Méridienne d'un soir
par le 15/10/20
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Son cœur repose au cimetière du Père-Lachaise dans le caveau des d’Ornano, son corps menu et gracieux
en Pologne, dans la tombe familiale à Kiernozia. Comme la comtesse Marie Walewska le voulait. Marie vit le
jour le sept décembre 1786 dans le manoir familial. Une jolie enfant, née Laczynska, une famille ancienne de
la noblesse polonaise qui aurait dû avoir une destinée banale, comme bien des femmes de son milieu et de sa
génération, un mari, de la fortune, des enfants, un amant ou deux pour faire passer le vieil époux. Marie a eu
tout ça, mais sa très courte vie a été foudroyée par une histoire d’amour et de patriotisme éperdus au côté de
Napoléon, qui a perduré jusqu’à sa mort, à trente-et-un ans. De toutes les silhouettes féminines qui côtoient
l’intimité de l’Empereur, la plus discrète, la plus tendre et la plus touchante est celle de la jeune Polonaise
que Benjamin Constant comparait à Mlle de la Vallière. Elle n’était pas précisément grande, mais elle avait la
taille fine, les cheveux blonds, le teint clair, un visage délicieux, un sourire extrêmement agréable et un timbre
de voix qui la rendait sympathique aussitôt qu’elle parlait. Modeste et très réservée dans ses gestes, toujours
très simple dans ses toilettes. Napoléon l’évoquant disait d’elle: "Un ange à l'âme aussi belle que sa figure."
Marie voit le jour le sept décembre 1786 à Brodno, dans la banlieue de Varsovie, dans une famille de l’ancienne
noblesse polonaise. La petite enfance de Marie est heureuse, mais, à huit ans, tout s’écroule. Les Polonais se
révoltent contre l’occupant russe. Son père y prend part et, alors que le soulèvement est écrasé dans le sang,
il perd la vie. Jamais elle ne pardonnera aux Russes. Sa haine ira sans cesse croissante, et son patriotisme ne
fera que devenir de jour en jour plus fort. Durant ces années, ce qui retient sans arrêt l’attention des Polonais
ce sont les informations reçues de France. Elles alimentent les conversations depuis les salons de l’aristocratie
jusqu’aux tavernes des petits bourgs. Tout le monde est focalisé sur l’homme qui est devenu le maître de la France,
Napoléon Bonaparte. On le voit comme un possible libérateur, celui qui pourrait offrir au pays son indépendance.
Des quatre coins de Pologne, les jeunes s’échappent pour rejoindre l’armée de Bonaparte. Le général Henryk
Dabrowski met sur pied une troupe de vingt mille Polonais. Dans ses pensées, la jeune Marie ne change pas.
Marie termine son éducation à quatorze ans dans un couvent pour les jeunes aristocrates polonais. Elle est douce
et studieuse comme le prouvent les rapports envoyés à sa mère. En plus d’être appliquée elle devient très belle,
ce qui est idéal pour lui faire épouser un bon parti et ainsi assurer son avenir. Malheureusement, en 1804, alors
qu’elle n’a même pas dix-huit ans, on la marie à un homme, certes important, mais très vieux, le comte chambellan
Anastazy Colonna Walewski qui a soixante-dix ans. La jeune femme rêve d'une Pologne libre, et nourrit une haine
virile du Russe qui occupe la Mazovie, où elle est née, à quelques lieues de Varsovie, mais aussi du Prussien et
de l'Autrichien qui se sont partagé le reste du pays. Son rêve, comme celui de milliers de Polonais, c’est une
Pologne libre. Toutes ces pensées ne la détournent pas de ses devoirs conjugaux et c’est en 1805 qu’elle devient
mère pour la première fois d’un petit garçon prénommé Antoni. À l’automne 1806, Napoléon est enfin là. Les
Polonais l’accueillent comme le Sauveur, celui qui amène la liberté, si chère à la France. Marie et sa famille se
lancent dans la lutte en aidant les troupes françaises comme elles le peuvent. Le premier de l’an 1807, Napoléon
rencontre Marie déguisée en paysanne, pour la première fois au relais de Blonie, sur la route de Varsovie.
