sylvie35
par le 04/11/24
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La brume s’engouffre lentement dans la vallée, créant des jeux de lumière oniriques. Je me sens minuscule, insignifiante, face à ce spectacle. Suis-je dans un rêve ou dans la réalité ? Je me le demande parfois, tant ce qui m’arrive est étrange.

Mes tibias pendent dans le vide, oscillant lentement. Que de progrès depuis mon arrivée ici ! J’arrive à présent à m’assoir tout au bord de la tanière, sans que la vision des centaines de mètres de vide sous mes pieds ne me pétrifie [1].

Le vent glacial sur mon corps nu est une épreuve, mais la vision de l’immensité me donne la force de supporter les morsures du froid.

Tous les jours je passe ainsi des heures à méditer à flanc de falaise, devant ce spectacle grandiose, en attendant le retour de mon nouveau Maître. Dès que je l’aperçois à l’horizon, je m’empresse de me mettre en position, face contre terre, cul bien haut. J’écarte mes fesses du mieux possible avec les mains. Mon nouveau propriétaire aime se vider les couilles sans attendre dès qu’il rentre de la chasse [2]. Il m’a dressée sans ménagement. Le cuisant souvenir des punitions infligées pour avoir traîné à lui présenter correctement mon anus est profondément ancré dans mon esprit.

Il est bestial et pourtant si humain, autant dans son comportement que dans certains détails de son anatomie. Son énorme bite a l’air humaine si l’on fait abstraction de ses dimensions. Il est à la fois affectueux et brutal. Il me traite souvent sans ménagement, en esclave sexuelle, et pourtant il me réconforte et me réchauffe aussi. J’ai souvent l’impression qu’il me parle, l’impression qu’il y a une structure très riche dans les sons qu’il émet, mais je n’en saisis pas le sens. Nous n’arrivons pas à communiquer.  J’ai beaucoup de questions et aucune réponse. Je ne comprends pas et cela m’exaspère.

Au fil des jours, des semaines, des mois, peut-être des années, il m’a rapporté tout un bric-à-brac, que j’ai entassé au fond de la tanière. J’ai complètement perdu la notion du temps. En quelle année sommes-nous ? 2032 ? 2035 ? Je suis complètement perdue.  Parfois je m’amuse avec ces objets improbables, je m’amuse à les assembler, à les modifier, à les sculpter. J’essaie de fabriquer des outils ou des jeux, mais le plus souvent je m’ennuie, alors je me perds dans mes pensées.

J’ai peur de perdre la notion du langage, à force de ne parler à personne. Je me parle à moi-même, à haute voix, pour ne pas oublier les mots. C’est ridicule, mais je sens que c’est indispensable.

Je me suis mise à graver les parois de la grotte, telle une artiste surgie de la préhistoire. Mes œuvres ornent à présent notre maison – étrange maison s’il en est.

J’aurais aimé qu’il m’apporte de quoi me vêtir. N’importe quoi, pourvu que ça me réchauffe. Il fait parfois très froid sur ces hauteurs et même si mon corps s’est adapté, la nudité permanente reste très dure à supporter. Mais, quand bien même de quoi me couvrir serait disponible, accepterait-il que je m’habille ? Je suis sa femelle à présent et il m’a bien fait comprendre qu’il me veut disponible et accessible à tout moment.

Je me suis habituée à ma nouvelle anatomie [1], totalement lisse entre les cuisses. Je ressemble à une poupée. J’aurais aimé avoir encore mon clitoris, pouvoir me masturber pour prendre du plaisir et passer le temps. A la fin de la décennie passée, les lois répressives relatives au Fucking Pass sont devenues de plus en plus sévères, histoire de dissuader les récalcitrants. En tant que condamnée pour crime sexuel  (une relation Maître-esclave illégale pendant plusieurs années – illégale car nous n’avions pas de Fucking Pass), déclarée ennemie de la démocratie, le châtiment était sans appel. Mais peu avant ma condamnation, une nouvelle loi autorisant la castration des hommes condamnés pour baise illégale a été promulguée, alors  tout est relatif et je ne me lamente pas sur mon sort.

