Méridienne d'un soir
par le 24/05/20
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Aujourd'hui, dans les films érotiques, le BDSM sert de support à l'expression de fantasme de puissance.
Sa mise en scène frise souvent le grand guignol. Pourtant, loin d'être une pratique fantaisiste, il traduit
dans la sexualité une tendance du psychisme à osciller entre domination et soumission. Histoire d’O
a certes défrayé la chronique de façon admirable, mais ce n’est qu’une œuvre littéraire, aucunement
un manuel BDSM. Le SM dont nous abreuvent les médias n’existe pas ailleurs que dans l’imagination
collective, sous la forme d’une pathologie hallucinatoire à laquelle aucun malade ne pourra jamais
s’identifier. Et cette farce universelle, pour avoir le mérite d’alimenter les fantasmes populaires des
deuxièmes parties de soirées télévisuelles, continuera longtemps à culpabiliser des individus normaux
qui ressentent en eux un instinct proche de ce SM que les foules diabolisent. Loin de toute caricature,
dans certains contextes, ce n’est pas tant la perception du statut immoral ou condamnable des pratiques
BDSM qui est réprouvée ou qui serait perçue comme anormale, mais bien le fait d’étaler sa vie intime dans
un contexte qui ne s’y prêterait pas. En somme, il est possible d’affirmer que le BDSM est plus acceptable
qu’auparavant comme en témoigne son infiltration dans la culture populaire. Désormais ce n'est plus le
caractère violent des pratiques qui est au cœur des débats mais bien plutôt la question du consentement.
À l’intérieur de la culture BDSM, il semble que les discours se soient adaptés aux changements dans la normativité
contemporaine où l’idéal de la communication, du consentement et du sujet libéral maître de ses choix se soit répandu.
Dans cette optique, le SM est désormais pensé comme une activité sexuelle favorisant le bien-être des adeptes et
l’atteinte du plaisir, ce qui entre dans la logique de la santé sexuelle. Cette vision s’appuie sur une conception libérale
du sujet contemporain que l’on imagine capable de prendre conscience de son état ou de ses processus émotionnels
dans le but d’exprimer ouvertement ses désirs sexuels pour les vivre avec un partenaire.
L’accent mis par les protagonistes unis dans une relation sur la négociation des pratiques et la démonstration d’une
compréhension raffinée du consentement qui demeure l’objet de perpétuelles réflexions, pourrait nous conduire à affirmer
que les adeptes de BDSM se positionnent non pas dans le spectre de la déviance, mais dans celui d’une hypernormalité,
au sens où ce sont bien eux qui correspondent à une figure avant-gardiste des idéaux contemporains de communication,
de rationalisme et de quête de plaisir fondée sur les désirs réciproques de chacun. Le sexe sous tension libère du sexe.
Douleur et plaisir sont des sensations. Elles s'incarnent et permettent très tôt dans l'enfance de donner un espace
au corps. Celui-ci se construit comme espace sensible traversé de perceptions tantôt déplaisantes, tantôt plaisantes.
Le corps que nous sommes est initialement délimité par ces expériences. Le plaisir est tiré de la satisfaction des
besoins tandis que le déplaisir provient de leur frustration. Au départ, le plaisir est lié à la survie tandis que le déplaisir
indique une situation de danger vital. Il précède une possible disparition du sujet. Il se rattache donc à la mort. Plaisir
et déplaisir sont donc respectivement articulés aux pulsions de vie et pulsions de mort. Le plaisir lorsqu'il survient
recouvre la sensation désagréable précédente. C'est l'expérience d'une tension déplaisante qui indique quel est le
besoin à satisfaire. La résolution procure du plaisir. L'expérience désagréable est donc nécessaire à l'avènement
du plaisir. Il est donc possible d'érotiser la douleur en prévision du plaisir qui viendra lors de son apaisement.
De plus, le sentiment d'indignité à l'œuvre dans le masochisme rend possible l'émergence d'un partenaire qui viendra
le contredire. Le masochiste appelle donc un objet qui, en l'avalisant dans cette position, lui permet de prendre du plaisir.
C'est le masochiste qui crée le sadique, attirant sur lui ses foudres, le masochiste est en situation d'être porté et secouru.
Ce secours peut prendre la forme d'une punition. L'autre, même s'il punit, s'occupe du masochiste, il répond à une tension.
Cette structuration est explicite dans le troublant film de Michael Hanecke: " La Pianiste." Quel qu’en soient les origines,
apparaît l'union entre le corps et l'esprit. En punissant, on veut faire entendre raison, en meurtrissant le corps, on pousse
l'esprit à s'élever en se surpassant. Les informations cérébro-dolorosives transmises au cerveau agissent comme des
détonateurs forçant l'esprit. Celui ci transmet à son tour au corps l'ordre d'endurer et de résister.
