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Le tableau de François Boucher représente Marie-Louise O’Murphy à l’âge de quatorze ans. Née à Rouen le vingt-et-un
octobre 1737, elle devient par un enchaînement de circonstances la petite maîtresse du roi Louis XV (1710-1774). La
famille de Marie-Louise est d’origine irlandaise. Son grand-père, Daniel Morfil était un soldat du roi d’Angleterre Jacques II
(1633-1701), roi catholique battu par le roi protestant Guillaume III d’Orange (1650-1702) à la bataille de la Boyne, le dix
juillet 1690. Jacques II et son armée s’exilent alors en France. Daniel Morfil deviendra plus tard maître cordonnier. Son fils,
également prénommé Daniel, épouse en 1714, à Rouen, Marguerite Iquy. Douze enfants naîtront de cette union, dont sept
survivront. Marie-Louise est la dernière. L’orthographe du nom de famille varie selon des documents d’archive: Morfil, Morfi
ou Morphy. Quant à O’Murphy, appellation la plus courante aujourd’hui, elle correspond au nom irlandais d’origine de la
famille. Murphy est l’un des patronymes les plus fréquents en Irlande. Les parents de Marie-Louise étaient bien connus
des services de police. Son père fut embastillé le 23 février 1735 pour une affaire de chantage à l’encontre de Jacques III
Stuart, fils de Jacques II et prétendant au trône d’Angleterre, qu’il n’obtiendra jamais. Sa mère est connue pour se livrer
à la prostitution. Les sœurs aînées de Marie-Louise suivent le même chemin. Giacomo Casanova est à Paris vers 1750-51.
Il revendique dans ses mémoires la découverte de Marie-Louise O’Murphy. Subjugué par la beauté de la jeune fille, il aurait
demandé à un peintre de faire son portrait et d’écrire en-dessous O-Morphi qui, selon lui, "veut dire belle" en grec. Mais
les "Mémoires" de Casanova ne constituent pas un document historique fiable. En réalité, Madame de Pompadour qui
n’avait plus de relations intimes avec le roi, mais entendait rester la favorite, organisait avec son entourage les plaisirs de
Louis XV. Son frère, le duc de Marigny, eut une part importante dans l’ascension de la petite Louison, diminutif familial
utilisé pour Marie-Louise O’Murphy. Marigny est en effet le commanditaire du tableau et ce sont probablement les sœurs
de Marie-Louise qui ont présenté le modèle à François Boucher. C’est la seconde version du tableau, exécutée en 1752,
qui est montrée au roi. Louis XV est saisi par la beauté de la jeune fille mais pense que le peintre a flatté son modèle et
demande donc à voir la "petite Morfi". Dominique-Guillaume Lebel, son premier valet de chambre, est chargé de la lui
ramener. Il procèdera par l’intermédiaire d’une "couturière-maquerelle", La Fleuret, liée à la mère de la petite Louison.
La petite Louison ayant réussi son examen de passage dans l’entresol de la Fleuret, peut désormais aller "servir" le roi.
Les premières rencontres entre Marie-Louise et Louis XV sont situées dans les derniers mois de l’année 1752 dans les
jardins du château de Choisy, où Louis XV reçoit normalement ses favorites. On montre la "petite Morfi" au roi sur son
passage pour s’assurer qu’elle lui plait. Le roi fait donner deux cents louis aux parents de la petite fille et cent louis à
l’entremetteuse et se fait maître de la jouvencelle. Ainsi il aura les prémices de la virginité de Marie-Louise. Les premiers
mois de la passion amoureuse entre Louis XV et Marie-Louise se passent dans le plus grand secret hormis quelques
mémorialistes tels que le duc de Cröy qui sont au courant. Les autres courtisans ne mettront au jour cette idylle qu’au
printemps 1753. Elle devient alors une "petite maîtresse", ne bénéficiant pas du privilège d'être présentée à la cour.
Ensuite, le roi installe sa maîtresse dans une maison bourgeoise à Versailles avec une gouvernante. Cette demeure
est située dans le quartier dit du Parc-aux-Cerfs dans l'actuel quartier Saint-Louis. Outre sa beauté, Marie-Louise séduit
également Louis XV par sa gaîté, sa naïveté, ses grâces enfantines, sa douce timidité ainsi que son innocence. Aussitôt
la "petite Morfi" connue, elle suscite la curiosité chez certains y compris la Reine. Elle gagne aussi dans les maisons
closes parisiennes, le surnom de "Sirette", le féminin de Sire. Le roi devient de plus en plus épris de sa "petite maîtresse"
au point d’imiter ses mots parfois "vulgaires." Pour rejoindre le roi au moment où il la réclame, Marie-Louise a à sa
disposition deux chevaux et une voiture. Lorsqu’il est question des voyages de la cour, la petite Murphy fait partie des
"bagages" suivant le roi dans tous ses déplacements. Pour elle, le roi déplace plusieurs voyages quotidiens de la cour.
