Peer
par le 03/06/20
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Le 14 du mois de Février de l’an 1717,
Très cher Comte,
La neige est venue couvrir notre beau vignoble ces derniers jours, cela faisait bien cinq années qu’elle ne nous avait pas offert la douceur de son manteau d’apaisement. Des ardoises de la grande maison aux tuiles des vieux chais, tout se retrouve désormais couvert de cette subtile blancheur, même nos frêles piquets d’acacia se dressent les uns près des autres, portant fièrement leur petit couvre-chef immaculé.
Comme j’aurais aimé que vous soyez des nôtres pour la contempler, pour profiter du répit qu’elle offre à nos chères vignes endormies. Plus encore, je me serais enchantée des heures qui l’ont précédée, de ces instants où l’air commençât à se teinter de jaune, où la nature se plaçât en recueillement, faisant silence, comme interdite. J’imagine votre blondeur s’être parée d’un éclat particulier devant tel spectacle.
Alors les premiers flocons, osant à peine descendre de leurs nuages, seraient venus se poser sur le sol, timides d’oser le dissimuler d’abord, puis plus sûrs de leur fait au fur et à mesure qu’ils s’amassaient ensemble.
Je me serais délectée de vous faire entendre ce silence qui les nimbe, cette incroyable absence de bruits, comme si tout s’était arrêté par magie. Il n’en est pourtant rien, et je crois que je me serais beaucoup amusée à vous le faire découvrir, à vous faire entendre comment ils venaient tous, minuscules étoiles scintillantes, se mêler à nos chères graves, imprégner leurs pelisses d’argiles, fondant ainsi la source de la sève qui coulerait un jour dans les veines de nos vignes, les nourrissant et leur donnant la force de se battre contre les éléments. Sans doute votre regard, lui aussi, se serait-il animé d’une étrange lueur.
Evidemment, au diapason de dame nature, les travaux de taille se sont interrompus, les crissements des faucilles ont cessé. Bien que je n’ignore rien de leur nécessité, comme une impérieuse saignée, je ne peux me résoudre à voir ces blessures que les hommes de la propriété infligent à nos chers ceps. Parfois, je tente d’apaiser leurs souffrances, d’une caresse : ai-je ce pouvoir ? Pourtant, sans cet infâme traitement, elles ne survivraient pas, condamnées à un port malingre et souffreteux, incapables de donner naissance à la moindre petite fleur. Peut-être m’auriez-vous prise dans vos bras pour m’en consoler, je ne vous l’aurais pas interdit.
Toute la vie du domaine se trouve ainsi bousculée par le grand manteau blanc. Les travaux de marnage, dans le Grand Sablonnet, ont cessé eux-aussi, ce qui n’est pas pour me déplaire. Je n’entends toujours pas le plaisir que Monsieur l’Intendant prend à faire ainsi décaisser des arpents entiers, sur plus d’un pied de profondeur, les éventrant sans ménagement, pour venir les farcir de quintaux de cette immonde glaise nauséabonde venue des palus. Je n’en peux plus de les voir défiler d’un incessant convoi de tombereaux croulants et ruisselants sur nos belles allées, asphyxiant odieusement les pauvres brins de pâturins qui s’y sont réfugiés depuis votre départ. Il prétend ainsi enrichir nos terres, il ne fait que les souiller, ignorant leur beauté, leur force et leur pureté. Cet homme n’est décidément qu’un comptable.
Au moins semble-t-il avoir suivi vos directives, puisqu’il nous a demandé de préparer des sarments de Petite Vidure, que nous avons soigneusement regroupés en jolis petits fagots, et qui se trouvent désormais bien au frais dans une des caves des chais. Les hommes avaient particulièrement bien taillé cette année, et nous n’avons quasiment pas eu de brindilles à écarter. Prenez garde à lui rappeler de ne pas infliger le même traitement au Petit Sablonnet, la terre y est différente, moins graveleuse, plus légère, la petite Vidure ne s’y plairait pas, quelques Merlaus dans la pièce des Socs pourraient s’en accommoder, j’en ai marqué quelques-uns.
Ce matin avec Marie, nous sommes allées donner la tétée à deux petits agneaux fragiles. Ils se sont tous deux montrés très agités, nous avons dû les rassurer, on eût dit qu’ils sentaient la neige au dehors, ou peut-être se languissaient-ils déjà des herbes grasses de nos prés-salés, mais cela me semble encore bien précipité. En descendant aux bergeries, je me suis promenée dans les vignes alors qu’un soleil à la blancheur hésitante irisait le manteau de neige, le givre était venu se mêler à la fête, et de petites gouttes venaient de se figer le long de quelques fiers sarments, emprisonnées par le froid. Elles m’ont fait penser à vous, prisonnier de votre cour, loin de nos terres.
Peut-être me conterez-vous quelques-unes des intrigues qui s’y déroulent, ou un peu des fêtes qu’on y donne. J’espère que vous nous reviendrez bien vite, il me reste tant de choses à vous montrer, ici.
Je vous prie de bien vouloir croire, cher Comte, en l’assurance de ma considération.
Elisabeth
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Peer
Madame Karolyne c'est possible, je ne sais pas, j'y réfléchis !
J'aime 03/06/20