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La nouvelle suivante (ou plutôt les deux nouvelles suivantes) sont en cours de travail. Elles n'ont pas pour but de fantasmer, mais de tenter de faire une présentation romancée du BDSM, et pour cette raison sont soft. Je les propose ici pour recevoir des conseils à lur sujet pour mieux les finaliser et donner la meilleure image possible du BDSM. Théoriquement, elles sont sous licence Creative Commons BY-NC-SA : en gros, si elles vous plaisent, vous pouvez les partager sur votre blog, si ce n'est pas dans un but lucratif, et si vous me faites une petite publicité au passage en citant au moins le nom de l'auteur.
Toutefois, si elles vous plaisent et que vous voulez les partager, je vous conseille d'attendre d'éventuelles améliorations avant de le faire.
Voici donc les nouvelles, en espérant qu'elles vous plaisent.
La caisse bipait, article après article. J'attendais un peu en retrait que mon interlocuteur range ses courses dans ses deux sacs, le regardait faire son travail avec efficacité. Quand il en eut terminé, il paya par carte bancaire, remercia poliment la caissière, et se retourna vers moi, en soulevant un sac de chaque main. Je ne pus m'empêcher de jeter un autre coup d'oeil au collier de cuir encerclant son cou.
Quand il parvint à ma hauteur, je lui emboitais le pas, et repris la conversation.
- Et vous n'avez pas peur d'en mourir ?
- Pourquoi aurais-je peur d'en mourir ?
- Vous m'avez bien dit que votre Maître a tous les droits sur vous. Il a donc le droit de vous tuer, non ?
L'esclave esquissa un léger sourire et me répondit.
- En fait, je me suis trompé tout à l'heure, quand je vous ait dit cela. Mon Maître a en effet tous les droits sur moi, mais en échange d'une condition : il doit veiller à mon bonheur et à mon épanouissement dans l'esclavage. Ce qui inclut le fait de me garder en vie et en bonne santé. Et mon Maître consent volontiers à cette restriction, par amour pour moi.
- Et en échange de cette condition, vous lui offrez donc une soumission et une obéissance totales ?
- Totales... Ou non. Presque totales. Si le Maître me donne un ordre irréfléchi, et que je sais pertinemment qu'il regrettera de me l'avoir donné, je dois être capable de lui désobéir sur cet ordre.
- Au risque qu'il vous punisse ?
- Au risque qu'il me punisse.
- Ce n'est pas injuste ?
- Non. Mon Maître n'est, hélas, qu'un homme, et comme tout homme, il peut faire des erreurs. S'il me donne un mauvais ordre, et qu'il me punit pour ne pas lui obéir, je lui pardonne volontiers cette erreur. Et quand au final, il s'excuse de m'avoir puni injustement et me remercie de lui avoir désobéi, je suis l'esclave le plus heureux du monde, car je sais que j'ai servi mon Maître de la meilleure manière possible. Et mon Maître aussi est heureux, car il constate qu'il possède un esclave auquel il peut réellement faire confiance.
- Et si c'est vous qui être en tort ?
- Et si c'est moi qui est en tort, ce qui peut arriver aussi bien sûr, alors je demande le pardon à mon Maître, et lui explique pourquoi je pensais avoir raison jusque là. A ce moment, il décide si je mérite une autre punition ou non, et me pardonne après m'avoir puni et/ou sermonné. A partir du moment où le Maître m'a pardonné, je sais que je peux me pardonner moi-même, car je pourrai alors essayer d'être un meilleur esclave, et car je saurai que j'ai donné tout ce que je peux donner à mon Maître pour qu'il m'aide à mieux le servir.
- Et ce n'est pas injuste envers vous ?
- Si je suis heureux dans ces conditions, pourquoi est-ce que cela serait injuste envers moi ?
- Vous êtes tout de même privé de liberté, et à la merci des décisions, peut-être parfois mauvaises, de votre Maître, je me trompe ?
Nous étions dans la rue à ce moment-là. Les passants nous entouraient, allant de-ci de-là, nous ignorant. L'esclave avec qui je conversais garda le silence un moment pour réfléchir. Nous passâmes devant une mendiante, qui tendit un gobelet dans notre direction. L'esclave s'arrêta, posa ses sacs au sol, sorti le portefeuille de la poche de son manteau, et déposa quelques pièces au fond du gobelet.
- Voici madame. Et bonne journée à vous.
L'esclave souleva ses sacs, et nous reprîmes notre chemin.
- Je sais, reprit-il à mon intention, que c'est difficile, pour quelqu'un d'extérieur, de concevoir qu'un être puisse être heureux et épanoui dans la servitude. Honnêtement, il fut un temps, quand j'étais encore un homme libre, j'avais moi aussi du mal à le concevoir. Mais c'est ainsi. Nous sommes les masochistes, et notre bonheur se trouve dans l'esclavage ou dans la torture. Certains n'apprécient que l'un ou l'autre. Personnellement, j'aime les deux. Dans cette vie, nous perdons de nombreux droits, et de nombreuses libertés. Mais ce que nous perdons en droit et en liberté, nous le gagnons en bonheur, en sérénité, en dévouement, en bonté et en altruisme.
- C'était l'argent de votre Maître, pourtant, que vous avez donné, non ?
- Oui, c'était l'argent de mon Maître.
- Il ne vous punira pas quand il se saura ?
- Il le saura, car je le lui dirai. Et je connais mon Maître : quand il le saura, il me dira probablement "c'est bien". Tout simplement. Mon Maître est un homme bon.
- Pourtant, il a fait de vous un esclave.
L'esclave esquissa à nouveau un sourire.
- Oui, mon Maître a fait de moi un esclave, et il aime avoir un esclave à son service. Il aime aussi torturer son esclave.
- Votre Maître est un sadique, et pourtant c'est un homme bon ?
- Oui. C'est un sadique et un homme bon en même temps. Un sadique parce qu'il prendrait beaucoup de plaisir et de bonheur à torturer et à soumettre n'importe qui qui lui tomberait entre les mains. Un homme bon parce qu'il sait que c'est mal de faire cela à quelqu'un qui ne le désire pas. Alors il se contraint à ne le faire qu'avec des masochistes, en veillant à ce que ces masochistes-là y puisent eux aussi du plaisir et du bonheur. Ce doit être un lourd fardeau pour lui que de donner ces restrictions à ses pulsions, mais il se les donne par bonté envers les autres.
- Je comprend. Mais comment savez-vous que votre Maître ne craquera pas ?
A ces mots, l'esclave s'arrêta, et se tourna vers moi pour me regarder droit dans les yeux.
- Le Maître est bon. C'est parce qu'il est bon que je l'aime. C'est parce que je l'aime que je lui ait demandé de faire de moi son esclave.
- Alors c'est vous qui le lui avez demandé ?
- Oui, c'est moi qui le lui ai demandé. Et c'est lui qui m'a fait l'honneur d'accepter de me prendre pour esclave. En retour, je ferai tout pour éviter qu'il ne lui arrive malheur. Pour éviter qu'il ne craque. Peut-être est-ce la raison de l'existence des masochistes, aider les sadiques à ne pas craquer.
Nous reprîmes alors notre route.
- Et vous ne faites que cela de votre vie ? Servir votre Maître ?
- Presque. Techniquement, je suis aussi écrivain. J'ai déjà un petit groupe de lecteurs assidus. Alors j'écris chaque jour. Je lis souvent aussi, cela fait partie de mon travail d'écrivain, d'autant plus que mon Maître préfère avoir un esclave cultivé et avec qui il peut avoir des discussions intéressantes. Mon Maître préfère aussi regarder ses films en ma compagnie. Et puis, quand j'ai fini toutes mes tâches, il m'autorise parfois à aller sur Internet ou à jouer aux jeux vidéos, pour m'occuper. Finalement, il y a aussi les séances de torture et les relations sexuelles avec mon Maître.
- Et l'argent que vous gagnez, avec les livres que vous vendez ?
- Tous mes bénéfices appartiennent au Maître. Je suis sa possession, de même que tout ce qui est sensé m'appartenir.
- Vous savez, fis-je remarquer, je pense que votre Maître vous a fait tout un lavage de cerveau.
L'esclave se mit à rire.
- Oui, bien sûr ! Bien plus encore que vous ne le pensez ! Mais cela a fait de moi un homme meilleur. Quand j'étais libre, j'étais triste, paresseux, et pour vous dire la vérité, assez égoïste. Maintenant, je suis heureux, efficace dans tout ce que je fais, et je suis plus altruiste que jamais. Cela grâce à mon Maître, et pour faire honneur à mon Maître.
- Je me demandais – étant croyant moi-même – vous pensez que vous irez au Paradis ou en Enfer ?
L'esclave leva les sourcils, hésita un instant, puis me répondit :
- En supposant que cela existe – de mon côté, je ne suis pas croyant – je ne sais pas. Mais si je suis assez bon pour le Paradis, j'espère que l'esclavage consenti y est autorisé, pour que je puisse continuer à servir mon Maître là-bas.
- Vous pensez que Dieu accepterait cela chez lui ?
Les anges sont les esclaves de Dieu, au final. Dieu est bon, et ses esclaves, heureux de le servir, le secondent dans sa bonté. Je pense que si Dieu existe, il sait qu'il peut y avoir de la bonté dans l'esclavage. Pour peu que l'esclavage soit aussi le désir de l'esclave.
- Et si Dieu existe, qui serait plus important ? Dieu, ou votre Maître ?
- Ce n'est pas la même chose. Dieu n'a pas besoin que je lui fasse la lessive, le ménage ou la vaisselle. Dieu serait sûrement plus important, puisqu'il serait aussi supérieur à mon Maître, mais je pense que Dieu ne nous demanderait pas grand chose au final. Il nous demanderait d'être bon avec les autres, et mon Maître et moi, nous essayons déjà de l'être, même sans croire en lui.
Un silence.
- Je pensais, dis-je, que vous me diriez rêver aller en Enfer pour y être torturé.
- Hé non. En vérité, vous savez, un peu d'imagination et de psychologie suffit pour réussir à torturer un masochiste sans lui donner de plaisir en même temps, alors l'Enfer sait sûrement comment s'y prendre pour ça.
- Mais sinon, quelque part, vous pensez que l'esclavage devrait être légal, s'il peut être bon ?
L'esclave hocha la tête.
- L'asservissement de personnes ne désirant pas être esclave doit rester un crime. Un crime grave, car c'est bien ce que c'est. Par contre, oui, je pense que l'asservissement de personnes désirant être esclave devrait être légal, ou tout du moins, toléré.
- Comment faire la différence ?
- Cela, je vous l'accorde, c'est tout le problème. Je...
L'esclave s'arrêta de parler d'un coup sec, et tomba à genoux, au sol.
- Ca va ? Demandais-je. Ca ne va pas ?
- Ne vous inquiétez pas, monsieur, me répondit une autre voix. Il ne fait que me montrer son respect.
Je me retournais vers cette autre voix, et trouvait un homme plutôt petit. En fait, à première vue, l'esclave pourrait certainement surpasser physiquement son Maître.
- Vous êtes son Maître ?
- Oui, je suis son Maître. Enchanté. Je suis Jack.
Le Maître me tendit la main. Par réflexe de politesse, je la serrais.
- François. Enchanté. En fait, nous parlions de votre relation à vous deux.
- Je vois. Si cela vous intéresse, nous pouvons en parler plus en détail chez moi, un de ces jours. Vous êtes le bienvenu.
