Méridienne d'un soir
par le 17/05/20
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Originaires de Thrace, région considérée par les Grecs comme le pays de la lumière:
ce nom avait un sens symbolique signifiant le pays de la pure doctrine et de la poésie
sacrée qui en procède. Dès l'origine, elles étaient trois déesses de la montagne sans
attributions définies, qui se contentaient d'inspirer les chants, guidées par leur coryphée,
Apollon. Ce sont ces Trois Muses qui apprirent au Sphinx installé sur le mont Phicion la
devinette qu'il posait à tous les voyageurs. Les Muses, du grec ancien ?????? / Moûsai,
devinrent plus tard les filles de Zeus et de Mnémosyne, déesse de la Mémoire, ou
d'Ouranos et de Gaïa, magnifiques jeunes femmes dont la beauté enchantait les dieux
de l'Olympe. Bienveillantes et compatissantes, elles consolaient ceux qui souffraient:
ce sont elles qui recueillirent les membres d'Orphée et les enterrèrent au pied du mont
Olympe. Sur la terre, ces déesses du rythme et des nombres présidaient aux arts,
procuraient l'inspiration poétique aux poètes qui venaient se rafraîchir dans les fontaines
situées près de leurs sanctuaires, sur le mont Hélicon, à Sparte, et à travers la Grèce.
Au moment des batailles, les Doriens les invoquaient parce qu'elles présidaient aux
mouvements mesurés des troupes de soldats.
Vers le IX ème siècle, Hésiode en comptait neuf, présidant chacune à un art spécifique sous la houlette
d'Apollon nommé alors "Musagète." Les neufs Muses classiques sont: Calliope, "à la belle voix" ou "celle
qui dit bien", la Muse de la Poésie épique, qui célèbre les événements historiques plus ou moins légendaires
et magnifie la grandeur et la force des héros, ses attributs sont l’éloquence pour les récits de combats et
d’exploits, un stylet et une tablette de cire. Clio, "la célèbre", la Muse de l’Histoire, ses attributs sont une
couronne de laurier, la trompette de la renommée et un rouleau de papyrus. Erato, "l’aimable", la Muse de
la Poésie lyrique qui traduit les émotions, les sentiments, les amours, la mort et parfois galante, ses attributs
sont la lyre et le plectre, petit instrument pour pincer les cordes. Euterpe, "la bien plaisante", la Muse de la
Musique a pour attribut la flute et le hautbois. Melpomène, "la chanteuse", la Muse de la Tragédie, son
attribut est le masque tragique. Polymnie, "aux chants multiples", la Muse du Chant sacré et de la
pantomime, de la Rhétorique, de l’art oratoire, du discours et de l’éloquence. Elle est représentée dans une
attitude pensive accoudée sur un appui ou parfois la main droite en action comme pour haranguer et la main
gauche tient un sceptre ou un rouleau. Elle inspire les poètes. Terpsichore, dont la danse séduit", la Muse de
la Danse, son attribut est la lyre. Thalie, "la florissante", la Muse de la Comédie et de la poésie pastorale, des
amours de bergers, ode à la nature, ses attributs sont le masque comique et la houlette, bâton de berger.
Uranie, "la céleste", la Muse de l’Astronomie et de l’Astrologie, ses attributs sont un globe terrestre et des
instruments mathématiques (compas…).
Les premiers textes de la littérature grecque commencent souvent par une invocation aux Muses qui permet de
situer un poète dans le contexte de son poème. À ce titre, les deux incipit homériques sont des modèles célèbres
que les auteurs ultérieurs n’hésitèrent pas à reprendre et à commenter. Par-delà le caractère conventionnel de
l’exercice, c’est une conception spécifique de la création poétique que l’invocation homérique des Muses nous
invite à méditer. Le mot "muse" vient du grec mousa, la parole chantée, la parole rythmée. Le sens originel du
terme grec est cependant mal défini et son étymologie obscure. Quant aux Muses, déesses de la musique, de
la poésie et du savoir, elles sont ainsi présentées dans la Théogonie d’Hésiode, qui est l’un des premiers
témoignages littéraires: "Les neuf sœurs issues du grand Zeus se nomment Clio, Euterpe, Thalie et Melpomène,
Terpsichore, Érato, Polymnie, Uranie, et Calliope enfin, la première de toutes."