Celle qui est surnommée "Morphise" par les courtisans cause bien des inquiétudes chez la marquise de Pompadour.
Maîitresse en titre de Louis XV, même si elle ne partage plus son lit depuis 1750, la marquise de Pompadour est celle qui
veille sur la sexualité du roi. Elle lui pourvoie quelques belles et neuves filles sans danger puisque sans éducation. Mais
cette fois, le roi a pris une nouvelle maîtresse sans la consulter. Les courtisans de leur côté, en bons serviteurs de sa
Majesté présentent leurs hommages à la "Morphise". D’autres comme le marquis d’Argenson, ennemis jurés de la
Marquise voient en elle la disgrâce prochaine de la favorite royale. Outre son père qui meurt de "joie" le 18 Juin 1753
à Paris, sa mère et ses sœurs peuvent vivre de façon bourgeoise à Paris. Ainsi la mère de Morphise est-elle installée
confortablement rue Sainte-Apolline où elle occupe un appartement composé de six pièces, chose rare pour l’époque.
Dans le mois de Décembre 1753, "Morphise" se retrouve enceinte du roi et les premiers symptômes apparaissent.
"Morphise" se voit privée du voyage de la cour à Fontainebleau. Durant sa grossesse, elle reçoit des visites du roi,
venant prendre des nouvelles de l’état de santé de la jeune fille. Quelques jours avant l’accouchement, "Morphise"
quitte Versailles pour Paris et accouche finalement le 30 Juin 1754 d’une fille baptisée le même jour par le curé de la
Paroisse de Saint-Paul et ayant pour parents Louis Saint-Antoine, ancien officier d’infanterie, et Louise-Marie de
Berhini, personnages imaginaires, et prénommée Agathe-Louise de Saint-Antoine de Saint-André en raison de la rue
où demeurent ses prétendus parents. Lorsque le roi répudie ses petites maîtresses, il les marie moyennant finances.
Peu après son accouchement, la belle "Morphise" revient à la cour mais sans sa fille, qui a été mise en nourrice dès la
naissance. Alors que le roi semble de plus en plus épris d’elle, en novembre 1755, Marie-Louise reçoit l’ordre de quitter
sa demeure du Parc-aux-Cerfs pour Paris et de s’y marier selon les vœux de Louis XV. Cette soudaine disgrâce peut être
due à une récente requête de la petite maîtresse. Manipulée par la maréchale d’Estrées, "Morphise" aurait fini par exiger
de son royal amant qu’il l’installe à Versailles et renvoie la marquise de Pompadour qu’elle surnomme "la vieille." Cela
aurait déplu au monarque, qui n’a jamais envisagé de faire de Marie-Louise sa favorite officielle, ni de se séparer de la
marquise de Pompadour. Le roi aurait alors décidé de mettre un terme à la relation qu’il entretenait avec Marie-Louise.
En réalité, la mise à l’écart de "Morphise" est probablement due au contexte politique et religieux. En effet, la marquise
de Pompadour se montre de plus en plus pieuse, suite à la mort de sa fille en 1754, et Louis XV tient à se rapprocher
du clergé. Son sacrifice est donc lié aux états d'âme spirituels du monarque. Il semblerait qu'elle n’ait jamais pu faire
partie de la vie de sa fille naturelle, placée au couvent avant d’être mariée par le roi, décédée prématurément en 1774.
Le vingt-sept novembre 1755, Marie-Louise épouse, selon les vœux de Louis XV, un officier du régiment de Beauvais
et major général d’infanterie, Jacques de Beaufranchet d’Ayat. Par cette union, Morphise acquiert une certaine position
sociale. Quant au seigneur d’Ayat, ce mariage lui apporte une rentrée d’argent car sa famille, bien que de vieille noblesse,
manque d'aisance. Louis XV a fait doter Marie-Louise de 200.000 livres et son ancienne maîtresse conserve 1.000 livres
de bijoux. Mais hélas, Jacques de Beaufranchet est tué à la bataille de Rossbach à l’âge de vingt-huit ans. En février 1759,
Marie-Louise se remarie avec François Nicolas Le Normand, comte de Flaghac et recommence à fréquenter Paris. Le
cinq janvier 1768, la jeune femme met au monde une fille, Marguerite-Victoire. Cette naissance, survenue après neuf
années de mariage, tient au miracle. Néanmoins, il semblerait que Marguerite-Victoire ait pour père Louis XV. Celui-ci
aurait rappelé Marie-Louise auprès de lui, avant d’officialiser finalement sa liaison avec la comtesse Du Barry en 1768.