Il me tendit sa carte de visite, que je pris entre mes doigts.
- J'espère que la discussion avec Arthur, mon esclave, a été bonne.
- Oui, très intéressante.
Le Maître porta sa main vers la tête de son esclave, et la caressa.
- C'est bien.
- Merci, Maître.
- Cela a été un plaisir de vous rencontrer, François. Mais je vous prie de m'excuser, j'ai du travail qui m'attend, et Arthur devra m'assister pour cela. Je vous souhaite une bonne journée.
- Juste une seconde, s'il vous plait, demandais-je rapidement. Si vous avez du travail en cours, pourquoi êtes-vous sorti nous rencontrer ?
- Simplement pour vérifier si Arthur n'aurait aucune hésitation à s'agenouiller devant moi en public pour me montrer son respect. Bonne journée. Debout.
Jack se retourna, et Arthur se leva aussitôt. Il se tourna vers moi, et s'inclina légèrement.
- Au revoir, monsieur, me dit-il.
Puis il emboita le pas à son Maître, portant toujours les deux sacs de course lui-même.
- Bizarre, concluais-je.
Il y avait quelques jours de cela, j'avais eu une discussion intéressante avec un homme, qui disait vivre comme un esclave. Il m'avait décrit son bonheur, éprouvé grâce à la servitude et à la torture, son amour pour son Maître, l'amour que celui-ci ressentait pour lui. Ayant pu voir quelques instants cet être vénéré, et ayant reçu de ses mains sa carte de visite, ma curiosité m'a poussé à appeler au numéro de téléphone indiqué. Cet appel s'était conclu par la prise d'un rendez-vous pour une rencontre amicale, dans la demeure de ce Maître.
Le jour prévu, je me retrouvai donc au pied de leur immeuble. Je sonnai à l'interphone, et j'entendis la voix d'Arthur, l'esclave, me répondre.
- Oui, bonsoir ?
- Bonsoir, c'est François.
- Je vous ouvre. C'est au quatrième étage, appartement 42.
L'entrée émit un signal sonore. Je montai au bon étage pour sonner au bon appartement.
Quand Arthur ouvrit en grand la porte de chez son Maître, il dut aussitôt remarquer mon air surpris, car il me dit tout de suite :
- Le Maître a décidé de me faire porter mes chaînes ce soir.
En effet, outre le short et le T-shirt qui le recouvraient, l'esclave portait un collier de cuir, et des fixations similaires à chaque poignet et cheville. Il avait les pieds nus. Du cou pendait une longue chaîne, attachée en son milieu à une seconde chaîne tendue entre ses poignet, et en son bas à une troisième tendue entre ses chevilles. Le tout devait gêner en partie ses mouvements, mais mes observations ultérieures me laisseraient penser qu'il était habitué à les porter régulièrement.
- Vous pouvez entrer, continua-t-il. Le Maître vous attend dans son salon.
- Le bruit des chaînes sur le sol, demandais-je en entrant, cela ne dérange pas les voisins en-dessous ?
- C'est une des raisons pour lesquelles nous avons principalement de la moquette ici. Je vous en prie.
Je laissai mon manteau dans les mains d'Arthur, qui m'indiqua le salon.
Celui-ci était assez grand, pour un simple appartement. Meublé avec goût, mais sans signe de grande richesse. Je constatais que, même s'ils n'étaient pas sans le sou, ce couple ne devait pas non plus avoir une fortune cachée sous un matelas ou dans un compte en banque. Jack, en me voyant, se leva de son fauteuil pour m'accueillir dans la pièce.
- Soyez le bienvenu, François. Je vous en prie, prenez un fauteuil. Vous aimez le vin, j'espère ?
- Le vin ? Oui, j'apprécie.
- Très bien. Arthur, tu peux ouvrir la bouteille.
- Tout de suite, Maître.
L'esclave s'éclipsa dans la cuisine, et revint avec la bouteille, pendant que moi et son Maître nous asseyons dans des fauteuils. La petite table basse proposait déjà deux verres à pied et quelques petits biscuits apéritifs.
- Je dois avouer que les chaînes d'Arthur m'ont... surpris.
- Je sais, c'était un peu le but. Comme vous êtes curieux à propos de notre façon de vivre, je pensais vous donner quelques petits exemples ce soir. En restant pudique, bien entendu.
- Bien entendu...
Arthur avait débouché la bouteille, et servit un peu de vin à son Maître. Celui-ci goûta, approuva, puis l'esclave remplit mon verre et celui de Jack. Je n'étais pas un grand connaisseur en vin, mais celui-là, sans paraître très cher, me semblait rester un choix pertinent pour un apéritif.
- Seulement deux verres ? Fis-je remarquer.
- Bien sûr. Arthur n'a le droit au vin que quand je le lui autorise. La seule boisson qu'il a le droit de boire sans avoir à demander ma permission d'abord, c'est l'eau, qu'il peut boire à volonté.
- Je comprend.
Je jetai un regard sur l'esclave. Il était debout, les mains jointes devant lui, dans une position indiquant clairement l'attente patiente et la soumission. Il attendait le moment où il servirait à nouveau.
- Je me demandais : comment prenez-vous le fait que l'un de vous soit l'esclave de l'autre ? Je veux dire, au yeux de bien des gens, ce serait une situation dégradante. Vous en pensez quoi ?
- Je pense, commença Jack, qu'il n'y a rien de dégradant à être esclave. Dans le cas d'un esclavage non désiré, c'est plutôt l'esclavagiste qui devrait voir son image être dégradée. Et dans le cas d'un esclavage consenti, c'est juste la preuve d'un amour partagé, entre une personne qui désire se mettre entièrement au service d'une autre, et cette dernière qui aide la première à s'épanouir dans la réalisation de ce désir. Arthur n'a pas à avoir honte d'être un esclave : la décision qu'il a prise d'en devenir un est preuve d'un grand altruisme et d'un grand dévouement, et ce sont des qualités dont il peut être fier.
- Et du côté de l'esclavagiste ?
- Du côté du Maître, c'est un peu plus complexe. Je suis celui qui profite de la situation. Je suis le bourreau, le tortionnaire, le méchant, vu de l'extérieur. Et je suis obligé de l'admettre, j'aime beaucoup ce rôle. Si je ne l'aimais pas, je n'aurais pas d'esclave. Croyez-le ou non, dresser un esclave, cela requiert beaucoup de temps.
- Vous en avez eu d'autres ?
- D'autres ? Oui, et non. Arthur est mon premier. J'ai débuté en tant que Maître en même temps que lui a débuté en tant qu'esclave. Pour obtenir de l'expérience dans le domaine, j'ai demandé conseil à d'autres Dominants. Ils nous ont aidé, moi et Arthur, à faire nos premiers pas. Et quand je suis devenu quelqu'un d'expérimenté, j'ai commencé à accueillir de temps en temps des débutants, Dominants comme soumis, pour les aider à mon tour à faire leurs premiers pas. J'ai eu plusieurs soumis sous mon fouet, mais en véritable esclave permanent, je n'ai jamais eu qu'Arthur à mon service.
Jack prit une petite poignée de biscuits et la présenta à Arthur. Ce dernier s'avança, se mit à quatre pattes, remercia son Maître, et commença à manger dans la main de celui-ci.
- C'est la principale chose qu'il faut comprendre, continua Jack. Arthur n'est pas esclave sous la contrainte. Il l'est parce qu'il désire l'être. Il mange dans ma main parce qu'il aime se sentir dominé par autrui. De la même manière, il aime être asservi, humilié, et torturé. Il prend beaucoup de plaisir à manger dans ma main car il montre ainsi à quel point il est inférieur à nous et soumis à nous. Il mangerait dans votre main aussi, si vous lui tendiez des biscuits à votre tour, et il aimerait ça.
Arthur était en train de lécher délicatement le sel sur la main de son Maître. Ce dernier prit une deuxième poignée de biscuits, et la laissa tomber au sol. Arthur remercia son Maître, et se mit à quatre pattes pour manger à même la moquette.
- C'est comme ça, poursuivit Jack. Cela peut paraître insensé, mais c'est comme ça. Arthur est masochiste. De la même manière, j'aime asservir, humilier et torturer. Je suis un sadique. Si je le faisais à quelqu'un qui ne souhaite pas l'être, je ne sais pas si j'y prendrais plaisir ou non. Un conflit entre mes pulsions et ma morale. Je ne l'ai jamais fait avec quelqu'un de non-consentant, et je ne compte pas m'y mettre un jour, par morale. Mais le faire avec quelqu'un de consentant, qui aime ça, cela me fait beaucoup de bien et beaucoup de plaisir. C'est pour lui comme pour moi un exutoire, un moyen d'apaiser nos pulsions dans un espace contrôlé, afin d'éviter qu'elles ne nous frustrent ou ne s'apaisent d'elles-même en nous faisant faire quelque chose de regrettable. On a déjà entendu parler de beaucoup de criminels sadiques, dans les journaux, on parle des sadiques qui torturent moralement leurs subordonnés et collègues dans les bureaux, mais on parle beaucoup moins de masochistes qui se mettent d'eux-même dans des situations sociales impossibles pour apaiser des pulsions dont ils n'ont parfois pas même conscience.
Jack tendit son verre vide au-dessus de son accoudoir.
- Par l'asservissement d'Arthur, nous joignons ainsi l'utile à l'agréable, pour lui, comme pour moi, ainsi que pour la société qui nous entoure. Arthur ?
Arthur releva la tête et vit le verre vide de son Maître.
- Je suis désolé, Maître.
Il se releva, prit la bouteille de vin, et en versa dans le verre. Comme je lui tendais le mien, il le remplit aussi à son tour. Il retourna alors à ses derniers biscuits au sol, et revint rapidement à sa place, en position d'attente patiente.
- Je comprend, dis-je. Mais quand vous dites «inférieur» à nous ?...
- Socialement, bien entendu. Arthur reste un homme, et sa vie vaut tout autant que celle de n'importe qui d'autre. Même plus à mes yeux, puisque je l'aime. Je dis «inférieur» uniquement parce qu'il obéit, et que nous, on ordonne. Parce qu'il sert et que nous sommes servis par lui.
Je hochai la tête, pensivement, face à toutes ces informations. Je levai un instant les sourcils, but d'une traite mon verre pour faire passer le tout, et vit Jack faire de même. Arthur remplit alors à nouveau nos deux verres.
- Maître ?
- Oui Arthur ?
- Puis-je me retirer pour finir de préparer le diner ?
- Combien reste-t-il dans la bouteille ?
- Un peu moins d'un verre, Maître.
- En voudriez-vous, François.
- Non merci, cela suffira pour moi.
- Dans ce cas, tu peux finir la bouteille si tu veux, Arthur.
- Merci, Maître. Je vais la finir.
L'esclave commença à se retourner.
- Attend une minute, dit Jack.
Arthur se tourna vers lui, et le vit indiquer le sol du doigt, à côté de son fauteuil. L'esclave se dirigea vers le point indiqué, et s'y agenouilla. Le Maître commença alors à caresser la tête de sa possession. Puis il dit en me regardant :
- Arthur ne veut pas être traité à égalité avec nous. A ses yeux, ce serait contraire à mon statut de Maître, à votre statut d'Homme Libre, et à son statut d'esclave. Il ne nous en veut absolument pas d'avoir bu quasiment toute la bouteille à nous deux. Au contraire, ce fond est un cadeau que nous lui faisons. N'ai-je pas raison ?