Dans leur généalogie la plus couramment admise, celle qu’Hésiode reprend, les divines chanteuses sont issues
de l’union de Mnémosyne, déesse de la mémoire, avec Zeus, pendant neuf nuits: "C’est en Piérie qu’unie au
Cronide, leur père, les enfanta Mnémosyne, reine des coteaux d’Éleuthère, à elle, neuf nuits durant, s’unissait le
prudent Zeus, monté, loin des Immortels, dans sa couche sainte. Et quand vint la fin d’une année et le retour
des saisons, elle enfanta neuf filles, aux cœurs pareils, qui n’ont en leur poitrine souci que de chant et gardent
leur âme libre de chagrin, près de la plus haute cime de l’Olympe neigeux."
Dès leur naissance, elles vont vers l’Olympe et chantent le triomphe de Zeus; leur chant, organisé autour de
l’histoire des dieux, éveille la vocation d’Hésiode au pied de l’Hélicon. Ces deux massifs montagneux sont associés
aux Muses, ce qui explique la présence fréquente d’un décor rocheux dans les représentations figurées. En
permettant cette vocation, les Muses transforment le poète en voyant d’un genre particulier. Voici comment elles
s’adressent à lui: "Pâtres gîtés aux champs, tristes opprobres de la terre qui n’êtes rien que ventres ! Nous savons
conter des mensonges tout pareils aux réalités; mais nous savons aussi, lorsque nous le voulons, proclamer des
vérités."
D’après certains commentateurs, Hésiode pourrait reprendre ici un vers de l’Odyssée, qui dépeint la force persuasive
d’Ulysse: "Tous ces mensonges, il leur donnait l’apparence de vérités." L’allusion possible à l’épopée homérique lui
permettrait de se démarquer des propos mensongers d’Ulysse en affirmant le caractère sacré et véridique de sa propre
poésie, qui n’est plus seulement humaine, mais divine, car inspirée. Hésiode ne naît donc pas poète, mais plutôt berger:
pour devenir poète, encore faut-il être élu par les Muses et recevoir leur éducation.
Par ailleurs, si le nombre de Muses est variable selon les témoignages, chacune semble avoir un rôle relativement bien
établi. Quatre Muses veillent à l’évolution de l’épopée et du chant, marquant la primauté de la musique dans l’univers.
Calliope, mère du poète Orphée, épouse d’Apollon, préside à la poésie épique ; on la représente souvent entourée de
l’Iliade et de l’Odyssée. C’est elle qui est le plus souvent citée par les poètes. Muse de l’histoire, Clio chante la gloire
des guerriers et la renommée d’un peuple, à l’aide de la trompette ou de la cithare. La lyre, instrument fréquemment cité
chez Homère, accompagne Érato, la Muse de la poésie lyrique. Lyre encore, mais aussi cithare et trompette, autant
d’instruments qui entourent Euterpe, déesse de la musique.
Plutôt que les noms précis des Muses, c’est le terme générique qui apparaît chez Homère, souvent au singulier. Dans
l’incipit de l’Odyssée, "la Muse" est l’inspiratrice du Poète, puis, dans le chant VIII, de l’aède Démodocos. De façon
générale, dans les invocations comme dans les représentations figurées, une seule Muse suffit à représenter ses
sœurs. Sa présence est cependant nécessaire pour garantir la beauté et la vérité de la parole poétique.
En un temps où l’idée d’auteur est moins nettement définie qu’aujourd’hui, la Muse joue un rôle essentiel. Née d’une
oralité secrète, l’inspiration est la seule notion qui vaille. Soufflée par la Muse, elle régit un poète qui ignore le désir
de création. Une chaîne se déploie, reliant la Muse, l’aède, l’auditoire:
"De tous les hommes de la terre, les aèdes méritent les honneurs et le respect, car c’est la Muse, aimant la race des
chanteurs, qui les inspire." (Odyssée, VIII, 479-481)
La Muse, de son côté, fait connaître les événements passés. Il ne s’agit peut-être pas d’un passé historique, au sens
moderne du terme, mais plutôt d’"un temps originel, un temps poétique" : c’est le temps des héros. Pour qu’elle devienne
vérité, la parole poétique est indissociable de la Muse et de la mémoire, et l’aède ne peut opposer à la Muse son propre
savoir. Il est inspiré par les voix des Muses "à l’unisson", celles qui, échappant à la temporalité humaine, voient "ce qui
est, ce qui sera, ce qui fut".
