Méridienne d'un soir
par le 22/09/20
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Condorcet rédige son célèbre "Tableau des progrès de l’esprit humain" alors même qu’il se sait menacé de la guillotine.
Ombres et lumières de la Révolution française, portée par ce rêve de justice qu’ont inspiré nos philosophes, rêve d'un
monde en marche et à portée de l’homme, dont les événements de 1789 ont d’abord paru l’accomplissement, et qui
sombra dans la Terreur. Il n’est période plus propice à l’observation du concept de progrès que celle où l’idée fut aux
prises avec la réalité, sur le point de devenir lois et conditions de vie. La Terreur ? un démenti, peut-être. Un démenti
provisoire, laisse penser Victor Hugo au terme de son "Quatre-vingt-treize". Le concept perdure. On en voit aujourd’hui
encore les effets. S’il faut entendre "progrès" comme la certitude d’un nouvel âge d’or, de bonheur et de liberté, l’époque
actuelle semble avoir perdu ces illusions. Mais les idéaux des Lumières président toujours aux mouvements de nos
sociétés et, que nous en ayons conscience ou non, informent notre pensée. La filiation est plus sensible encore en temps
de crise comme celui que nous traversons. Or, l’Histoire n’a livré ses enseignements qu’après avoir épuisé les figures
héroïques, lorsqu’elle s’intéresse à ses oubliés. Tel est le personnage d’Olympe de Gouges, témoin privilégié et actif de
ces événements, qui s’affirme, deux siècles plus tard, en raison de convergences qui apparaissent avec l’époque
contemporaine. Olympe de Gouges, ardente avocate du progrès social en est aussi l’exemple vivant, dans son évolution
personnelle, dans ses combats, dans ses renoncements, jusque dans sa destinée. Le 3 novembre 1793, à l’âge de
quarante-cinq ans, ayant refusé de faire contre sa conscience des aveux qui lui auraient peut-être sauvé la vie,
elle monte sur l’échafaud, quelques jours seulement après Marie-Antoinette, première femme victime de ses opinions.
Née en 1748, Marie Gouze grandit à Montauban, ville où elle épouse dix-sept ans plus tard Louis-Yves Aubry,
"traiteur grossier et inculte" de trente ans son aîné. La vie du ménage ne fait cependant pas long feu. Aubry meurt un an
plus tard, emporté par une crue du Tarn. Désormais veuve, Marie Gouze, encore très jeune au moment des faits, se met
à avoir soif de liberté de publier. À cette époque, la loi interdisait aux femmes de publier des textes sans l’accord de leur
époux. Il n’en faut alors pas plus à Marie Gouze pour la persuader de ne jamais se remarier. Mue par l’envie de mener
une carrière littéraire, elle quitte finalement Montauban pour rejoindre sa soeur aînée à Paris. C’est en montant à la
capitale qu’elle prend le nom sous lequel on la connaît le mieux, Olympe de Gouges. Entretenue par un fonctionnaire
de la marine du nom de Jacques Biétrix de Rozières, elle se met à côtoyer les milieux bourgeois et plus particulièrement
les salons fréquentés par les hommes de lettres. Ses diverses rencontres l’inspirent et la poussent à écrire toujours plus.
Elle s’essaye alors aux pièces de théâtre, aux romans ainsi qu’aux écrits politiques. Avant-gardiste et féministe, ses
fortes convictions et la liberté de ses engagements la conduiront à sa perte. Elle sera guillotinée le 3 novembre 1793.
L’intérêt qu’Olympe de Gouges suscite au-delà de nos frontières nous rappelle la valeur de ce personnage. Son cas
n’appartient donc plus seulement à la France, pas seulement aux femmes, n’appartient pas seulement à la Révolution.
