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Juliette dirigeait la galerie "Obadia" à Paris, consacrée aux seules œuvres de son mari,
l'illustre Xavier Obadia. Il avait su flairer la demande, saisir l'air du temps, anticiper la
tendance; son entregent et son goût des mondanité enrubannées l'avaient intronisé
peintre idéal et à la mode. Il gagnait beaucoup d'argent, en dépensait plus encore,
suffisamment intelligent pour s'avouer l'éphèmère de la gloire et savourer les aubaines
de cette notoriété de circonstance. Lorsque Juliette l'avait épousé, dix ans plus tôt, elle
s'en rappelait une insolence ébouriffée, un regard fièvreux, une naïve ambition au
charme inattendu. Leur amour échappait aux conventions. Il était silence, patience
et observation. Il était une couleur particulière, de celles que son pinceau traquait.
Ses infidélités permanentes, et pas du tout discrètes, Juliette les étudiait par le regard
de l'artiste. Leur maison s'émouvait du passage d'éphèbes graciles, d'étranges vestales,
de rieuses ingénues, de corps fébriles du plaisir à venir. Son corps n'en était pas laisé.
Xavier jouait en virtuose de l'alphabet de ses sens. Et Juliette retenait longtemps la
fièvre lancinante de ses reins, de sa vulve et de son ventre, les couleurs de la femme,
comme elle les appelait.
Ce soir, Juliette était trop lasse. Elle prétexta une indisposition et s'épargna la vingtième réception de la
semaine, ballets d'entrechats indispensables à la carrière de son mari. Elle décida de flâner dans Paris.
Elle quitta le quartier des Halles et ses vitrines serties de vieille pierre. Elle remonta vers le sixième
arrondissement, traversa les boulevards animés et factices de l'habillement bon marché. Bientôt ses pas
la guidèrent place Saint Sulpice. Devant une galerie, elle s'arrêta, agressée par une toile, une charge
injurieuse en ce lieu. Un couple était représenté, nu, très flou, et leurs reins, leurs jambes, indiciblement
liés, si amoureusement mêlés, impossible à attribuer. Ils étaient la fusion, leurs miracle d'amour. Ce n'était
plus l'ennui qui oppressait Juliette, mais la beauté, la vérité étalée. Sa courageuse indécence. La lucidité du
trait appurait les couleurs, servait comme si elle l'avait rêvé l'irisé, le sombre et le lumineux de chaque ton,
la gamme des sentiments.
- Ça vous plait ?
Une voix féminine, retenue, aux inflexions inquiètes. Juliette posa le visage sur le son; une jeune fille dans les
vingt ans, des cheveux blonds, étonnaments courts, des yeux dilués d'être si bleus. C'était Jean Seberg dans
"À bout de souffle" vendant le Herald Tribune sur les Champs-Élysées. La passivité de Juliette s'évanouit devant
cette fragile silhouette génitrice d'un monstrueux talent. Immédiatement, elle décida que Xavier ne l'aurait pas.
Cette fille serait à elle. Elle ne concéderait pas cette pureté-là.
- Vous vous appelez ? Je ne vois pas de nom sur cette toile.
La jeune fille sourit, s'excusa presque:
- Non, non ... je n'étais pas sure, je m'appelle Charlotte.
- Tu as un fabuleux talent, tu es le talent. Je t'emmène. Juliette s'illumina. Elle était née pour être prise en charge.
C'était inscrit. Elle était marquée du sceau de la servilité, d'une soumission juvénile et sauvage. Elle était le
contrepoint d'un flamboyant tyran. Celui que se découvrait Juliette. Elle trouva une chambre dans un hôtel coquet.
Elle rassura le réceptionniste, alarmé par le bric-à-brac et l'absence de bagages, en réglant une semaine d'avance.
La pièce était sobre, tendrement nimbée du soleil en fuite. Juliette prit le tableau, le posa en évidence sur une tablette,
tira les rideaux, s'installa sur le lit et affronta la toile.
- Déshabille-toi et rejoins-moi.
Charlotte s'agenouilla devant Juliette, déboutonna tranquillement ses vêtements, plus experte à ces maniements qu'au
rangement de ses outils. Ses cheveux courts frôlaient les cuisses hâlées et désirables de Juliette. Tout était évident. Elle
était maintenant allongée. Elle précisait l'ondoiement sur l'entrejambe à peine ouvert. La caresse était légère presque
rêvée. Le réveil de Juliette était, lui, réel. Envahissant. Elle écoutait les lèvres de son sexe, l'émergence de sa pointe, la
moiteur en ses plis, les battements de sa matrice.Lorsque le feu innonda ses reins, que la jouissance s'avança, Juliette
se redressa brusquement, saisit le mince visage, le plaqua contre ses seins, affamés par cette nuit des temps abstinents.