- Si, Maître. Vous avez tout à fait raison.
- Mon gentil soumis, bien dressé, bien docile, bien obéissant.
- Mon Maître adoré.
Jack passa un doigt dans l'anneau du collier d'Arthur, et le tira à lui pour l'embrasser. Après leur baiser, je les regardais se lancer des yeux doux, aussi intenses que ceux de n'importe quel couple amoureux. Le Maître caressait la tête de son esclave, et dernier lui répondait avec toute son admiration.
- Tu es vraiment trop mignon. François, accepteriez-vous que je donne une fessée à mon esclave ?
- Je vous en prie, répondis-je, faites.
- Merci. Garde ton slip et installe-toi, Arthur.
- Merci Maître !
L'esclave baissa son short et posa délicatement son ventre sur les genoux de son Maître. Ce dernier sortit un gant en cuir de sa poche et l'enfila, ce qui me laissa suspecter la force avec laquelle il comptait frapper.
- Donc, demandais-je, il y a en quelque sorte trois castes à vos yeux : les Maîtres, les Hommes Libres, et les esclaves.
- Deux, en fait, dit Jack, ce serait plus exact. Les Hommes Libres et les Maîtres naissent et demeurent libres et égaux en droit et en devoir et cætera. La seule différence, c'est que les Maîtres ont des esclaves, et les Hommes Libres non.
- Et les esclaves ?
- Et les esclaves sont... des esclaves. Bien entendu, dans un monde idéal, seuls ceux qui désirent réellement être des esclaves rejoignent cette "caste". Il est hors de question d'imposer cette vie à quelqu'un qui ne la désire pas. Arthur aurait aimé être esclave dès la naissance, mais il sait aussi bien que moi que cela impliquerait l'existence d'esclaves ne désirant pas l'être, et lui comme moi, nous ne désirons pas que cela arrive à qui que ce soit.
- Seuls deviennent esclaves ceux qui désirent être esclaves donc.
- Exactement. Je rajouterais aussi que, souvent, l'esclave choisit son Maître autant que le Maître choisit l'esclave, et qu'il est préférable qu'ils définissent clairement les règles et limites de cet esclavage avant de le mettre en application. Vous avez peut-être déjà entendu parler de contrat BDSM, et c'est pour cette raison que ces contrats existent. Par exemple, Arthur a spécifié clairement ne pas vouloir être vendu ou donné à quelqu'un d'autre, alors il restera toute sa vie ma propriété à moi.
Et la fessée commença. Le Maître frappa fort, très fort, plusieurs fois. A chaque fois, Arthur gémissait en même temps de douleur et de plaisir. J'imaginais parfaitement, au bruit que les coups faisaient, la teinte écarlate qu'avaient dû rapidement prendre les fesses de l'esclave. Quand cela fut fini, Jack lui dit de se relever, et d'aller finir de préparer le diner. Arthur remercia son Maître, et s'en alla, visiblement heureux, dans la cuisine. Je bus mon deuxième verre de vin d'une traite lui aussi.
- En fait, repris-je après cet épisode, c'est un peu l'esclave qui dicte les règles, au final, non ?
- C'est plus compliqué, mais je crois que j'ai une métaphore pour m'aider à expliquer. Pendant la rédaction du contrat, le soumis met en place les limites qu'il ne désire pas dépasser. C'est un peu comme s'il dessinait un polygone sur une feuille de papier. Ce qui est à l'intérieur du polygone, c'est ce que le Maître à le droit de faire. Ce qui est à l'extérieur, ce qu'il n'a pas le droit de faire. Le soumis dessine donc un polygone, puis le Maître peut librement s'exprimer dans la surface qui lui est ainsi laissée. Certains soumis dessinent un polygone petit et complexe, ceux-là veulent souvent des scénarios temporaires tournant exclusivement autour de un ou deux fétichismes. Personnellement, je n'aime pas ce genre de contrat, mais c'est le choix et la préférence d'autres adeptes du BDSM, et je le respecte. De mon côté, j'ai de la chance, Arthur m'a dessiné un polygone très large, et il m'a laissé beaucoup d'espace de manière permanente pour développer mon imagination et pour le surprendre.
- C'est là qu'intervient le fameux «safeword» ? Pour dire au Maître «vous sortez du polygone» ?
- En quelque sorte. Quand je torture mon esclave – pour son plaisir et pour le mien – il lui arrive souvent de me supplier d'arrêter. C'est un réflexe d'autodéfense, et je sais qu'en vérité, au fond de lui, il souhaite que je continue. Mais le safeword est volontairement un mot bizarre, qui n'a rien à faire dans une séance de torture. Le nôtre, c'est «colimaçon». Quand Arthur est torturé par moi, il peut crier autant qu'il veut, cela ne m'arrêtera pas. Au contraire, ça me donnera envie de continuer. Mais s'il dit «colimaçon», je sais que ce n'est pas un réflexe d'autodéfense : il me prévient que quelque chose ne va pas et qu'il faut réellement que ça s'arrête.
- Et vous respectez toujours le safeword ?
- Toujours. A mes yeux, et aux yeux de beaucoup, un Maître qui ne respecte pas le safeword ne mérite pas d'être un Maître. Arthur l'a déjà prononcé quelques fois, et j'ai toujours mis fin au jeu quand il l'a prononcé. De notre côté, on va aussi un peu plus loin, et on a mit aussi au point un signe de la main en guise de safeword, pour les jeux où Arthur est bâillonné.
- Ce qui implique que s'il est bâillonné, il doit pouvoir faire le signe de la main.
- C'est un défaut, mais c'est préférable au fait de le torturer sans sécurité derrière.
Pendant ce temps, Arthur avait mis la table, et Jack m'invita à m'y asseoir. Le diner était simple, des pâtes à la carbonara, mais l'esclave les avait préparé avec dévouement. Ce dernier nous les servit dans nos assiettes, remplit nos verres d'eau, et reprit sa position d'attente patiente. Nous mangions, le Maître et moi, de bon appétit, et en discutant.
- Je me demandais, dis-je à un moment. Votre esclave fait donc tout pour vous ?
- Beaucoup de choses, mais pas tout. Quand une tâche de la maison a besoin de quatre mains, je l'aide, bien sûr, et je fais parfois quelques travaux domestiques moi-même. Il m'arrive de cuisiner par exemple, c'est une activité que j'apprécie.
- Mais quand vous n'avez pas envie de cuisiner ?
- C'est Arthur qui s'en charge, bien sûr. Il y a aussi l'argent. Arthur est écrivain. Un bon écrivain, si vous voulez mon avis, et ses ventes de livres se rajoutent à mon salaire.
Le Maître passa alors une bonne partie du repas à parler de son travail en tant qu'informaticien, et surtout à faire les louanges du talent littéraire de son esclave. En jetant quelques coups d'oeil à celui-ci, je vis sur son visage la fierté qu'il ressentait à entendre son Maître parler de lui en ces termes. Elle ne fit que s'accroître quand Jack mêla à l'hommage pour son don de la plume celui de son don pour la servitude. Comme il me l'avait dit plus tôt, il ne considérait pas son domestique avec mépris, mais au contraire avec beaucoup de respect, et beaucoup d'affection. Au lieu de l'abaisser, on aurait au contraire cru qu'il mettait son esclave sur un piédestal. Paradoxalement, le Maître se révélait aussi humble dans sa position dominante que l'esclave dans sa position de soumission, et vénérait son soumis tout autant que ce dernier vénérait son Dominant.
Quand il eut fini sa tirade, il ordonna à Arthur de ramener sa gamelle dans le salon, en lui annonçant qu'il mangerait ici. Arthur revint avec une gamelle pour chien parfaitement propre, et la présenta servilement à son Maître. Ce dernier s'empara des ustensiles, et servit des pâtes dans le récipient.
- Voilà. Est-ce que cela te suffit ?
- Oui Maître.
- Très bien. Tu peux commencer à manger.
- Merci Maître.
L'esclave se mit à genoux, déplia une serviette au sol pour ne pas tâcher la moquette, posa le récipient au milieu de la serviette, et commença à manger à quatre pattes, à même la gamelle.
- Venez, me dit alors Jack. Allons nous installer dans les fauteuils.
Je le suivis, en regardant à moitié Arthur manger de la même manière qu'un chien, à côté de la table où nous avions diné.
- Mais... Mais et tout ce que vous m'avez dit ? Toutes les louanges que vous avez faites à propos d'Arthur ?
- Elles tiennent toujours. Je crois toujours tout ce que je vous ai dit. Si je le fais manger à quatre pattes après nous, plutôt qu'à table en notre compagnie, c'est parce que c'est le statut qu'il aime avoir, et le statut que j'aime lui donner. Cela l'humilie, bien sûr, puisque vous êtes là à le regarder manger ainsi, mais il aime être ainsi humilié. Il n'y a rien de dégradant, ni de méprisant, ni d'insultant dans ce que je lui fait faire et dans ce qu'il fait. C'est juste l'expression de nos désirs. Arthur désire être inférieur à nous, et il l'est. Inférieur non pas parce qu'il vaut moins que nous, ce n'est pas vrai. Inférieur parce qu'il obéit et que j'ordonne. C'est comme ça que nous aimons vivre, et c'est comme ça que nous sommes heureux.
Nous étions alors assis dans les fauteuils, et Arthur releva la tête de sa gamelle. Tout le pourtour de sa bouche était maculé de sauce à la carbonara.
- Arthur, si tu as fini de manger, nettoie ton visage, débarrasse la table, et prépare-nous trois cafés. Ensuite, tu pourras venir discuter avec nous.
- Bien Maître.
- Excusez-moi, se reprit Jack. Vous voulez un café, François ?
- Oui. Oui, volontiers.
- Trois cafés, Arthur.
- Oui Maître.
L'esclave était dans la cuisine et devait certainement se débarbouiller. On entendait déjà la cafetière se mettre en route. Très vite, le bruit des couverts débarrassés s'y ajoutèrent.
- Je vous sens tendu, François, me dit Jack.
- Oui, c'est vrai. C'est que... tout est bizarre ce soir.
- C'est normal. Vous êtes entré dans un univers qui n'est pas le vôtre. Mais je vous rassure, nous ne sommes pas méchants, et nous ne vous voulons aucun mal.
- Oui, d'accord.
- J'arrive ! Annonça Arthur. Me voilà.
Arthur déposa trois cafés sur la table et s'assit sur une chaise en notre compagnie.
- J'ai manqué quelque chose ? Continua Arthur.
Je me mis à rire un peu, nerveusement.
- Qu'y a-t-il ? Me demanda poliment Jack.
- Rien, c'est juste le fait qu'Arthur puisse discuter avec nous. L'ambiance me paraît tout d'un coup moins... Moins...
- Protocolaire ?
- Oui, voilà.
- C'est normal, m'expliqua Jack. C'est comme ça dans un couple Maître/esclave : il y a des moments protocolaires, comme celui que je viens de vous faire vivre, et d'autres plus détendus. Attention, Arthur et moi, nous sommes dans une relation d'esclavage permanent : les règles sont plus souples pour lui, mais elles n'ont pas totalement disparues.
- Je dois toujours respect et obéissance à mon Maître, par exemple, ajouta l'esclave.
- Tiens, à ce propos, viens là.
Jack fit signe d'approcher à Arthur, et il commença à détacher ses chaînes avec efficacité.