Elle fait partie des Polonais venus l’acclamer. Il la revoit ensuite à un bal organisé à Varsovie par son ministre
Talleyrand. Il faut croire que l’Empereur est déjà suivi par la presse car elle fait état de leur seconde rencontre.
La gazette de Varsovie rapporte en effet: "Sa majesté l’Empereur a assisté à un bal chez le ministre des Relations
extérieures, le prince de Bénévent, au cours duquel il a invité à une danse la femme du chambellan Anastazy
Walewski. "Presse ou pas Napoléon est séduit. Dès le jour suivant, il envoie son grand maréchal du palais, Duroc,
déposer chez la comtesse un immense bouquet de fleurs accompagné d’un mot de sa main. Napoléon, sous le
charme, se fait lyrique et amoureux: "Je n’ai vu que vous, je n’ai admiré que vous, je ne désire que vous." "N."
Marie éconduit Duroc, et surtout Napoléon, en ne répondant pas. L’Empereur qui n’est pas homme à se décourager
sur un champ de bataille, est tout aussi tenace quand il s’agit d’affaire de cœur. Il reprend la plume et Duroc fait des
allers-retours incessants entre l’hôtel de la comtesse et son quartier général. Tant et si bien qu’à la fin, l’affaire ne
s’estompe point et finit par attirer l’attention. L’entourage de Marie s’en mêle et, contrairement à ce qu’on pourrait
penser, ne désapprouve pas. Le destin a voulu qu’elle soit choisie par l’Empereur, c’est un signe du ciel, elle est là
pour aider à sauver la Pologne. Il ne manque que les voix célestes. Après discussion et avec les accords du chef
de sa famille, un brillant soldat au service de Napoléon, et du vieux mari, elle finit par répondre aux lettres et accepte
de devenir la maîtresse impériale. On la sacrifie donc au salut de la patrie et d’une hypothétique liberté en la jetant
dans les bras de Napoléon. Pour Marie, accepter est un acte de courage extrême, de sacrifice patriotique, une
manière de continuer à combattre comme elle l’a toujours fait pour son pays. C'est pour elle le combat de sa vie.
L’Empereur l’emmène avec lui au Château de Finckenstein, en Prusse. Leurs amours printanières dans ce lointain
château resteront dans la mémoire de Napoléon comme un moment unique. Surpris par la résignation et l’attitude
désintéressée de la jeune femme, Napoléon sent se transformer en un sentiment profond ce qui n’avait été d’abord
qu’un caprice de conquérant. De son côté, Marie, qui n’a connu de l’amour que ce que peut donner un vieillard,
découvre sous le masque de l’Empereur, le visage d’un homme seul, écrasé sous le poids des responsabilités et
qui pourtant aspire aussi à sa part de bonheur. Faut-il voir dans l’attachement de Marie une part, inconsciente ou
non, de calcul ? Ne l’oublions pas, le sort de son pays est entre les mains de son amant. Le fait est que les deux
amants semblent très épris l’un de l’autre. L’Empereur va même réorganiser son emploi du temps afin de consacrer
de longs moments à cet amour naissant, une chose qu’il n’a plus faite depuis sa liaison récente avec Joséphine.
Marie accompagne souvent l’Empereur et dans l’intimité de leur couple, elle n’oublie jamais sa mission. Dès qu’elle
le peut, elle revient sur son sujet de prédilection, la résurrection de la Pologne. Avec elle, Napoléon ne perd jamais
patience, il discute et argumente. Pour lui, les Polonais doivent mériter cette renaissance. Leur sort est donc lié au
soutien qu’ils lui apporteront dans sa lutte. Ainsi, ils deviendront des alliés fidèles, comme Marie d’ailleurs. Pourtant,
tout ce qu’ils auront est un éphémère Grand-Duché de Varsovie qui existera de 1807 à 1815. Après la défaite de la
campagne de Russie en 1813, il est occupé par les Russes. Marie continue quant à elle de suivre Napoléon. À Paris,
elle vit retirée, dans un petit hôtel particulier de la rue de la Victoire. Le 4 mai 1810, à 4 heures de l’après-midi, elle
met au monde un joli garçon, Alexandre, futur diplomate, qui est le fruit de ses amours adultérines avec l’Empereur.