Docile, Charlotte mordilla la pointe érigée du sein, la lècha de son souffle. Un orgasme la saisit par surprise. Elle était trop
attentive aux infimes sensations oubliées et rameutées pour anticiper la vague qui la submergeait. Bientôt, elle se cambra
rageusement, cria ses silences amassés, colla ses mains sur sa vulve. Les eaux débordèrent, elle les recueillit. L'orage
s'apaisa. Elle se leva, alla vers les boîtes de peinture dispersées sur le sol. Elle en prit une, l'ouvrit et parcourut de ses
doigts mouillés les poudres que l'humidité délayait. Les mains badigeonnées de couleur, elle se tourna vers Charlotte.
Elle sillonna de ses doigts les courbes de la jeune fille, imprima de son miel teinté le chemin vers le plaisir. Charlotte était
barbouillée de jaune, de bleu, et de rouge. Sauf le délicat pubis, presque imberbe, tant le duvet était fin et doré. Ce n'était
plus Jean Seberg mais Jeanne Hébuterne, la compagne de Modigliani.
Juliette dessinait le corps de la jeune fille. Elle enlaçait la vulve d'évitements redoublés. Elle se redressa, le corps entier
était fêté de couleur. Charlotte gémissait, se tordait, réclamait une caresse plus appuyée, une accélération qui libérerait
cette jouissance insupportable d'imminence. Quand la soie fut nappée de sang, elle s'approcha du clitoris, en coloria le
bout, trophée de guerre ou d'amour. Le modèle pleurait ce plaisir douloureusement retenu, cet ouragan aliéné. Peinture
terminée, Juliette récompensa la toile humaine d'une profonde succion de la rose pyramide. Elle l'enserra de ses lèvres
assoiffées de jeunesse, savoura la madeleine de ces gouaches tants aimées jadis.
Charlotte fut foudroyée. Elle gicla au visage des flots de plaisir. Pour la soulager, l'exciter et la rejoindre à la fois, Juliette
se coucha sur elle, frotta ses chairs qui perdaient le désir à celles qui en poussaient les portes, mêla son duvet brun à la
mousse vénitienne d'une vie à peine croquée. Le vagin qui avait avalé une partie de sa main l’appella de nouveau. Elle
la pénètra, de sa langue, de ses doigts, suivant la respiration de son amante. Quittant ce lieu humide pour continuer le
chemin des délicieuses découvertes, non sans laisser son index au chaud, touchant enfin son but, le petit orifice.
- Qu’est ce que vous faites ? questionna Charlotte, la voix rauque et tremblante.
- Laisse toi faire, chérie.
La basculant sur le ventre en écartant son genou pour lui dispenser une caresse buccale. Juliette la lècha
consciencieusement. Passa et repassa sur l’anus qui se détendit peu à peu. Tourna, contourna et retourna.
Son doigt pénètra bientôt son intimité, jouant avec la pulpe de l’index contre son petit anneau. L'orgasme
était à nouveau proche, d'enfler son ventre elle croyait pénétrer la jeune fille. Leur friction frénétique l'armait
d'une verge spirituelle et lui ouvrait un sombre royaume. Elle colla ses mains sous les fesses de Charlotte
pour la fouiller encore plus loin, pour l'empêcher de se dérober à l'extase qui les unirait.
Leurs cris moururent en un baiser de leurs bouches, un baiser sauvage et cannibale, brutal et dévorant
comme la secousse qui les avaient basculées. Un baiser qui ne conciliait pas mais exacerbait encore chaque
projectile d'orgasme. Juliette roula à coté de la jeune fille, rassemblant ses sensations après cette confusion.
La tête en arrière, perdue dans la symphonie des sens, elle leva les paupières. Le tableau l'attendait. C'étaient
elles sur la toile. L'imbrication des sexes et des jambes, c'étaient leur chahut renversé. Le nouage animal des
jouissances, la guerre des bustes, leur haine révoltée crachaient sa répulsion soudaine. La sienne pour la
jeune fille. Juliette pressa l'oreiller sur le visage de Charlotte, solidement aggrippée aux montants du lit.
Les élans s'espacèrent. Quelques spasmes l'agitèrent encore. Et tout devint calme. Comme avant. Elles
s'endormirent. Quand elles ouvrirent les yeux, la nuit était installée sur la ville. Elle écarta les rideaux, saluée par
une lune pleine qui innonda la chambre. Juliette se rhabilla, couvrit la frêle silhouette du drap, l'abandonna en
compagnie de l'astre blanc pour cette nuit sans fond. Elle ne croisa personne. Accourut à l'air libre. Savoura la
paix des rues étroites qui enlaçaient Saint Sulpice. Elle rentra chez elle, heureuse. À l'autre bout de la ville, un
clair de lune berçait la pâleur d'une jeune fille à qui la vie ne volerait pas sa pureté, puisque volée à la vie.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
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Alors là, c'est vraiment un très beau texte. Qui ne peut rêver d'une telle rencontre inopinée menant à une chambre baignée de Lune où se brosse la plus belle des toiles. Erotisme surgissant d'une ambiance nocturne où il n'y a qu'un seul lieu de lumière, celle provoquée par la fusion de deux corps.
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11/05/20