Il intéresse justement parce qu’elle s’est immergée totalement dans son époque, toutes les générations qui se posent la
question de l’individu et celle de sa participation à l’Histoire. Son cas nous intéresse parce qu’il jette un jour différent
sur une page essentielle de notre Histoire et qu’il permet de nous interroger sur nous-mêmes, aujourd’hui où nombre
de ses propositions, réalisées ou non, occupent encore nos débats. L’œuvre qu’elle laisse à la postérité, abondante et
variée, élaborée dans des années décisives, entre 1783 et 93, est riche d’informations sur ce mieux qui était rêvé,
promis à tous, sur les moyens et les méthodes pour y parvenir. Elle offre l’avantage pour nous de présenter un point
de vue tout à fait exceptionnel, celui d’une femme d’abord, une provinciale de la petite bourgeoisie, admise auprès
des Grands à partir de son arrivée à Paris (1767) et qui a acquis dans ce parcours le regard perspicace et indépendant
du "persan" en voyage. Née française, elle a fait son fruit de la pensée des Lumières, sans rien perdre de la vivacité
de la languedocienne forte d’un esprit critique affirmé et d’une évidente énergie. Une voie, seule, s’ouvrait devant elle,
où tous ses élans pouvaient s’exprimer et être partagés, la littérature. Libre à chacun de juger de son œuvre.
Elle est inégale peut-être et parfois sent la précipitation. Elle se flatte d’ailleurs d’être rapide et avoue parfois avoir
terminé l’écrit sur le comptoir de l’imprimeur. Bien qu’elle ait tout sacrifié à cette passion des lettres et de la parole
jusqu’à sa fortune et sa sécurité, elle garde la tête froide: "Qu’on ne me prête pas le ridicule de croire que mes pièces
sont des chefs d’œuvre", dit-elle dans Molière chez Ninon ou le siècle des grands hommes. Il faut dire que les dix
années de sa carrière littéraire ne furent pas pour le XVIII ème siècle le temps des chefs d’œuvre, en raison même
des troubles qui agitaient les consciences. Il y avait à ce moment d’autres urgences que la recherche de la perfection
artistique. Ces circonstances en revanche étaient favorables, chez Olympe particulièrement, à l’invention d’idées
nouvelles comme de formes artistiques, qui se sont révélées naturellement, sans être voulues. Mais pour elle, que
le sens des mots engage, citoyenne avant la lettre, l’urgence est d’intervenir, de participer à la construction, car elle
est dans la crainte de voir, au moment du déferlement de la Terreur, la démocratie naissante s’élaborer sans avoir
déraciné tous les esclavages de l’Ancien Régime. C’est dans ce moment de crise auquel pour la première fois les
femmes participaient qu’il est intéressant d’observer cette prise de parole féminine, qui s’est élevée à la grande
surprise, c’est le moins qu’on puisse dire des philosophes, des politiques, des hommes en général et en particulier.
Le volet de son œuvre le mieux connu aujourd’hui, c’est "La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne"
en raison des publications qui ont été réalisées dans les années quatre-vingt et de l’utilisation qui en a été faite par le
mouvement féministe. Il était question, dans ces années qui voyaient certaines avancées en matière de progrès social,
de revenir sur la place des femmes dans la société et d’étendre effectivement leurs droits. Le texte d’Olympe devait
soutenir puissamment les revendications de ces femmes, impatientes de voir, après l’adoption du droit de vote
après-guerre, évoluer concrètement les mentalités et les lois. La pensée d’Olympe ne saurait cependant être réduite
à ce mouvement. Fruits de son enfance occitane et de ses trois entorses aux bonnes mœurs de son temps.
