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"Le sexe ne saurait prospérer sur la monotonie; sans inventions, humeurs, sentiments,
pas de surprise au lit; le sexe doit être mêlé de larmes, de paroles, de promesses,
de scènes, de voyages à l'étranger, de nouveaux visages, de musique, de danse, de vin."
En Avril 1940, un homme d'affaires anonyme commanda à Henry Miller des écrits érotiques
pour un dollar la page afin de satisfaire sa libido "intellectuelle."
Miller vit l’écriture sur commande comme une insulte à son talent.
Il demanda alors à Anaïs Nin, son amante, de le remplacer.
C’est ainsi que s’ouvrit la voie de la littérature érotique féminine.
Le mystérieux commanditaire exigeait que les écrits soient expurgés de poésie.
"Laissez tomber la poésie et les descriptions autres que celles du sexe. Concentrez-vous sur le sexe."
Anaïs Nin accepta l'exigence et étudia le Kamasutra tout en s'inspirant des aventures amoureuses
de ses amis proches.
Trente ans plus tard, en les relisant, elle décida de les publier.
Constitué d’une quinzaine de courtes nouvelles, "Vénus Erotica" entraîne le lecteur dans
des fantasmes improbables pour l'époque, dérangeants parfois, mais toujours excitants.
Il ne s’agit pas d’une littérature classique mais bien d’une utopie de la sexualité.
Chaque rencontre est une osmose, un voyage vers l'inconnu, une félicité des sens.
L'ouvrage est voluptueusement hédoniste, un véritable remède à la monotonie de la vie.
Si l’acte sexuel demeure le centre de chaque histoire, il est le prétexte pour brosser le portrait des personnages.
Anaïs Nin fait preuve d’une imagination débordante pour entraîner le lecteur dans la vie sulfureuse de ses héros.
Chaque nouvelle raconte un personnage à travers sa sexualité et parfois certains se rencontrent.
Les récits comme les corps s’entremêlent.
L'auteur sait retranscrire les subtilités du désir, le plus souvent féminin.
Plus qu’une description anatomique, crue et froide, elle soigne les mises en scène
en les rendant surprenantes et débridées.
Elle décrit la bisexualité féminine, non pour exciter la lecture masculine mais pour raconter les désirs au féminin.
C’est là un des plus beaux paradoxes de la genèse de l'ouvrage.
La littérature érotique féminine est née d’une commande d’un homme en recherche de perversité,
à une femme romantique qui écrivit:
"Seul le battement à l’unisson du sexe et du cœur peut créer l’extase."
Peu de femmes avant elle avaient abordé la littérature érotique.
Le domaine était réservé aux hommes.
Ainsi naquirent ces nouvelles empreintes d’exotisme et de style.
Les émois de l'hermaphrodite Mafouka sont d'une grande modernité, autant que la passion de Marcel.
Le lecteur suit, de nouvelle en nouvelle, des personnages récurrents comme Bijou ou le Basque,
dans des contextes imaginaires où les femmes sont au cœur du fantasme masculin ou féminin.
Toutefois, on ne peut s’empêcher de sourire à la lecture de quelques-uns de ces récits,
comme "L’Anneau", dans lequel un homme enfile un anneau dit de mariage sur son pénis.
Malheureusement, il n’avait pas anticipé certains développements.
Si l'ouvrage possède un charme certain, il demeure difficile à juger car il énonce d'emblée sa faiblesse.
Il a été écrit sur commande avec pour consigne explicite d'expurger tout lyrisme.
L'auteur ne disposait pas dans ces conditions de toute liberté créative.
Cette retenue imposée brida son imagination.
Anaïs Nin avoua en préambule que son érotisme manquait de profondeur.
Se plaignant également à la relecture d'une précipitation de style et d'intrigue.
Ces défauts incontestables sont certainement à l'origine du succès que le livre rencontra à sa sortie.
La littérature érotique est un exercice délicat.
Il exige un savant mélange de provocation et d'esthétisme,mais surtout de spontanéité.
Grâce soit alors rendue au commanditaire.
Car Anaïs Nin, fort heureusement, a surtout, de ces exaltations enivrantes et pleines d’affolants désirs,
de ces transgressions adorables, de ces amoralités vertigineuses, brossé le tableau intime d’une femme.
Ces moments de chaleur haletants, mêlés d'érotisme subtil,
où l’on devine l'auteur excité par le développement ardent de ses propres idées,
constituent des sommets de langueur et de plaisir où les sens sont fidèlement retranscrits,
où les intentions et les fantasmes sont des projecteurs efficaces de représentation pour le lecteur.
Il perçoit la lubricité envoûtante des corps en appel, en s’insinuant dans des esprits noyés de
visions comme autant d’appâts irrésistibles.
Il suit le langage intime des sensations et leur rapport ambigu aux dominations et aux soumissions,
sans ambages, sans fausse vertu, sans construction excessive, avec passion et avec fièvre.
La femme se révèle non pas féministe fabriquée de toutes pièces, mais suave et bâtie
de volontés profondes comme des gouffres moites d’instincts et de pulsions.
C’est en ce sens, une femme libérée que ces récits érigent avec grandeur,
libérée non pas de la brutalité de l’homme, mais de sa propension à taire sa nature,
bridée par ses retenues sociales, jetée sur la réalité de ses désirs élémentaires.
Proclamer qu'une femme soit aussi une béance exprimant à grands cris le vœu primordial
d’être durement possédée et remplie.
C'est ce qu'Anaïs Nin a su oser hautement déclarer, en s'inspirant d’elle-même comme modèle,
à une époque de pseudo-maturité émancipatrice qui n’en était encore qu’à ses balbutiements.
La véracité de cette situation est plus élevée qu’on ne l'imagine.
Sand, Colette, Duras, Sagan se dissimulaient toujours quelque peu,
seule la parution de leur journal révélait leur intimité véritable.
On devine une femme sensuelle, bouillante, et libre,
en parfaite harmonie avec son corps.
En littérature, cette entreprise d’étonnante franchise est précieuse.
Il est rare de livrer l’ambivalence de ses sentiments plutôt que de les dissimuler.
Il fallait du courage pour oser écrire à cette époque de telles pages.
Anaïs Nin était une femme libérée et, inconsciemment peut-être, a-t-elle permis à des générations
de jeunes filles de prendre connaissance de leur condition d’égale à l’homme et de jouir de leur corps.
"La plupart y prennent plus de plaisir. Cela fait durer plus longtemps.
Mais moi je ne peux plus le supporter. Laissons-les jouir de leurs sensations;
ils aiment rester assis là, les hommes avec leur verge raide et les femmes
ouvertes et trempées de désir, mais moi, je veux en finir,
je ne peux plus attendre."
L'extrait résume les divergences entre la femme de lettres et son commanditaire.
D'une rencontre fortuite ont jailli de beaux textes à la fois sensuels et crus,
jubilatoires et poétiques, mettant à l'honneur le plaisir féminin.
Libérer la parole, c’est libérer les corps, continuons sur le chemin ouvert par l'auteur.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir
9 personnes aiment ça.
Merci pour vos notes de lecture. Elles témoignent à la fois d’une vraie culture et d’un talent certain, le vôtre.
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24/12/19