- On va enlever ça maintenant. Ramène tes chaînes dans la salle de torture et reviens.
- Tout de suite, Maître.
- La salle de torture ? Risquais-je pendant qu'Arthur y allait.
- La salle de torture, me répondit-Jack. On a choisi cet appartement principalement parce qu'il y avait trois chambres. La première, c'est la mienne, où dort aussi Arthur la plupart du temps ; la seconde est une chambre d'ami ; et la troisième, nous en avons fait une salle de torture. Pas de dame de fer ou d'outils tranchants bien entendu, le but est d'y trouver du plaisir, pas de faire parler.
- Oui, évidement.
- Je suis de retour ! annonça joyeusement Arthur.
Il se rassit sur sa chaise en notre compagnie, et but une gorgée de café. Il ne lui restait plus que son collier et ses fixations aux poignets et aux chevilles, en plus de ses vêtements.
- Euh, je m'excuse, pour la bouteille de vin, en profitai-je.
- Oh, ce n'est pas grave : mon Maître vous l'a dit, je ne vous en veux pas. C'est même gentil de m'avoir laissé le fond.
- Oui, mais du coup, j'ai l'impression que vous n'avez pas profité de la soirée.
- C'est gentil de vous inquiéter pour moi, merci, répondit Arthur en souriant. Mais ne vous inquiétez pas : j'en ai profité, à ma manière. Je suis très content de vous avoir servi, mon Maître et vous.
- Oui, c'est un peu ça que j'ai du mal à comprendre.
- C'est normal. Je crois qu'il faut être un peu comme moi pour vraiment comprendre.
- C'est un peu comme un enfant content de ramener une bonne note, dit Jack.
- Donc j'ai reçu une bonne note ?
- Disons... A-.
- Seulement A-, Maître ?
- Oui, parce que tu n'as pas fait attention à mon verre quand tu mangeais les biscuits par terre.
- Ah oui, c'est vrai. Désolé Maître.
- Ce n'est pas grave.
Jack se pencha vers son esclave, et se dernier le rejoignit pour lui faire un bisou.
- Mais donc, demandais-je, tout ce que vous m'avez dit est bien vrai ?
- C'est notre point de vue en tout cas, me répondit Jack. Après, d'autres adeptes du BDSM ne seront pas forcément d'accord avec tout ce qu'on a dit.
- Y compris l'autre jour, dans la rue ? demandais-je à Arthur.
- Oui, dit-il. Avec un peu de mise en scène.
- Un peu de mise en scène ? Poursuivit son Maître.
- Je joue très bien le fanatique dont on a lavé le cerveau.
- Mais tu es un fanatique, Arthur. Et je t'ai lavé le cerveau.
- Je préfère le terme «dressage», Maître.
- Mais pourquoi avoir fait ça ? Demandais-je.
- Je ne sais pas, admit l'esclave. Vous étiez un inconnu, et vous me posiez plein de questions. Mettez-vous à ma place : c'est vous qui étiez bizarre à mes yeux. Alors j'ai essayé de vous faire peur. Je crois. Un peu.
Je souris un instant à l'idée que j'ai pu paraître bizarre aux yeux d'un esclave masochiste.
- Vous ne m'en voulez pas ? Demanda Arthur.
- Non, non, je ne vous en veux pas.
- Pour être honnête, admit Jack à son tour, je ne pensais pas que vous nous appelleriez pour nous revoir. Mais quand vous l'avez fait, on s'est senti obligé de tenir notre engagement et de vous inviter. Et au final, tout est bien qui finit bien : je pense qu'on peut dire qu'on est ami maintenant.
- Je pense que vous avez raison, acquiesçais-je.
- Si on est ami, je pense aussi qu'on peut se tutoyer.
- D'accord.
- Et moi ? Demanda Arthur. Je dois tutoyer ou vouvoyer ?
- Eh bien... C'est comme tu veux, lui répondis-je.
- Alors je crois que je vais continuer à vous vouvoyer, Monsieur.
C'est à ce moment, je pense, que j'ai vraiment compris qu'Arthur aimait son statut d'esclave. Il n'y avait pas de mépris, ni de fausse modestie, ni même d'auto-dénigrement dans cette phrase. Juste une sereine acceptation d'un fait : il était un esclave, nous étions des hommes libres, et c'était très bien pour lui comme ça.
La soirée continua tranquillement tout compte fait. Après les cafés, Arthur nous ramena de l'eau pour nous désaltérer. Ils me racontèrent tour à tour des anecdotes de leur relation, et j'ai eu le plaisir de les voir à plusieurs reprises rire ensemble de leur histoire commune. J'ai ris aussi avec eux, une fois ou deux.
- Au début, me dit Jack, on s'est rencontré sur Internet, sur un site BDSM. Je voulais commencer en tant que Dominant, et Arthur voulait commencer en tant que soumis. Nous avons fini par tomber amoureux. On s'est retrouvé en vrai dans un bar, sur un terrain neutre, puis on s'est fait visiter nos appartements respectifs. Très vite, on a emménagé ensemble et j'ai commencé à le soumettre.
- Les premiers mois, poursuivit Arthur, c'était irrégulier. On se couchait en Dominant et soumis et on se réveillait en égal à égal, ou vice versa. Au final, j'en ai eu assez de ça et je me suis mis à genoux devant mon Maître.
Il se mit à genoux devant lui, pour mimer la scène.
- Maître, souhaitez-vous prendre votre soumis pour esclave permanent, et le dresser à obéir et à servir, pour le meilleur et pour le pire, jusqu'à ce que la Mort nous sépare ?
Jack souriait en revoyant la scène, et en caressant la tête de son esclave. Je demandais :
- Tu lui as répondu quoi ?
- Je lui ai répondu «Embrasse mes orteils un par un et je te répondrai oui».
- Jamais de ma vie je n'ai embrassé aussi vite des orteils, avoua Arthur en se rasseyant sur sa chaise.
- Et depuis, Arthur est ton esclave, donc ?
- Oui. Environ un an après cette déclaration d'amour, je lui ai demandé s'il voulait toujours être mon esclave à vie, et il m'a répondu «plus que jamais, Maître». C'est depuis ce jour que je considère qu'Arthur est irrévocablement devenu mon esclave.
- Pour le meilleur et pour le pire, Maître.
- Pour le meilleur et pour le pire, répondit le Maître.
- Il y en a eu beaucoup, du pire ? Demandais-je.
- Pas beaucoup, heureusement, dit Jack. Surtout des bêtises d'esclave.
- Beaucoup de bêtises ?
- Oh oui ! Ça prend du temps à les dresser, ces bêtes-là, et il m'en a fait des belles. Heureusement quelque part, la vie serait plus monotone sans.
- En fait... Commença Arthur.
En même temps, il attrapait la poignée de la carafe d'eau pour resservir son Maître, mais il renversa son propre verre dans le même mouvement. Nous eûmes tous trois un mouvement de recul, puis tous trois nous nous jetâmes sur les serviettes pour essuyer au plus vite.
- Arthur ! Gronda le Maître. Quand on parle de bêtises, ce n'est pas la peine de nous en donner un exemple !
- Maître, je...
- Ça suffit. Tu essuies, puis tu vas au coin.
L'esclave poussa un soupir.
- Oui, Maître.
Il essuya rapidement, porta les serviettes trempées à la cuisine, puis se positionna debout, face à un coin du mur. Je comprenais, de ce fait, pourquoi ledit coin n'était pas meublé.
- Ce n'était pas une grosse bêtise, hasardais-je.
- Non, c'est vrai. C'est pour ça que cela n'ira pas plus loin qu'une petite mise au coin, je pense. Ceci dit, voyons le bon côté des choses, cela nous permet d'aborder un autre point de notre relation : la punition. Une erreur que font beaucoup de gens extérieurs au BDSM, et même certaines personnes y posant un pied, c'est de considérer la douleur physique comme une punition. Dans le cas où le soumis aime la douleur physique, ça ne marche pas.
- Parce qu'il aimerait ça ?
- Non, c'est plus vicieux que ça. Si je donnais une fessée à Arthur pour le punir d'avoir renversé son verre, il n'aimerait pas, car il saurait qu'il la prend parce que je suis mécontent de lui. Ça briserait son plaisir, en quelque sorte. Mais quelque part dans son inconscient, il associerait la fessée que je lui ai donnée tout à l'heure avec celle que je lui donnerais maintenant, et au fur et à mesure, en utilisant la douleur à la fois comme un jeu ou une récompense, et à la fois comme une punition, cela brouille tous les repères du soumis. Il finira par avoir l'impression d'être puni quand on joue, et par avoir l'impression de jouer quand il est puni. Pour cela, quand le soumis aime la douleur, il vaut mieux ne pas punir avec la douleur.
- Comment alors ?
- La meilleure manière à mon avis, c'est ainsi, dit Jack en montrant Arthur dans son coin. Avec son point faible. Toute sa vie tourne autour du fait de me servir, alors je lui interdis momentanément de me servir. Pas besoin de coups de fouet, il retient bien mieux la leçon en sachant que par sa faute, son Maître est obligé de se servir son verre d'eau lui-même.
Et Jack versa de l'eau dans son verre, en prenant soin de faire autant de bruit que possible.
- Je pense comprendre, dis-je.
- C'est bon Arthur, tu peux revenir. Je vais être gentil aujourd'hui.
- Merci Maître.
L'esclave revint s'asseoir parmi nous. Il y eut un instant de silence quand il se rassit.
- Bon, dis-je pour le rompre et en me levant, il se fait tard, je pense que je vais rentrer.
- On se reverra ? demanda Arthur.
J'eus un instant d'hésitation.
- Oui, je pense. Au final, j'ai passé une bonne soirée, et vous m'avez paru sympathique. Quoiqu'un peu bizarre.
- Beaucoup bizarre.
- Oui, c'est vrai, beaucoup bizarre. Surtout toi, Arthur.
- Alors c'est entendu, conclu Jack en se levant à son tour, suivi de son esclave. Tu peux nous appeler quand tu voudras, ma porte est ouverte.
- Entendu. Merci, Jack.
- Juste une dernière question : pourquoi t'es-tu intéressé à nous, à la base ?
- Je ne sais pas. C'est parce que le sadomasochisme, c'est un peu à la mode en ce moment. On en voit un peu partout. Alors quand j'ai vu Arthur, avec son collier, j'ai voulu poser la question. Pour savoir. Pour comprendre.
- Il n'y a rien de plus que cela à comprendre. C'est simplement la vie que nous aimons, Arthur et moi. C'est vrai que le BDSM est un peu à la mode en ce moment, et en fait, ce n'est pas une si bonne chose qu'il le soit. Ce n'est pas un truc à faire n'importe comment, encore moins avec n'importe qui, et surtout pas juste parce que c'est tendance. A notre niveau, à Arthur et moi, c'est parce qu'on le veut, au fond de nous. Tu peux toujours utiliser un bandeau ou des menottes une fois de temps en temps pour pimenter une relation, mais tu ne dois pas te sentir obligé d'en faire autant que nous, juste parce qu'on voit ça à la télé aujourd'hui. Je t'ai vu pendant tout l'apéritif et pendant le repas, tu étais mal à l'aise face à tout ça. Je ne pense pas que ce soit fait pour toi.
J'eus un petit rire.
- Non, je ne pense pas moi non plus.
- Et ce n'est pas grave. On reste des amis.
- Oui, tu as raison, Jack. On reste amis.
