Méridienne d'un soir
par le 01/11/20
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Bien des années avant de coiffer la couronne de Suède et de Norvège, Désirée Clary fut près de devenir la
femme de Napoléon Bonaparte et de se faire couronner Impératrice des Français à la place de Joséphine de
Beauharnais. Pourtant rien dans ses origines familiales, ou sa personne, ne laissait présager son incroyable
destin. Désirée Clary, benjamine d'une famille de neuf enfants, est née le 8 novembre 1777, à Marseille. Son
père, François Clary, est issu d’une famille de négociants renommés dans toute la Provence. Les Clary sont
très réputés pour leurs tissus, principalement des soieries. Ce commerce florissant leur assure une fortune
considérable. Ils possèdent une vaste demeure rue des Phocéens à Marseille. Quand elle s'éteint, quatre-
vingt-trois ans plus tard, à Stockholm, elle est reine douairière. Mère et grand-mère de rois, fondatrice d'une
dynastie qui règne encore sur la Suède. Comme la reine Victoria, elle est également devenue l'une de ces
aïeules dont les descendants occupent les trônes de Norvège, de Danemark, de Belgique et de Luxembourg.
Marseille, c’est justement la ville où s’est établie la famille Bonaparte après avoir fui la Corse dès 1793. Letizia,
veuve de Charles Bonaparte, s’occupe seule de ses enfants, les trois filles, Elisa, Pauline et Caroline, et le dernier,
Jérôme. Ses trois fils aînés, Joseph, Napoléon et Lucien, désormais autonomes, l’aident financièrement comme
ils le peuvent. Letizia et ses filles lavent du linge et font un peu de couture pour amasser un maigre pécule. Il faut
bien travailler. Rapidement, la famille Clary fait appel à leurs services. Très vite, les relations entre les Clary et
les Bonaparte se transforment en amitié. Pour la première fois qu’elle a touché le sol français, Letizia accepte de
se lier avec des inconnus. Non seulement les Clary sont riches, mais ils sont aussi de sentiments royalistes. Ils
figurent donc en bonne place sur la liste des notables suspects plus ou moins promis à la guillotine. C’est dans
ces circonstances de cette époque révolutionnaire que Désirée va se lier à Joseph Bonaparte. L’événement peut
être situé au cours de l’année 1793, ou au début de l’année 1794, peu de temps avant la mort de François Clary,
miné par les épreuves. Bientôt, Joseph propose de l’épouser. L’affaire semble conclue, et les familles ravies.
Mais voilà. Napoléon, qui fréquente aussi de bonne grâce la maison des Clary, trouve Désirée fort à son goût.
Brune, piquante, pleine de charme, elle a tout pour faire tourner la tête d’un jeune général dont la gloire est déjà
montée jusqu’à Paris et qui a de l’ambition à revendre. Désirée ne sait bientôt plus où donner de la tête. Entre
ce tendre soupirant, bon enfant et si touchant qu’est Joseph, et ce brun impétueux, à la vive intelligence et au
regard impénétrable qu’est Napoléon, son cœur balance. Les deux frères sont si différents ! Mais Napoléon l’attire
davantage, par son charisme incontestable et son audace de jeune conquérant. Aura-t-elle le courage de rompre
ses fiançailles avec Joseph, qui ne songe qu’à lui plaire ? Napoléon va lui faciliter la tâche. Il arrange, pour ainsi
dire, à sa manière et de façon fort cavalière, les amours des jeunes gens. S’étant certainement rendu compte de
l’attachement indéniable que porte Julie, la sœur aînée de Désirée, à Joseph, il voit là une combinaison parfaite.
Curieux arrangement à la vérité mais personne ne proteste. C’est que Joseph n’est pas contre. Finalement, cette
Julie, elle lui plait bien. Il n’aura d’ailleurs pas à se plaindre de cette union, et une profonde tendresse s’installera.