Dans son roman autobiographique "Mémoire de Mme de Valmont", on y apprend qu’elle vécut une enfance pauvre
et sans instruction, avec l’occitan comme langue maternelle. D’après ses dires, elle serait née d’une union illégitime
entre le marquis Jean-Jacques Lefranc de Pompignan, magistrat et écrivain, et une fille du peuple, Anne-Olympe
Mouisset. Bien qu’il n’ait jamais reconnu sa paternité publiquement, Olympe idolâtrait ce père, en plus de prétendre
avoir hérité de son talent d’écrivain. Très avant-gardiste sur son temps, on dira d’Olympe de Gouges qu’elle commit
trois entorses aux bonnes mœurs et lois de son sexe. La première entorse fut son refus de se faire appeler la veuve
Aubry. En effet, après la mort de son mari, Louis-Yves Aubry, alors qu’elle n’était âgée que de dix-huit ans et mère d’un
garçon, Pierre Aubry, elle décida de se créer sa propre identité, prétextant que le nom Aubry lui évoquait de mauvais
souvenirs. Marie Gouze veuve Aubry changea alors son nom pour Olympe de Gouges, reprenant une partie du prénom
de sa mère. Sa deuxième entorse fut de refuser d’épouser le riche entrepreneur Jacques Biétix de Rosières alors
que cette union lui aurait assuré la sécurité financière. Olympe ne croyant pas au mariage, qu’elle définit comme "le
tombeau de la confiance et de l’amour", lui préférait "l’inclinaison naturelle", c’est-à-dire un contrat social entre un
homme et une femme. Ces déclarations lui vaudront, chez les chroniqueurs de l’époque, une réputation de femme
galante, connue à Paris pour les faveurs qu’elle rendait aux hommes. Finalement, sa troisième entorse fut son
implication sociale et sa condamnation des injustices faites à tous les laissés-pour-compte de la société.
Après la mort de son mari, elle décida de poursuivre une carrière littéraire qui l’amena à dénoncer l’esclavage des
"Noirs" et à plaider en faveur des droits civils et politiques des femmes dans ses écrits. Elle s’exila alors à Paris avec
son fils et Jacques Biétrix de Rozières, où elle apprit très vite ce qu’était l’exclusion sociale. Il faut dire qu’Olympe
était avant tout considérée comme illettrée, occitane, indomptable et imprudente. Autodidacte, elle se mit à fréquenter
les milieux politiques, ainsi que les "gens bien nés." Olympe fut l’auteur de nombreux romans et pièces de théâtre.
Sa première pièce de théâtre à être acceptée et présentée fut l’"Esclavage des Nègres" qui ne sera joué qu’une seule
fois. Par la suite, elle devint très engagée dans des combats politiques en faveur des "Noirs" et de l’égalité des sexes.
D’ailleurs, elle est la seule femme à avoir été citée en 1808 dans la "Liste des hommes courageux qui ont plaidé ou
agi pour l’abolition de la Traite des Noirs." Olympe de Gouges fut plus d’une fois injustement critiquée pour ses
nombreux écrits contestataires de l’ordre établi. Cependant, avec sa force de caractère et ses convictions, elle devint
à plusieurs reprises le porte-étendard dans la dénonciation du traitement injuste réservé aux femmes.
En 1788, elle publie dans le "Journal Général de France" une brochure politique intitulée "La lettre au peuple ou projet
d’une caisse patriotique." Dans cette lettre, elle proposait des idées socialistes avant-gardistes qui ne furent reprises
que plusieurs années plus tard. On y retrouve la demande de création d’une assistance sociale, d’établissements
d’accueil pour les aînés, de refuges pour les enfants d’ouvriers, d’ateliers publics pour les ouvriers sans travail et
de tribunaux populaires. Son audace ne s’arrêta pas à cette lettre. En 1791, Olympe rédigea une "Déclaration des droits
des femmes et de la citoyenne", copiée sur la "Déclaration des droits de l’homme et du citoyen". Cette déclaration
dénonçait le fait que la Révolution n’incluait pas les femmes dans son projet de liberté et d’égalité et considérait que
"l’ignorance, le mépris des droits de la femme sont les seules causes de malheurs publics et de la corruption des
gouvernements." Elle adressa sa Déclaration à la "première des femmes", en l'occurence, la reine Marie-Antoinette.