Je les saluais alors tous deux, et Arthur me raccompagna à la porte d'entrée. Il ne me resta plus qu'à rentrer chez moi. J'étais assez content, car je m'étais fait deux nouveaux amis. Des amis bizarres, mais des amis quand même.
Toutefois, si elles vous plaisent et que vous voulez les partager, je vous conseille d'attendre d'éventuelles améliorations avant de le faire.
Voici donc les nouvelles, en espérant qu'elles vous plaisent.
Dialogue avec un Ange
Suivi de
Dialogue avec un Dieu
Suivi de
Dialogue avec un Dieu
La caisse bipait, article après article. J'attendais un peu en retrait que mon interlocuteur range ses courses dans ses deux sacs, le regardait faire son travail avec efficacité. Quand il en eut terminé, il paya par carte bancaire, remercia poliment la caissière, et se retourna vers moi, en soulevant un sac de chaque main. Je ne pus m'empêcher de jeter un autre coup d'oeil au collier de cuir encerclant son cou.
Quand il parvint à ma hauteur, je lui emboitais le pas, et repris la conversation.
- Et vous n'avez pas peur d'en mourir ?
- Pourquoi aurais-je peur d'en mourir ?
- Vous m'avez bien dit que votre Maître a tous les droits sur vous. Il a donc le droit de vous tuer, non ?
L'esclave esquissa un léger sourire et me répondit.
- En fait, je me suis trompé tout à l'heure, quand je vous ait dit cela. Mon Maître a en effet tous les droits sur moi, mais en échange d'une condition : il doit veiller à mon bonheur et à mon épanouissement dans l'esclavage. Ce qui inclut le fait de me garder en vie et en bonne santé. Et mon Maître consent volontiers à cette restriction, par amour pour moi.
- Et en échange de cette condition, vous lui offrez donc une soumission et une obéissance totales ?
- Totales... Ou non. Presque totales. Si le Maître me donne un ordre irréfléchi, et que je sais pertinemment qu'il regrettera de me l'avoir donné, je dois être capable de lui désobéir sur cet ordre.
- Au risque qu'il vous punisse ?
- Au risque qu'il me punisse.
- Ce n'est pas injuste ?
- Non. Mon Maître n'est, hélas, qu'un homme, et comme tout homme, il peut faire des erreurs. S'il me donne un mauvais ordre, et qu'il me punit pour ne pas lui obéir, je lui pardonne volontiers cette erreur. Et quand au final, il s'excuse de m'avoir puni injustement et me remercie de lui avoir désobéi, je suis l'esclave le plus heureux du monde, car je sais que j'ai servi mon Maître de la meilleure manière possible. Et mon Maître aussi est heureux, car il constate qu'il possède un esclave auquel il peut réellement faire confiance.
- Et si c'est vous qui être en tort ?
- Et si c'est moi qui est en tort, ce qui peut arriver aussi bien sûr, alors je demande le pardon à mon Maître, et lui explique pourquoi je pensais avoir raison jusque là. A ce moment, il décide si je mérite une autre punition ou non, et me pardonne après m'avoir puni et/ou sermonné. A partir du moment où le Maître m'a pardonné, je sais que je peux me pardonner moi-même, car je pourrai alors essayer d'être un meilleur esclave, et car je saurai que j'ai donné tout ce que je peux donner à mon Maître pour qu'il m'aide à mieux le servir.
- Et ce n'est pas injuste envers vous ?
- Si je suis heureux dans ces conditions, pourquoi est-ce que cela serait injuste envers moi ?
- Vous êtes tout de même privé de liberté, et à la merci des décisions, peut-être parfois mauvaises, de votre Maître, je me trompe ?
Nous étions dans la rue à ce moment-là. Les passants nous entouraient, allant de-ci de-là, nous ignorant. L'esclave avec qui je conversais garda le silence un moment pour réfléchir. Nous passâmes devant une mendiante, qui tendit un gobelet dans notre direction. L'esclave s'arrêta, posa ses sacs au sol, sorti le portefeuille de la poche de son manteau, et déposa quelques pièces au fond du gobelet.
- Voici madame. Et bonne journée à vous.
L'esclave souleva ses sacs, et nous reprîmes notre chemin.
- Je sais, reprit-il à mon intention, que c'est difficile, pour quelqu'un d'extérieur, de concevoir qu'un être puisse être heureux et épanoui dans la servitude. Honnêtement, il fut un temps, quand j'étais encore un homme libre, j'avais moi aussi du mal à le concevoir. Mais c'est ainsi. Nous sommes les masochistes, et notre bonheur se trouve dans l'esclavage ou dans la torture. Certains n'apprécient que l'un ou l'autre. Personnellement, j'aime les deux. Dans cette vie, nous perdons de nombreux droits, et de nombreuses libertés. Mais ce que nous perdons en droit et en liberté, nous le gagnons en bonheur, en sérénité, en dévouement, en bonté et en altruisme.
- C'était l'argent de votre Maître, pourtant, que vous avez donné, non ?
- Oui, c'était l'argent de mon Maître.
- Il ne vous punira pas quand il se saura ?
- Il le saura, car je le lui dirai. Et je connais mon Maître : quand il le saura, il me dira probablement "c'est bien". Tout simplement. Mon Maître est un homme bon.
- Pourtant, il a fait de vous un esclave.
L'esclave esquissa à nouveau un sourire.
- Oui, mon Maître a fait de moi un esclave, et il aime avoir un esclave à son service. Il aime aussi torturer son esclave.
- Votre Maître est un sadique, et pourtant c'est un homme bon ?
- Oui. C'est un sadique et un homme bon en même temps. Un sadique parce qu'il prendrait beaucoup de plaisir et de bonheur à torturer et à soumettre n'importe qui qui lui tomberait entre les mains. Un homme bon parce qu'il sait que c'est mal de faire cela à quelqu'un qui ne le désire pas. Alors il se contraint à ne le faire qu'avec des masochistes, en veillant à ce que ces masochistes-là y puisent eux aussi du plaisir et du bonheur. Ce doit être un lourd fardeau pour lui que de donner ces restrictions à ses pulsions, mais il se les donne par bonté envers les autres.
- Je comprend. Mais comment savez-vous que votre Maître ne craquera pas ?
A ces mots, l'esclave s'arrêta, et se tourna vers moi pour me regarder droit dans les yeux.
- Le Maître est bon. C'est parce qu'il est bon que je l'aime. C'est parce que je l'aime que je lui ait demandé de faire de moi son esclave.
- Alors c'est vous qui le lui avez demandé ?
- Oui, c'est moi qui le lui ai demandé. Et c'est lui qui m'a fait l'honneur d'accepter de me prendre pour esclave. En retour, je ferai tout pour éviter qu'il ne lui arrive malheur. Pour éviter qu'il ne craque. Peut-être est-ce la raison de l'existence des masochistes, aider les sadiques à ne pas craquer.
Nous reprîmes alors notre route.
- Et vous ne faites que cela de votre vie ? Servir votre Maître ?
- Presque. Techniquement, je suis aussi écrivain. J'ai déjà un petit groupe de lecteurs assidus. Alors j'écris chaque jour. Je lis souvent aussi, cela fait partie de mon travail d'écrivain, d'autant plus que mon Maître préfère avoir un esclave cultivé et avec qui il peut avoir des discussions intéressantes. Mon Maître préfère aussi regarder ses films en ma compagnie. Et puis, quand j'ai fini toutes mes tâches, il m'autorise parfois à aller sur Internet ou à jouer aux jeux vidéos, pour m'occuper. Finalement, il y a aussi les séances de torture et les relations sexuelles avec mon Maître.
- Et l'argent que vous gagnez, avec les livres que vous vendez ?
- Tous mes bénéfices appartiennent au Maître. Je suis sa possession, de même que tout ce qui est sensé m'appartenir.
- Vous savez, fis-je remarquer, je pense que votre Maître vous a fait tout un lavage de cerveau.
L'esclave se mit à rire.
- Oui, bien sûr ! Bien plus encore que vous ne le pensez ! Mais cela a fait de moi un homme meilleur. Quand j'étais libre, j'étais triste, paresseux, et pour vous dire la vérité, assez égoïste. Maintenant, je suis heureux, efficace dans tout ce que je fais, et je suis plus altruiste que jamais. Cela grâce à mon Maître, et pour faire honneur à mon Maître.
- Je me demandais – étant croyant moi-même – vous pensez que vous irez au Paradis ou en Enfer ?
L'esclave leva les sourcils, hésita un instant, puis me répondit :
- En supposant que cela existe – de mon côté, je ne suis pas croyant – je ne sais pas. Mais si je suis assez bon pour le Paradis, j'espère que l'esclavage consenti y est autorisé, pour que je puisse continuer à servir mon Maître là-bas.
- Vous pensez que Dieu accepterait cela chez lui ?
Les anges sont les esclaves de Dieu, au final. Dieu est bon, et ses esclaves, heureux de le servir, le secondent dans sa bonté. Je pense que si Dieu existe, il sait qu'il peut y avoir de la bonté dans l'esclavage. Pour peu que l'esclavage soit aussi le désir de l'esclave.
- Et si Dieu existe, qui serait plus important ? Dieu, ou votre Maître ?
- Ce n'est pas la même chose. Dieu n'a pas besoin que je lui fasse la lessive, le ménage ou la vaisselle. Dieu serait sûrement plus important, puisqu'il serait aussi supérieur à mon Maître, mais je pense que Dieu ne nous demanderait pas grand chose au final. Il nous demanderait d'être bon avec les autres, et mon Maître et moi, nous essayons déjà de l'être, même sans croire en lui.
Un silence.
- Je pensais, dis-je, que vous me diriez rêver aller en Enfer pour y être torturé.
- Hé non. En vérité, vous savez, un peu d'imagination et de psychologie suffit pour réussir à torturer un masochiste sans lui donner de plaisir en même temps, alors l'Enfer sait sûrement comment s'y prendre pour ça.
- Mais sinon, quelque part, vous pensez que l'esclavage devrait être légal, s'il peut être bon ?
L'esclave hocha la tête.
- L'asservissement de personnes ne désirant pas être esclave doit rester un crime. Un crime grave, car c'est bien ce que c'est. Par contre, oui, je pense que l'asservissement de personnes désirant être esclave devrait être légal, ou tout du moins, toléré.
- Comment faire la différence ?
- Cela, je vous l'accorde, c'est tout le problème. Je...
L'esclave s'arrêta de parler d'un coup sec, et tomba à genoux, au sol.
- Ca va ? Demandais-je. Ca ne va pas ?
- Ne vous inquiétez pas, monsieur, me répondit une autre voix. Il ne fait que me montrer son respect.
Je me retournais vers cette autre voix, et trouvait un homme plutôt petit. En fait, à première vue, l'esclave pourrait certainement surpasser physiquement son Maître.
- Vous êtes son Maître ?
- Oui, je suis son Maître. Enchanté. Je suis Jack.
Le Maître me tendit la main. Par réflexe de politesse, je la serrais.
- François. Enchanté. En fait, nous parlions de votre relation à vous deux.
- Je vois. Si cela vous intéresse, nous pouvons en parler plus en détail chez moi, un de ces jours. Vous êtes le bienvenu.
Il me tendit sa carte de visite, que je pris entre mes doigts.
- J'espère que la discussion avec Arthur, mon esclave, a été bonne.
- Oui, très intéressante.
Le Maître porta sa main vers la tête de son esclave, et la caressa.