Désirée quant à elle, est plus amoureuse que jamais de son général si entreprenant. Cependant, très peu de temps
après, Napoléon est promu commandant de l’artillerie de l’armée d’Italie. Il déménage à Antibes et emmène toute
sa famille avec lui. Letizia maugrée un peu car elle se sent bien à Marseille entourée de la famille Clary, mais s’en
console très vite, car le château Salé où elle réside est un véritable petit paradis perdu au milieu d’une oliveraie.
Si les fiançailles de Joseph et Julie sont officiellement célébrées, on attend que Napoléon rentre d’Italie pour le
fiancer à Désirée, qui ne cache pas son impatience. Lorsque Joseph épouse enfin Julie le premier août 1794, les
fiançailles entre Napoléon et Désirée n’ont toujours pas eu lieu. Après la chute de Robespierre, le 9 Thermidor,
Napoléon profite de ces instants de relative insouciance pour faire une cour pressante à Désirée qui est venue
voir sa sœur à Antibes et avec qui il se fiance enfin pour de bon. Son idylle semble le préoccuper tout entier.
Après une tentative de reconquête de la Corse qui échoue, Napoléon est sans véritable affectation. Il a l’opportunité
de visiter souvent Désirée à Marseille. Napoléon est tellement amoureux qu’il refuse le commandement en Vendée
qu’on lui affecte le 7 mai 1795. Il ne compte pas abandonner Désirée pour un poste qui ne lui rapportera aucune
gloire. Il doit pourtant bien se résoudre à gagner Paris, et alterne alors les emplois subalternes, en attendant mieux.
Désirée est affligée de ce départ. Au mois de juin, Désirée accompagne Joseph et Julie en Italie. Ils s’installent à
Gênes, chez leur frère, qui y fait du négoce, gérant habilement la fortune de sa famille. La correspondance devient
plus difficile. Napoléon, qui n’est pas au courant, se désespère de ne recevoir plus aucune nouvelle de sa fiancée.
Loin des yeux, loin du cœur, les sentiments refroidissent. Des aigreurs se font jour. Ils ne se comprennent plus.
Lorsqu’enfin Napoléon, mis au courant, reçoit une lettre de "sa petite fiancée marseillaise", il en est courroucé et se
sent abandonné. Étrangement, malgré les déclarations d’amour que Désirée réitère dans chacune de ses lettres,
Napoléon n’y croit plus. Il est persuadé qu’elle en aime un autre. Pourquoi ce pessimisme ? L’éloignement comme
il le dit ? Sans doute. Peut-être aussi est-il préoccupé par sa carrière militaire qui stagne depuis plusieurs mois, le
poussant à broyer du noir. Il ne veut plus croire en rien. Toujours est-il que Désirée souffre de la neurasthénie de
son promis, elle qui s’ouvre avec sincérité à celui qu’elle aime. D’autant que Napoléon, à présent affecté au bureau
topographique du Comité de Salut public, s’offre une nouvelle vie mondaine et fréquente les salons parisiens,
peuplés de très jolies jeunes femmes. Pressentant les inquiétudes de Désirée, il continue de la rassurer pourtant.
C’est dans le salon de Madame Tallien, à l’été 1795, que Napoléon rencontre pour la première fois Joséphine de
Beauharnais. Toujours occupé par ses amours avec Désirée, il s’en préoccupe peu. Mais sa passion pour la
marseillaise se relâche. Ayant réprimé avec intelligence et promptitude une insurrection royaliste, il est désormais
recherché dans la capitale, et ses pensées se tournent de moins en moins vers Désirée, si loin là-bas, en Italie.
Joséphine elle, est bien présente, et avant la fin de l’année, il en tombe fou amoureux. Les grâces de la charmante
créole lui font oublier définitivement celles de l’absente. En mars 1796, Napoléon épouse sa chère Joséphine,
qu’il aime à la folie. Désirée est brisée par cette annonce. Si Napoléon se console bien vite dans les bras de
Joséphine, il va falloir davantage de temps à Désirée pour oublier. Le futur vainqueur de la campagne d’Italie
lui aura préféré la douce et brillante Joséphine, mais pour la jeune marseillaise, la vie ne s’arrête pas là.
