ZarathoustraDom
par le 22/08/16
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Je continue cette petite série (qui comptera 5 chapitres en tout) par Sade (1740-1814), le plus sulfureux des Marquis, et Sacher-Masoch (1836-1895), le premier esclave sexuel par choix et par contrat de l'histoire humaine ! Je sais par expérience que je ne vais pas me faire que des amis en exposant mon point de vue sur Sade ici...

Disons le tout net : Sade n'a rien de "divin" ! Et encore de nos jours, sa moralité le conduirait directement à La Bastille (si celle-ci existait encore...). Songez : viols, pédophilie, mutilations, incestes, meurtres, excusez du peu ! Sans parler des actes de sodomie (crime passible du bûcher à cette époque !) et de blasphèmes !...

Et pourtant, c'est un vrai révolutionnaire, au moins sur deux plans : en premier lieu, en tant qu'anti-clérical radical, il a sans nul doute contribué à faire évoluer les esprits vers un État moderne laïque tel que celui que nous connaissons aujourd'hui en France, ce qui reste une exception de par le monde. En second lieu, ses penchants érotiques et sexuels débridés préfigurent la libération des mœurs des années 1960 !

Sade s'est d'abord fait connaître par les scandales religieux et sexuels qu'il a suscités, mais c'est son œuvre, rédigée pendant les longues années d'emprisonnement, qui le fera passer à la postérité, dont en particulier Les Cent Vingt Journées de Sodome et surtout Justine ou les Malheurs de la vertu, son écrit le plus emblématique.

Cette œuvre sera censurée pendant plus de deux siècles, avant d'être petit à petit réhabilitée par des écrivains, poètes et psychanalystes tels qu'Apollinaire, Robert Desnos (qui ose écrire dès 1923 dans 'De l'érotisme' « Toutes nos aspirations actuelles ont été essentiellement formulées par Sade quand, le premier, il donna la vie sexuelle intégrale comme base à la vie sensible et intelligente »), Sainte-Beuve, Flaubert, Baudelaire, Michel Foucault, Jacques Lacan ou Roland Barthes, jusqu'à voir son œuvre intégrale publiée dans la prestigieuse collection de La Pléïade en 1990 !

Donatien Alphonse François de Sade laissera aux générations futures le substantif de sadisme, qui lui a été attribué en 1886 par un médecin allemand, Krafft-Ebing, et qui désigne alors une perversion sexuelle dans laquelle "la satisfaction est liée à la souffrance ou à l’humiliation infligée à autrui". Ceux qui ont vraiment lu Sade savent qu'on a souvent l'estomac au bord des lèvres, tant la morbidité et la sauvagerie barbare y sont présentes ! Et en aucun cas il ne parle du plaisir de souffrir, seul lui importe le plaisir égoïste de faire souffrir ! Il faut admettre toutefois qu'il développe dans Justine à ce propos une philosophie du "bonheur de l'autre" dans le cadre d'un érotisme de groupe qui exclut l'amour, qui est à ses yeux une perversion et une "maladie de l'âme" enfermant la relation dans un cadre réduit à deux personnes... On retrouve parfois ce principe chez certains pratiquants BDSM qui considèrent qu'amour et BDSM doivent être exclusifs l'un de l'autre...

Enfin, il m'apparaît tout aussi clairement, tant sous l'éclairage de sa vie réelle que de ses écrits, que Sade n'est pas réellement libertaire : il ne défend pas la liberté de tous, mais surtout la sienne, celle de prendre du plaisir dans la souffrance des autres... Une phrase extraite de La Nouvelle Justine est très révélatrice à cet égard : « Se rendre heureux aux dépens de n’importe qui »

Sade se positionne ainsi comme un philosophe matérialiste (c'est-à-dire où la fin justifie les moyens), qui préfigure des penseurs tels que Helvétius ou La Mettrie, tous deux adeptes d'un sensualisme matérialiste radical : mais ils n'ont jamais à ma connaissance prôné le meurtre ou le viol comme moyen de parvenir à la jouissance, au plaisir ou au bonheur dont La Mettrie faisait l'objectif essentiel d'une vie (concept révolutionnaire à l'époque) !



A l'opposé de Sade, Leopold Ritter von Sacher-Masoch, d'origine autrichienne, fils d'un préfet de police (ceci expliquerait-il cela ?!), va adopter un comportement de soumis sexuel.

Après une déception amoureuse, il fait en 1869 la connaissance d'une certaine Fanny Pistor dont il s'engage par écrit à exécuter tous les ordres et désirs pendant six mois ! Il concrétisera ensuite cet engagement avec celle qui deviendra son épouse en 1873, Aurora Rûmelin, avec qui il signe un contrat dans lequel il stipule, entre autres : « Je m'oblige, sur ma parole d'honneur, à être l'esclave de Mme Wanda de Dunajew, tout à fait comme elle le demande, et à me soumettre sans résistance à tout ce qu'elle m'imposera. » Il y exprime en particulier les désirs d'être battu, cocufié, maltraité, humilié et traité en esclave.

Il confessera cet engagement dans un ouvrage aussi emblématique que peut l'être Justine pour Sade, à savoir La Venus à la fourrure.

Bien que le même docteur Krafft-Ebing ait qualifié ce comportement de perversion sexuelle miroir du sadisme, sous le nom de masochisme, l'attitude de Sacher-Masoch a moins suscité de scandale que celle de Sade, ne serait-ce que parce qu'elle est basée sur une volonté consentie et formalisée par un contrat.

On retrouve encore aujourd'hui dans nombre de relations BDSM cette tradition du contrat, qui est la marque d'une relation agréée par les deux parties, plutôt que celle d'une souffrance imposée comme dans le cas de Sade.



En conclusion, on peut dire que Sade et Sacher-Masoch constituent les deux faces d'une nouvelle philosophie du plaisir, qui admet que la douleur, infligée ou subie, peut être source de plaisir !

Peut-on prendre du plaisir à faire souffrir ? Peut-on prendre du plaisir à souffrir ? Les deux faces d'une même question, initiée par Sade et Sacher-Masoch, au coeur des relations SM. D'ailleurs, à y regarder de près, il n'y a en effet qu'une seule lettre qui différencie le mot douleur du mot douceur ! Mais il est clair aussi, si l'on y regarde de près, que Sade ne mérite pas d'être glorifié comme il peut l'être parfois, car ses actes relevaient davantage du meurtrier tortionnaire que de la recherche de plaisirs extrêmes partagés : il n'y avait en particulier chez lui aucune recherche de consentement mutuel, et il ne pouvait jouir que dans la souffrance d'autrui !... Tout le contraire de Sacher-Masoch, qui est donc de mon point de vue le vrai père et le vrai inspirateur des pratiques BDSM que nous connaissons aujourd'hui.

Pour continuer cette série, j'aborderai la prochaine fois le plaisir sous l'angle de la psychanalyse, en particulier dans ses origines avec Sigmund Freud, Carl Jung, Sabina Spielrein et Otto Gross.
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Nanook
Bel historique au moins sur "DAF", assez juste et prés de la vérité de ce que l'on connaît de lui. Entre nous ça me rappelle de bon souvenirs d'une pièce de théâtre à son sujet. <br />Merci beaucoup ZarathoustraDom <img src="http://www.bdsm.fr/file/pic/emoticon/default/smile.png" alt="Smile" title="Smile" title="v_middle" />
J'aime 23/08/16 Edité