Le brave et vieil Anastazy de Walewski, âgé de 73 ans et mari en titre, reconnaîtra l'enfant par patriotisme polonais.
Il deviendra le ministre des affaires étrangères de Napoléon III et fera une carrière brillante sous le III ème empire.
Le cinq mai 1812, avant d’aller sceller son destin dans l’immensité glaciale des plaines de la Russie tsariste, Napoléon
en présence de Marie, prend toutes les dispositions nécessaires à la garantie de l’avenir du jeune Alexandre. Il lui
fait don de soixante fermes situées dans les environs de Naples ainsi que d’une rente. À cela s’ajoutent bien entendu
des armoiries en même temps que le titre de comte d’Empire. Il reste cependant un dernier détail à régler, la séparation
de Marie d’avec son vieux mari. Perclus de rhumatismes et de dettes il n’y a plus rien à espérer de lui. De plus, la loi
sur la communauté des biens entre époux pourrait le faire profiter de la dotation de l’Empereur. En août 1812, le couple
divorce, la situation de maîtresse d’Empereur aidant dans ce genre de dossier. Mais, car il y a souvent un mais, ce
divorce ne fait pas pour autant de Marie une femme libre. Son éducation et la tradition l’obligent, par décence, à
considérer son vieux chambellan comme mari aussi longtemps qu’il vivra, ce qu’il a tout de même le bon goût de ne
faire encore, que pendant deux ans et demi. L'homme fit preuve d'une étonnante grandeur d'âme pour l'époque.
La suite est connue, la retraite de Russie, la campagne de France, l’abdication et le départ pour l’île d’Elbe en avril
1814. Après l’abdication, Marie accourt à Fontainebleau. La première femme qui ait résisté à l’Empereur tout-puissant
est aussi la dernière à l’assister alors qu’il a tout perdu. Ce n’est pas tout, un soir de septembre, une femme et un
enfant débarquent à l’île d’Elbe. On attend l’Impératrice et le roi de Rome mais c’est encore une fois la comtesse
Walewska et son fils. Ils passent deux jours auprès du prisonnier puis reprennent la route pour le continent. Ils ne se
reverront plus. Rien n’obligeait Marie à faire tout cela, à lui montrer ces dernières marques d’affection. Alors, est-elle
sincère quand, dans ses mémoires, elle écrit que sa liaison avec l’Empereur a été "un sacrifice fait à son pays" ?
Blessé en duel, incarcéré pour propos hostiles au Roi, le général d’Ornano, cousin éloigné de Napoléon et général
d’Empire dont le nom est inscrit sur l’Arc de Triomphe, se réfugie à Bruxelles en janvier 1816. Il y retrouve Marie,
exilée elle aussi, et veuve à vingt-six ans suite au décès de son mari, le comte Walewski. Depuis longtemps, Ornano
éprouve une attirance pour la jeune femme. Le 7 septembre 1816, l’archiprêtre de Sainte-Gudule les unit en présence
du notaire Dupré et de son clerc. Les exilés n’ont pas obtenu l’autorisation de résider dans la capitale. Ils quittent la
ville et vont s’installer à Liège au pied de la colline de Cointe, dans le quartier de Fragnée qui, à l’époque, est encore
un quartier synonyme de campagne. À cette époque, à Liège, il y a beaucoup de proscrits, d’anciens officiers de
Bonaparte ayant refusé de se mettre au service du Roi. Ni le général, ni Marie ne semblent avoir cherché à les
fréquenter. Marie préfère de loin la musique dans son salon aux discussions politiques et l’ancien soldat doit se
contenter de rêver aux campagnes passées. En janvier 1817, Marie enceinte, décide d’aller jusqu’en Pologne pour
y régler certaines affaires, revoir son fils Antoni, né de son premier mariage et consulter un médecin très réputé.