Je m’accommode bien mieux de la couture de mes lèvres, réalisée pour ma protection avant la montée sur le pylône des suppliciées. Esthétiquement, ce n’est pas si mal. On s’habitue à tout.

La civilisation me manque et m’effraie à la fois. J’y vois plus clair à présent. Comme tant d’autres, j’ai réalisé bien trop tard que sous le masque radieux du progressisme un monstre répugnant était en train de naître et de grandir, un monstre qui se nomme totalitarisme. Pourtant les signes n’ont pas manqué, la folie des pass et des QR codes, qui a trouvée son apogée dans le Fucking Pass, la propagande de plus en plus absurde et déconnectée du réel, la création d’une milice violente au prétexte de défendre la démocratie, … , mais nous sommes restés aveugles, préférant dénoncer des atteintes à la liberté dans des pays lointains, sans voir que le monstre était déjà chez nous.

Il y a quelques jours, mon Maître a rapporté une longue barre métallique, chipée je ne sais où. Il l’a coincée verticalement dans un coin de sa tanière, me laissant dubitative. Lorsque j’ai commencé à danser pour lui, comme je le fais tous les soirs, il semblait agité, contrairement à son habitude. Il m’a poussée et repoussée violemment en direction de la barre, jusqu’à ce que je comprenne. Sur le coup, cet éclair de lucidité m’a saisie de stupeur, mais je me suis rapidement efforcée de croire à une coïncidence pour ne pas être prise de vertige devant les perspectives un instant entrevues. Non, ce n’est pas possible, cela ne peut être qu’une coïncidence. Le déni est un puissant mécanisme de défense psychique.

Ce soir-là, j’ai dansé pour lui à la barre, comme je le faisais avec mon premier Maître, aujourd’hui disparu. A chaque fois je prenais beaucoup de plaisir à préparer de nouvelles chorégraphies et à m’entraîner durement avant de lui présenter mon nouveau spectacle. Je mettais un accent particulier sur l’aspect érotique, chaque figure étant prétexte à écarter les jambes et à lui présenter mon anatomie sans pudeur, sous tous les angles possibles. « La pole-dance est un délice pour les yeux » me disait-il en guise d’encouragements, qui m’allaient droit au cœur. « Tu es une sacrée salope, Ariane », ajoutait-il parfois. Il mettait un point d’honneur à m’appeler par mon prénom, même quand c’était pour me traiter de salope, de chienne, …. Tous ces souvenirs sont remontés à la surface et m’ont mise en larmes. Mon spectacle terminé, à travers le brouillard des larmes j’ai vu que mon nouveau propriétaire bandait dur. Mes réflexes sont puissants : je n’ai pas tardé à lui présenter mon cul.

Ce soir là n’était pas comme les autres. Il m’a sodomisée en douceur, presque tendrement. Pendant longtemps, très longtemps. Quel contraste avec la manière brutale et expéditive avec laquelle il m’avait toujours prise jusque-là ! La nuit était déjà bien avancée quand, remplie de sperme, j’ai enfin pu me blottir contre lui, profitant de la chaleur de son corps, et, épuisée, m’endormir sur le champ.

La brume a à présent rempli toute la vallée. Un bourdonnement lointain me sort de l’évocation de mes souvenirs. C’est un petit drone de surveillance, aux couleurs de la Suprême Alliance Démocratique. Je me redresse rapidement et cours me cacher au fond de la tanière. Il était encore loin. J’espère qu’il ne m’a pas repérée.