- C'est bien.
- Merci, Maître.
- Cela a été un plaisir de vous rencontrer, François. Mais je vous prie de m'excuser, j'ai du travail qui m'attend, et Arthur devra m'assister pour cela. Je vous souhaite une bonne journée.
- Juste une seconde, s'il vous plait, demandais-je rapidement. Si vous avez du travail en cours, pourquoi êtes-vous sorti nous rencontrer ?
- Simplement pour vérifier si Arthur n'aurait aucune hésitation à s'agenouiller devant moi en public pour me montrer son respect. Bonne journée. Debout.
Jack se retourna, et Arthur se leva aussitôt. Il se tourna vers moi, et s'inclina légèrement.
- Au revoir, monsieur, me dit-il.
Puis il emboita le pas à son Maître, portant toujours les deux sacs de course lui-même.
- Bizarre, concluais-je.
Dialogue avec un Dieu
Il y avait quelques jours de cela, j'avais eu une discussion intéressante avec un homme, qui disait vivre comme un esclave. Il m'avait décrit son bonheur, éprouvé grâce à la servitude et à la torture, son amour pour son Maître, l'amour que celui-ci ressentait pour lui. Ayant pu voir quelques instants cet être vénéré, et ayant reçu de ses mains sa carte de visite, ma curiosité m'a poussé à appeler au numéro de téléphone indiqué. Cet appel s'était conclu par la prise d'un rendez-vous pour une rencontre amicale, dans la demeure de ce Maître.
Le jour prévu, je me retrouvai donc au pied de leur immeuble. Je sonnai à l'interphone, et j'entendis la voix d'Arthur, l'esclave, me répondre.
- Oui, bonsoir ?
- Bonsoir, c'est François.
- Je vous ouvre. C'est au quatrième étage, appartement 42.
L'entrée émit un signal sonore. Je montai au bon étage pour sonner au bon appartement.
Quand Arthur ouvrit en grand la porte de chez son Maître, il dut aussitôt remarquer mon air surpris, car il me dit tout de suite :
- Le Maître a décidé de me faire porter mes chaînes ce soir.
En effet, outre le short et le T-shirt qui le recouvraient, l'esclave portait un collier de cuir, et des fixations similaires à chaque poignet et cheville. Il avait les pieds nus. Du cou pendait une longue chaîne, attachée en son milieu à une seconde chaîne tendue entre ses poignet, et en son bas à une troisième tendue entre ses chevilles. Le tout devait gêner en partie ses mouvements, mais mes observations ultérieures me laisseraient penser qu'il était habitué à les porter régulièrement.
- Vous pouvez entrer, continua-t-il. Le Maître vous attend dans son salon.
- Le bruit des chaînes sur le sol, demandais-je en entrant, cela ne dérange pas les voisins en-dessous ?
- C'est une des raisons pour lesquelles nous avons principalement de la moquette ici. Je vous en prie.
Je laissai mon manteau dans les mains d'Arthur, qui m'indiqua le salon.
Celui-ci était assez grand, pour un simple appartement. Meublé avec goût, mais sans signe de grande richesse. Je constatais que, même s'ils n'étaient pas sans le sou, ce couple ne devait pas non plus avoir une fortune cachée sous un matelas ou dans un compte en banque. Jack, en me voyant, se leva de son fauteuil pour m'accueillir dans la pièce.
- Soyez le bienvenu, François. Je vous en prie, prenez un fauteuil. Vous aimez le vin, j'espère ?
- Le vin ? Oui, j'apprécie.
- Très bien. Arthur, tu peux ouvrir la bouteille.
- Tout de suite, Maître.
L'esclave s'éclipsa dans la cuisine, et revint avec la bouteille, pendant que moi et son Maître nous asseyons dans des fauteuils. La petite table basse proposait déjà deux verres à pied et quelques petits biscuits apéritifs.
- Je dois avouer que les chaînes d'Arthur m'ont... surpris.
- Je sais, c'était un peu le but. Comme vous êtes curieux à propos de notre façon de vivre, je pensais vous donner quelques petits exemples ce soir. En restant pudique, bien entendu.
- Bien entendu...
Arthur avait débouché la bouteille, et servit un peu de vin à son Maître. Celui-ci goûta, approuva, puis l'esclave remplit mon verre et celui de Jack. Je n'étais pas un grand connaisseur en vin, mais celui-là, sans paraître très cher, me semblait rester un choix pertinent pour un apéritif.
- Seulement deux verres ? Fis-je remarquer.
- Bien sûr. Arthur n'a le droit au vin que quand je le lui autorise. La seule boisson qu'il a le droit de boire sans avoir à demander ma permission d'abord, c'est l'eau, qu'il peut boire à volonté.
- Je comprend.
Je jetai un regard sur l'esclave. Il était debout, les mains jointes devant lui, dans une position indiquant clairement l'attente patiente et la soumission. Il attendait le moment où il servirait à nouveau.
- Je me demandais : comment prenez-vous le fait que l'un de vous soit l'esclave de l'autre ? Je veux dire, au yeux de bien des gens, ce serait une situation dégradante. Vous en pensez quoi ?
- Je pense, commença Jack, qu'il n'y a rien de dégradant à être esclave. Dans le cas d'un esclavage non désiré, c'est plutôt l'esclavagiste qui devrait voir son image être dégradée. Et dans le cas d'un esclavage consenti, c'est juste la preuve d'un amour partagé, entre une personne qui désire se mettre entièrement au service d'une autre, et cette dernière qui aide la première à s'épanouir dans la réalisation de ce désir. Arthur n'a pas à avoir honte d'être un esclave : la décision qu'il a prise d'en devenir un est preuve d'un grand altruisme et d'un grand dévouement, et ce sont des qualités dont il peut être fier.
- Et du côté de l'esclavagiste ?
- Du côté du Maître, c'est un peu plus complexe. Je suis celui qui profite de la situation. Je suis le bourreau, le tortionnaire, le méchant, vu de l'extérieur. Et je suis obligé de l'admettre, j'aime beaucoup ce rôle. Si je ne l'aimais pas, je n'aurais pas d'esclave. Croyez-le ou non, dresser un esclave, cela requiert beaucoup de temps.
- Vous en avez eu d'autres ?
- D'autres ? Oui, et non. Arthur est mon premier. J'ai débuté en tant que Maître en même temps que lui a débuté en tant qu'esclave. Pour obtenir de l'expérience dans le domaine, j'ai demandé conseil à d'autres Dominants. Ils nous ont aidé, moi et Arthur, à faire nos premiers pas. Et quand je suis devenu quelqu'un d'expérimenté, j'ai commencé à accueillir de temps en temps des débutants, Dominants comme soumis, pour les aider à mon tour à faire leurs premiers pas. J'ai eu plusieurs soumis sous mon fouet, mais en véritable esclave permanent, je n'ai jamais eu qu'Arthur à mon service.
Jack prit une petite poignée de biscuits et la présenta à Arthur. Ce dernier s'avança, se mit à quatre pattes, remercia son Maître, et commença à manger dans la main de celui-ci.
- C'est la principale chose qu'il faut comprendre, continua Jack. Arthur n'est pas esclave sous la contrainte. Il l'est parce qu'il désire l'être. Il mange dans ma main parce qu'il aime se sentir dominé par autrui. De la même manière, il aime être asservi, humilié, et torturé. Il prend beaucoup de plaisir à manger dans ma main car il montre ainsi à quel point il est inférieur à nous et soumis à nous. Il mangerait dans votre main aussi, si vous lui tendiez des biscuits à votre tour, et il aimerait ça.
Arthur était en train de lécher délicatement le sel sur la main de son Maître. Ce dernier prit une deuxième poignée de biscuits, et la laissa tomber au sol. Arthur remercia son Maître, et se mit à quatre pattes pour manger à même la moquette.
- C'est comme ça, poursuivit Jack. Cela peut paraître insensé, mais c'est comme ça. Arthur est masochiste. De la même manière, j'aime asservir, humilier et torturer. Je suis un sadique. Si je le faisais à quelqu'un qui ne souhaite pas l'être, je ne sais pas si j'y prendrais plaisir ou non. Un conflit entre mes pulsions et ma morale. Je ne l'ai jamais fait avec quelqu'un de non-consentant, et je ne compte pas m'y mettre un jour, par morale. Mais le faire avec quelqu'un de consentant, qui aime ça, cela me fait beaucoup de bien et beaucoup de plaisir. C'est pour lui comme pour moi un exutoire, un moyen d'apaiser nos pulsions dans un espace contrôlé, afin d'éviter qu'elles ne nous frustrent ou ne s'apaisent d'elles-même en nous faisant faire quelque chose de regrettable. On a déjà entendu parler de beaucoup de criminels sadiques, dans les journaux, on parle des sadiques qui torturent moralement leurs subordonnés et collègues dans les bureaux, mais on parle beaucoup moins de masochistes qui se mettent d'eux-même dans des situations sociales impossibles pour apaiser des pulsions dont ils n'ont parfois pas même conscience.
Jack tendit son verre vide au-dessus de son accoudoir.
- Par l'asservissement d'Arthur, nous joignons ainsi l'utile à l'agréable, pour lui, comme pour moi, ainsi que pour la société qui nous entoure. Arthur ?
Arthur releva la tête et vit le verre vide de son Maître.
- Je suis désolé, Maître.
Il se releva, prit la bouteille de vin, et en versa dans le verre. Comme je lui tendais le mien, il le remplit aussi à son tour. Il retourna alors à ses derniers biscuits au sol, et revint rapidement à sa place, en position d'attente patiente.
- Je comprend, dis-je. Mais quand vous dites «inférieur» à nous ?...
- Socialement, bien entendu. Arthur reste un homme, et sa vie vaut tout autant que celle de n'importe qui d'autre. Même plus à mes yeux, puisque je l'aime. Je dis «inférieur» uniquement parce qu'il obéit, et que nous, on ordonne. Parce qu'il sert et que nous sommes servis par lui.
Je hochai la tête, pensivement, face à toutes ces informations. Je levai un instant les sourcils, but d'une traite mon verre pour faire passer le tout, et vit Jack faire de même. Arthur remplit alors à nouveau nos deux verres.
- Maître ?
- Oui Arthur ?
- Puis-je me retirer pour finir de préparer le diner ?
- Combien reste-t-il dans la bouteille ?
- Un peu moins d'un verre, Maître.
- En voudriez-vous, François.
- Non merci, cela suffira pour moi.
- Dans ce cas, tu peux finir la bouteille si tu veux, Arthur.
- Merci, Maître. Je vais la finir.
L'esclave commença à se retourner.
- Attend une minute, dit Jack.
Arthur se tourna vers lui, et le vit indiquer le sol du doigt, à côté de son fauteuil. L'esclave se dirigea vers le point indiqué, et s'y agenouilla. Le Maître commença alors à caresser la tête de sa possession. Puis il dit en me regardant :
- Arthur ne veut pas être traité à égalité avec nous. A ses yeux, ce serait contraire à mon statut de Maître, à votre statut d'Homme Libre, et à son statut d'esclave. Il ne nous en veut absolument pas d'avoir bu quasiment toute la bouteille à nous deux. Au contraire, ce fond est un cadeau que nous lui faisons. N'ai-je pas raison ?
- Si, Maître. Vous avez tout à fait raison.
- Mon gentil soumis, bien dressé, bien docile, bien obéissant.
- Mon Maître adoré.
