensuite été philosophique, comme si tout l’effort de la pensée était d’oublier le plus vite
possible l’hétéros, de rejeter dans un hors scène l’obscénité du désir dont elle ne traite jamais. Et elle a continué sur sa
lancée avec les théories de l’objet, celles qui confondent la cause du désir et l’objet de la pulsion. Freud a pourtant été
clair à ce propos. La pulsion est définitivement rejetée avec le refoulement originaire, et, en contrepoint, à l’envers de ce
rejet de la pulsion dans l’inconscience du corps, à contresens d’un objet dont il n’y a rien à faire, naissent les hallucinations
de désir. Purement psychiques, elles alors cherchent à remonter le temps selon leur puissance hallucinatoire propre.
C'est au lecteur d'admirer avec son imagination érotique ou sentimentale, les corsages dégrafés, les porte-jarretelles
entrevus, que le romancier lui offre afin qu'il les agrémente à sa guise. Le meilleur livre, c'est celui qui nous donne un
canevas pour reconstruire notre vie, nos rêves et nos fantasmes. Ce sexe crûment exposé, on l'emploie souvent comme
cache-misère de l'indigence littéraire. Une érection est une hallucination incarnée d’un membre fantôme, d’un entre-deux
du désir dont le féminin fait cause, et qui ne saurait être ravalé au rang d’objet. Comme si une femme était désirée comme
on aime la confiture, ou un article de consommation prostitué. Tenace, le ravalement a poursuivi sa route comme il a pu,
toujours obnubilé par la même stratégie, celle de rejeter le féminin hors scène, même de celle de l’inconscient dont il
est pourtant la cause. Théologique, philosophique, politique, économique. Une fois cette ségrégation de masse installée,
chaque femme a droit en supplément à son traitement particulier, en fonction de ses talents et de son charme. Plus une
femme est belle, plus elle affiche les fétiches, les bijoux, les parures qui font d’elle un symbole du désir, et plus une aura
de violence potentielle l’accompagne. Une femme qui veut être tranquille ne s’habille-t-elle pas le plus mal possible ?
Sous le fardeau écrasant du mal du désir, les femmes n’auraient-elles pas dû disparaître ? La fascination qui couvre ce
mal a-t-elle été leur seul abri, une séduction dont le rempart est fragile, et même plutôt un pousse-au-crime ? Ce rejet
effrayant du féminin s’est exercé en basse continue depuis la nuit des temps dans toutes les cultures, occulté par la
sorte d’aura magique de leur fascination. Le mal du désir a suivi le pli de l’exclusion du féminin. Le corps féminin occupe
cette vacuité irréelle, dans la mise en creux hallucinatoire de ce désir qui la nimbe de son aura d’interdit, si excitant.
Contrairement à ce que l'on croit, il ne s'agit pas d'un problème de morale. Le sexe dans sa description picturale ou
littéraire pose une question qui dépasse la pudeur et la pudibonderie. Sur hauts talons, voilée, en jupe, enrobée, en
pantalons serrés, le corps féminin reste pris dans ce flottement, dans ce tremblement. Bien habillée, bien maquillée,
lorsqu’une femme laisse miroiter le troisième moment du devenir féminin, elle fait monter le désir en puissance, mais
aussi la misogynie. D’abord celle des hommes que leur désir angoisse. Mais aussi celle des autres femmes, et enfin
souvent la sienne, sous la forme d’un sentiment d’étrangeté, de méchanceté par rapport à elle-même. C’est l’heure de
l’oubli des clefs, des rendez-vous ratés, des verres renversés, de la scarification ou de l’accident. C’est l’heure de tous
les dangers. Se débattre avec sa propre altérité impose une gymnastique quotidienne, ne serait-ce que pour s’habiller.
Une femme marchant dans la rue s’avance comme si elle séduisait, tout en s’y refusant. Car cette séduction anonyme
dépersonnalise. C’est ainsi une aventure hasardeuse. Cette phobie sociale illustre la division de l’altérité féminine. Sa
différence à elle-même. De sorte que lorsqu’un homme la désire, elle peut se demander à qui cela s’adresse, à elle ou
à un rêve dont elle prend l’apparence et emprunte les semblants ? Elle réclamera d’être aimée pour elle-même. Cette
demande rend compte de la division créée par son altérité intime. Le contretemps du désir s’appuie sur cette division.