Le bourdonnement se rapproche. Je sais qu’un dispositif de localisation, le fil d’Ariane, m’a été introduit dans le vagin avant la couture des lèvres. J’ignore quelle est sa portée, sans doute pas énorme, mais peut être suffisante pour que le drone ait capté le signal. Dans l’ombre je tente prudemment de jeter un coup d’œil sans me faire remarquer. Le drone est en vol stationnaire devant l’entrée de la tanière. Pas de doute, je suis repérée. Les hélicoptères ne vont pas tarder. Sur le moment, mon sort m’inquiète bien moins que celui de mon nouveau Maître, qui va certainement être capturé et devenir un animal de laboratoire, torturé jusqu’à la mort. Je m’en veux terriblement de l’avoir mis en danger. Je m’étais confectionnée un outil coupant pour m’ouvrir la chatte, extraire le fil d’Ariane, et le détruire, mais je n’ai jamais trouvé suffisamment de courage pour le faire. Maintenant c’est trop tard.

Le drone est soudainement projeté à l’intérieur de la tanière et se fracasse sur la roche dans un vacarme assourdissant. Une pale d’hélice rebondit, me traverse la cuisse et m’arrache un hurlement de douleur. De puissantes griffes me saisissent et mon propriétaire m’emporte dans les airs. Ses serres me maintiennent si fortement qu’elles me transpercent la chair. Terrifiée par le vide s’étendant sous mes yeux et hurlant de douleur, je m’évanouis.

A suivre.
 

Références

[1] Voir « Le Perchoir d’Ysideulte »   https://www.bdsm.fr/blog/8145/Le-perchoir-d%E2%80%99Ysideulte/ ;

[2] Voir « Esprit animal »  https://www.bdsm.fr/blog/8285/Esprit-animal/ ;  



 