Jack passa un doigt dans l'anneau du collier d'Arthur, et le tira à lui pour l'embrasser. Après leur baiser, je les regardais se lancer des yeux doux, aussi intenses que ceux de n'importe quel couple amoureux. Le Maître caressait la tête de son esclave, et dernier lui répondait avec toute son admiration.
- Tu es vraiment trop mignon. François, accepteriez-vous que je donne une fessée à mon esclave ?
- Je vous en prie, répondis-je, faites.
- Merci. Garde ton slip et installe-toi, Arthur.
- Merci Maître !
L'esclave baissa son short et posa délicatement son ventre sur les genoux de son Maître. Ce dernier sortit un gant en cuir de sa poche et l'enfila, ce qui me laissa suspecter la force avec laquelle il comptait frapper.
- Donc, demandais-je, il y a en quelque sorte trois castes à vos yeux : les Maîtres, les Hommes Libres, et les esclaves.
- Deux, en fait, dit Jack, ce serait plus exact. Les Hommes Libres et les Maîtres naissent et demeurent libres et égaux en droit et en devoir et cætera. La seule différence, c'est que les Maîtres ont des esclaves, et les Hommes Libres non.
- Et les esclaves ?
- Et les esclaves sont... des esclaves. Bien entendu, dans un monde idéal, seuls ceux qui désirent réellement être des esclaves rejoignent cette "caste". Il est hors de question d'imposer cette vie à quelqu'un qui ne la désire pas. Arthur aurait aimé être esclave dès la naissance, mais il sait aussi bien que moi que cela impliquerait l'existence d'esclaves ne désirant pas l'être, et lui comme moi, nous ne désirons pas que cela arrive à qui que ce soit.
- Seuls deviennent esclaves ceux qui désirent être esclaves donc.
- Exactement. Je rajouterais aussi que, souvent, l'esclave choisit son Maître autant que le Maître choisit l'esclave, et qu'il est préférable qu'ils définissent clairement les règles et limites de cet esclavage avant de le mettre en application. Vous avez peut-être déjà entendu parler de contrat BDSM, et c'est pour cette raison que ces contrats existent. Par exemple, Arthur a spécifié clairement ne pas vouloir être vendu ou donné à quelqu'un d'autre, alors il restera toute sa vie ma propriété à moi.
Et la fessée commença. Le Maître frappa fort, très fort, plusieurs fois. A chaque fois, Arthur gémissait en même temps de douleur et de plaisir. J'imaginais parfaitement, au bruit que les coups faisaient, la teinte écarlate qu'avaient dû rapidement prendre les fesses de l'esclave. Quand cela fut fini, Jack lui dit de se relever, et d'aller finir de préparer le diner. Arthur remercia son Maître, et s'en alla, visiblement heureux, dans la cuisine. Je bus mon deuxième verre de vin d'une traite lui aussi.
- En fait, repris-je après cet épisode, c'est un peu l'esclave qui dicte les règles, au final, non ?
- C'est plus compliqué, mais je crois que j'ai une métaphore pour m'aider à expliquer. Pendant la rédaction du contrat, le soumis met en place les limites qu'il ne désire pas dépasser. C'est un peu comme s'il dessinait un polygone sur une feuille de papier. Ce qui est à l'intérieur du polygone, c'est ce que le Maître à le droit de faire. Ce qui est à l'extérieur, ce qu'il n'a pas le droit de faire. Le soumis dessine donc un polygone, puis le Maître peut librement s'exprimer dans la surface qui lui est ainsi laissée. Certains soumis dessinent un polygone petit et complexe, ceux-là veulent souvent des scénarios temporaires tournant exclusivement autour de un ou deux fétichismes. Personnellement, je n'aime pas ce genre de contrat, mais c'est le choix et la préférence d'autres adeptes du BDSM, et je le respecte. De mon côté, j'ai de la chance, Arthur m'a dessiné un polygone très large, et il m'a laissé beaucoup d'espace de manière permanente pour développer mon imagination et pour le surprendre.
- C'est là qu'intervient le fameux «safeword» ? Pour dire au Maître «vous sortez du polygone» ?
- En quelque sorte. Quand je torture mon esclave – pour son plaisir et pour le mien – il lui arrive souvent de me supplier d'arrêter. C'est un réflexe d'autodéfense, et je sais qu'en vérité, au fond de lui, il souhaite que je continue. Mais le safeword est volontairement un mot bizarre, qui n'a rien à faire dans une séance de torture. Le nôtre, c'est «colimaçon». Quand Arthur est torturé par moi, il peut crier autant qu'il veut, cela ne m'arrêtera pas. Au contraire, ça me donnera envie de continuer. Mais s'il dit «colimaçon», je sais que ce n'est pas un réflexe d'autodéfense : il me prévient que quelque chose ne va pas et qu'il faut réellement que ça s'arrête.
- Et vous respectez toujours le safeword ?
- Toujours. A mes yeux, et aux yeux de beaucoup, un Maître qui ne respecte pas le safeword ne mérite pas d'être un Maître. Arthur l'a déjà prononcé quelques fois, et j'ai toujours mis fin au jeu quand il l'a prononcé. De notre côté, on va aussi un peu plus loin, et on a mit aussi au point un signe de la main en guise de safeword, pour les jeux où Arthur est bâillonné.
- Ce qui implique que s'il est bâillonné, il doit pouvoir faire le signe de la main.
- C'est un défaut, mais c'est préférable au fait de le torturer sans sécurité derrière.
Pendant ce temps, Arthur avait mis la table, et Jack m'invita à m'y asseoir. Le diner était simple, des pâtes à la carbonara, mais l'esclave les avait préparé avec dévouement. Ce dernier nous les servit dans nos assiettes, remplit nos verres d'eau, et reprit sa position d'attente patiente. Nous mangions, le Maître et moi, de bon appétit, et en discutant.
- Je me demandais, dis-je à un moment. Votre esclave fait donc tout pour vous ?
- Beaucoup de choses, mais pas tout. Quand une tâche de la maison a besoin de quatre mains, je l'aide, bien sûr, et je fais parfois quelques travaux domestiques moi-même. Il m'arrive de cuisiner par exemple, c'est une activité que j'apprécie.
- Mais quand vous n'avez pas envie de cuisiner ?
- C'est Arthur qui s'en charge, bien sûr. Il y a aussi l'argent. Arthur est écrivain. Un bon écrivain, si vous voulez mon avis, et ses ventes de livres se rajoutent à mon salaire.
Le Maître passa alors une bonne partie du repas à parler de son travail en tant qu'informaticien, et surtout à faire les louanges du talent littéraire de son esclave. En jetant quelques coups d'oeil à celui-ci, je vis sur son visage la fierté qu'il ressentait à entendre son Maître parler de lui en ces termes. Elle ne fit que s'accroître quand Jack mêla à l'hommage pour son don de la plume celui de son don pour la servitude. Comme il me l'avait dit plus tôt, il ne considérait pas son domestique avec mépris, mais au contraire avec beaucoup de respect, et beaucoup d'affection. Au lieu de l'abaisser, on aurait au contraire cru qu'il mettait son esclave sur un piédestal. Paradoxalement, le Maître se révélait aussi humble dans sa position dominante que l'esclave dans sa position de soumission, et vénérait son soumis tout autant que ce dernier vénérait son Dominant.
Quand il eut fini sa tirade, il ordonna à Arthur de ramener sa gamelle dans le salon, en lui annonçant qu'il mangerait ici. Arthur revint avec une gamelle pour chien parfaitement propre, et la présenta servilement à son Maître. Ce dernier s'empara des ustensiles, et servit des pâtes dans le récipient.
- Voilà. Est-ce que cela te suffit ?
- Oui Maître.
- Très bien. Tu peux commencer à manger.
- Merci Maître.
L'esclave se mit à genoux, déplia une serviette au sol pour ne pas tâcher la moquette, posa le récipient au milieu de la serviette, et commença à manger à quatre pattes, à même la gamelle.
- Venez, me dit alors Jack. Allons nous installer dans les fauteuils.
Je le suivis, en regardant à moitié Arthur manger de la même manière qu'un chien, à côté de la table où nous avions diné.
- Mais... Mais et tout ce que vous m'avez dit ? Toutes les louanges que vous avez faites à propos d'Arthur ?
- Elles tiennent toujours. Je crois toujours tout ce que je vous ai dit. Si je le fais manger à quatre pattes après nous, plutôt qu'à table en notre compagnie, c'est parce que c'est le statut qu'il aime avoir, et le statut que j'aime lui donner. Cela l'humilie, bien sûr, puisque vous êtes là à le regarder manger ainsi, mais il aime être ainsi humilié. Il n'y a rien de dégradant, ni de méprisant, ni d'insultant dans ce que je lui fait faire et dans ce qu'il fait. C'est juste l'expression de nos désirs. Arthur désire être inférieur à nous, et il l'est. Inférieur non pas parce qu'il vaut moins que nous, ce n'est pas vrai. Inférieur parce qu'il obéit et que j'ordonne. C'est comme ça que nous aimons vivre, et c'est comme ça que nous sommes heureux.
Nous étions alors assis dans les fauteuils, et Arthur releva la tête de sa gamelle. Tout le pourtour de sa bouche était maculé de sauce à la carbonara.
- Arthur, si tu as fini de manger, nettoie ton visage, débarrasse la table, et prépare-nous trois cafés. Ensuite, tu pourras venir discuter avec nous.
- Bien Maître.
- Excusez-moi, se reprit Jack. Vous voulez un café, François ?
- Oui. Oui, volontiers.
- Trois cafés, Arthur.
- Oui Maître.
L'esclave était dans la cuisine et devait certainement se débarbouiller. On entendait déjà la cafetière se mettre en route. Très vite, le bruit des couverts débarrassés s'y ajoutèrent.
- Je vous sens tendu, François, me dit Jack.
- Oui, c'est vrai. C'est que... tout est bizarre ce soir.
- C'est normal. Vous êtes entré dans un univers qui n'est pas le vôtre. Mais je vous rassure, nous ne sommes pas méchants, et nous ne vous voulons aucun mal.
- Oui, d'accord.
- J'arrive ! Annonça Arthur. Me voilà.
Arthur déposa trois cafés sur la table et s'assit sur une chaise en notre compagnie.
- J'ai manqué quelque chose ? Continua Arthur.
Je me mis à rire un peu, nerveusement.
- Qu'y a-t-il ? Me demanda poliment Jack.
- Rien, c'est juste le fait qu'Arthur puisse discuter avec nous. L'ambiance me paraît tout d'un coup moins... Moins...
- Protocolaire ?
- Oui, voilà.
- C'est normal, m'expliqua Jack. C'est comme ça dans un couple Maître/esclave : il y a des moments protocolaires, comme celui que je viens de vous faire vivre, et d'autres plus détendus. Attention, Arthur et moi, nous sommes dans une relation d'esclavage permanent : les règles sont plus souples pour lui, mais elles n'ont pas totalement disparues.
- Je dois toujours respect et obéissance à mon Maître, par exemple, ajouta l'esclave.
- Tiens, à ce propos, viens là.
Jack fit signe d'approcher à Arthur, et il commença à détacher ses chaînes avec efficacité.
- On va enlever ça maintenant. Ramène tes chaînes dans la salle de torture et reviens.
- Tout de suite, Maître.
- La salle de torture ? Risquais-je pendant qu'Arthur y allait.