Ce schéma synaptique neuromusculaire se produit lors d'une séance de flagellation. Clairement exprimé, la flagellation
permet d'explorer le côté animal en transgressant les codes d'une sexualité classique. Elle confronte les partenaires,
à la vulnérabilité ou à la puissance, au cours de jeux de rôles sexuels extrêmes, comme de puissants leviers d'excitation
sexuelle. La ritualisation, en particulier, la mise à nu de la soumise exacerbe l'érotisation de la préparation à la séance de
flagellation. Elle ou il offre à sa Maîtresse ou à son Maître, en signe d'offrande, le spectacle de sa nudité. Libre à elle ou à
lui, de se livrer à un examen approfondi des parties corporelles à travailler.
Les yeux bandés, et bâillonnée, elle est attachée avec des menottes, ou des cordes, sur un carcan, un cheval d'arçon,
le plus souvent, une croix de Saint-André. S'infligeant une souffrance physique, le masochiste produit des endorphines,
hormones sécrétées en cas d'excitation, et de douleur. Les endorphines ou endomorphines étant des composés opioïdes
peptidiques endogènes secrétées par l'hypophyse et l'hypothalamus, lors d'activités physiques intenses, sportives ou
sexuelles, d'excitation, de douleur, et d'orgasme. Posséder la douleur, c'est s'autoriser à la transformer, à la renverser en
jouissance. Lors de pratiques SM, nous percevons un passage à l'acte sexuel des tendances psychiques. Elles renvoient
à des représentations du corps qui touchent aux couples propre/sale, bien/mal. Certaines parties du corps sont ainsi
honteuses et attirantes (sexe, anus). Toutes pratiques sexuelles oscillent alors entre attirance et dégoût, douleur et plaisir.
L'anticipation, l'imagination, sont les portes de la volupté sexuelle. La soumise éprouve le bonheur d'être le centre d'intérêt,
l’objet de tous les honneurs; félicité délicatement épicée par son imagination et l'appréhension qu'elle peut y puiser, tandis
que l'excitation monte. Le dominant découvre avec surprise que ses pulsions sont finalement très complémentaires des
attentes de sa compagne; les deux partenaires ont, en fin de compte, des goûts très en accord et des fantasmes communs.
Le jeu BDSM a cela de libérateur qu'il crée un contexte où chaque protagoniste va pouvoir se décharger sans honte de ces
tabous, pour jouir librement de sa libido, tout en se délectant du plaisir de l'autre. Le sexe, s’il ne rend pas aveugle, a cela
en commun avec les occupations physiques intenses, comme les compétitions sportives, qu’il possède les facultés de
désinhiber, et d’occulter magiquement l’environnement. Il en va de même en SM, lors d'une séance pour les partenaires.
Ce sont des leviers connus dans la sexualité, qui décuplent l'excitation et le plaisir qui en découle. Pour quelles raisons ?
Du côté du soumis (ou de la soumise), ces leviers jouent sur l'abandon à l'autre; il ou elle est à la merci de celui., celle qui
pourrait tout lui infliger, et qui contrôle son plaisir. Un jeu qui simule l'exposition au danger. Du côté du (de) la dominant (e),
il ou elle obtient la toute-puissance sur son (sa) partenaire, avec la possibilité de faire mal ou de faire jouir. En dehors du
SM, il s'agit de fantasmes et d'imaginaire, pas de violence infligée chez la plupart des couples. Pour certain(e)s, c'est parfois
tout simplement faire une fellation, assis (e) aux pieds de l'autre debout; qui est soumis(e) et qui domine ? Celui, celle qui
est aux pieds de l'autre ? Ou celui, celle qui domine en étant maître ou maîtresse du plaisir de l'autre ?
En psychiatrie, le sadomasochisme fait partie de ce que l'on appelle les paraphilies, baptisées autrefois les perversions,
comme l'exhibitionnisme, le fétichisme, ou la zoophilie. Ce sont des pratiques qui n'utilisent pas les ressorts sexuels jugés
"normaux" par la société. Le masochiste ne jouira que dans la souffrance et l'humilation ; il n'aura pas d'orgasme dans un
rapport classique. Son cerveau produit des endorphines, des antidouleurs naturels, qui sont sécrétés lors du plaisir, de
l'orgasme et de la souffrance. Celle-ci est transformée en plaisir sexuel dans le cadre du masochisme. Le sadique, lui,
prendra un plaisir à la fois psychologique et physique dans la douleur qu'il impose. Il frappe ou humilie pour blesser son
partenaire de jeux érotiques. Le pouvoir dont il dispose devant sa ou son partenaire, décuple son excitation et son plaisir.
Il se confronte au pouvoir dont elle dispose sur un autre être humain et à sa toute-puissance.
Les sadomasochistes utilisent exactement les mêmes ressorts que les adeptes de domination et de soumission, pour
augmenter leur plaisir. Car le plaisir est mutuel et partagé, c'est là tout l'enjeu du rapport SM. Il apporte un apaisement
et un épanouissement sexuel aux couples qui le pratiquent. La confiance, l'écoute, la discussion et la connaissance
de l'autre sont les vrais points à rechercher dans toute relation, et c'est d'eux que naîtra, parmi mille autres plaisirs,
ce doux sentiment d'abandon que d'aucun appelle allégoriquement le subspace.