15 personnes aiment ça.
Deacon St-John
"J’y vois plus clair à présent. Comme tant d’autres, j’ai réalisé bien trop tard que sous le masque radieux du progressisme un monstre répugnant était en train de naître et de grandir, un monstre qui se nomme totalitarisme", il était temps..., amitié Sylvie 1f642.png
J'aime 04/11/24
Joliment inventif, tout en introduisant (et c’est peu dire au vue de la description de l’engin) un touche de bdsm. Très bien écrit, mais de cela, nous nous y attendions venant de vous. La suite, la suite….
J'aime 04/11/24
sylvie35
@Deacon St-John: l'histoire, même très récente, nous a montré jusqu'à quel degré de délire collectif nous pouvons aller - tous ensemble... Mais on ne retient jamais les leçons de l'histoire. Amitiés 1f60a.png
J'aime 04/11/24
sylvie35
@Izno: Merci beaucoup pour votre gentil commentaire, qui me va droit au coeur.
J'aime 04/11/24
Deacon St-John
" Mais on ne retient jamais les leçons de l'histoire.", en effet Sylvie, en effet...
J'aime 05/11/24
Azhara
J'ai envie de la secouer pour qu'elle ouvre les yeux sur la " coïncidence ", elle m'agace à ne pas voir l'évidence, elle, si perspicace et dans l'anticipation habituellement. Elle pense avec son sexe ou quoi, maintenant qu'il est emprisonné elle ne peut plus réfléchir ? Ah ça m'agace ce déni, et j'adore quand un récit me projette ainsi dans certains ressentis. J'aime beaucoup, beaucoup, comme d'habitude. Et, cette phrase sur la démocratie " mais nous sommes restés aveugles, préférant dénoncer des atteintes à la liberté dans des pays lointains, sans voir que le monstre était déjà chez nous. " placé habilement... Un régal.
J'aime 05/11/24 Edité
Deacon St-John
Adieu Ma France. RIP
J'aime 05/11/24
sylvie35
Merci Azhara pour votre commentaire très encourageant ! Après tout, les femmes aussi ont le droit de penser avec leur sexe 1f602.png Il n'y a pas de raison que ce soit réservé aux hommes 1f600.png
J'aime 05/11/24
Azhara
J'avoue avoir largement pensé à cette possible (nouvelle) équité en rédigeant cette phrase. Ça me faisait sourire. Je me languis de la suite, un grand merci à vous. Je ne lis jamais pourtant ce genre de registre littéraire, les écrits bdsm me lassent, la "science-fiction" même l'anticipation, les dystopies ne m'embarquent pas habituellement. (Si Beyourself me lit il va halluciner mais ça me donnerait presqu'envie de m'y mettre. Si j'étais sûre de ne pas être déçue derrière... et j'ai comme un gros doute.)
J'aime 05/11/24
Azhara
Sympa ces nouvelles images aussi au passage.
J'aime 05/11/24
sylvie35
J'ai essayé de créer une illustration à l'aide d'une IA pour voir ce que ça donne mais c'est difficile d'obtenir ce que l'on veut. On a l'impression de discuter avec un artiste qui n'en fait qu'à sa tête, qui n'écoute que d'une oreille et ne tient compte que de ce qui l'arrange 😂. Sur une trentaine d'essais ces deux-là sont les seules qui correspondaient à peu près à ce que je voulais. En plus l'IA est très pudique : j'avais beau lui dire que la femme devait être complètement nue, elle s'entêtait à lui mettre des sous-vêtements ! Il y a de quoi tourner en bourrique 😂😂😂
J'aime 05/11/24
sylvie35
J'avoue que je lis très peu, par manque de temps, et aussi parce que je n'accroche pas toujours. Je ne compte plus les livres que j'ai commencés sans aller jusqu'au bout... Je lis des bouquins de maths également et c'est plein de suspense et de mystère (si, si 😂). Il en faut pour tous les goûts, et puis parfois les goûts évoluent. Ca vaut la peine de tenter de temps à autre un style nouveau, pour peut-être faire de belles découvertes.
J'aime 06/11/24
ymerwhite
Super agréable à lire. super bien écrit comme d'habitude. J'adore l'univers dans lequel cela se déroule. Le parallèle avec actualité politique us et européenne est probante et bien à-propos.
J'aime 06/11/24
ymerwhite
Vivement la suite.
J'aime 06/11/24
gitane sans filtre
ah mais non, il ne faut pas ma laisser avec cette fin, la suite vite (toujours aussi prenant)
J'aime 06/11/24
C'est superbe Sylvie ! On navigue entre le roman d'anticipation et le conte philosophique avec, cerise sur le gâteau, sexe, bdsm et aventure. Et quelle écriture ! Je me demandais à quel moment l'héroïne sans nom du premier article reviendrait sur le devant de la scène. La voici donc de retour. Elle a un prénom à présent. Ariane. C'est joli. Elle était donc prédestinée à recevoir le fil d'Ariane dans la chatte 😍 J'adore la manière dont le récit est construit, avec trois visions différentes de ce monde dystopique, en comptant celle de l'étrange rapace dans "Esprit animal". Ce n'est pas donné à tout le monde d'imaginer une telle construction narrative et d’entremêler trois histoires en restant parfaitement cohérent. Je suis impressionné. Les illustrations sont très chouettes aussi. Elles collent bien au récit.
J'aime 06/11/24
sylvie35
@ymerwhite: merci beaucoup pour vos encouragements!
J'aime 06/11/24
sylvie35
@gitane: merci! Je vais essayer de moins traîner pour écrire la suite ça fait plus de trois mois que je n'avais rien écrit. Il y a des périodes où j'ai moins de temps, ou bien c'est l'inspiration qui n'est pas au rendez-vous. C'est assez frustrant parfois!
J'aime 06/11/24
sylvie35
Merci Jakez. Oui, elle était parfaitement prédestinée ! Les illustrations c'est galère à créer, mais je voulais essayer pour voir. La plupart est partie à la poubelle, car la fille en lingerie fine dans sa grotte, ça faisait vraiment trop bizarre 😂😂😂 (en plus de ne pas coller au récit). C'est vraiment borné une IA: "fully nude", "no underwear", ce n'est quand même pas si compliqué à comprendre 😡
J'aime 06/11/24