La Muse propose une mémoire omnisciente, non sélective, elle permet au Poète d’avoir accès aux événements qu’il
raconte et de déchiffrer l’invisible. " "Et maintenant, dites-moi, Muses, habitantes de l’Olympe, car vous êtes, vous, des
déesses: partout présentes, vous savez tout, nous n’entendons qu’un bruit, nous, et ne savons rien." (Iliade, II, 485-486.)
Dans l’Iliade, les Muses voient de manière directe les événements que l’aède souhaite narrer; cette "autopsie" des Muses,
selon le sens étymologique du terme, est opposée au savoir indirect, "par ouï-dire", des poètes qui se contentent de
reproduire ce qui leur est indiqué. Le poète entend la voix des Muses et l’inspiration surgit. Ainsi l’Iliade se déploie par le
recours à la personne du Poète, instrument aux mains de la Muse.
La parole du Poète permet d’échapper au silence et à la mort. Elle lutte contre l'oubli que représentent par exemple les
Sirènes, figures antithétiques des Muses mais qui, comme elles, savent "tout ce qui advient sur la terre féconde"
(Odyssée, XII, 191). Parfois considérées comme les filles de Melpomène, de Terpsichore ou de Calliope, les Sirènes,
remarquables musiciennes, auraient perdu leurs ailes à la suite d’un concours de chant avec les Muses: ces dernières
auraient arraché leurs plumes pour s’en faire des couronnes.
Honteuses de leur déchéance, elles se seraient alors réfugiées dans les rochers de la côte méridionale de l’Italie, d’où
elles attirent les navigateurs. Ainsi chantent-elles, en promettant au marin Ulysse de lui donner le pouvoir de connaître
à l’avance tous les événements à venir. Le héros résiste, car il sait par Circé que leur chant est signe de mort. Son désir
est pourtant immense. En luttant contre les voix ensorcelantes de ces Muses maléfiques que sont les Sirènes, Ulysse
refuse l’oubli de soi; son choix éclaire l’acte de l’aède qui se fait le servant des véritables Muses: la Muse maintient la
mémoire des hommes et crée l’épopée. Le chant de l’aède porte une identité et insuffle la vie.
Le culte des Muses est originaire de Piérie en Thrace. Il s’est répandu ensuite en Béotie autour de l’Hélicon.
Il eut pour centres, les villes d’Ascra et de Thespies. Athènes leur consacra une colline voisine de l’Acropole.
Delphes les honora aux côtés d’Apollon. Leur ancien caractère de nymphes des sources explique que de nombreuses
fontaines étaient consacrées aux Muses. Les représentations des Muses sont nombreuses, sur les vases peints, les
monnaies, les bas-reliefs, les fresques de Pompéi, de nombreuses statues. Un bas-relief au Louvre décorait autrefois
les trois faces apparentes d’un sarcophage dit "le sarcophage des muses" du Louvre représente les neuf Muses.
En peinture, par le Tintoret, "L’assemblée des Muses sur le Parnasse" présidée par Apollon, par Eustache Le Sueur,
les neuf Muses, dans cinq tableaux aujourd’hui au Louvre, par Ingres "la Naissance des Muses" et par Gustave
Moreau, "Hésiode et les Muses" (1860).
Dans l'inconscient masculin, les Muses incarnent l'image nostalgique de la fée qui console dans les heures
douloureuses, panse les plaies psychiques ou qui inspire les grandes œuvres. Cette image souvent magnifiée,
idéalisée est celle de la vierge, terrain inexploré, tabou qui hantâ les rêves de maint séducteurs ou de la femme
idéale et inaccessible.
Bibliographie et références:
- Apollodore, "Bibliothèque"
- Apollonios de Rhodes, "Argonautiques"
- Hérodote, "Histoires"
- Hésiode, "Théogonie"
- Homère, "Iliade"
- Ovide, "Fastes"
- Pausanias, "Description de la Grèce"
- Pindare, "Pythiques"
- Pindare, "Odes et Fragments"
- Platon, "Phèdre"
- Théophraste, "Histoire
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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insolence
Merci... bises
J'aime 24/05/20