Méridienne d'un soir
par le 18/10/19
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"L'homme est capable de faire ce qu'il est incapable d'imaginer".
René Char, fureur et mystère, Les feuillets d'Hypnos (1948).
Que veut dire aimer Sade ?
Le Marquis de Sade, dans ses récits,met en scène des victimes subissant des souffrances parfois extrêmes,
pouvant conduire à la mort, dans des situations les condamnant à une impuissance totale.
Incestes, sodomies, viols, brûlures, soumission, annihilation des corps, la perversion chez Sade devient heureuse, porteuse de chance et de dons, la vertu elle est malheureuse, cruelle et ingrate.
Dans "La Nouvelle Justine", l’idée de la fuite n’est jamais envisagée par l’héroïne.
Car, chez Sade en particulier, la peur ne fait pas fuir, elle paralyse. Il n’y a rien d’étonnant à ce qu’autant
d’études psychanalytiques, surpassant en nombre les études littéraires, existent sur Sade.
La perversité sadienne, mise en scène dans ses ouvrages libertins, est plus profonde que celle théorisée
par les psychiatres et psychanalystes, qu’elle soit mise en parallèle avec le masochisme ou avec l’innocence.
C’est un jeu complexe entre les personnages, mais surtout entre Sade et le lecteur par le biais de la mise en scène de ses personnages.
Nous pouvons parler de véritable mise en scène,car les textes de Sade sont théâtraux,dans un style emphatique, à mi chemin entre discours et description d'actes sexuels.
Sade établit un réseau de personnages dans un monde d’un matérialisme radical,allant jusqu’à réinventer une "mécanique" sexuelle dans laquelle les femmes "bandent" tout autant que les hommes "foutent".
Son univers est peuplé d’allégories et de concepts dépassant notre appréhension cartésienne des choses.
le mal est partout, et les "honnêtes gens" sont aveugles et en constituent les seules victimes.
Pour Sade, la meilleure façon de prouver matériellement la toute-puissance du mal est de prouver l’absence du bien,
"une erreur et faiblesse humaines dues à la société ".
La toute-puissance du mal existe mais le mal n’existe pas car le bien n’existe pas,
donc la toute-puissance du mal constitue une puissance primitive,à l'état de nature, schéma classique de l'analyse
des philosophes des Lumières au XVIII ème siècle, mais en l'espèce repris de façon radicalement pessimiste.
En effet,selon Rousseau,l'homme naît bon,c'est la Société qui le corrompt.Chez Sade,le bien est une illusion.
Sade ne peut foncièrement pas nier l’existence du mal, mais l’omniscience du mal va l’amener à le légitimer.
"Si, plein d'un respect vain, ridicule et superstitieux pour nos absurdes conventions sociales, il arrive malgré cela que nous n'ayons rencontré que des ronces, où les méchants ne cueillaient que des roses, les gens naturellement vicieux par système, par goût, ou par tempérament, ne calculeront-ils pas, avec assez de vraisemblance, qu'il vaut mieux s'abandonner au vice que d'y résister ?"
(Extrait de "La nouvelle Justine ").
Il ne s’agit donc pas de valoriser le mal, mais de le légitimer pour en faire la seule règle de vie possible.
Le monde réel ne connaît pas de limites dans son discours, servant ainsi l’idéologie sadienne qui prône l’absence
de limites dans les actes.
Le philosophe révèle la cruauté atomique avec une précision chirurgicale, dans une désacralisation des ordres,
plus globalement, dans un cadre de désidéologisation totale du monde,au seul service de l'expression
de la jouissance des âmes,laissant libre cours à sa puissance démoniaque et de son instinct de mort.
Aimer Sade,citant Arthur Rimbaud,c'est le lire  "littéralement et dans tous les sens".
Animée d'un esprit pédagogique de clarté ,il nous apparaît nécessaire de ne livrer ici que la liste des œuvres majeures de Sade.
1782 - Dialogue entre un prêtre et un moribond.
1785 - Historiettes, contes et fabliaux.
1785 - Les Cent Vingt Journées de Sodome, ou l’École du libertinage.
1787 - La Vérité.
1787 - Les infortunes de la Vertu.
1791 - Justine ou les Malheurs de la vertu – I.
1791 - Justine ou les Malheurs de la vertu – II.
1795 - Aline et Valcour - Tome I.
1795 - Aline et Valcour - Tome II.
1795 - La Philosophie dans le Boudoir.
1801 - Histoire de Juliette ou les prospérités du vice.
Dans le même esprit,afin de découvrir Sade,nous n'aborderons que les résumés des œuvres suivantes.
"Les infortunés de la Vertu".
"Les Infortunes de la vertu"  met en scène les deux chemins possibles que l’on peut prendre dans la vie:
le premier,celui de Juliette, est le choix le plus pur qu’un être puisse faire, celui de se tourner vers ses passions naturelles
et de se laisser aller au crime affreux qui conduit à la fortune.
Le second,celui de Justine (et de Sophie) représente un modèle de vertu, de sentiments d’honnêteté animant les cœurs.