Si le destin de Bonaparte est en marche, pour Désirée aussi, la fin de cet amour éphémère avec Bonaparte n’est
que le début d’une longue aventure. Même si elle est délaissée, elle ne tardera pas à avoir un nouveau soupirant
en 1797 en la personne du général Léonard Duphot mais qui est assassiné à Rome en décembre de cette même
année. Désirée épousera finalement le général Bernadotte le dix-sept août, à Sceaux, et lui donne l'année suivante
le 4 juillet 1799 un fils, Oscar, qui sera leur unique enfant. Surnommé le "sergent Belle-Jambe", ce fringant soldat
à la musculature sèche et à la crinière de lion, est originaire de Pau. Et surtout, il est le rival militaire et politique
de Bonaparte, qui le déteste. Si Bonaparte, devenu Napoléon Ier, en 1804, se méfie toujours de son trop brillant
compétiteur et contradicteur, il admire le soldat. Bernadotte reçoit son bâton de maréchal de l'Empire. Et en 1806,
sans doute, par égard pour Désirée, il est fait "prince souverain de Pontecorvo", un petit état italien de la région
de Naples. En dépit de ses succès militaires, le maréchal Bernadotte peine à se réaliser dans l'ombre de l'Aigle.
Et en 1810, quand la Diète suédoise, en quête d'un "homme fort et proche de l'Empereur" pour succéder au vieux
roi Charles XIII, lui propose l'adoption, il s'empresse d'accepter. Désirée, désormais princesse royale de Suède,
doit rejoindre son époux à Stockholm. Après avoir longtemps tergiversé, elle finit par quitter Paris avec leur fils
et débarque dans son nouveau pays, le vingt-deux décembre 1810, où la température avoisine -20°C. Le choc
thermique et culturel est insurmontable pour la petite Marseillaise. Le froid glacial, l'interminable nuit d'hiver, la
nourriture. Rien ne trouve grâce à ses yeux. Elle bouscule l'étiquette empesée de la vieille cour, et choque "sa
chère maman", la reine Hedwige, et ses dames, qui ne cachent pas un profond mépris pour cette "parvenue".
À l'une d'elles, qui lui présente deux jeunes dames en insistant lourdement sur leur qualité de "filles d'un comte
du Saint-Empire", elle rétorque: "Et moi celle d'un commerçant de Marseille!" Après cinq mois passés dans les
palais glacés, Désirée s'ennuie et déprime. Elle retourne à Paris pour se refaire une santé, elle y restera dix ans.
En France, où sa soeur Julie est désormais la reine consort d'Espagne, Désirée joue les espionnes pour son mari.
Elle sert aussi à Napoléon de "diplomate privilégié" pour ses rapports avec la cour de Suède. À la chute de l'Empire,
en 1814, Louis XVIII retrouve le trône de ses ancêtres. Les Bonaparte doivent quitter la France, mais Désirée est
protégée par son statut de princesse royale de Suède. C'est encore à Paris, le 5 février 1818, qu'elle devient
"Sa Majesté Desideria", reine consort de Suède et de Norvège. Et aussi qu'elle s'enflamme pour le principal
ministre de Louis XVIII, Armand-Emmanuel, duc de Richelieu, qui n'en demandait pas tant. L'amoureuse
quadragénaire perd la tête. Elle s'envoie des bouquets avec la carte de visite de son "amant rêvé", et le poursuit
de ses assiduités, partout où il se rend en France et en Europe. Lui, persuadé qu'elle est une espionne, non
sans raison, fuit sa présence. Si l'on en croit Laure Junot, duchesse d'Abrantès, ils ne se sont même jamais parlé.
Quand Richelieu meurt d'une crise cardiaque, en 1822, la reine de Suède porte le grand deuil. Et fait scandale.