Jusqu'à la chute du Roi, Olympe de Gouges soutient l'idée d'une monarchie constitutionnelle pour la France, exprimant
encore son point de vue au printemps 1792 dans un essai dédié à Louis XVI," L'Esprit français", où elle prône une
révolution non-violente. Au premier jour de l'an I de la République (21 septembre 1792), elle rejoint le mouvement
modéré des Girondins. Abhorant la peine de mort, elle propose son aide à Malesherbes pour assister le Roi dans son
procès devant la Convention. Vivement opposée au régime de la Terreur, elle signe une affiche contre Robespierre et
Marat qu'elle accuse d'être responsables des effusions de sang. Fidèle à ses principes humanistes, elle y déclare que
"Le sang même des coupables, versé avec profusion et cruauté, souille éternellement les révolutions". Après la mise
en accusation du parti girondin, elle adresse au président de la Convention une lettre où elle s'indigne de cette mesure
attentatoire aux principes démocratiques. Elle continue de s'exprimer publiquement alors qu'elle fait l'objet de menaces
et que la sanglante guillotine de la Terreur coupe les têtes à plein régime démontrant ainsi toute la force de son courage.
Le 20 juillet 1793, alors qu'elle diffuse son pamphlet "Les Trois urnes", Olympe de Gouges est arrêtée et emprisonnée
à l'Abbaye de Saint-Germain-des-Prés. Elle est accusée d'injures envers les représentants du peuple et de publication
d'écrits contre-révolutionnaires. De sa cellule, elle parvient à faire afficher deux derniers libelles, "Une patriote persécutée"
et "Olympe de Gouges au tribunal révolutionnaire", mais tous ses amis se cachent ou la renient. Sous la pression, son
propre fils, Pierre Aubry de Gouges, la renie publiquement dans une "profession de foi civique". Le 2 novembre, elle
comparaît devant le Tribunal révolutionnaire. Elle tente vainement d'expliquer que son combat humaniste s'inscrit au
cœur même de la Révolution mais elle est condamnée à mort et guillotinée le lendemain matin. C'est la seconde femme
guillotinée de l'histoire de France après Marie-Antoinette. Victime en son siècle de ses prises de position contre les
dérives de la Révolution, puis victime encore pendant près de deux siècles d'intellectuels misogynes qui la peignirent
comme illettrée et exaltée, Olympe de Gouges fait aujourd'hui l'objet d'une réhabilitation. Comme au début des années
1990, le nom d'Olympe de Gouges circule parmi les "panthéonisables." Néanmoins, après l'annonce du 21 février par
le président de la République des quatre personnalités entrant au Panthéon en 2014, sa popularité fait toujours d'elle
une candidate à une entrée dans un futur proche. Plus de deux siècles après sa mort, Olympe de Gouges continue
d’inspirer les femmes et de leur donner du courage et de la détermination dans la lutte pour l’égalité femmes-hommes.
Bibliographie et références:
- Daniel Bensaïd, "Moi la Révolution"
- Olivier Blanc, "Olympes de Gouges"
- Olivier Blanc, "Olympe de Gouges, une femme de libertés"
- Marie-Paule Duhet, "Les femmes et la Révolution"
- Michel Faucheux, "Olympe de Gouges"
- Joëlle Gardes, "Olympe de Gouges"
- Caroline Grimm, "Moi, Olympe de Gouges"
- Léopold Lacour, "Trois femmes de la Révolution"
- Catherine Marand-Fouquet, "La Femme au temps de la Révolution"
- Catherine Masson, "Olympe de Gouges, anti-esclavagiste et non-violente"
- Michelle Perrot, "Des femmes rebelles,Olympe de Gouges, Flora Tristan, George Sand"
- Jürgen Siess, "Un discours politique au féminin, le projet d’Olympe de Gouges"
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
Thèmes: littérature
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Méridienne d'un soir
Bonjour et merci mon ami Justeme pour votre commentaire; bonne journée à vous. 1f607.png
J'aime 23/09/20
Méridienne d'un soir
Bonjour mon ami MINETGRIS, c'est toujours un plaisir pour moi de lire vos commentaires; agréable journée à vous. 1f607.png
J'aime 25/09/20