L'auteur met en scène cette dualité constante afin de mieux rendre compte des  "bénéfices",
que chaque route procure aux personnages.
Infortunée Justine,infortunée Sophie,si proches et animées des desseins les plus purs, le destin ne leur en offrira aucune récompense.
Sous l'écriture de Sade, ces parangons de vertu vont "goûter" aux pires souffrances et aux tragédies les plus déplorables.
Justine, jeune orpheline élevée au couvent,est parvenue à rester pure et innocente, malgré son dénuement,
et l'abject modèle de sa sœur, devenue courtisane.
Mais une fois prise par plusieurs hommes qui la persécutent, elle se voit contrainte d'être spectatrice des pires perversions.
C'est du fond de sa cellule de la Bastille que Sade écrivit, en 1787, Les Infortunés de la vertu, première version de Justine ou les Malheurs de la vertu.
Dans ce conte philosophique, dont le manuscrit fut exhumé par Apollinaire au début du XXe siècle,
Sade livre, non sans ironie, un récit addictif et enlevé, qu'il double d'un débat philosophique sur le conflit entre classes sociales.
Démontrant que le vice est toujours mieux récompensé que la vertu, libre expression des instincts naturels,fussent-ils mauvais.
"Justine ou les Malheurs de la vertu" - Tome I et II:
Les malheurs de l’infortunée Justine, une orpheline qui, d’abord accusée de vol, enchaîne les mésaventures les plus cruelles.
Tentant de survivre dans ce bas monde, elle ne rencontre que la folie, la traîtrise, la perversité, la couardise et la cruauté.
Malgré tout,Justine demeure attachée à ses valeurs et ne renie ni sa foi ni sa vertu.
L’héroïne est une véritable vierge, violée sur l'autel de la laideur et de la bestialité du monde.
Le lecteur,tout au long du récit,attend une transformation initiatique où l’innocente jeune fille deviendrait à son tour
un bourreau, et abandonnerait sa vertu pour se livrer au vice et à la dépravation, comme sa sœur Juliette.
Mais,ce n‘est pas le cas,car tout au long de son cauchemardesque et immonde parcours, elle conservera sa vertu.
L’originalité de ce livre, tient dans le fait que Justine est le narrateur de l’histoire.
C’est donc elle qui décrit, avec sa vision vertueuse, tous les malheurs qui lui arrivent.
Le récit n'est que poésie et fluidité.
Le style soutenu,rude,addictif mais d'un rare raffinement,sait retranscrire la violence et la perversité avec fascination.
C’est sans nul doute,le chef d’œuvre de la littérature libertine du XVIII ème siècle.
Rejetant la douce nature rousseauiste, Sade dévoile le mal qui est en nous.
La vertueuse Justine fait la confidence de ses malheurs et demeure jusque dans les plus scabreux détails l'incarnation de la vertu.
Apologie du crime, de la liberté des corps comme des esprits, de la cruauté, mais d'une extrême sensibilité
connue seulement par des êtres délicats, l'oeuvre du marquis de Sade étonne ou scandalise.
"Elle paraît bien n'être,qu'un seul cri désespéré, lancé à l'image de la virginité inaccessible, cri enveloppé et comme enchâssé dans un cantique de blasphèmes." écrivit avec finesse,le romancier et essayiste,Pierre Klossowski.
"Allons, la Ro?e, dit Saint-Florent, prends cette gueu?e, & rétrécis-la-moi ; je n’entendais pas cette expre??ion : une cruelle expérience m’en découvrit bientôt le ?ens. La Ro?e me ?ai?it, il me place les reins, ?ur une ?ellette ronde qui n’a pas un pied de diamètre ; là, ?ans autre point d’appui, mes jambes tombent d’un côté, ma tête & mes bras de l’autre ; on fixe mes quatre membres à terre dans le plus grand écart po??ible ; le bourreau qui va rétrécir les voies s’arme d’une longue aiguille au bout de laquelle e?t un fil ciré, & ?ans s’inquiéter ni du ?ang qu’il va répandre, ni des douleurs qu’il va m’occa?ionner, le mon?tre, en face des deux amis que ce ?pectacle amu?e, ferme, au moyen d’une couture, l’entrée du temple de l’Amour ; il me retourne dès qu’il a fini, mon ventre porte ?ur la ?ellette ; mes membres pendent, on les fixe de même, & l’autel indécent de Sodôme ?e barricade de la même maniere ".
Bonne lecture à toutes et à tous,
Méridienne d'un soir,
10 personnes aiment ça.
lulu
le mal est partout, et les "honnêtes gens" sont aveugles : puis-je suggérer de remplacer "aveugles" par "ne veulent pas voir" ?
J'aime 18/10/19
lulu
... "seul la satisfaction de ses délires est importante, en égoïste absolu"... voilà qui me parle bien.
J'aime 20/10/19 Edité
Cori Celesti
Voilà encore un article passionnant et d'une grande qualité, je ne me lasse pas de vous lire ma chère. Un grand merci à vous Méridienne d'un soir 1f642.png
J'aime 22/10/19
insolence
Merci Méri,bises
J'aime 23/10/19