Méridienne d'un soir
par le 28/10/19
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Il existe diverses lectures du roman,Histoire d'O de Pauline Réage,alias Domininique Aury,
dont peu sont sensibles à la richesse,et au talent rare de ce chef-d'œuvre littéraire du classicisme.
Le livre a été écrit comme une lettre d'amour,par une femme qui souffrait de l'effacement de l'homme qu'elle aimait.
Si le début d'une passion provoque la joie et la transfiguration, son achèvement marque la tristesse dans la gravité.
Il exacerbe la frustration,jamais totalement indemne de l'émotion,ni du péché du désir vierge,
de sa transcription,en corps à corps,ou en imagination,de sa confession dans le monde des lettres,
dans un désordre irrationnel,mêlant inspiration créatrice et beauté intemporelle des lignes.
Voilà pourquoi Histoire d'O est autre chose.
L'auteur en se projetant dans le personnage d'O, rend l'oeuvre impropre au jugement.
Excès d'orgueil chez la romancière,et sacrifice chez O,elles conservent toutes deux en réalité leur liberté.
Celle de souffrir en silence dans l'ombre de ceux qu'elles aiment.
L'analyse en terme de jugement moral est réductrice,et négatrice de l'infinie complexité de la personnalité d'O.
Non dans la psychologie,de l'héroïne qui par amour renonce à elle-même, tirant son plaisir dans l'abnégation totale,
l'esclavage et la soumission absolue au Maître,mais plus encore dans la lecture que fait O,
de l'analyse de ses émotions, de son évolution intime,et de sa conception de son amour et de sa sexualité.
Comme une renonciation absolue prenant la forme d'un don absolu.
En apprenant seule, dans ce milieu cruel et pervers, O en se réalisant,apprend seule sans repère ni sans guide.
Son histoire est plus qu'un simple récit d'apprentissage,c'est un véritable roman initiatique.
On y pénètre,comme O entre,sans qu'on lui prête aucune pensée ni aucune émotion,
dans le taxi qui l'emmène à Roissy sous la coupe de René.
Le flou rend l'écriture impressionniste,si le lecteur devant le tableau,pour le contempler,ne prend pas un peu de recul.
Seule,une lecture narrative nous montre le réel travail littéraire d'un texte écrit pour plaire et non pour repousser.
Grace à une écriture de la plus haute qualité,autour d'un système de codes,insistant avec précision sur la description
des décors riches et feutrés,ou des séances de maquillage soignées de O, avant chaque séance de flagellation.
La solide formation littéraire et le talent de l'auteur apparaissent en toute clarté.
"Vous vous abandonnerez toujours au premier mot de qui vous l'enjoindra, ou au premier signe,ce que vous faites,
pour votre seule service,qui est de vous prêter, Vos mains ne sont pas à vous,ni vos seins,ni tout particulièrement
aucun des orifices de votre corps,que nous pouvons fouiller et dans lesquels nous pouvons nous enfoncer à notre gré."
Le désir est ici d'abord féminin, quoiqu'en pensent les critiques.
Histoire d'O, loin d'être un livre simpliste offrant une pornographie vulgaire sur fond de sadomasochisme,
pose en réalité,avec lucidité les relations complexes entre êtres humains,mais également leurs rapports à l'écriture.
C'est sans doute,l'un des plus beaux romans érotiques écrits par une femme.
Quels liens unissent O à René ?
Qui est cette femme qui semble dépourvue de toute volonté,dans la peur de la souffrance,dans celle du fouet ?
O ressent la douleur,elle l'accepte tel un objet déshumanisé,en observant en silence sans se juger,avec un sourire candide.
Elle aime non pour ce qu'elle est mais pour ce qu'elle représente,peu importe son amour inconditionnel.
Mais la démarche d'O n'est pas innée.
Dans le récit,elle est immédiate et totale mais suit peu à peu son chemin, dans la psychologie du personnage.
Jamais rebelle et toujours soumise,l'objet servile se met à penser et O naît dans cette humanité fait de souffrance et d'abandon.
Pourquoi ne faut-il pas juger O ?
Parce que c'est sans fin.
Ce livre est à la fois anti-féministe (négation de soi,fers, chaînes, cravache,anneaux,marquage au fer) et féministe
dans le libre choix de l'abandon absolu, du bonheur de la jouissance dans le plaisir masochiste.
"Une seule abominable douleur la transperça,la jeta hurlante et raidie dans ses liens,et elle ne sut jamais qui avait enfoncé
dans la chair de ses fesses les deux fers rouges à la fois,ni quelle voix avait compté lentement jusqu'à cinq .."
Le roman n'est donc ni l'un, ni l'autre,c'est simplement l'histoire d'O.
Une forme particulière d'amour,personnelle,unique et indicible.
Le rejeter,consisterait à nier le doit fondamental de l'expression artistique par l'écriture.