Sa santé n’est pas très bonne et la perspective d’une nouvelle naissance inquiète tout le monde. Les nouvelles
ne sont pas réjouissantes car le docteur diagnostique une toxémie aiguë, une maladie des reins survenant pendant
la grossesse. Elle rentre malgré tout à Liège. Le dix juin, le comte d’Ornano déclare à l’état civil la naissance d’un
petit Rodolphe, né la veille. Très faible, la jeune mère tente de surmonter la maladie en se reposant dans la maison
de Fragnée. Elle passe l’été, sur une chaise longue dans le jardin. Elle en profite pour dicter à son secrétaire, ce qui
est supposé être ses Mémoires. C’est à Liège que Marie verra l’été pour la dernière fois. Le célèbre docteur français
Corvisart, appelé en consultation, est pessimiste. Entre-temps, le général reçoit l’autorisation de rentrer en France.
Il y ramène sa famille en novembre, par étapes, pour ne pas fatiguer la malade. Le trente, ils arrivent enfin à Paris.
Onze jours plus tard, à sept heures du soir, le 11 décembre 1817, le cœur de Marie Walewska cesse de battre. Elle
s’éteint dans les bras de son mari. Elle avait eu à peine la force de fêter son trente-et-unième anniversaire quatre
jours plus tôt. Dans son testament, Marie veut que son cœur reste en France mais que son corps soit transporté
en Pologne, dans le caveau familial de Kiernozia, ce qui fut fait quatre mois plus tard. Jusqu’à ce qu’il la rejoigne
dans la mort, le comte d’Ornano gardera dans son bureau l’urne contenant le cœur de Marie. À son décès elle est
placée avec lui dans le caveau familial avec la simple inscription: "Marie Laczynska, comtesse d’Ornano." Ils
reposent encore aujourd’hui, tous deux, au cimetière du Père-Lachaise. Avant de mourir, le général d’Ornano
est devenu sénateur, gouverneur des Invalides, grand chancelier de la Légion d’honneur. Leur fils Rodolphe est
préfet, député, maître des cérémonies à la Cour de Napoléon III. Alexandre sera ambassadeur et ministre d’État.
L'émouvante figure de Marie Walewska, la plus célèbre des maîtresses de Napoléon, suscite des interrogations.
Déjà mariée au comte Walewski, beaucoup plus âgé qu'elle, a-t-elle sacrifié l'honneur conjugal à la noble cause
de la résurrection de la Pologne, ou fut-elle prise de force, comme l'assurait André Castelot ? Ce sacrifice a-t-il
été vain ? Napoléon fut-il vraiment épris de Marie Walewska, épouse polonaise de l'Empereur ou faut-il ranger
simplement cette liaison au-dessus des passades nécessaires au repos du guerrier en raison de sa durée ? À
Sainte-Hélène, Napoléon ne disait-il pas à Gourgaud, sans le moindre attendrissement: "C'est M. de Talleyrand
qui m'a procuré Marie Walewska, elle ne s'est pas défendue." Ce qui est pour le moins brutal. Et le cinéma a
contribué encore à embellir l'histoire en faisant de Greta Garbo une Marie Walewska d'une beauté remarquable.
Bibliographie et références:
- Octave d'Aubry, "Maria Walewska, le grand amour de Napoléon"
- Christine Sutherland, "Marie Walewska, le grand amour de Napoléon"
- Guy Godlewski, "Le destin tourmenté de Marie Walewska"
- Paul Bauer, "Deux siècles d'histoire au Père Lachaise"
- Jean Tulard, "Napoléon Bonaparte"
- Philippe Antoine d'Ornano, "Archives familiales"
- Simone Bertière, "Les femmes de Bonaparte"
- Janine Boissard, "Trois femmes et un empereur"
- Alexandre Walewski, "Archives familiales"
- Rodolphe d'Ornano, "Ma mère, Marie Walewska"
- Alphonse Antoine D'Ornano, "Marie Walewska"
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
Thèmes: littérature
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Méridienne d'un soir
En effet, scenariste; un destin digne d'une tragédie grecque.
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