Le SM n'est pas une perversion mais l'expression dans la vie sexuelle de mouvements inconscients ordinaires.
Dans une certaine mesure en mettant en jeu les désirs les plus profonds, ces pratiques pimentent la sexualité
et ne posent généralement aucun souci puisqu'elles sont fondées sur un profond respect et une écoute soutenue
de l'autre. Le SM sain et modéré actualise et réalise une part des désirs inconscients informulés des partenaires.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir
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swanny33
Les écrits sur le SM sont rares ici, merci Méridienne d'un soir de parler de cette pratique qui apporte des plaisirs et sensations si intenses. Je sais que mon plaisir est augmenté quand de jouer avec moi fait de l'effet au Dominant qui me flagelle, j'aime le savoir et voir à la fin de la séance (ou pendant) l'étincelle dans ses yeux. Cette partie du BDSM apporte tellement, est révélatrice et le sentiment de plénitude après si planant. Le SM côté Dominants (tes), n'est pas que donner des coups pour punir ou jouer au Mâle. C'est beaucoup plus complexe que cela, et quand la fusion existe c'est un univers tellement riche. D'ailleurs pourquoi toujours parler de punition comme raison pour flageller, alors que ce n'est que du plaisir. Pas besoin de prétextes foireux à un Dominant ou Maître pour pratiquer. Il suffit juste d'une envie commune a s'épanouir mutuellement.
J'aime 24/05/20
insolence
merci Mér toujours aussi agréable à lire... bises
J'aime 24/05/20
Belle synthèse que cet exposé de nos pratiques vues avec le recul nécessaire à une bonne analyse. J'y souscris pleinement, tout comme je souscris au commentaire de Swanny. "Plaisir mutuel et partagé" sont les mots clefs qui mènent à "l'épanouissement mutuel".
J'aime 25/05/20
swanny33
Vous avez tout compris Gladiateur ! Bonne journée à vous.
J'aime 25/05/20
FemmeFemelleEsclave
Un texte comme toujours remarquablement écrit, qui interroge, nous interroge, sur nos désirs, nos pratiques, ce que nous sommes dans notre rapport à l’autre, Dom ou soum, Maitre ou esclave, la culpabilité par rapport à des pratiques « déviantes », et le regard des autres sur nous. Pour moi, le bdsm dans la vision qui est la mienne aujourd’hui n’a rien à voir avec une «pathologie hallucinatoire destinée à alimenter les fantasmes populaires des deuxièmes parties de soirées télévisuelles », ni avec les catalogues de jeux destinés à « pimenter nos vies sexuelles » qu’on trouve dans la presse dite féminine ou sur internet. C’est un parcours de découverte que l’on décide d’entreprendre, découverte de soi et de l’autre, de soi au travers de l’autre, où se mêlent sexe et psyché, violence et respect, pouvoir et conscience. Une histoire d’hommes et de femmes assumant librement leurs désirs, leur animalité et leur humanité. Histoire d’O n’est certes pas un manuel bdsm, mais le récit d’un tel parcours, qui par définition reste propre à chacun.
J'aime 29/05/20
FemmeFemelleEsclave
Je ne sais si c’est le masochiste qui crée le sadique ou l’inverse. Ni qui, du Maitre ou de l’esclave exerce in fine son pouvoir sur l’autre. L’esclave choisit de se soumettre au Maitre qui le reçois comme tel mais, au moins durant la phase d’apprentissage de l’autre, dans un cadre qui est défini par l’esclave et avec le pouvoir ultime de dire non, si les choses dérapent. Mais dans un second temps les choses peuvent évoluer. La notion de consentement ne se limite plus à un catalogue de pratiques acceptées/interdites mais se globalise et devient un consentement à l’individu, au Maitre et à ce qu’il décidera de faire subir à l’esclave. On n’est plus dès lors dans l’interaction avec l’autre mais la fusion avec lui, sadique et masochiste demeurant à la fois complémentaires et unis dans leurs désirs.
J'aime 29/05/20
Il n'est de maître sans esclave et inversement. C'est ce qu'on appelle un rapport dialectique. L'interaction y est permanente et chacun y détient un forme de pouvoir. Hegel en a fait une belle démonstration, reprise ensuite par Marx, pour aborder le domaine des rapports sociaux. Il en est de même dans celui des rapports sexuellement relationnels à l'échelle du couple ou du groupe. Mais peut-être est-ce que je m'éloigne un peu trop des préoccupations du site.
J'aime 29/05/20
FemmeFemelleEsclave
Pas du tout. Le paradoxe du sm, c’est que c’est le choix de l’esclave de se soumettre qui fonde sa liberté de s’assumer comme tel et la douleur qui lui est infligée qui transcende sa jouissance.
J'aime 29/05/20
Maitre d’O
Bravo Méridienne, très beau texte
J'aime 29/05/20
FemmeFemelleEsclave
Pour les raisons que j’indiquais. Je ne me suis jamais autant sentie libre que depuis que je m’assume comme esclave. Et c’est sous le fouet que ma jouissance atteint son paroxysme
J'aime 30/05/20