En revanche,la préface de Jean Paulhan,pourtant intellectuel de haut niveau,ventant le mérite du bonheur de la femme dans l'esclavage,semble pour le moins,ésotérique,provocatrice et totalement dépourvue de sens commun.
Bonne lecture à toutes et à tous.
Méridienne d'un soir.
16 personnes aiment ça.
###PROFIL EN SOMMEIL######PROFIL EN SOMMEIL###Serge57
Magnifique de précision et de clarté
J'aime 29/10/19
Condor
Bonjour Méridienne, Merci pour l'ouverture si détaillée de ce magnifique thème
J'aime 29/10/19
Condor
Merci à vous très belle journée Méridienne
J'aime 29/10/19
jeuxpiquants
Je trouve aussi que la relation entre O et René s'éclipse vite devant celles de O à Sir Stephen. On entre dans un abandon amoureux total envers un René plutôt palot pour passer à une sujetion très différente à un Stephen prédateur. Les relations entre René et Stephen, entre O et Jacqueline, ou entre O et Nathalie sont aussi très intéressantes. Je me suis souvent demandé quels étaient les traits représentant la relation avec Paulhan.
J'aime 29/10/19 Edité
jeuxpiquants
C'est un portrait peu flatteur pour Paulhan, l'amant distant et froid toujours prêt à l'abandonner. Mais ça colle. Pour les deux personnages féminins de Jacqueline et de Nathalie, j’avais l'impression qu'ils étaient deux faces d'un même personnage. La disciple amoureuse et chaste et la concurrente méprisante et victorieuse.
J'aime 29/10/19
masque_gris
" Ce livre est à la fois anti-féministe (négation de soi, fers, chaînes, cravache, anneaux, marquage au fer) et féministe dans le libre choix de l'abandon absolu, du bonheur de la jouissance dans le plaisir masochiste. " Je partage totalement ce sentiment Méridienne d'un soir. Vous exprimez en quelques mots les désirs intimes et sources de conflits intérieurs, de beaucoup de femmes. Même si la lecture est préférable, je me souviens être allé voir le film à sa sortie. C'était une fin d'après midi. La salle était plutôt remplie d'un public féminin de tout âge. Certaines étaient seules, d'autres en groupe sans aucun homme les accompagnant... Cela était leur choix et le féminisme s'y retrouvait. Je prie plaisir, en sortant, à traîner un peu pour écouter leurs commentaires.
J'aime 29/10/19
masque_gris
Les commentaires étaient mitigés mais d'évidence, toutes étaient troublées et se reconnaissaient en partie en O... Devant moi, une dame qui devait être la tante, expliquait à sa nièce qu'il fallait aller chercher en elle les raisons du trouble qui la chahutait et qu'elle devait le vivre et par le fuir. J'avais trouvé la "liberté" de toutes les réactions d'une liberté saine... Tout à fait dans l'esprit de vos commentaires et des ressentis très certainement partagés...
J'aime 29/10/19
Cori Celesti
Merci Méridienne d'un soir, de partager ainsi vos réflexions, toujours si pertinentes et savamment exprimées. Il y a en effet une grande liberté, profonde et viscérale, dans l'asservissement et le don de soi. S'abandonner entièrement à l'autre, c'est s'affranchir tout autant... Un paradoxe qui peut être difficile à comprendre quand on y est totalement étranger. Dans un monde où la domination de l'homme n'est plus qu'horreur à condamner, il n'est pas toujours aisé de revendiquer son droit à se soumettre et à en jouir. D'où l'importance des lieux comme celui-ci 1f642.png
J'aime 30/10/19 Edité
Quatuor
Méridienne, vous écrivez "Le rejeter,consisterait à nier le doit fondamental de l'expression artistique par l'écriture", ce qui est un peu radical envers toutes critique. personnellement, si l'écriture d'Histoire d'O m'a paru de grande qualité, j'ai toujours trouvé l'histoire maniérée, plus insistante sur les rituels que sur la profondeur des sensations et des sentiments. On est dans un monde parfaitement artificiel, c'est ce qui me gêne. Merci tout de même de lancer le débat et d'écrire avec autant de conviction.
J'aime 02/11/19
Quatuor
Je disait "maniérée" non pour l'écriture, comme je le disais, mais pour le récit lui même qui privilégie les rites et leur solennité surfaite à la densité émotionnelle. Le sujet s'efface derrière les ornements. Quant aux personnages, certains sont bien faibles et surtout, n'ont aucune épaisseur sociale. Qui sont ces gens ? On ne le saura jamais. Or réduire un récit à sa seule dimension érotique, comme si rien d'autre n'existait, conduit à en perdre la matière. Sade, sur ce plan, était bien plus précis.
J'aime 04/11/19
Quatuor
PS : quant aux études, je crains que si elles forment admirablement un esprit, elles n'accouchent pas souvent d'un créateur ou d'une créatrice. Amicalement.
J'aime 04/11/19
insolence
bel écrit, merci, bises
J'aime 15/01/20