Elle jure à nouveau que sa vie est finie. Jusqu'à ce qu'elle apprenne, quelques semaines plus tard, la présence
de son fils à Spa, où le prince royal de Suède vient de se fiancer à Joséphine de Leuchtenberg, fille d'Eugène de
Beauharnais. Que son Oscar envisage d'épouser la petite-fille de l'impératrice Joséphine, "la vieille", cette rivale
honnie qui lui a volé le cœur de Bonaparte, jamais! Elle se précipite à la rencontre du prince qu'elle n'a pas revu
depuis dix ans. Trop tard, il est déjà amoureux de cette beauté de seize ans, douée de toutes les qualités pour
faire une bonne souveraine. Désirée n'entend pas se laisser supplanter. Elle se souvient, opportunément, que
c'est elle, et elle seule, la reine de Suède et de Norvège. Et, le 13 juin 1823, elle rentre à Stockholm en grand
apparat pour présenter sa belle-fille. Bernadotte, désormais Charles XIV Jean, n'est pas rancunier. Il se montre
empressé auprès de Désirée avec qui il reprend le cours de la vie conjugale. Prévenant, il lui fait construire le
ravissant petit château de Rosendal, sur l'île de Djurgården, où loin de l'étiquette du palais royal, la reine pourra
mener une vie bourgeoise. Désirée surprend toujours ses sujets par ses "excentricités", les mets exotiques
qu'elle importe de Provence, comme l'huile d'olive. Plus encore par ses interminables promenades nocturnes
dans les jardins de Stockholm. Finalement, elle s'accoutume à ce royaume des neiges. Et sa bonté fini par gagner
le cœur de ses sujets. Le vingt-et-un août 1829, elle est couronnée en l'église Saint-Nicolas de Stockholm.
À la mort de Charles Jean, en 1844, pour ne pas la perturber, Oscar Ier lui conserve ses appartements au palais
royal et son train de cour. Quand Joséphine, la nouvelle reine, suggère à sa belle-mère de réduire son personnel,
elle répond: "Toutes ces personnes ne me sont plus nécessaires, c'est vrai. Mais toutes ont encore besoin de moi."
Elle aura la joie de profiter de ses cinq petits-enfants, dont deux deviendront rois de Suède et Norvège, et même
de connaître son arrière-petit-fils le futur Gustave V, disparu en 1950. C'est dans sa loge du Théâtre royal de Suède
que Désirée vivra ses derniers instants, le 17 décembre 1860. Mais elle aura attendu la fin de la représentation.
Elle repose au côté de Charles XVI Jean, le fringant général qui la fit reine, dans la chapelle Bernadotte de l'église
de Riddarholmen, où les Suédois viennent toujours se recueillir sur la tombe de Desideria "la mère de la dynastie".
Bibliographie et références:
- Claude Camous, "Désirée Clary, premier amour de Napoléon"
- Gabriel de Penchenade, "Désirée Clary, de la Canebière à Stockholm"
- Franck Favier, "Les relations entre la France et la Suède de 1718 à 1848"
- Colette Piat, "Mémoires insolents de Désirée Clary"
- Françoise Kermina, "Bernadotte et Désirée Clary"
- Anne Marie Selinko, "Désirée"
- Gabriel Girod de l'Ain, "Désirée Clary"
- Frédéric Masson, "Napoléon et les femmes"
- Léonce Pingaud, "Bernadotte, Napoléon et les Bourbons"
- Karl Fredrik Lotarius baron Hochschild, "Désirée, reine de Suède et de Norvège"
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
Thèmes: littérature
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Claudie🌸
Il est des destins hors du commun. Celui-ci en est un. Ajouté à la sagesse de Bernadotte de garder son pays d'adoption en retrait de la fièvre napoléonienne de l'époque. Eux ont duré pas les autres..
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Méridienne d'un soir
Bonjour mon ami claudie, merci pour votre rappel historique, bonne fin de journée à vous. 1f607.png
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Diab
Merci de ce partage instructif.... Belle fin de journée Méridienne
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Méridienne d'un soir
Bonjour et merci mon ami Diab pour votre commentaire; une belle journée à vous. 1f607.png
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Méridienne d'un soir
Bonjour et merci mon ami MINETGRIS pour votre commentaire; bonne journée à vous. 1f607.png
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