Images chaudes et épicées qui se superposent aux visages et aux corps. La femme apparaît alors dans l'éclairage
violent de leur autre vie, celle ardente du lit, de la volupté, des étreintes. Sommes-nous dans les cris que nous poussons
ou que nous suscitons dans l'alcôve ? Quelle part de nous-mêmes participe à ces coups de reins ? Nombre de femmes
affichent une misogynie de leur propre féminité que cherche à contrer leur demande d’amour pour elles-mêmes. À quoi
peut-il leur servir de se porter tel un bijou, sinon à être aimées en contrepoint de leur désamour propre ? La séduction
devient une nécessité vitale. Une femme peut chercher à séduire activement, comme un homme, elle y gagne d’être
aimée, elle qui ne s’aime pas toujours. Mais alors la chasseresse risque bien d’être prise en chasse elle-même, cette
fois-ci passivement, et cela peut ne pas lui convenir. On a reconnu les virages contrastés, du oui au non, prêtés à la
séduction féminine. Ce combat à front renversé se complique encore lorsqu’un homme cherche à séduire mais qu’il est
finalement séduit lui-même. Sa féminité ainsi dévoilée risque bien de se traduire par une impuissance. Cela ne fera alors
qu’accentuer son rejet du féminin, son angoisse, sinon sa misogynie. Cette misogynie commence avec la séduction qui
précède la danse et elle atteint son maximum avec la perte de contrôle de l’orgasme. Le mal du désir joue ainsi sa partie
à peu près partout, mais il reste dans la sphère d’une belligérance intime, presque silencieuse, comme une sorte de film
muet qui montre la succession de ses passages à l’acte. Mais comment alors ne pas voir son extension extraordinaire ?
D'autres objets du plaisir surnagent dans la mémoire, devenus tout aussi incongrus, obsolètes et poussiéreux que les
anachroniques bicyclettes de l'arrière-grand-père. La ceinture est là, racornie et craquelée, mais que sont devenues la
délicieuse croupe prête à recevoir le châtiment désiré, et la jeune femme qui voulait être punie ? La folie de destruction
anime les hommes en temps de guerre. Pourquoi une sorte de rage de détruire la beauté mine-t-elle aussi la paix ?
L’iconoclastie, la défiguration de paysages sublimes, l’abattage inutile en masse de gracieux animaux prouvent cette
passion de la dévastation. Comme si la beauté portait à son revers un appel à l’anéantissement, comme le féminin, dont
la fascination taille la pierre des statues et scande la musique des poèmes, tandis qu’il est traité au quotidien comme
une chose bonne à battre, comme un objet. Le féminin qualifie cette chose psychique inqualifiable, abritée par le corps
incroyable mais visible qui le supporte. Ce corps improbable pris dans ce doublon supporte à la fois l’aura de la cause
du désir, et l’horreur de ce qui fut rejeté. Son parfum couvre la mort par inceste, l’odeur paternelle de la charogne, ou
celle de l’excrément. La subtilité d’une fragrance enivrante n’oublie jamais la senteur insupportable qu’il recouvre. Notre
odeur la plus propre est tenue le plus loin possible comme la plus impropre, la plus inappropriée, la plus malpropre.
Chaque femme possède bien à elle sa manière de faire l'amour. Elle a son identité sexuelle, ses seins éprouvent des
émotions particulières et son sexe est aussi singulier que l'empreinte digitale. En cristallisant la contradiction du désir, le
corps féminin incarne cet oxymore, dont l’attraction engendre la répulsion. Incoercible mais coupable, le désir se déplace
sans jamais s’éloigner de son port d’attache. L’odeur salée de la fente se métamorphose alors en passion du parfum.
L’obscénité d’un sexe sur lequel le regard n’ose s’arrêter, s’extasie sur la beauté des jambes, ou plus haut sur les reflets
des cheveux, ou sur le galbe des seins. L’obscénité crée la beauté. Le choc esthétique inverse l’instant de sidération
du désir. Son charme est proportionnel à l’effroi de ce qu’il ne faut surtout pas voir, l’éclat des cheveux ou la cambrure du
pied captive le regard le plus loin possible de la fente. L’obscénité de la cause du désir ressemble à l’onde de choc d’une
pierre dans l’eau. De proche en proche, elle départage le monde entre sa beauté et sa laideur. La beauté féminine est
d’abord une création. Elle appartient à l’irréel culturel et elle participe ensuite de la naissance de l’esthétique elle-même.
Son aura inspire l’œuvre de l’artiste. Les œuvres créées naissent dans son sillage. Et si l’on repense maintenant à la folie
de destruction et à la haine de la beauté, c’est comme si elle était ainsi motivée par une rage déplacée contre le féminin.
Comme le féminin, la beauté demeure inaccessible et elle suscite la destruction. C’est bien sous le coup de la puissance
irrésistible du désir que lorsque irréalisé, il se renie alors lui-même, passant du mal subi au soulagement de faire le mal.
Bibliographie et références:
- Romain Treffel, "Le désir selon Platon"
- René Girard, "Quand ces choses commenceront"
- Pierre-Christophe Cathelineau, "Le mal du désir"
- Delphine Schilton, "Accomplissement du désir"
- Sigmund Freud, "Théorie sur la sexualité"
- Patrick Delaroche, "Désir du sujet"
- Gérard Bonnet, "Le désir du corps féminin"
- Françoise d'Eaubonne, "Vivre son corps"
- Roger Perron, "Fantasmes du corps de la femme"
- Jacqueline Schaeffer, "Le fil rouge du sang féminin"
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
Thèmes: littérature
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