- La salle de torture, me répondit-Jack. On a choisi cet appartement principalement parce qu'il y avait trois chambres. La première, c'est la mienne, où dort aussi Arthur la plupart du temps ; la seconde est une chambre d'ami ; et la troisième, nous en avons fait une salle de torture. Pas de dame de fer ou d'outils tranchants bien entendu, le but est d'y trouver du plaisir, pas de faire parler.
- Oui, évidement.
- Je suis de retour ! annonça joyeusement Arthur.
Il se rassit sur sa chaise en notre compagnie, et but une gorgée de café. Il ne lui restait plus que son collier et ses fixations aux poignets et aux chevilles, en plus de ses vêtements.
- Euh, je m'excuse, pour la bouteille de vin, en profitai-je.
- Oh, ce n'est pas grave : mon Maître vous l'a dit, je ne vous en veux pas. C'est même gentil de m'avoir laissé le fond.
- Oui, mais du coup, j'ai l'impression que vous n'avez pas profité de la soirée.
- C'est gentil de vous inquiéter pour moi, merci, répondit Arthur en souriant. Mais ne vous inquiétez pas : j'en ai profité, à ma manière. Je suis très content de vous avoir servi, mon Maître et vous.
- Oui, c'est un peu ça que j'ai du mal à comprendre.
- C'est normal. Je crois qu'il faut être un peu comme moi pour vraiment comprendre.
- C'est un peu comme un enfant content de ramener une bonne note, dit Jack.
- Donc j'ai reçu une bonne note ?
- Disons... A-.
- Seulement A-, Maître ?
- Oui, parce que tu n'as pas fait attention à mon verre quand tu mangeais les biscuits par terre.
- Ah oui, c'est vrai. Désolé Maître.
- Ce n'est pas grave.
Jack se pencha vers son esclave, et se dernier le rejoignit pour lui faire un bisou.
- Mais donc, demandais-je, tout ce que vous m'avez dit est bien vrai ?
- C'est notre point de vue en tout cas, me répondit Jack. Après, d'autres adeptes du BDSM ne seront pas forcément d'accord avec tout ce qu'on a dit.
- Y compris l'autre jour, dans la rue ? demandais-je à Arthur.
- Oui, dit-il. Avec un peu de mise en scène.
- Un peu de mise en scène ? Poursuivit son Maître.
- Je joue très bien le fanatique dont on a lavé le cerveau.
- Mais tu es un fanatique, Arthur. Et je t'ai lavé le cerveau.
- Je préfère le terme «dressage», Maître.
- Mais pourquoi avoir fait ça ? Demandais-je.
- Je ne sais pas, admit l'esclave. Vous étiez un inconnu, et vous me posiez plein de questions. Mettez-vous à ma place : c'est vous qui étiez bizarre à mes yeux. Alors j'ai essayé de vous faire peur. Je crois. Un peu.
Je souris un instant à l'idée que j'ai pu paraître bizarre aux yeux d'un esclave masochiste.
- Vous ne m'en voulez pas ? Demanda Arthur.
- Non, non, je ne vous en veux pas.
- Pour être honnête, admit Jack à son tour, je ne pensais pas que vous nous appelleriez pour nous revoir. Mais quand vous l'avez fait, on s'est senti obligé de tenir notre engagement et de vous inviter. Et au final, tout est bien qui finit bien : je pense qu'on peut dire qu'on est ami maintenant.
- Je pense que vous avez raison, acquiesçais-je.
- Si on est ami, je pense aussi qu'on peut se tutoyer.
- D'accord.
- Et moi ? Demanda Arthur. Je dois tutoyer ou vouvoyer ?
- Eh bien... C'est comme tu veux, lui répondis-je.
- Alors je crois que je vais continuer à vous vouvoyer, Monsieur.
C'est à ce moment, je pense, que j'ai vraiment compris qu'Arthur aimait son statut d'esclave. Il n'y avait pas de mépris, ni de fausse modestie, ni même d'auto-dénigrement dans cette phrase. Juste une sereine acceptation d'un fait : il était un esclave, nous étions des hommes libres, et c'était très bien pour lui comme ça.
La soirée continua tranquillement tout compte fait. Après les cafés, Arthur nous ramena de l'eau pour nous désaltérer. Ils me racontèrent tour à tour des anecdotes de leur relation, et j'ai eu le plaisir de les voir à plusieurs reprises rire ensemble de leur histoire commune. J'ai ris aussi avec eux, une fois ou deux.
- Au début, me dit Jack, on s'est rencontré sur Internet, sur un site BDSM. Je voulais commencer en tant que Dominant, et Arthur voulait commencer en tant que soumis. Nous avons fini par tomber amoureux. On s'est retrouvé en vrai dans un bar, sur un terrain neutre, puis on s'est fait visiter nos appartements respectifs. Très vite, on a emménagé ensemble et j'ai commencé à le soumettre.
- Les premiers mois, poursuivit Arthur, c'était irrégulier. On se couchait en Dominant et soumis et on se réveillait en égal à égal, ou vice versa. Au final, j'en ai eu assez de ça et je me suis mis à genoux devant mon Maître.
Il se mit à genoux devant lui, pour mimer la scène.
- Maître, souhaitez-vous prendre votre soumis pour esclave permanent, et le dresser à obéir et à servir, pour le meilleur et pour le pire, jusqu'à ce que la Mort nous sépare ?
Jack souriait en revoyant la scène, et en caressant la tête de son esclave. Je demandais :
- Tu lui as répondu quoi ?
- Je lui ai répondu «Embrasse mes orteils un par un et je te répondrai oui».
- Jamais de ma vie je n'ai embrassé aussi vite des orteils, avoua Arthur en se rasseyant sur sa chaise.
- Et depuis, Arthur est ton esclave, donc ?
- Oui. Environ un an après cette déclaration d'amour, je lui ai demandé s'il voulait toujours être mon esclave à vie, et il m'a répondu «plus que jamais, Maître». C'est depuis ce jour que je considère qu'Arthur est irrévocablement devenu mon esclave.
- Pour le meilleur et pour le pire, Maître.
- Pour le meilleur et pour le pire, répondit le Maître.
- Il y en a eu beaucoup, du pire ? Demandais-je.
- Pas beaucoup, heureusement, dit Jack. Surtout des bêtises d'esclave.
- Beaucoup de bêtises ?
- Oh oui ! Ça prend du temps à les dresser, ces bêtes-là, et il m'en a fait des belles. Heureusement quelque part, la vie serait plus monotone sans.
- En fait... Commença Arthur.
En même temps, il attrapait la poignée de la carafe d'eau pour resservir son Maître, mais il renversa son propre verre dans le même mouvement. Nous eûmes tous trois un mouvement de recul, puis tous trois nous nous jetâmes sur les serviettes pour essuyer au plus vite.
- Arthur ! Gronda le Maître. Quand on parle de bêtises, ce n'est pas la peine de nous en donner un exemple !
- Maître, je...
- Ça suffit. Tu essuies, puis tu vas au coin.
L'esclave poussa un soupir.
- Oui, Maître.
Il essuya rapidement, porta les serviettes trempées à la cuisine, puis se positionna debout, face à un coin du mur. Je comprenais, de ce fait, pourquoi ledit coin n'était pas meublé.
- Ce n'était pas une grosse bêtise, hasardais-je.
- Non, c'est vrai. C'est pour ça que cela n'ira pas plus loin qu'une petite mise au coin, je pense. Ceci dit, voyons le bon côté des choses, cela nous permet d'aborder un autre point de notre relation : la punition. Une erreur que font beaucoup de gens extérieurs au BDSM, et même certaines personnes y posant un pied, c'est de considérer la douleur physique comme une punition. Dans le cas où le soumis aime la douleur physique, ça ne marche pas.
- Parce qu'il aimerait ça ?
- Non, c'est plus vicieux que ça. Si je donnais une fessée à Arthur pour le punir d'avoir renversé son verre, il n'aimerait pas, car il saurait qu'il la prend parce que je suis mécontent de lui. Ça briserait son plaisir, en quelque sorte. Mais quelque part dans son inconscient, il associerait la fessée que je lui ai donnée tout à l'heure avec celle que je lui donnerais maintenant, et au fur et à mesure, en utilisant la douleur à la fois comme un jeu ou une récompense, et à la fois comme une punition, cela brouille tous les repères du soumis. Il finira par avoir l'impression d'être puni quand on joue, et par avoir l'impression de jouer quand il est puni. Pour cela, quand le soumis aime la douleur, il vaut mieux ne pas punir avec la douleur.
- Comment alors ?
- La meilleure manière à mon avis, c'est ainsi, dit Jack en montrant Arthur dans son coin. Avec son point faible. Toute sa vie tourne autour du fait de me servir, alors je lui interdis momentanément de me servir. Pas besoin de coups de fouet, il retient bien mieux la leçon en sachant que par sa faute, son Maître est obligé de se servir son verre d'eau lui-même.
Et Jack versa de l'eau dans son verre, en prenant soin de faire autant de bruit que possible.
- Je pense comprendre, dis-je.
- C'est bon Arthur, tu peux revenir. Je vais être gentil aujourd'hui.
- Merci Maître.
L'esclave revint s'asseoir parmi nous. Il y eut un instant de silence quand il se rassit.
- Bon, dis-je pour le rompre et en me levant, il se fait tard, je pense que je vais rentrer.
- On se reverra ? demanda Arthur.
J'eus un instant d'hésitation.
- Oui, je pense. Au final, j'ai passé une bonne soirée, et vous m'avez paru sympathique. Quoiqu'un peu bizarre.
- Beaucoup bizarre.
- Oui, c'est vrai, beaucoup bizarre. Surtout toi, Arthur.
- Alors c'est entendu, conclu Jack en se levant à son tour, suivi de son esclave. Tu peux nous appeler quand tu voudras, ma porte est ouverte.
- Entendu. Merci, Jack.
- Juste une dernière question : pourquoi t'es-tu intéressé à nous, à la base ?
- Je ne sais pas. C'est parce que le sadomasochisme, c'est un peu à la mode en ce moment. On en voit un peu partout. Alors quand j'ai vu Arthur, avec son collier, j'ai voulu poser la question. Pour savoir. Pour comprendre.
- Il n'y a rien de plus que cela à comprendre. C'est simplement la vie que nous aimons, Arthur et moi. C'est vrai que le BDSM est un peu à la mode en ce moment, et en fait, ce n'est pas une si bonne chose qu'il le soit. Ce n'est pas un truc à faire n'importe comment, encore moins avec n'importe qui, et surtout pas juste parce que c'est tendance. A notre niveau, à Arthur et moi, c'est parce qu'on le veut, au fond de nous. Tu peux toujours utiliser un bandeau ou des menottes une fois de temps en temps pour pimenter une relation, mais tu ne dois pas te sentir obligé d'en faire autant que nous, juste parce qu'on voit ça à la télé aujourd'hui. Je t'ai vu pendant tout l'apéritif et pendant le repas, tu étais mal à l'aise face à tout ça. Je ne pense pas que ce soit fait pour toi.
J'eus un petit rire.
- Non, je ne pense pas moi non plus.
- Et ce n'est pas grave. On reste des amis.
- Oui, tu as raison, Jack. On reste amis.
Je les saluais alors tous deux, et Arthur me raccompagna à la porte d'entrée. Il ne me resta plus qu'à rentrer chez moi. J'étais assez content, car je m'étais fait deux nouveaux amis. Des amis bizarres, mais des amis quand même.
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