Entre 1765 et 1768, on ne connaît pas de "petite maîtresse" à Louis XV qui se tourne de plus en plus vers la religion.
Nostalgique, le monarque a très bien pu rappeler auprès de lui "Morphise", qui est encore jeune. Argument en faveur
d’un second enfant illégitime donné au roi par Marie-Louise, les dons du souverain à son ancienne maîtresse. Entre
1771 et 1772, la comtesse de Flaghac reçoit du roi 350.000 livres. Quant à Marguerite-Victoire Le Normand, lorsqu’elle
se marie en 1786, toute la famille royale est présente lors du contrat de mariage. Enfin, sous la Restauration, Charles X
lui fera verser une indemnité annuelle sur sa propre cassette. La destinée fabuleuse de la belle Marie-Louise perdurera.
Vers 1772, Marie-Louise voit entrer dans sa vie Joseph-Marie Terray, ministre, contrôleur général des Finances et abbé.
Ce dernier vient en effet de marier son neveu à la fille issue du premier mariage de François Le Normand. Marie-Louise
devint sans doute la maîtresse de l’Abbé Terray. Les fortes sommes dont Joseph-Marie Terray fait don à Marie-Louise,
jusqu’à sa mort en 1778, attestent de leur liaison discrète mais connue, puisque la police révolutionnaire en fera mention
plus tard, accusant le ministre des Finances d’avoir accordé trop de faveurs à Marie-Louise. De plus, dans son testament
rédigé en 1776, Joseph-Marie Terray lègue à la jeune femme “sa maison de la rue Notre-Dame-des-Champs” et lui octroie
6000 livres “de rente viagère à prendre sur la succession”. En 1783, Marie-Louise est de nouveau veuve. Le fils unique
du défunt, Jean-Jacques Le Normant, tente de s’approprier les biens laissés par son père, au détriment de Marie-Louise.
Celle-ci obtient finalement gain de cause. C’est à cette période qu’elle rencontre Antoine-Claude de Valdec de Lessart,
contrôleur général, puis ministre des Finances. Marie-Louise et lui deviennent amants et ne cachent plus leur liaison. En
1792, Valdec de Lessart est arrêté et Marie-Louise fuit la capitale avec sa fille et ses petits-enfants pour se réfugier au
Havre et attendre que le calme revienne à Paris. Cependant, en 1793, elle apprend la mort de son amant, gravement
blessé lors des massacres de septembre 1792 et décédé quelques mois plus tard d’une fièvre maligne. En janvier 1794,
Marie-Louise rentre à Paris, afin de prouver qu’elle ne cherche pas à quitter la France. Elle est arrêtée en février. La
comtesse de Flaghac ne sera pas condamnée à l’échafaud en grande partie grâce à son fils, Louis de Beaufranchet,
qui a adhéré très tôt aux idées révolutionnaires. Au bout de cinq mois de prison, Marie-Louise est heureusement libérée.
Elle contracte alors un mariage, en juin 1795, avec Louis-Philippe Dumont, "représentant à la Convention nationale”,
qui a près de trente ans de moins qu’elle. Marie-Louise devait sans doute voir dans ce mariage, avec un député de la
nation, une protection face à la Terreur. Quant au jeune Dumont, il se trouvait marié à une femme possédant une
immense fortune. Les troubles révolutionnaires calmés, le couple divorce en mars 1798. Marie-Louise s’éteint chez sa
fille, à Paris, le onze décembre 1814, âgée de soixante-dix-sept ans. Celle qui avait commencé sa vie comme "petite
maîtresse" et qui inspira François Boucher mourut en femme respectable. La messe d’enterrement eut lieu à Saint-Roch.
La cérémonie fut digne et sans faste particulier, elle n’en coûta que 1 200 francs avec la livrée de deuil des domestiques.
Bibliographie et références:
- Duc d'Albert de Luynes, "Mémoires sur la cour de Louis XV"
- Camille Pascal, "Le goût du roi"
- Alexander Schulz, "Marie-Louise O'Murphy"
- Jacques-Antoine Zeller, "Les maîtresses de Louis XV"
- Joseph Valynseele, "Les enfants naturels de Louis XV"
- Jean Hervez, "Le parc-aux-cerfs et les petites maisons galantes"
- Bernard Hours, "Louis XV et sa cour"
- Jacques Dumaine, "Louis XV et le Parc-aux-cerfs"
- Patrick Wald Lasowski, "L'Amour au temps des libertins"
- Sylvia Saudan-Skira, "De folie en folie"
- Alastair Laing, "Madame de Pompadour et les enfants de Boucher"
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
Thèmes:
littérature
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Bonjour insolence, merci pour ton commentaire; bon dimanche, bises.